impromptu (asma)

Shiloh avait disparu de la circulation depuis quelques jours, en réalité parti à la recherche de son grand frère biologique qu’il ne connaissait que par les anecdotes que lui avaient racontées ses parents avant de mourir bêtement dans un accident de la route cet été. Cette fugue aurait dû sonner le glas du respect et de l’importance que lui témoignaient les membres de sa famille; pourtant, à sa grande surprise, sa tante l’avait inclus dans le mail de masse envoyé aujourd’hui même au clan Rhimes pour les informer de l’accident (de même nature que celui qui avait tué les parents de Shiloh) de la jeune Asma Saadi. Les Saadi côtoyaient les Rhimes depuis de longues années et nombreux étaient les repas chics organisés chez les uns ou chez les autres; à la longue, tout ce beau monde avait fini par se connaître et s’apprécier, de sorte que le drame qui avait récemment frappé la jeune Saadi semblait tous les inquiéter. Le visage dénué de toute expression, Shiloh lut et relut le mail sur son iPhone. Pour être honnête, Asma ne signifiait pas grand-chose pour lui, sinon une amie (et encore, méritait-elle ce titre?) qu’il voyait de temps en temps, grâce à leurs parents. Rien de plus. Qu’elle ait eu cet accident était fort bien malheureux, mais que pouvait-il y faire? Mais sitôt que cette pensée eut traversé son esprit, il se châtia : comment pouvait-il raisonner avec tant de cynisme quand ses parents avaient tout fait, de leur vivant, pour lui inculquer respect et compassion? Une vague de culpabilité l’envahit avant qu’il ne rendît compte que le seul moyen de s’en libérer était de rendre visite à Asma à l’hôpital. C’était ce que ses parents auraient voulu, après tout. Voilà comment il se retrouvait en ce matin glacial à arpenter les rues du Queens pour se rendre à l’hôpital où on avait admis son amie. Après avoir parlementé avec la fille à l’accueil, une infirmière l’emmena à une chambre, heureusement vide si ce n’était du corps endormi d’Asma. Une fois seul à seule avec elle, l’adolescent déglutit. Doucement, pour ne pas la réveiller, il prit place sur la chaise en plastique placée à côté du lit. Et il attendit qu’elle ouvre les yeux.

@Asma Saadi

Tu sembles tellement petite dans ces draps trop blancs, dans cette pièce de la même couleur, d'un blanc. Tu sembles tellement fragile avec ces fils branchés sur ton petit corps fracassé, dans ce parfum aseptisé. T'as frôlé la mort de près Alma, t'as failli traverser de l'autre côté; ta vie a failli s'arrêter de manière abrupte, mais tu t'es battue. parce que dans toute ta douceur, ta candeur, tu possèdes cette force tranquille en toi. Force qui dormait tranquillement et qui s'est présenté quand tu en as eu besoin. Les infirmières passent te voir régulièrement, elles viennent vérifier les moniteurs; quant à toi, tu passes ton temps à dormir pratiquement. Ton corps ne semble pas te faire souffrir, en même temps le corps hospitalier te bourre tellement de médicaments que t'es continuellement sous anesthésiant. Tu ne sens plus rien, toi qui es si proche de tes émotions habituellement. Toi, qui ne manque pas de flirter avec ces émotions brutes qui gravitent autour de toi, ça ne t'effraies pas au contraire. Hormis les infirmières, tes proches aussi passent te rendre visite, du moins c'est ce qu'on t'explique lors de tes réveils. Toi, qui adore bavarder d'habitude, il semblerait que ton corps n'est pas encore prêt à assumer ces longues discussions. Toutefois, t'es ravie de voir que des visages familiers viennent te rendre visite malgré tout. Justement, lorsqu'un visiteur pénètre dans ta chambre, tu ne l'entends pas. Tes paupières sont close et ta respiration régulière, tu sembles bien. La couleur de ta peau est plus blanc que t'habitude, t'as de léger cernes sous les yeux; mais t'es toujours là, t'es toujours en vie. Doucement, tu te réveilles et tes paupières s'ouvrent; tu plisses toujours le regard à chaque réveil, puisque tu ne t'habitues jamais aux lumières trop clairs au plafond. T'as perdue la notion du temps, les journées semblent toutes identiques. Ton visage se tourne au ralenti et tu l'aperçois assis dans la chaise, non loin de ton lit. Évidemment, tu le reconnais et ton visage affiche un air de surprise, mais tu réussis à laisser transparaître un fin sourire. « Hey..» Que tu souffles pour lui témoigner que tu ne dors pas, alors qu'il semble perdu dans ses songes. Ta famille côtoie la sienne depuis plusieurs années maintenant. Vous avez passés des repas ensemble; c'est un gamin certes, mais tu l'as tout de suite trouver attachant avec sa chevelure et son air de rêveur. T'as l'impression que vous vous ressemblez un peu, c'est peut-être pour cette raison que vous avez sympathisé au fil de ses rencontres. T'as appris pour ces parents, donc tu trouves ça presque touchant de le voir entre ces murs; dans cet hôpital qui est loin de respirer la joie et qui doit lui rappeler de douloureux souvenirs. Tu jettes un coup d'oeil comme tu le peux sur la table de chevet près du lit où il y a un verre avec une paille. Tu manques continuellement de salive, surtout lorsque t'as dormi pendant quelques heures. « Tu.. tu pourrais m'apporter de l'eau s'il te plaît.» Que tu demandes d'une petite voix, façon pour toi de répondre à un besoin et de briser ce petit malaise des premiers instants.

