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 [Flashback : 2014] : Oh the truth hurts and lies worse - (Miko)

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Message Sujet: [Flashback : 2014] : Oh the truth hurts and lies worse - (Miko)   [Flashback : 2014] : Oh the truth hurts and lies worse - (Miko) Empty Dim 9 Déc - 23:32

Oh the truth hurts and lies worse
@Miles Cooper & Inko Shedir



Samedi 7 Juin 2014

Tel un tigre du Bengale en cage, il tournait convulsivement dans la chambre et dans le salon. Ses pas toujours plus lourds et rapides de shooté aux emphètes battaient les lattes du plancher, qui par endroits crissaient à la façon des âmes damnées expiant des complaintes qui restaient lettre morte face au silence. Le teint olivâtre, maladif. Les yeux explosés et cernés de noir par trop de nuits passées à veiller. A ressasser et ruminer. Invariablement et sans relâche. Le regard vitreux et perdu dans le vague, Inko flagornait sa barbe que moult jours sans voir la couleur d’un rasoir avait rendu plus dense et drue que d’ordinaire. La raideur et l’urtication des poils irritaient ses phalanges, qui rougissaient un peu plus à chaque flux et reflux sur sa mandibule. Furibard d’être incapable de trouver une poussière de solution et de savoir que faire, l’accro aux psychotropes pharmacologiques se fustigea en plaquant par intermittence ses larges paumes contre son visage basané, avant de le frotter vigoureusement et sans ménagement. Lui qui à l’accoutumé savait tout mieux que quiconque et avait réponse à tout, se retrouvait complètement démuni. Incapable. Incompétent.

Le légiste honnissait ces cuisants tiraillements qui houspillaient son cœur comateux et atrophié. Ceux qui tenaient la main à l’impuissance. Ils lui rappelaient de bien mauvais souvenirs, que tout le Fentanyl du monde ne parviendrait jamais à effacer. Appa qui gisait dans son sang sur le bitume. Appa que la rigidité cadavérique commençait déjà à gagner, sous ses petites mains qui s’affairaient désespérément, dans un bras de fer perdu d’avance contre la dame en noire à la grande faux. Appa pour qui déjà à l’époque, il n’avait rien pu faire. Hors de question que l’histoire se répète. Lui vivant, plus jamais on ne lui ravira d’une façon ou d’une autre, un être qu’il estime et lui étant cher. Le Docteur Shedir n’était plus cet exécrable petit garçon totalement dépassé et sous le choc. Cette pauvre petite chose qui ne pouvait que pleurnicher, crier, geindre et renifler pitoyablement. Il était un homme désormais. Un homme qui, à défaut d’être un modèle de sagesse et de vertu, avait les reins solides et savait à présent quoi faire. Pour palier ou endiguer les situations de crise. Lui qui avait appris à garder la tête froide sous la pression. Oui, Inko savait dorénavant quoi faire. Il pouvait agir. Se battre. Aider.

Prouver qu’il pouvait finalement et contre toute attente, être utile et servir à quelque chose. Faute d’être en mesure de se racheter, remonter le cours du temps ou encore être quelqu’un de bien. Du moins, le pouvait-il en théorie. Ici, quoi que fasse le coroner, ses choix risquaient d’avoir des conséquences et des répercutions cataclysmiques sur sa vie. Aussi bien professionnelle que personnelle. Un véritable et insoutenable cas de conscience le happait inlassablement. La légèreté et la désinvolture qui lui collaient à la peau et qu’il affichait sans vergogne, n’étaient absolument pas de mise cette fois. Impossible pour l’orphelin de père d’agir comme bon lui semblait. D’en faire qu’à sa tête et foncer tel un taureau sur le matador agitant sa muleta. Sans se soucier une seule seconde des retombées et contrecoups qu’il aurait à rencontrer ultérieurement. Pourtant, Dieu qu’il en crevait d’envie. Pour lui. Pour Milo. Le trafiquant auprès duquel il s’approvisionnait en morphiniques, opioïdes et autres analgésiques frelatés, qu’il gobait comme des Dragibus. Celui qui au fil des jours, des semaines, des mois et des années, était devenu son ami. Le premier et seul qu’il n’ait jamais eu, en vingt-six ans d’une sinistre existence régentée par la mort.

Celui qu’il … qu’il … . L’épineux dilemme qui écartelait l’auteur à la plume sulfureuse et transgressive, lui paraissait tout bonnement insoluble et inextricable. Tout avait commencé il y a quelques jours de cela, en début de semaine. La sonnerie perçante et étouffée du bipeur, calfeutré dans la poche du jean abandonné sur le sol, l’arracha à son sommeil de manière fort peu agréable. L’effroyable mal de crâne qui le torturait et lui valut un grognement sourd, le laissait à penser qu’il avait sûrement bien vécu la veille. Péniblement, et à la manière d’un nouveau-né découvrant le monde qui l’accueillait, le métis ouvrit lentement ses billes d’ébène. Même si son acuité visuelle au saut du lit laissait encore à désirer, le plafond et le lustre tarabiscoté d’inspiration moderne qu’il contemplait ne lui disaient absolument rien. Pas de doute, il se trouvait dans un lit qui n’était pas le sien. Sur le creux de son épaule droite reposait la tête d’une belle endormie à la crinière brune. Sur sa gauche, le bras vigoureux, solide et recouvert du poignet à l’épaule d’encre d’un homme, s’enroulait autour de sa ceinture abdominale. Un bel adonis châtain clair assoupi. La vue de ce spectacle, fit cruellement regretter à Inko de n’avoir aucune bribe de souvenir, de la soirée qu’il avait passée.

Il faudrait probablement attendre quelques heures, afin que son esprit se désembue et que la mémoire lui revienne au compte-goutte. Difficile de rouler discrètement à l’extérieur du lit en étant ainsi collé. Déçus lorsqu’il leur apprit que le devoir l’appelait et qu’il lui fallait partir, les partenaires de l’indo-américain lui dirent au revoir en le gratifiant conjointement d’une petite gâterie matinale. Une douceur aux mille-et-un coups de langues qui lui décocha des râles de pur plaisir et fit se révulser ses yeux. Le junkie laissait ses doigts gambader dans les cheveux de ces deux amants d’une nuit, quand son bassin oscillait de temps à autres sous les divines décharges électriques occasionnées par l’extase grandissante. Une charmante polissonnerie qui faillit bien le mettre en retard. Ce fut donc la gueule mi-déterrée mi-comblée, que Doctor Chills arriva au commissariat, où le dégarni et ventripotent Inspecteur Slesinger l’attendait de pied ferme. Bourru, bas de plafond et rustre composaient le tiercé d’adjectifs, que l’écrivain retenait pour définir le fonctionnaire de police. Si dans un passé pas si lointain, il était au septième ciel en compagnie de ces deux inconnus qui lui prodiguaient un bien fou ; avoir à souffrir de la voix rocailleuse de l’homme au phrasé de soudard, le rapprochait doucement mais sûrement des tréfonds de l’enfer.

Comme d’habitude, l’impasse fut faîte sur les salutations et les politesses d’usage. Le policier embraya directement sur l’objet de la venue du médecin, qu’il estimait n’être qu’un laïusseur pontifiant et suffisant. Ce qui dans un sens n’était peut-être pas si éloigné que cela de la vérité. Un corps venait d’être découvert. Rien de bien sensationnel. Après tout, on était à New-York. Des meurtres et des décès inexpliqués, il y en avait tout les jours. Profusion et à foison même. Cependant, il semblait que tout les malades de la ville se soient passés le mot, pour commettre leur vil forfait en même temps. Tout les casiers réfrigérés de la morgue du poste avaient trouvé un locataire. Les confrères d’Inko exerçant exclusivement dans un cadre judiciaire, avaient déjà une avalanche de viscères et d’organes en pagaille à examiner. Alors, à contrecœur, à reculons et du bout des lèvres, l’Inspecteur hommasse s’était finalement résolu à solliciter l’aide du Médecin Légiste en Chef de la ville, pour ce qu’il affirmait n’être rien d’autre « qu’une banale et vulgaire affaire d’overdose. ». Une assertion qui eut le chic d’horripiler silencieusement le brun ténébreux aux lèvres charnues.

