Le film diffusé sur le téléviseur de l’appartement trop calme se clôture sur une originalité digne des plus beaux chefs d’oeuvre d’épouvantes, pourtant habitués aux fins tragiques et répétitives. La dernière cuillère de crème glacée nargue l’estomac vide de Théo, préfère davantage déposer ses lippes sur le joint vacillant entre ses doigts parfaitement manucurés. La fumée âcre qui s’éparpille doucement fait rêver la garce, désireuse d’aventures à en faire pâlir les ténèbres, le coeur criant de désirs inassouvis. Elle se lève brusquement, balance son plaid dans la pièce et enfile les premières fringues qu’elle trouve, tend à sortir de la pièce trop explorée tout au long de la journée. Il m’faut de l’air. ça hurle dans son esprit contradictoire, lui sommant tantôt de poser son cul sur le canapé et de regarder un autre film, tantôt de jouer au chat des rues comme elle sait si bien le faire, pourrait composer le numéro de n'importe quel caïd qu'elle fréquente et s’échapper avec dans des folles aventures qui n’appartiennent qu’à eux, mais ce serait tenter le diable de déranger ces individus tout ça parce qu’elle se prend une envie farouche d’aller s’embrumer les sens avec, sangsue. Aujourd’hui, elle compte bien fouler les pavés froids des ruelles sombres seule. Inconsciente de ce qui pourrait lui arriver, divine immortelle.
La silhouette aux sens embrumé s'éloigne, s'agite dans le noir à travers les quartiers mal-fréquentés du Queens, les mains dans les poches d’un sweat qui ne lui appartient même pas et la capuche vissée histoire de pas trop attirer l’attention - inconsciente certes, mais pas débile. Théo se laisse guider par les voix qu’elle entend au loin, cris de guerre écrasant le silence ténébreux de la nuit, des astres qui l’observent perpétuellement. Elle se perd dans les ruelles, frôle les murs tagués d’empreintes indélébiles du bout des doigts alors qu’elle tombe nez à nez avec un caïd jugeur, et un autre. Elle se faufile entre eux sans un mot, perçoit alors un véritable troupeau aux allures vagabondes, des hommes aux muscles tracés, captivants, des femmes tempêtes qui se tapent dessus, acharnées. Une fille. Jolie, fine, contraste brutal dans cet univers de violence et de sang. Théo glisse entre les épaules larges pour se retrouver à quelques mètres de l’objet de sa soudaine convoitise, le corps barré par le bras musclé d’un homme qui lui somme de rester tranquille. ”Le combat n’est pas terminé ma jolie. Reste à ta place si tu veux pas te prendre un coup.” Les opales scrutent le type à l’assurance non négligeable, dévient vers la fureur de celles de la jeune femme qui s’élance pour en fracasser une autre. L'entièreté de ses sens s’électrise à la simple pensée de ce poing qui pourrait lui faire mal, laissant l’adversaire tomber au sol, inerte. Théo s’affole alors que les autres s’excitent dans les cris et l'adrénaline de ces combats, les corps qui commencent à s’agiter alors que Théo tente de leur échapper en s’éloignant un peu. Sauvages. Ses opales, quant à elles, continuent de sonder celles de la gagnante, le sourire impassible sur sa gueule de princesse. Elle s’avance, se frayant un passage de force parmis les gros durs qui gravitent autour, se rattrape à l’épaule moite de la femme tempête. ”Je pense que tu vas pouvoir m’éclairer. On est où là ? Et pourquoi tout le monde t’acclame alors que tu viens d’exploser la gueule d’une pauvre fille ?” Le sourire charmeur de Théo brode ses lippes, l’âme dévouée au sarcasme moqueur alors qu’elle sait très bien ce qu’ils foutent là. ”Ce que tu fais avec tes mains te regarde mais j’espère qu’elles ne servent pas qu’à frapper.” Un rire cristallin étouffé par les cris des animaux. La jeune femme détourne doucement les opales, dévissant la capuche de sa tête pour respirer un peu dans la chaleur bestiale de cet endroit à l'image d'un vrai cloaque. ”J’ai très envie de m’éclater ce soir, une chance que j’ai trouvé une jolie fille que je vais pas lâcher.” L’assurance qui claque entre ses lèvres, Théo trop confiante, finit toujours par posséder ce qu’elle désire et compte bien ne pas laisser filer sa convoitise entre ses doigts calculateurs jusqu’à ce que son âme en décide autrement.