@Shiloh Rhimes

Le visage baissé sur ses genoux dans l’attente que son amie se réveille, l’adolescent ressassait de vieux souvenirs, qui n’étaient en réalité pas si vieux étant donné qu’ils dataient de l’été dernier. Il pensait à l’hôpital dans lequel il se trouvait en ce moment même, à ses murs blancs, ses infirmières débordées mais gentilles… à sa salle d’attente, aussi, toujours pleine à craquer, devant laquelle il était passé tout à l’heure sans s’y attarder. En réalité, il ne voulait pas s’y attarder. Il avait peur de revoir la pile de magazine de mode et de décoration qui traînait sur la longue table basse et qu’on n’avait pas dû changer depuis des années, encore moins les médecins qui de temps en temps demandaient à voir l’un ou l’autre des personnes qui patientaient sur les chaises en plastique. Tous savaient pourquoi ils se présentaient dans cette salle; tous savaient pourquoi ils quittaient pour quelques minutes leur salle d’opération. Depuis cet été, Shiloh le savait mieux que quiconque. Le cœur lourd, il s’efforça de penser à autre chose. À Sasha et Thaïs, ses meilleures amies et partenaires de crime dans la chasse aux fantômes. Elles lui manquaient, même si jamais il ne leur avouerait de peur de passer pour un sentimental. Cette épithète s’appliquait néanmoins plutôt bien à sa personne, songea-t-il dans toute sa candeur, car lorsque la jeune femme dans le lit émergea enfin des bras de Morphée, il ne put s’empêcher de se fendre d’un sourire soulagé. Soulagé que la vie pût animer un corps jusque-là immobile, ou presque. « Salut Asma. » Il ne sut pas quoi ajouter d’autre. Cela faisait des semaines, voire des mois qu’il n’avait pas vu la jeune femme. Peut-être même depuis la mort de ses parents, au salon funéraire. À sa demande, il s’empressa de lui offrir le verre d’eau comme un bon petit garçon. Pendant qu’elle se désaltérait, il esquissa un sourire en coin. « Tu te souviens de la fois où j’avais voulu boire du vin pour la première fois? Tes parents et toi étaient venus dîner à la maison. Je devais avoir dix ans, pas plus, je voulais faire comme les adultes. Aussitôt, mes joues sont devenues rouges écarlates, tout le monde se moquait de moi. Ce jour-là, c’est toi qui m’as tendu un verre d’eau. » Il reprit son souffle, son sourire se fana. « Les circonstances étaient alors bien différentes. » Il n’osa pas aborder l'accident d'Asma. Ni celui de ses parents. Ses plaies étaient encore à vif.  

@Asma Saadi