Face à ce ton transpirant de certitude, l’homme n’ayant pas encore les idées tout à fait claires se demandait bien pourquoi il l’avait dérangé et convoqué, s’il était à ce point si sûr de lui. Qui était-il pour alléguer avec autant d’assurance de telles conclusions ? Est-ce que lui marchait sur ses plates bandes, et se permettait de mener les interrogatoires des témoins et autres suspects ? Non, évidemment. Alors chacun chez soi et les vaches seront bien gardées ! Prenant sur lui afin de ne pas voler dans les plumes du rondouillard aux deux pauvres neurones se battant en duel, celui qui parvenait à faire parler les morts remplit divers papiers, que les ronds de cuir de la police qu’il abhorrait, exigeaient sous peine de péter une durite. Un autorisant le transfert du corps à la morgue de l’hôpital de Fushing, où il exerçait. Un autre par lequel il attestait être le garant de l’autopsie qui allait devoir être pratiquée. Et tout un tas d’autres feuilles épars qu’il signa et parapha machinalement, après avoir renoncé à en prendre connaissance dans le détail. Durant ces griffonnages, Slesinger ajouta que cette affaire ne devrait être qu’une petite formalité, étant donné qu’ils avaient déjà mis la main sur « le connard » auprès duquel le macchabée s’était procuré sa dope.

D’un air faussement concerné, le natif d’Hyderabad opina du chef en marmonnant de-ci de-là quelques « hein, hein » approbateurs. Ce fut à ce moment qu’il passa à côté de lui. Les poignets menottés dans le dos et escorté sèchement par un bleu en uniforme. Son ami. Milo. Le souffle court et la gorge nouée, la vision du grand brun ainsi malmené lui comprima le cœur. C’était comme s’il était ligoté les bras en croix, et que quelqu’un le prenant pour un punching-ball humain, s’amusait à lui asséner dans le ventre droites, gauches et uppercuts. Ses doigts de chirurgien si habiles s’ankylosèrent et s’engourdirent de manière fulgurante. Tant et si bien que sa main gauche laissa s’échapper le stylo qu’il tenait alors. A mesure qu’il s’approchait de lui, une boule grandissait et s’amplifiait au creux de l’estomac d’Inko. La dernière chose qu’il vit, avant que Milo ne bifurque sur la droite et disparaisse, fut de la colère. De la colère qui suscita chez le double doctorant une sueur froide. Une goutte de sueur poignit sur sa nuque et dévala son épine dorsale pour venir mourir sur son sacrum. Une colère aux accents de haine qui irradiait et flamboyait dans l’éclat de ses grands yeux pers. Cet assentiment fit blêmir le camé aux opioïdes, qui eut l’impression d’être transpercé de part en part, par ce regard chargé de répulsion.

Il aurait voulu le rattraper, lui expliquer que ce n’était pas du tout ce qu’il croyait. Qu’il n’était pas un flic, une balance ou un mec des stups sous couverture ayant attendu le moment opportun pour le faire tomber. Hélas, il était bien trop bouleversé et retourné à la suite de ce coup de massue, pour se lancer à sa poursuite ou ne serait-ce que bouger. D’une oreille discrète, l’éternel adolescent fuyant les responsabilités écouta la voix rauque du grassouillet quinqua à sa droite, sans pour autant lâcher du regard la portion de la coursive par laquelle un homme qu’il appréciait infiniment se volatilisa. Il ne parvint à saisir que l’essentiel. Le captivant brun à la démarche claudicante était accusé d’un grand nombre de chefs d’accusations, dont l’homicide involontaire qui horrifia le très flegmatique légiste. Son émoi dut être des plus flagrants puisque Slesinger, qui n’était pourtant pas un foudre de guerre, s’enquit de savoir sur un ton saturé de défiance, si le barbu connaissait celui qui à ses yeux était déjà coupable avant même d’être jugé. Le spécialiste en médecine légale répondit en balbutiant par la négative et prit rapidement congé de l’Inspecteur.

Prétextant avoir énormément de travail et priant qu’on lui fasse parvenir dans les plus brefs délais à l’hôpital, le corps dont il venait d’accepter de réaliser la dissection. Durant toute la semaine qui venait de s’écouler, l’homme né au pays de Ganesh et Shiva avait travaillé sans relâche sur cette affaire. Reléguant, sommeil, alimentation et autres besoin physiologiques primaires au second plan. L’autopsie fut loin d’être ce qui lui posa le plus de problèmes. En une demie journée à peine, c’était bouclé. Depuis bientôt cinq jours et cinq nuits, Inko était aux prises avec l’interprétation de ses observations. Le prodige au QI se situant dans la mésosphère, cherchait désespérément un moyen pour ne pas accabler davantage Miles, et dans l’idéal le dédouaner de toute responsabilité. Sans compter que l’espèce de bœuf à l’insigne de police, lui mettait une pression d’enfer, pour avoir les conclusions de son rapport d’autopsie. Par trois fois il avait essayé de gagner du temps, en invoquant des excuses fumeuses. Celui qui avait pour alias Rajeev Amritaj savait qu’il n’y aurait pas de quatrième fois. Il allait devoir prendre une décision. Faire quelque chose. Oui, mais quoi ? Que faire ?

La raison lui disait de faire fi des divers éléments de l’enquête et d’uniquement se focaliser sur son travail, qui consistait à examiner la dépouille pour établir la cause de la mort. Mon son cœur … ce maudit cœur qui pulsait trop fort, lui hurlait de faire tout ce qui était en son pouvoir pour tirer Miles d’affaire. Même si pour cela il devait se mettre en danger, compromettre sa carrière ou bien pire encore. Alors, et pour la énième fois, l’homme à la carnation ocrée s’assit sur ses talons à la table basse du salon. Il relut ses constatations qu’il connaissait à présent sur le bout des doigts, et qui n’avaient malheureusement pas changées depuis la dernière fois qu’il s’était penché dessus. « Mort par empoisonnement à la Buprénorphine, ayant entraîné des défaillances multi-viscérales. ». Plus de vingt fois la dose létale de ce narcotique fut décelé dans le sang du malheureux qui avait trépassé. Absolument rien sur le corps ne pouvait constituer une éventuelle cause de la mort. Pas même cette blessure au crâne, consécutive à une chute. Cet homme présentait tout les symptômes classiques d’un empoisonnement par un agent pathogène chimique.

Un véritable cas d’école. Teint livide, lèvres cyanosées, extrémités nécrosées. Impossible, même pour le plus piètre des coroners, de poser « un diagnostic » autre que la mort par overdose médicamenteuse. A plus forte raison encore lorsque l’on se nomme Docteur Shedir, que l’on se targue d’être le meilleur dans son domaine de compétences et que l’on a réalisé une thèse sur les différentes techniques d’administration des toxines et leurs effets sur l’organisme … . Rien. Il n’y avait rien qui puisse jouer en la faveur du trafiquant, que l’écrivain surnommait gentiment son « armoire à pharmacie ». Hors de lui, Inko balaya violemment et dans un cri rageur les différents éléments entreposés sur la table basse. Des liasses de documents virevoltèrent. Doucement, elles vinrent s’échouer dans une marre de whisky clairsemée de tessons de verre, stagnant sur le bois vernis du plancher. Pléthore de mégots baignèrent dans l’alcool, et un panache de cendres reposant dans le cendrier en céramique dorénavant fêlé, s’éleva dans les airs avant de retomber en une pluie de particules grisâtres. Papier imbibé. Encre détrempée. Et la fureur qui retombait. Petit à petit.

Agrippant fermement son épaisse et soyeuse chevelure de jais, le cavaleur à la tête bien faîte leva des yeux désemparés en direction des poutres massives de la charpente. Comme s’il implorait le ciel de lui envoyer un signe et de lui venir en aide. Qu’aurait-il fait ? Qu’aurait fait appa dans cette situation cornélienne ? Jamais il n’aurait agi contre ou fait quoi que ce soit, qui puisse entraver le bon fonctionnement de la justice des Hommes. Mais … si l’un des siens avait été en mauvaise posture, si un ami avait eu besoin qu’on lui tende la main : il se serait démené et aurait remué ciel et terre, pour l’aider à entrevoir le bout du tunnel. Qu’importe ce qui lui en aurait coûté. Toujours embourbé dans un marasme d’incertitude, l’auteur de romans qui n’étaient pas à mettre entre toutes les mains, alla nettoyer les débris matériels résultant de son accès de colère à froid. Accroupi, il maugréa et grimaça lorsqu’il s’entailla accidentellement la pulpe des doigts avec des éclats de verre. Avec si peu d’heures de sommeil au compteur et un esprit préoccupé par de nombreux tourments, une telle maladresse était prévisible. Fébrilement, il regarda l’extrémité de son index, son majeur et son annulaire oints d’une sève rouge.