Comme chaque nuit, elle était là. Comme chaque secondes, elle respirait. Mais à chaque fois, elle frappait, plus fort que la dernière. C’était la différence, seule différence qui permettait toujours de lui donner victoire, et raison. Par la force de ses poings, et par la force de sa volonté.
Toujours, elle se perdait en son être pour se retrouver ici. À se battre contre des femmes aux talons aiguisés, et des hommes aux muscles saillants. Aucun ne lui faisait peur, Reese, le chat des rues, ne craignait pas même l’éclat de l’aube qui essuyait le sang toujours sur son visage.
Ce soir ne faisait pas exception. Elle était toujours, depuis longtemps maintenant acclamé par la foule. Aujourd’hui, une rivale, demain, peut-être des rivaux. Sans le savoir, elle commençait à mener sa troupe de combattant, car elle a la haine trop vaillante, et la colère trop écrasante. On la craint, on la méprise, on veut la frapper, au final, c’est les autres qui finissent couvert de sa hargne pourtant féminine.
Douce de gueule, rugueuse d’âme. Quand elle mit cette femme à terre, personne n'osait l’approcher.
On l'acclame. La meute hurle sous la pâle lune. Tandis que le chat, la louve, Reese, contemple son oeuvre.
Cette jolie gueule saccagée, dommage pour elle, mais pourtant c’était elle qui avait voulu s’y fouetter. Si elle avait vaincu des hommes souvent redouté, une femme d’affaire exaspérée ne lui faisait même pas l’effet d’une piqûre d’insecte.
La peau intacte. Mais les phalanges éclatées.
Elle attrape l’argent avant de se faire saisir par une jolie princesse qui semblerait bien s’être perdu, et éperdue sans doute de son charme froid. Les nuits glacés. Reese reste, quand-à-elle, indifférente. Elle se dégage de l’emprise de la blondinette vivement, montrant bien qu’elle était sur ses gardes. La demoiselle sous sa capuche, un sourire charmeur sur les lèvres. Dommage pour elle, Reese est une brique. Et la drague ne lui fait pas même un petit effet.
« Comme si tu avais besoin que j’te réponde. », puis un soupir. Long. Et son regard qui se dégage de sa présence. Blasé la Reese, mais elle l’écoute toujours piailler la jolie fille qui libère sa crinière. Lionne, sauvage, royale. Reese n’avait jamais eu les cheveux longs. Elle trouvait ça trop chiant à entretenir.
Elle balaye la jeune fille d’un geste de main montrant à quel point ses jeux de séductions ne l'intéressent pas. Elle avait mieux à faire. Elle avait encore la force de vaincre.
« Écoutes poulette, si tu veux pas te battre, recule, et laisses moi tranquille. J’ai mieux à faire que de jouer à la barbie pour tes beaux yeux. »
Alors qu’elle lui tourne le dos en toute impudence, elle jette un regard à un homme qui semble pas très heureux de la victoire de la fille aux cheveux couleurs lune. Pâle. Lune. Elle le provoque, sans peur, sans même sembler en colère. Juste pour le plaisir de chercher la guerre. Et vider son porte monnaie. Ouvrez les paris, Reese n’a pas fini de mettre son rang de championne en jeu.
Il rentre dans le cercle animal, et se laisse saisir par l’animosité bestial. Reese le regarde, longuement, puis c’est quand elle le dénigre d’un simple regard, que le combat commence enfin. Elle avouait préféré se battre contre des hommes. C’était de ce genre là qui lui avait pourri la vie, l’existence.
À chaque fois qu’elle voyait leurs lèvres charnues. À chaque fois qu’elle voyait leurs mâchoires carrées. À chaque fois qu’elle voyait leurs mains robustes. (elle repense à lui)
Elle veut les éclater.
Et c’est bien vite fait, quelques esquives, et quelques poings emmanchés à divers points stratégiques, elle danserait presque avec lui. Si on voyait la haine d’un mauvais œil, alors on oubliait la colère quand sous l’éclat lunaire, elle pouvait devenir danseuse étoile. Elle a sourit à la blonde comme on sourit à ses anges, l’air certains qu’on s’est déjà rencontré, l’air confiant qui prouve qu’on est humain, et pas qu’à moitié.