Aller savoir ce qui se passa à cet instant très précis, mais le sémillant Docteur eut le déclic. En toute hâte, il se releva, laissa le fourbi en plan et passa la veste en jean négligemment posée sur le dossier du fauteuil. Dans l’entrée, l’amateur des figures de rhétorique, s’empara de son fidèle destrier nommé skateboard ainsi que de ses clefs, puis quitta son quatre-vingt dix mètres carrés sous les combles, non sans omettre de fermer à double tour derrière lui. Les escaliers dévalés quatre à quatre, le Tony Hawk hindou rida sur les trottoirs parfois délabrés, en slalomant tel un skieur alpin afin d’éviter la collision avec les riverains et les pièces de mobilier urbain. Un bon quart d’heure fut nécessaire pour rallier les rives des baies du Queens, à la portion très bobo et contemporaine où se trouvait le commissariat. Contemplant durant quelques minutes l’édifice symbole de l’ordre public, Inko se mit à hésiter. Sa gorge s’assécha et une étrange sensation nauséeuse le gagna. Le brun aux traits tirés par l’épuisement passa au crible la poche intérieure de sa veste. Sa main ressortit avec un petit tube jaune à moitié vide d’Oxycodone.

Milo étant en rupture de stock de Fentanyl la dernière fois qu’il l’avait vu pour se réapprovisionner, l’écrivain avait donc fait contre mauvaise fortune bon cœur en se rabattant sur ces analgésiques. Il scruta pendant quelques secondes la pilule ronde dans sa paume et se décida finalement à l’avaler. Avec le ténu et vain espoir, que cela puisse temporairement anesthésier le mal qui le rongeait. Dans le grand hall où l’agitation battait son plein, le camé constata qu’aujourd’hui c’était Kayla qui se trouvait derrière le guichet. De toute les personnes travaillant à l’accueil, l’afro-américaine était de loin celle qu’il préférait. A l’occasion, il lui arrivait même de flirter plus ou moins innocemment avec elle. La chance était avec lui. Elle n’allait pas lui poser de question, ou chercher à comprendre le pourquoi du comment de sa requête. Du moins le pensait-il. La belle aux cheveux attachés en un chignon coiffé-décoiffé lui adressa un large et lumineux sourire, ainsi qu’un « Hey Doc’ ! » qui l’aida imperceptiblement à se décrisper. Deux bises déposées sur les jolies joues subtilement blushées plus tard, l’homme à la barbe déstructurée et chaotique expliqua qu’il venait voir un prévenu du nom de Miles Cooper. Il exposa brièvement la nature de l’affaire dans laquelle était impliqué le bellâtre le dépassant d’une demi-tête, et argua qu’il avait quelques questions à lui poser au sujet de la composition moléculaire des médicaments qu’il avait refourgués à la victime. Ne voyant rien qui puisse s’opposer à cette demande, Kayla lui dit qu’elle allait voir ce qu’elle pouvait faire et l’invita à patienter, après lui avoir consigné son skate. Tel un mort vivant programmé en pilote automatique, Inko partit s’asseoir sur un banc en bois élimé près d’une grille menant aux parloirs. Il attendait. Et surtout appréhendait cette visite. Un il-ne-sait-quoi lui dit qu’elle risquait de revêtir des allures de confrontation. Mais c’était indispensable. Il devait le voir. Il avait besoin de le voir. Alors il attendait. Tel un prisonnier dans le couloir de la mort, voyant inexorablement se rapprocher la chaise électrique ou l’aiguille de l’injection létale.                                                                                                                                                                                                                                

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Message Sujet: Re: [Flashback : 2014] : Oh the truth hurts and lies worse - (Miko)   [Flashback : 2014] : Oh the truth hurts and lies worse - (Miko) Empty Mer 12 Déc - 4:19




OH THE TRUTH HURTS

AND LIES WORSE

Inko & Milo

Furieux et désespéré, le front posé contre les barreaux métalliques de sa cellule, Miles Cooper laissa échapper un énième juron, avant de détacher sa tête prête à exploser du métal froid et de s’agripper les cheveux des deux mains, comme s’il avait l’espoir qu’en tirant assez fort, il trouverait la solution miracle qui le tirerait d’ici. Comme il le faisait toutes les demi-heures, à chaque fois qu’il recommençait à zéro la série de gestes identiques qu’il répétait en boucle depuis cinq jours, il se mit à faire les cent pas, arpentant la minuscule cellule en secouant la tête, la boule au ventre. Il s’arrêta à l’endroit précis d’où il avait démarré, faisant face à la même vue déprimante que trois minutes plus tôt. La sueur perlait sur son front et sur sa lèvre supérieure, glissait dans son dos, et il frissonna, comme il le faisait pratiquement incessamment depuis qu’on l’avait enfermé loin de ses précieux flacons dont le manque devenait insupportable. À nouveau, une vague de nausée le frappa, en même temps qu’une douloureuse crampe au ventre, et il se replia sur lui-même en soufflant un « putain ! » étranglé. Lorsqu’il se redressa, le cœur au bord des lèvres, il reposa à nouveau le front contre les barreaux métalliques, désespérément en quête de tout soulagement qui permettrait de faire cesser la nausée et la transpiration – idéalement l’un de ses cachets préférés, mais cela faisait bien longtemps qu’il avait abandonné tout espoir de voir ce désir se concrétiser ; alors, il se contentait d’un peu de fraîcheur, tout en sachant que cela ne servirait absolument à rien et qu’il en faudrait bien plus pour soulager les signes de sevrage qu’il était en train de traverser.

Milo fut parcouru d’un nouveau haut-le-cœur et des larmes perlèrent au coin de ses yeux. Des larmes liées à son état physique, qui coulaient à intervalles réguliers ces derniers jours, mais aussi des larmes de colère, de détresse et de panique. « PUTAIN ! », répéta-t-il, cette fois-ci en hurlant, assénant de toutes ses forces un coup de poing aux horribles barreaux qu’il avait sous les yeux. Des cellules voisines s’élevèrent un concert lointain de protestations, des « ta gueule ! » endormis et des « mais tu vas bientôt la fermer, oui, connard ? » furieux. Milo ne répondit rien, lançant un coup d’œil à sa main. La peau de trois de ses phalanges s’était déchirée, et la douleur de sa main sanguinolente s’additionna à la longue liste des symptômes intenables qui le tourmentaient. Milo soupira, parcourut avec lenteur la distance qui le séparait de son inconfortable couchette et s’assit au bord de celle-ci, se prenant la tête entre les mains.

Comment avait-il pu en arriver là ? Lui qui, à la manière d’une anguille particulièrement glissante, était toujours parvenu à se faufiler entre les mailles du filet sans une égratignure, le voilà pris au piège comme le dernier des bleus. Et pour être pris au piège, il l’était, et pas qu’à moitié – le flic qui lui avait passé les menottes cinq jours plus tôt ne s’était pas privé de le lui rappeler avec un grand sourire dont la joie était tout ce qu’il y avait de plus cruel et malveillant. Il s’était mis à lui énumérer, l’air vicieux, la liste de chefs d’accusation pour lesquels on l’inculpait. Trop sonné, Milo n’avait alors pas même écouté le tiers du quart de ce que tonnait le poulet qui récitait sa leçon avec application, retenant simplement les deux petites formalités qui lui vaudraient probablement un aller simple pour la prison. Détournement et trafic de stupéfiants, et, accessoirement, homicide. À l’entente de ce terme, ses yeux s’étaient écarquillés et son teint avait blêmi, ce que le flic avait dû prendre pour un passage aux aveux muet. Le mot avait résonné dans sa tête, à la façon d’un écho particulièrement tenace, et, bien trop sonné que pour réagir, il les avait laissés lui passer les menottes dans le dos et l’escorter hors de son appartement, vers la voiture de police garée devant son immeuble. Heureusement, d’ailleurs, qu’il s’était tu – les policiers, visiblement plus qu’heureux d’avoir coincé leur coupable, s’étaient totalement abstenus de lui lire ses droits mais ne se seraient certainement pas privés d’appliquer la clause stipulant que tout ce que pourrait dire Milo serait retenu contre lui. L’intéressé, lorsqu’il retrouva l’usage de sa langue, eut la présence d’esprit de demander un avocat à l’instant où on lui posa une nouvelle question.