Elle lui sourit. Son sang sûrement sucré, expulsé d’entre ses lèvres.
Un coup, et elle devenait à la fois si fragile et pourtant d’autant plus forte.
Ses yeux rouges de hargne.
« Connard...; elle tousse et crache l’hémoglobine, tu m’as pas loupé. »
Il rit en pensant que c’est terminé. Oh bien sûr, la foule s’est tût, pendant quelques secondes, croyant dur comme fer qu’elle allait être vaincue pour le seul plaisir de l’avoir regardé. C’était mal la connaître. Rapidement relevé, elle va pas hésiter à le mettre à terre. Pour la fin du combat, tout est allé trop vite. Ce qui est certains, c’est que c’est elle qui a remporté la mise. Et après, elle est partie, comme une ombre, on l’aurait presque pas vu avec ce troupeau.
Elle s’appuie sur les murs, les rampes une fois seule, pas si loin du massacre. Tout près même. Fracassé, son cœur. Extirpé, son sang. Reese passe ses doigts sur ses lèvres, elle y étale son être. Puis quand elle tourne les yeux en entendant des pas derrière elle, Reese la voit, cette fille, sans doute plus curieuse, qu’inquiète.
« T’es encore là? T’es parents te donnent pas de couvre feu, princesse? »
De nouveau ce visage impassible, à croire qu’elle n’est heureuse que quand elle frappe. Elle se tourne, le rouge sur son visage qui sèche doucement sur sa peau pâle.
« T'aurais pas un mouchoir ? Pas sûr que je sois toujours aussi jolie la gueule en sang. »
Théodora, princesse des hautes sphères, se sent si petite ici, dans un monde de brutes auquel elle n’appartient pas, la gueule d’ange qui fait pâle figure dans l’atmosphère animale et ténébreuse des quartiers pauvres. Pourtant la gamine tend à faire loi partout où elle met les pieds, reine tyrannique qui pense faire plier les échines d’un seul regard. La vérité, c’est que Théo s’évertue, en vain, à briser un mur dominant, érigé entre le béton des rues sales et de la haute société, comme si elle pensait pouvoir appartenir à quelque chose qu’elle ne connaît pas. Du moins, pas autant que l’argent qui brûle entre les doigts délicats d’une enfant bercée dans l’opulente richesse. On se demande ce qu’elle fout là, du haut de son petit mètre 57 à essayer de jouer la caïd pour se forger des épaules qu’elle n’a pas, n’aura sans doute jamais. Besoin périlleux de flirter avec le danger pour se sentir en vie, tenir tête au monde entier, ou peut-être est-ce son attitude revancharde vis-à-vis des géniteurs qui la poussent à agir n’importe comment pour leur faire regretter de l’avoir oubliée depuis tant d’années, à favoriser les affaires et l’argent plutôt que l’essence même de ce que tout être devrait pouvoir assumer, la famille. Comme si un gosse arraché à la vie par les griffes des stupéfiants ne suffisait pas à leur faire prendre conscience d’une ingrate négligence. Affront que la princesse tend à leur faire comprendre en s’adonnant aux plaisirs nocifs de la débauche, trouvant l’issue plus facilement atteignable que d’affronter ses monstrueux démons au corps à corps.
Théo se heurte à un mur froid et épais dès lors que ses lèvres se délient en jolis mots qui font souvent leurs effets sur ses convoitises d’un soir, abordage facile et directement intégré, il ne faut souvent pas plus d’une heure pour qu’elle ait l’emprise, la proie glissée entre ses doigts saccageurs, réclament les débauches d’une nuit. La hargne au bord des lippes, son interlocutrice répond d’un sarcasme piquant en vissant ses opales froides dans celles de la princesse. Ca la ferait presque jouir, Théo, ennuyée des facilités excessives quant à ses rencards d’un soir, amoureuse des défis qui alimentent les braises de son existence. Elle a le sourire qui serpente ses lèvres, admiratrice d’une jeune femme au caractère épineux qui ne se laisse pas intoxiquer par les disquettes d’une gamine à l’assurance capricieuse. Elle n’a pas le temps d’ouvrir les lèvres que la blonde lunaire s’éloigne, délaissant Théodora pour un énième combat. ”J’ai relevé le compliment”, chuchote-t-elle, lorsqu’elle fait quelques pas en arrière, risquant de se faire mordre par des phalanges déchaînées si elle s’approche trop. Et ce serait dommage d’abîmer un si joli visage.
La gamine s’étonne de voir un Apollon épais face à une Vénus gracile, peu habituée de ce genre de violence sans lois spécifiques. Il va la briser... qu’ça hurle dans la tête saccagée d’une Théodora qui se mordille les lèvres frénétiquement, prédit le pire face à ses opales impuissantes. Pourtant, la combattante, elle, ne démord pas, enchaîne un caïd bien plus grand qu’elle d’une danse de poings abîmés, enragés, fracas brutal sous les astres silencieux. Un regard. Noir. Puis un sourire, céleste, comblé de pouvoir flirter avec les flammes brûlantes de son myocarde hurlant de violence. Premier rictus qu’elle devine sur les traits d’un ange, bientôt saccagés par le carmin qui s’échappe du bord de ses lèvres, tétanisant une gamine incapable, immobile. Elle retient son souffle, Théo, jusqu’à ce que la boxeuse astrale se rue une dernière fois sur son agresseur. Dernier coup de poing. Dernier combat. Mais la princesse reste plantée là, à la fois terrifiée et amusée de la déshumanisation de ces combats. De cette fille, là-bas.
Elle la perd de vue quelques secondes, peut-être même quelques minutes, constamment égarée dans une faille temporelle dès lors que ses opales découvrent. Le temps, figé à jamais avant que l’aube ne lâche ses premiers éclats, priera aux oiseaux de nuit de rentrer chez eux pour laisser place aux âmes à la conquête du monde. Mais c’est pas pour tout de suite, elle a encore toute la nuit pour vivre. La silhouette se dessine dans la pénombre d’un réverbère éteint, expulse le carmin de ses lèvres sur le macadam froid de la ruelle, des mots qui s’échappent vers une Théodora indiscrète. ”On dit que les règles sont établies pour être transgressées. Non ?” Puis Théo, elle a passé l’âge des couvres feux et qu’on s’inquiète pour elle. Navigue seule sur les sentiers dangereux de la vie, la nuit. La princesse au sourire nébuleux s’arrête auprès de la blonde, un sarcasme piquant de nouveau naturel chez elle. Son âme complexe, distante, écorche la douceur d’un visage aux couleurs d’un ange fracassé par les coups. ”T'aurais pas un mouchoir ? Pas sûr que je sois toujours aussi jolie la gueule en sang.” pourtant la Vénus est belle, dans la douleur. Théo fouille la seule poche de son sweat, absent de toute chose si ce n’est du fric, du tabac, et quelques pochetons des divines marie-jeanne et cocaïne. ”Si tu me laisses arranger ça, tu seras aussi belle que la nuit.” Ses opales lunaires interrogent la jeune femme, indomptable, elle voudrait pas faire un geste qui puisse l’effrayer. ”Laisse toi faire, je t’assure que je mords pas.” Ses lèvres s’étirent doucement, laissent paraître une sincérité palpable. Théodora approche la manche de son sweat trop large rabattue sur ses doigts, étalant l’esquisse de sang sur le tissu d’une acuité fragile avant de rabattre ses iris sombres dans ceux de l’inconnue. ”Pourquoi tu fais ça ? J’veux dire, t’as été bluffante et… carrément terrifiante. Mais pourquoi tu t’infliges tous ces coups, cette violence ? Qu’est-ce qui t’anime ?”Qui es-tu ? Elle redoute le moment ou elle lui choppera le bras et l'enverra chier, flirte dangereusement avec les limites comme elle l'a toujours fait.
Transgresser les règles. Franchir la limite de ce qui est autorisé. Battre plus fort que ce qui est coutume. Effectivement, Reese trouvait bien plus beau de se battre pour pousser les limites, montrer qu’on n’est là pour se retenir. La vie, la vie bordel, elle l’avait passé trop longtemps à être limiter par ce groupe qui lui avait tout gâcher. Aujourd’hui, elle était libre. Libre non pas parce qu’elle vivait de la rue, qu’elle frappait dans l’illégal, qu’elle gagnait dans les aspects obscures de l’humain. Elle était libre car elle avait enfin vaincu
ses propres limites.
Ou peut-être pas. Les limites finissent toujours par prendre d’autre forme, mais pour le moment, elle ne se sentait aucunement prisonnière, victime de sa vie. Elle était bien. Sa confiance rayonnait. Sa rage faisait éclater chacun de ses traits. Ses lèvres jamais aussi belles que décorés de rouge. Ses yeux jamais aussi brillant que illuminés de colère. Ses mots jamais aussi touchant que cassant comme du verre.