Soudain, Milo se releva d’un bond, incapable de contenir plus longtemps l’impression d’être sur le pont d’un bateau pris en pleine tempête. Précipitamment, il traversa la minuscule cellule, s’accroupit devant la toilette plantée dans un coin et, après un haut-le-cœur particulièrement douloureux, rendit tripes et boyaux tout en se remettant à transpirer de plus belle. Crachotant et hoquetant, il se redressa péniblement, le corps parcouru de frissons, tira la chasse et reprit place sur son lit. Il avait l’impression que son cœur battait au moins trois fois plus vite que d’habitude, et avait du mal à respirer. Mais même ça, il commençait à s’y habituer.

Pendant tout le trajet, son esprit avait revêtu des allures de Bagdad – c’était d’ailleurs toujours le cas aujourd’hui. Dès le début de ce cauchemar éveillé, Milo croyait pertinemment savoir qui était la personne que l’on l’accusait d’avoir tuée, la probabilité que, parmi ses clients, il s’agisse de quelqu’un d’autre que le type auquel il avait refourgué trois boîtes de buprénorphine l’avant-veille était assez maigre. Alors, soit il n’avait rien à voir dans l’histoire, soit il savait parfaitement qui était la personne dont les proches la pleureraient ce soir. Pourtant, ce ne fut pas la culpabilité qui envahit Miles Cooper, pas plus que les remords. Pour remonter jusqu’à lui et faire des emplettes d’une telle importance, il fallait être fameusement bien renseigné. Les consommateurs occasionnels, il ne leur refourguait qu’un comprimé ou deux, pas de quoi assommer un éléphant. Ceux qui parvenaient à se procurer les quantités titanesques étaient soit impliqués eux-mêmes dans des affaires comme celle que faisait tourner Miles, soit des consommateurs avertis à qui il n’avait pas besoin de donner un prospectus en plus des comprimés. Si ce type était mort par overdose, c’est que c’était là l’effet exactement recherché, et qu’il avait été parfaitement conscient de ce qu’il ingurgitait, et dans quelles quantités. Alors, non, pas de sentiment de culpabilité pour le pilulier ambulant du Queens, qui avait bien vite appris que dans ce milieu, il fallait agir avec sa tête et pas avec son cœur. Son rôle de bon citoyen, si tant était que l’on pût l’appeler ainsi, il estimait le remplir en évitant que des brebis égarées ne s’emportent et commettent un acte regrettable sans en connaître exactement les tenants et aboutissants, et il s’en assurait en restreignant considérablement les quantités qu’il acceptait de leur procurer. Maintenant, si quelqu’un venait à lui avec l’intention nette de mettre fin à ses jours… Il estimait, à juste titre, ne pas être son psychiatre, et avait rapidement adopté une politique de « don’t ask, don’t tell » pour éviter de perdre les dernières bribes d’humanité que lui avait encore laissées ce métier. La tête dans le sable, c’était la meilleure attitude à avoir. Au moins il posait de questions, au moins ce qu’il entendait risquait de lui déplaire.

Alors non, pas de culpabilité. Judiciairement, peut-être – certainement, même. Mais en son for intérieur, certainement pas.

Ce qui rendait Milo fou, au final, ce n’était même pas tant le fait de s’être fait attraper et de devoir payer pour ses conneries. Il savait que cela faisait partie des risques du métier, et l’avait su dès le jour où il s’était embarqué dedans. Non, ce qui le mettait hors de lui, c’était la façon dont il s’était fait avoir. Comme un novice qui se fait piéger à son coup d’essai, qui se laisse presque volontairement berner. Et ça, il l’avait réalisé seulement quelques secondes après avoir mis les pieds dans ce satané poste de police où il était toujours en train de croupir aujourd’hui.

C’est avec la brusquerie la plus totale que l’on l’extirpa du siège arrière de la voiture, lui intimant ensuite d’un ton bourru et agressif de s’activer. Le même policier qui l’avait nargué un peu plus tôt l’attrapa violemment par l’épaule, sur laquelle il tira volontairement bien plus fort que nécessaire pour forcer Milo à se mettre en marche. Celui-ci obtempéra sans broncher, retenant à grand-peine une remarque sarcastique et insolente, peu désireux de perdre des dents sur le chemin qui les mènerait à l’intérieur du bâtiment. Dans sa tête continuaient à fuser des questions par dizaines, à commencer par un énorme « comment ». Comment l’avaient-ils retrouvé ? Milo avait été tout aussi prudent que lors de ses autres transactions, désireux de ne rien laisser au hasard, suivant à la lettre le protocole qu’il avait établi avec l’expérience et qui lui permettait systématiquement de rester à l’abri des ennuis. Il ne comprenait pas comment ils avaient pu l’attraper, à moins que feu son client ait été avertir la police – ce qui n’avait aucun sens, compte tenu des projets qu’il avait mis à exécution un peu plus tard et qui devaient probablement occuper son esprit de manière vachement plus conséquente que le désir de voir tomber son dealer. Non, le mystère était complet. Tout du moins, il le fut encore pendant quelques poignées de secondes.

Car Milo ne tarda pas à le remarquer, alors qu’on le faisait passer par une pièce qui grouillait de monde et animée par un brouhaha assourdissant. C’est étrange, d’ailleurs, que le regard de Miles soit instantanément tombé sur une personne en particulier. Et il n’était visiblement pas le seul à avoir le regard attiré comme par magnétisme par l’autre – car, immédiatement, leurs regards se croisèrent. Aussitôt, Milo eut la sensation de sentir ses entrailles se muer en plomb. Inko. En d’autres mots, celui qui était censé faire partie de son cercle d’amis proches. Milo n’avait pas la moindre idée de ce qu’il pouvait bien foutre là – il doutait que ce fût à l’occasion d’une séance de dédicaces en plein commissariat. Mais la coïncidence était bien trop grande pour en être une : pour quelle raison un écrivain à succès pourrait-il bien se trouver dans le même commissariat que son ami criminel, précisément au moment où celui-ci était en route pour sa cellule ? Les points n’étaient pas difficiles à relier, et il n’était pas nécessaire d’être Einstein pour comprendre exactement ce qui était en train de se tramer. Estomaqué, Milo peinait à y croire. Et pourtant, il n’y avait aucune autre explication. Il ne serait d’ailleurs pas surpris qu’on vienne le chercher dans quelques heures pour le mettre dans une pièce avec cinq autres types avoisinant les deux mètres et aux cheveux noirs pour permettre à Inko de procéder à son identification. Le désarroi et l’incompréhension qui habitèrent son regard pendant une fraction de seconde eurent tôt fait de laisser leur place à des émotions bien plus primaires et intenses, les seules que le cerveau de Milo était actuellement en état de traiter : de la fureur et une intense rancœur qui flirtait avec la haine. Leurs regards restèrent vissés l’un à l’autre pendant une dizaine de secondes, au cours desquelles, à la surprise de son escorte, Miles accéléra le pas, désireux de voir disparaître le plus vite possible le visage de traître qu’il avait sous les yeux. Mais, lorsqu’il bifurqua pour emprunter un couloir qui l’éloignerait d’Inko, Milo ne se sentit nullement soulagé.