« Aussi belle de que la nuit »
Elle a levé les yeux, à la fois exaspéré et amusé par cette gamine qui semble obstiné à lui plaire. Pas son genre d’essayer de plaire, Reese, elle était juste elle, et tant pis si le charme n'opère pas. Elle à bien mieux à faire de toute manière. Elle est persuadée que l’amour, c’est pas pour elle. L’amour, c’est pour les faibles.
Elle reste un peu sur sa garde. Pourtant elle se dit que la gamine ne fera rien.
Puis si elle essayait quoique ce soit, Reese sait se défendre, sait riposter, sait se battre.
Et la blonde, douce blonde passe sa manche sur ses lèvres. Le tissu doux sur son visage. Elle qui ne connaissait que la froideur de la rue, quelque part, ça la calmait. Elle ne bougeait pas, la regardait faire, son visage impassible dont les traits semblaient presque reposé. Elle gardait pourtant toujours cet aspect dur qui lui collait à présent à la peau, mais ça n’empêchait pas qu’elle semblait douce. Comme une poupée.
Peut-être que c’est ce qu’elle était au fond. Une poupée. brisée. déchirée. abîmée.
« Pourquoi tu fais ça ? J’veux dire, t’as été bluffante et… carrément terrifiante. Mais pourquoi tu t’infliges tous ces coups, cette violence ? Qu’est-ce qui t’anime ? »
Un froncement de sourcil alors qu’elle plante ses yeux dans les siens, qui semblaient la regarder depuis quelques secondes déjà. Et elle sait déjà. Sa réponse est déjà écrite dans son regard, inscrit entre ses lèvres, rédigé dans sa tête.
« Qu’est-ce que ça peut te faire ? »
Et elle la repousse, retire comme si attendait la gamine son bras en le saisissant plutôt brutalement, sans pour autant chercher à lui faire mal. Elle recule.
« On s’en fou de ce qui me pousse à être comme ça. On s’en fou de ma vie, des histoires. »
Elle croise les bras sur sa poitrine. Et ne la décroche pas des yeux.
« Quand la nuit tombe, nous ne sommes plus humains, nous ne sommes que des fantômes. Simplement ici pour errer. Qu’importe la vie, qu’importe le jour, le seul résultat c’est qu’on en est mort. »
Pourtant la vie dans ses yeux bleus.
Pourtant le palpitant frappant plus fort que les ouragans.
« Tu comprendras donc que j’ai mieux à faire que de parler de moi. J’ai la nuit pour vivre, et je ne veux pas en perdre une miette. »
elle retient un soupir et elle crache ses mots
« si tu veux des histoires, rentre chez toi et ouvre un livre. »
Puis elle lui tourne le dos pour se diriger vers sa voiture. La voiture vieille, dont la peinture semble un peu sale. Une voiture, un peu petite, qui pourrait sans doute passer partout. Une voiture, pas très belle, pas fermée. Elle ouvre la portière sans même ouvrir les clés. Elle ne l’avait pas fermé.
Et un regard un seul sur la princesse, petite princesse puis elle lève les yeux au ciel pour voir les étoiles pour espérer voir cracher une comète elle lève les yeux au ciel pour voir son soupir s’envoler se dissiper
« Sinon, tu peux monter. Et je te montrerais pourquoi je hais les lever de soleil. »
Elle a le coeur tapageur, Théo, les émotions qui scintillent comme mille feux dans ce temple d’esprits dérangés par la violence. Ses attraits de paix s'amenuisent à mesure que ses ébènes se fracassent à la réalité obscure des nuits qu’elle désire découvrir. Des fracas qui déchirent la lune silencieuse pendant qu’elle se voit errer sur le bitume, chat de goutière frôlant la mort du bout des doigts par sa fâcheuse tendance à s’attirer des ennuis. Elle veut vivre. Plus que tout se libérer des chaînes qui la condamnent à être la parfaite petite gosse de riche dont maman serait narcissiquement fière. Rentre à la maison Théo. Ce monde est pas fait pour toi. ça se cogne contre ses tempes, les traits de la génitrice terrorisés par l’absence de ses enfants fous se dessinent sous les paupières de Théo. Elle pourrait presque s’en vouloir, la garce. Mais ce soir, elle veut pas penser à ça. Ce soir, elle veut se sentir vivante.