Inko. La simple pensée du métis fit frémir de rage Miles, comme à chaque fois que son visage faisait intrusion dans son esprit chaotique. Il lui en voulait, énormément. En ce moment précis, il le détestait, même. Mais, encore plus qu’Inko, c’est à lui-même qu’il en voulait. Car c’était Miles qui avait été assez stupide pour lui faire confiance. Et ce n’était qu’après avoir été jeté derrière ces barreaux comme un malpropre qu’il avait pris pleinement conscience de cette réalité douloureuse qui lui faisait monter le rouge aux joues, tant il était honteux de sa propre stupidité – il n’aurait jamais dû mettre la méfiance qu’il avait initialement ressentie face à l’indo-américain de côté. Jamais, il n’aurait dû suivre l’instinct trompeur qui lui avait soufflé de baisser sa garde face à l’inconnu, ni se laisser convaincre par son allure torturée et profondément sincère. Il aurait dû rester fidèle à ses habitudes, fidèle au Miles qui toisait tout nouvel intrus dans sa vie professionnelle tant bien que personnelle avec méfiance, passant au crible chacune de ses paroles, déchiffrant chacun de ses gestes avant de finalement décider s’il ferait mieux de faire volte-face ou non. Et pourtant, au début, c’est précisément ce qu’il avait fait. La méfiance, il l’avait manifestée, ouvertement et avec une hostilité à peine dissimulée. Il s’en souvenait comme si c’était hier.

Accéder aux services de Miles Cooper était d’une simplicité déconcertante – à condition de disposer des bons outils. En effet, le petit veinard qui tomberait sur son numéro de téléphone sans que Milo eût, d’une façon ou d’une autre, fait en sorte de marquer son accord pour être contacté, aurait tout juste le temps de prononcer quelques mots dans le combiné avant de voir la communication coupée sans cérémonie. Milo avait mis en place toute une série de codes dont seuls les clients auxquels il faisait confiance lorsqu’il s’agissait de transmettre ses coordonnées avaient connaissance. En résumé, si vous vouliez espérer entrer en contact avec Milo, vous aviez intérêt à connaître les bonnes personnes. L’appel devait systématiquement débuter par un « Salut mec, c’est… » suivi d’un prénom qui changeait tous les quelques jours – en ce moment, c’était Tom. Il devait ensuite se poursuivre par une requête qui devait comporter un mot précis, qui, lui aussi, était remplacé à une fréquence similaire. Milo commençait alors toujours sa réponse de la même manière, d’une voix faussement enjouée et chaleureuse : « Oh, salut Tom ! Et si on en parlait autour d’une bière ? Rejoins-moi au bar dans dix minutes. » Le coup de téléphone lui-même, qui durait donc vingt secondes à tout casser vu qu’il n’était composé que de deux phrases, était fait de telle sorte qu’aucune information de valeur n’y soit mentionnée – le lieu de rendez-vous était toujours « le bar » et l’interlocuteur de Miles avait tout intérêt à s’en être procuré l’adresse au préalable, et même le délai de rendez-vous était sujet à un code précis dont il fallait savoir comment le convertir. Une fois que vous aviez toutes les informations nécessaires, il ne vous restait plus qu’à rejoindre Miles. Il arrivait toujours avec quelques minutes d’avance, et s’installait toujours à la même table, dont il était également judicieux de connaître préalablement la localisation dans la mesure où l’établissement était vaste, toujours bondé et très bruyant.

Cette fois-ci, lorsque Miles, plongé dans l’écran de son téléphone, entendit les pieds de la chaise qui lui faisait face racler le sol et releva machinalement les yeux, il ne parvint pas à réprimer un haussement de sourcils en découvrant la personne qui s’était installée à sa table. Le visage de l’inconnu était, justement, tout sauf inconnu – et il ne tarda pas à situer la raison pour laquelle c’était le cas. « Attends, je te connais… » commença-t-il avec lenteur. Et pour cause, il avait face à lui l’un des auteurs de romans les plus en vogue du moment, de surcroît la coqueluche de ses deux sœurs, qui lui vouaient une admiration que Milo trouvait aussi étrange que glauque, dans la mesure où il s’agissait de l’auteur d’une série de romans érotiques et que c’était bien le dernier genre de bouquins dont lui discuterait avec passion avec quelqu’un de sa famille proche. Elles lui avaient rétorqué que ce n’était pas du tout comme ça qu’il fallait voir les choses, que ces bouquins étaient foutrement bien ficelés, et que s’il voulait émettre une opinion sur le sujet, il n’avait qu’à les lire. Milo avait donc aussitôt laissé tomber le sujet, n’étant pas exactement quelqu’un que l’on qualifierait de féru de littérature – sa bibliothèque se limitait à l’œuvre complète de Stephen King, qui était le seul auteur à jamais être parvenu à captiver son attention sur plus de vingt pages. Toujours est-il qu’il n’avait pas la moindre idée de ce que venait faire ce fameux auteur de romans érotiques foutrement bien ficelés dans ce bar. « T’es ce type, Rajeev – celui des bouquins », poursuivit-il, les sourcils désormais froncés. L’intéressé ne sembla que très moyennement surpris, et peut-être légèrement embarrassé, d’avoir été reconnu. Du côté de Milo, la méfiance battait son plein, et une cohorte de scénarios tous plus déplaisants les uns que les autres se mirent à défiler dans sa tête. Le mec était probablement venu lui poser des questions pour façonner un nouveau personnage qui aurait un rapport de près ou de loin avec le deal ou la drogue – et s’il y avait bien une chose que Milo détestait, c’était les questions. Il n’avait qu’une seule hâte : se débarrasser de ce type pour retrouver et étriper l’imbécile qui avait eu la brillante idée de lui transmettre ses coordonnées.

Et pourtant… Le soir même, après un deuxième rendez-vous fixé par un Miles nettement moins méfiant, Inko –qui avait commencé par se présenter en bonne et due forme après avoir été appelé par son nom de plume– rentrerait chez lui avec le Fentanyl pour lequel il était venu trouver Milo.


Mais il y avait plus que la colère et l’embarras de s’être fait mener en bateau comme le dernier et plus naïf des imbéciles. Encore plus perturbante et dévastatrice, il y avait la douleur. Car Milo était profondément blessé. Le brun taciturne et réservé avait accordé sa confiance et ouvert son cœur à celui qu’il avait, naïvement, pensé être son ami, qualificatif dont très peu pouvaient se targuer de réellement le porter. De client, Inko était passé au statut d’ami proche, et de simples transactions, leurs interactions s’étaient progressivement muées en moments de qualité. Alors, certes, il était peut-être quelque peu étrange de qualifier de « moments de qualité » des soirées au cours desquelles ils passaient le plus clair de leur temps à se défoncer ensemble… Mais autour de cette pratique probablement assez inhabituelle entre deux amis moyens, s’était développée une confiance que Miles n’avait pas songé une seule seconde à réfréner – erreur cruciale dont il réalisait désormais pleinement la portée. Jamais il n’avait fait ça, consommer aux côtés d’un de ses clients. En général, il ne se défonçait d’ailleurs que devant très peu de personnes, conscient de la vulnérabilité dans lequel le plongeait cette situation et, avec son orgueil démesuré pour cause, désireux de limiter autant que possible cette exposition. Mais avec Inko, ç’avait été différent. Tout du moins, c’est ce dont il avait été persuadé jusqu’à il y a cinq jours.

C’est avec ces pensées déprimantes que Milo finit par trouver le sommeil, tout frissonnant et nauséeux qu’il était. Il ne sut combien de temps s’était écoulé lorsqu’on le tira brusquement des bras de Morphée, en lui hurlant d’un ton mauvais : « Cooper ! Lève-toi, t’as de la visite. » L’intéressé entrouvrit un œil surpris mais, comme toujours depuis qu’il était arrivé ici, ne broncha pas, au lieu de quoi il procéda à une toilette rudimentaire et, escorté dans son bel uniforme orange, les poignets menottés, par un policier bourru, prit la direction de la pièce où prenaient place les visites. Quelques tables, toutes entourées de deux chaises, constituaient, avec le bureau où était installé un surveillant, le mobilier de la pièce. On l’installa brusquement sur une chaise avant de détacher ses menottes. « T’as vraiment une sale gueule, Cooper », lança le policier avant de faire volte-face, sans doute pour aller chercher son visiteur. Milo ne répondit pas, conscient que, pour le coup, le policier n’avait fait que dire la vérité. Il n’avait pas même besoin d’une glace pour savoir à quoi il ressemblait en ce moment – il avait déjà vu le même physique chez des clients à lui. Les traits tirés, le visage grisâtre et luisant de sueur, des cernes violacés sous les yeux, les muscles qui tremblaient finement. Passant une main sur le front dans l’espoir vain de l’éponger, Milo lança un regard au couple qui discutait à voix basse un peu plus loin sur sa droite, et ne remarqua ainsi pas tout de suite la personne qui s’installa face à lui. Lorsqu’il reporta son attention sur sa propre table et y découvrit son visiteur, le peu de couleur qu’avait encore le visage Milo disparut aussitôt, et ses yeux fatigués se voilèrent de colère. « Wow, t’en as du culot de te pointer ici, toi », hissa-t-il, la voix basse et tremblante. « Tu viens admirer le fruit de ton travail, c’est ça ? », ironisa-t-il ensuite, ignorant de son mieux son cœur qui s’était remis à battre à du 200 à l’heure. Une vague de rage froide et calme s’abattit sur Milo, qui sentit les tremblements qui le parcouraient s’accentuer. « Désolé de te décevoir, mais comme tu le sais sans doute déjà, j’ai déjà dit à tes potes de la police que j’répondrai pas à vos questions sans mon avocat. Et comme tu l’as peut-être remarqué, il est pas là. » Milo ne s’était même pas rendu compte qu’il s’était penché en avant au fur et à mesure qu’il avait parlé, l’air menaçant autant qu’il était malveillant. Il se laissa alors retomber en arrière, contre le dossier de sa chaise, les bras croisés, bien décidé à se murer dans le silence qu’il venait d’annoncer. Toute la fureur qu’il avait accumulée au cours des derniers jours semblait remonter, avec pour seul barrage vers l’extérieur les lèvres qu’il se forçait à maintenir fermées malgré le flot de paroles colériques qu’il avait envie de déverser sur celui qui avait brisé sa confiance.

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Message Sujet: Re: [Flashback : 2014] : Oh the truth hurts and lies worse - (Miko)   [Flashback : 2014] : Oh the truth hurts and lies worse - (Miko) Empty Ven 14 Déc - 20:22

Oh the truth hurts and lies worse
@Miles Cooper & Inko Shedir


La patience. Une belle vertu. Paraît-il. Malheureusement, les quelques rares bonnes fées, qui dans leurs grandes largesses consentirent à se pencher sur le berceau d’Inko, omirent de le doter de cette qualité pour le moins appréciable. A moins qu’elles ne jugèrent pas utile de l’en pourvoir. Cela, un physique d’acteur bollywoodien, plus une intelligence crevant le plafond ; ça aurait à coup sûr fait beaucoup pour la même personne. De tout temps, attendre et être dans l’expectative n’a jamais été le fort du Docteur à l’esprit Mortemart. A chaque fois qu’il se retrouvait tributaire de Dame Patience, il devenait encore plus irascible et caractériel qu’un gamin pourri gâté jusqu’à la moelle. Ces petits démons de plus en plus frustrés et tempétueux de n’être pas encore le vingt-cinq Décembre au matin, à chaque fois qu’ils boulottaient un chocolat de leur calendrier de l’Avent. Tout du moins, pour ceux ne s’étant pas bâfrés des vingt-quatre carrés cacaotés, sitôt que fut venu le premier du mois inaugurant le règne de l’hiver. Les mêmes qui déchiraient si avidement le papier, avec lequel leurs parents avaient emballé dans un soin infini toute une farandole de cadeaux, sans jamais se fendre d’un « merci. ».

L’hindou, qui se considérait comme athéiste, bouillonnait constamment lorsqu’il lui fallait, à son grand déplaisir, prendre racine et faire le pied de grue. Aussi bien dans des situations banales du quotidien, que d’autres considérablement plus sérieuses, pour ne pas dire officielles. Attendre en trépignant que centrifugeuses et autres machines, rendent enfin leur verdict concernant la sérologie et la toxicologie du sang de ses « patients » ; danser d’un pied sur l’autre en maugréant, dans l’interminable file à la caisse du supermarché ; faire nerveusement les cent pas dans le grand hall du Palais de Justice, tandis que les jurés délibéraient dans un procès où il avait apporté son expertise ; surveiller comme le lait sur le feu, et presque obsessionnellement, sa boîte à lettre ou sa messagerie électronique, lorsque son éditeur devait lui faire un retour sur le manuscrit qu’il lui avait envoyé. Tel était le florilège, par définition non-exhaustif, des diverses choses qui avaient le chic pour mettre les nerfs de l’incorrigible dragueur en pelote. Si Vishnou, alias le maître du temps, eut un jour choisi un hôte terrestre pour s’incarner ; pas sûr qui lui serait venu à l’idée, de jeter son dévolu sur l’homme au short hair Pompadour style, d’ordinaire impeccable.

Bien que le contexte s’y prêtait parfaitement, Inko n’eut pas la force de râler et pester tout son putain de saoul. Quand bien même il l’aurait eu, l’auteur qui passait le plus clair de son temps à planer à quinze mille, était bien trop perclus par l’angoisse et l’anxiété pour cela. En sassant sa mémoire, que l’autodestruction chimique eut achevée de rendre lacunaire, le médecin borderline ne se souvint pas avoir un jour été en proie à un tel état d’affolement et une pareille tension. Assis les jambes légèrement écartées, les mains jointes et les avant-bras prenant appuis sur les cuisses, celui qui toute sa vie n’avait connu que les cieux s’étalant sur la Grosse Pomme arrondit le dos. Las et dans une tourmente émotionnelle sans précédant, sa tête ployait en direction du sol, telle une fleur de tournesol flétrie et matraquée par les intempéries. D’épais et sombres nuages éclipsaient le soleil, qui était parvenu à mettre un peu de lumière et de chaleur dans sa sinistre existence. Loin de lui et désespérant de le revoir un jour briller et flamboyer, petit tournesol avait à présent tellement froid et ne voyait que sa triste déliquescence poindre à l’horizon.

Une fois ne fut pas coutume : tout était de sa faute. Le coroner finissait par payer le lourd tribu, de tout ce temps passé à s’emmurer dans des non-dits et des omissions volontaires. Et s’il s’était jusque là toujours contrefoutu des ravages que ses erreurs pouvaient occasionner, tant sur autrui que sur lui même, l’amateur des effets de manche eut cette fois-ci parfaitement conscience qu’il était en passe de perdre très gros. Peut-être même qu’à l’heure qu’il était, c’était déjà fait. Le romancier, que s’arrachait la ménagère de moins de cinquante ans, ne venait pas seulement de précipiter la perte de n’importe quel ami. C’était l’ami avec un grand « A », qu’il venait de décevoir au-delà de l’entendement. Celui que l’on a la chance de rencontrer qu’une seule fois dans sa vie, et qui est un prolongement de soi-même. Celui qui nous comprend d’un simple regard et devine quand cela ne va pas. Celui avec lequel les mots deviennent totalement inutiles et superflus. Celui avec lequel on se sent invulnérable et ne craint rien. Celui qui peut nous appeler à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit, et pour lequel on rapplique dans la minute, sans réfléchir ni même poser de question.

Parce que nos rêves se ressemblent. Parce que nos blessures nous rassemblent. Parce que les joies, les peines, les rires et les pleurs ne sont jamais aussi beaux, que lorsque nous sommes ensemble. De tout les êtres foulant cette terre, Milo était de loin le dernier envers qui Inko aurait voulu nuire ou faire du mal. Le légiste ne voulait pas que tout s’arrête. Il ne voulait pas que tout redevienne comme avant. Avant qu’il n’ait rencontré le dealer aux montagnes de pilules. Lorsqu’il était encore englouti par ces abîmes insatiables et lacéré par les ténèbres dévorantes. En définitive, l’idée de ne plus compter dans sa vie le colosse, aux yeux qu’aucun adjectif au monde ne saurait justement décrire, et que ce dernier fasse à jamais une croix sur lui … . Cette idée terrifia et pétrifia littéralement, celui qui parvenait à passer sans aucune difficulté du scalpel à la plume. Car c’était bel et bien de la peur que lui inspirait cette éventualité. Une peur panique, phobique et irrationnelle. Exactement comme lorsqu’il s’approchait de trop près de l’habitacle d’un véhicule. Qu’il se trouvait face à un ascenseur. Ou dans un espace confiné et bondé. Même si la tempête venait à disparaître et l’orage à se dissiper, plus rien ne sera jamais comme avant.