La blonde lunaire, glaciale, presque animale, s’apaise. Pour l’instant de quelques secondes volées, Théodora referme l’étreinte de ses phalanges sur les lèvres carmins de la fracassée, les ébènes qui scrutent les traits délicats comme pour chercher des réponses à sa furieuse violence. Mais c’est contre un mur qu’elle s’abat de plein fouet, l’indiscrétion comme deuxième prénom. ”Qu’est-ce que ça peut te faire ? On s’en fou de ce qui me pousse à être comme ça. On s’en fou de ma vie, des histoires.” La main de Théo termine sa course dans le vide, enserrée par la douce animosité de la jolie fille qui se tient en face d’elle, les yeux clairs criant de sa noirceur, insondables. ”C’est vrai, on s’en fou.” Théo hausse doucement les épaules, le regard qui se perd vers l’amas de voyous prêts à relancer les paris sur d’autres âmes égarées. ”Mais j’aime bien écouter les histoires, ça m’aide à me rappeler que certaines personnes sont plus malheureuses que moi.” Elle a le sourire intrépide et les yeux qui pétillent, le sourire glissé dans son discours, promesse de sincérité. En quelque sorte, Théo joue la succube. Elle se nourrit du malheur des autres pour s’empêcher de plier les genoux et de partir en vrille, si ce n’est pas déjà ce qu’elle fait. Inconsciente.
”Quand la nuit tombe, nous ne sommes plus humains, nous ne sommes que des fantômes. Simplement ici pour errer. Qu’importe la vie, qu’importe le jour, le seul résultat c’est qu’on en est mort.” Parce qu’elle n’a pas que les poings pour parler, la poupée aux lèvres carmins étonne une Théodora au ébènes intriguées. Elle enfonce doucement les poings dans son sweat, le dos accoté au mur comme pour profiter des leçons d’une enfant de la rue, insolente, animale. ”Si tu veux des histoires, rentre chez toi et ouvre un livre.” Elle ose lui tourner le dos, comme si Théo n’effleurait même pas un iota de sa curiosité. Et ça la fout en rage, la gamine en manque d’attention. Elle ne conçoit pas que l’espace d’une seconde, cette fille puisse lui rabattre le caquet ou pire, lui mettre un joli râteau. Théo lève les yeux vers les astres. ”Tu gâches toujours les bons moments avec ce sarcasme où tu l’fais pas exprès ?” La princesse délaisse son sourire cristallin au profit d’un rictus sévère. Peu crédible du haut de son petit mètre 60 et de sa gueule d’ange. Elle va pas se laisser faire, elle va encore moins la laisser filer entre ses doigts vipères.
”Sinon, tu peux monter. Et je te montrerais pourquoi je hais les lever de soleil.” Le regard percutant de la jeune femme qui vient d'entendre l'intimité de ses pensées. Théo retrouve son sourire aux promesses des nuits qui ne se terminent jamais. Elle hoche la tête comme réponse, l'innocence dans ses pas lorsqu'elle atteint la voiture de l'insaisissable. Le myocarde brûlant de cette promesse de découvertes. Elle la sent, cette angoisse profonde, le cerveau qui lui hurle son inconscience. Rentre chez toi. Chassé par son intrépidité. La portière claque derrière elle.
”Vintage, la caisse.” Moquerie délicate d'une gosse de riche habituée aux jolies voitures et aux chauffeurs peu bavards. Théo soulève un joli sachet de cocaïne sous le nez de sa compagne nuptiale, n'attend pas son accord pour tracer deux lignes équitables sur le dos de son téléphone portable. Elle s'empoisonne le crâne à coup de cette petite mort dans le nez, offre la tueuse aux effets délicieux à la blonde. Insistante. ”Ca va t'aider à apaiser les démons qui sommeillent. Et peut-être même que tu m'offriras un joli sourire.” Le regard hurle de défi, l'insolence au bord des lèvres alors que ses ébènes affrontent les limites de l'inconnue. ”Alors, où tu m'emmènes?” Effigie d'une insatiabilité incontrôlable, Théo se met en quête de trouver LA musique parfaite pour le voyage, la fenêtre grande ouverte comme un majeur levé aux étrangers endormis.