Bien que ce constat l’ulcérait et mortifiait ses chairs, le puits de science dut se rendre à l’évidence et accepter ce qui était, hélas, la stricte vérité. Triste réalité. Il y aurait forcément dans leur relation, un avant et un après ce fameux jour où tout bascula. Songer que quelque chose se soit irrémédiablement brisé, et que l’étroite complicité qu’ils étaient parvenus à tisser puisse être réduite à néant par sa faute, souleva le cœur de l’homme au parfum d’orient, qu’un frisson d’épouvante fit tressaillir. Il s’évertua à refouler et cadenasser au plus profond de lui-même cette hypothèse, afin que les larmes accrochées à ses yeux, affublés de tout les stigmates de la fatigue, ne déferlèrent nullement sur ses joues recouvertes d’une pilosité trop négligée pour avoir quoi que ce soit d’esthétique. Peut-être qu’un jour le soleil trônera de nouveau dans l’immensité azur. Peut-être aussi que ce jour-là, ivre de colère, il dardera d’incandescents rayons qui carboniseront et réduiront à l’état de cendres le tournesol. Peut-être, peut-être, peut-être … . Le regard imbriqué dans les joints passablement crasseux du carrelage anciennement blanc, le légiste ayant lui aussi prêté le serment d’Hippocrate remua fébrilement sa cheville droite, emprisonnée dans une basket montante en fin de vie et qui devait sûrement avoir avalé moult kilomètres de bitume new-yorkais.

L’indicible douleur qui pourfendait ses entrailles et lançait au triple galop son cœur bardé de cicatrices, lui fit amèrement regretter que les effets de l’Oxycodone mettent plus de temps à agir et se fassent davantage désirer sur lui, que ceux du Fentanyl avec qui il partageait sa vie depuis bien trop longtemps désormais. Alors, dans l’espoir de faire taire l’affliction qui l’étrillait, et pour occuper l’attente qui ne fit que s’allonger, Inko se mit à dérouler mentalement le fil de sa relation avec Milo. Qu’importe l’œuvre du temps, ainsi que les dégâts de toutes ces innombrables fois où il se défonça, à ne plus savoir comment il s’appelait ; le souvenir de sa rencontre avec le grand gaillard, au sourire devant lequel des essaims de filles se pâmaient, restait incroyablement vivace dans son esprit. Ce fut à l’époque où l’hôpital renforça la sécurité aux alentours de la pharmacie, en raison de « disparitions inexpliquées ». Avec le recul, l’accro aux narcotiques admit qu’il avait peut-être eu les yeux un tantinet plus gros que le ventre, et qu’il n’aurait sans doute pas dû faucher en une seule rapine deux tubes de Fentanyl, une boîte de Tilidine, deux de Tramadol et une dernière de Nalméfène.

Ne pouvant plus tirer profit de la faille qu’il avait décelée dans le système de surveillance de jadis, celui que les critiques littéraires les plus rudes appelaient « le scribouillard », n’eut d’autre choix que de vivre sur ses réserves. Réserves qui furent loin d’être à l’image du tonneau des Danaïdes et qui, vous vous en doutez, fondirent très vite comme neige au soleil. De plus en plus acariâtre, hargneux et en manque à mesure qu’il dut se contenter des comprimés les moins puissants, l’indien qui ne parlait pas un traître mot de hindi trouva fort heureusement une solution miraculeuse et providentielle. Un jour où il se rendit ici même, pour remettre un rapport d’autopsie au Lieutenant Eagan, qu’il préférait de loin à son ventru successeur. Le fieffé cavaleur en profita au passage pour saluer galamment dans la chaufferie au sous-sol, une nouvelle recrue de la Scientifique aux jambes interminables et à la somptueuse chevelure d’or, dont il venait cueillir de temps à autres les faveurs. Reprenant quelques forces du côté de la machine à café, le brun quelque peu échevelé eut la bonne idée de laisser traîner ses oreilles, au moment où des gars de stups s’accordaient le luxe d’une pause.

Les mots « gros bonnet » ; « plaque tournante » et « contrebande de médicaments », lui firent redresser la tête à la façon d’un chien de chasse ayant flairé une piste. Innocemment, et avec ses airs de ne pas y toucher qu’il savait très bien prendre quand ça l’arrangeait, Inko s’incrusta et se greffa à cette conversation très informelle. Le renard qu’il était joua la carte de la flagornerie et de la brosse à reluire, dans l’espoir de glaner au nez et à la barbe de cette bande de balourds deux ou trois informations, au sujet de cette fameuse plaque tournante. Tactique payante, puisque le malicieux Docteur aux larges épaules récolta un surnom, à défaut d’une identité plus concrète, une description rudimentaire digne d’un gosse de quatre ans disposant du vocabulaire qui va avec, ainsi qu’une zone précise du Queens où sévissait l’hurluberlu en question. « Vous êtes les piliers de la sécurité et de l’ordre public new-yorkais » … franchement, qu’est-ce qu’un camé n’est pas prêt à dire pour avoir sa dose ! Conformément à ce qu’il apprit, l’homme à la bouche replète trouva le dénommé Oja, sous un pont vétuste de ce que les autochtones appelaient communément le Vieux Queens.

Et comme il s’y attendait, le blondinet encapuchonné dans son sweatshirt se révéla être au plus bas de la chaîne alimentaire, de cette fameuse organisation de contrebande de médicaments. Du menu fretin. Pour se procurer quelque chose de bon et fort, il fallait en effet monter les échelons et s’adresser directement au plus haut de la pyramide. Seulement, impossible pour le premier venu d’y accéder comme ça, en claquant des doigts. Chaque nouveau consommateur se devait de gravir un à un les échelons et montrer patte blanche, avant de caresser l’espoir de pouvoir passer commande. Un cérémonial auquel, tout Docteur qu’il était, il ne dérogea pas. S’en suivit un interminable jeu de piste aux quatre coins de la ville. L’auteur à frissons rencontra une myriade de caïds aux mines patibulaires, dans des bouges où Superman lui-même, ne se serait aventuré sans un scaphandre. Alors qu’il se voyait déjà redirigé une ixième fois vers untel ou untel, le beau brun toucha au but à l’aube du neuvième jour de son investigation. Un bar dont il n’était pas familier, car trop éloigné de son domicile et pas assez proche de son lieu de travail. Un horaire un peu bâtard, ni en journée ni en soirée qui ne l’arrangeait pas spécialement. Et un nom, tenant en deux consones et deux voyelles : Milo.

Le toxicomane n’eut guère de peine pour identifier le fameux Milo, à travers des volutes de fumée et les vapeurs d’alcool embaumant l’arrière salle du bar. Il avait à peu de choses près le même style, que toute la tripotée de petites frappes par lesquelles l’enfant d’Hyderabad dut passer, en amont de décrocher la timbale. Le magnat du trafic de narcotiques était cependant nettement plus smart et soigné, que tout les sous-fifres auxquels eut affaire Inko. Le charisme, la prestance et le magnétisme qu’il dégageait étaient absolument écrasants. A tel point qu’en dépit de la cohorte de types louches présents, le métis ne voyait que lui. Ce titan à la sculpturale plastique. Blotti dans la chaleur de sa veste d’aviateur et expectorant des panaches nicotinisés. Un visage dont la douceur et la rudesse des traits s’équilibraient et formaient une divine harmonie. Une épaisse tignasse brune souple et soyeuse, digne des acteurs oscarisés. Et puis ces hypnotiques yeux. Deux orbes à la chromie époustouflante. Fusion du bleu, du vert et du marron. L’image du dealer ainsi attablé s’incrusta de façon durable dans la rétine, de l’homme qui commençait à piquer des suées, après autant de jours écoulés sans communier avec son cher Fentanyl. Et plus jamais elle n’en sortit.

Flatté d’être reconnu par quelqu’un d’autre qu’une jouvencelle ou une lady vivant sa libido par procuration littéraire, Rajeev se mit à piquer légèrement un fard, puis baissa ses yeux d’hypersthène, avant de sourire spasmodiquement en se frottant le coin externe du sourcil gauche. « Lui-même. Mais … dans la vie de tous les jours, je réponds au nom d’Inko. », bredouilla-t-il à un rythme martelé, saccadé et entrecoupé par des clonies musculaires, caractéristiques des premiers symptômes de manque. Il y eut, bien évidemment de la méfiance et de la défiance du côté de Milo. Le Docteur Shedir ne pouvait pas lui en tenir rigueur. Comment ne pouvait-il pas l’être, face à un nouveau client qu’il ne connaissait absolument pas. Ou du moins, presque pas. Outre la suspicion, et malgré son état de forme loin d’être optimal, Inko crut également déceler chez son vis-à-vis arborant un masque de circonspection, une bonne dose d’incrédulité. Sans doute ne comprenait-il pas pourquoi un auteur à succès, à qui pensait-il tout devait sourire, ressentait le besoin de se défoncer à grand renfort d’opioïdes. A moins qu’il n’eût imaginé que la requête, de celui qu’il pensait n’être qu’un gratteur de papier torturé et tourmenté, soit d’une toute autre teneur.

Une note de pitié également sembla émaner du trafiquant. Etait-ce dû au fait d’avoir face à lui une pauvre âme aux abois, dans un état second et prêt à n’importe quoi pour avoir son shoot ? Plausible, mais loin d’être certain. Des mecs et des nanas en manque et défoncés jusqu’à l’os, Milo devait en voir chaque jour que Dieu fait et à la pelle. Nul doute qu’il en fallait sûrement beaucoup plus pour émouvoir et attendrir, l’impitoyable homme d’affaire qu’était Mister Pillz. Puisque dans le fond, c’était uniquement de cela dont il était question : du business. Pas de place pour les états d’âme et la sympathie. Et pourtant, il semblait bien y en avoir des balbutiements dans l’atmosphère. Finalement, les doutes et le scepticisme du presque double mètre s’évanouirent et il consentit à honorer la demande du scientifique, en lui donnant un nouvel horaire ainsi qu’un autre lieu de rendez-vous. Lorsqu’il se retrouva seul, Inko s’empara des serviettes en papier sur la table et celles vacantes aux alentours. Frénétiquement, il griffonna et coucha du mieux qu’il put par écrit, le fruit du pic d’inspiration qu’engendra chez lui cette rencontre. Ainsi naquit Zack. Un proxénète et usurier repenti, œuvrant désormais entant qu’indic.

Hormis le secteur d’activité, le parallèle entre ce personnage fictif et Milo crevait les yeux. C’était toujours lui, qui parvenait à débloquer la situation et remettre le tandem de protagonistes sur les rails, lorsque l’enquête piétinait. Un des amants « réguliers » de l’Inspectrice Callaway, avec lequel elle aimait s’adonner au coït dans des endroits insolites. Une entente comme chien et chat que regardait d’un œil tantôt blasé, tantôt tristement envieux, le Docteur Raja. Un adjuvant au duo de héros, qui au fil des tomes, prenait de plus en plus d’importance. Zack était en quelque sorte le symbole de leur amitié. Il grandissait, figurait davantage au premier plan et sur le devant de la scène, à mesure que le client et le vendeur se côtoyaient. De son côté, le dealer matérialisait de façon beaucoup plus concrète et tangible, cette complicité croissante. En multipliant les quantités de marchandise, qu’il daignait fournir lors des transactions. Deux ou trois comprimés. Puis une plaquette. Puis deux. Puis une boîte entière. Ce fut ainsi que tout commença. Petit à petit, leur lien s’était resserré. Leur amitié s’amplifia et luisit de manière considérable. Tant et si bien qu’Inko parvint à rejoindre le cercle de confiance du tombeur de ces dames.

Un cercle dans lequel il avait bien peur de ne plus être le bienvenu désormais. Il y eut d’abord des sorties entre potes les week-ends où ils se mirent minables. Très vite, des soirées posées de défonce en semaine, vinrent s’enter à ces folies dominicales. Les deux camés notoires en arrivèrent à se voir trois, quatre voire parfois même cinq fois par semaine, à l’occasion de noubas, en comité restreint, où les psychotropes coulaient à flot dans leurs organismes. En se repassant le film de l’évolution de ses rapports avec Milo, un évènement bien précis revint tout particulièrement à l’esprit du disséqueur de chairs, sans que ce dernier sache réellement pourquoi. C’était un soir à l’occasion d’une de ces sorties pour « décompresser », comme ils le disaient si bien, et où ils ne s’interdisaient rien. Les amis, qui étaient presque devenus indissociables l’un de l’autre, choisirent pour cadre un bar qui venait d’ouvrir du côté de la portion la plus effervescente du Queens, et dont ils ouïrent le plus grand bien. L’happy hour et les drogues médicamenteuses aidant, tout semblait aller pour le mieux du côté de l’espace billard où, comme d’habitude, l’auteur de best-sellers perdait assez largement.    

Jusqu’à ce qu’un type ayant tout du parfait zonard, apostropha avec virulence le binôme de bruns, qui se serait sûrement bien passé d’un tel accrochage. L’enragé déblatérait inlassablement et nourrissait un ressentiment envers Milo, qui n’avait visiblement pas été particulièrement galant et gentleman naguère avec la sœur du furieux. Une situation dans laquelle aurait très bien pu se retrouver le médecin, qui brisait de nombreux cœurs et se comportait par moments comme un véritable mufle. Ce dernier tenta de s’interposer et de s’improviser diplomate, histoire de calmer le jeu et apaiser les esprits. Du moins, autant que son état sous influence le lui permit. Bien mal lui en prit, puisque l’aboyeur visiblement adepte des amalgames, l’injuria et le poignarda d’un « Ta gueule l’terroriste. ». Le tout en lui crachant littéralement au visage, un glaviot empestant la haine, le houblon et la marijuana. C’était triste à dire, mais avec les années, Inko avait fini par s’habituer à ces propos xénophobes ainsi qu’à tout ces actes humiliants, dégradants et déshumanisants. Et s’il démarrait au quart de tour, réagissait de manière épidermique et souffrait au-delà de l’insupportable lorsqu’il était à l’école … aujourd’hui cela l’indifférait, et lui faisait juste maigrement mal. Un peu à la manière d’un furtif élancement ou d’un petit pincement.

Seulement pour son compagnon de dépravation favoris, ce fut la bravade de trop. La rixe qui s’en suivit vint, en plus de mettre de l’animation, foutre un joyeux bordel dans l’établissement fraîchement ouvert. Le concours de plusieurs costauds fut nécessaire pour séparer les belligérants, qui en plus de faire parler leurs poings, utilisèrent tout ce qui pouvait bien leur tomber sous la main, en guise arme blanche. Deux armoires à glace parvinrent à maîtriser le molosse, tandis que de son côté, l’indo-américain réussit tant bien que mal à réfréner son ami. Il lui affirma qu’il n’en valait pas peine, ceintura le devant de sa taille à l’aide d’un bras et plaqua le second au niveau de sa poitrine et sa clavicule, afin de l’empêcher de se ruer sur le fauteur de trouble afin de continuer à en découdre. Le duo de shootés eut l’intelligence d’esprit de débarrasser le plancher, à la dernière sommation du propriétaire des lieux avant qu’il n’appelle les forces de l’ordre. Se doutant que Milo rechignerait à se rendre à l’hôpital, Inko l’emmena donc jusqu’à son appartement en le laissant prendre appui sur lui. Arrivé à bon port, le légiste anesthésia son ami avec les moyens du bord, en lui faisant gober un somnifère n’ayant aucune interaction avec l’océan d’Oxycodone dans lequel nageait le contrebandier.

Complètement assommé, le luchador du soir se vit allonger sur le canapé, par celui qui allait le soigner. D’après le traitement qu’était en passe de lui prodiguer le coroner, mieux valait que l’homme salement amoché soit inconscient. Armé d’un kit de suture, qu’il gardait toujours au cas où dans la trousse de secours dans sa salle de bain, le barbu aux yeux d’onyx s’affaira à recoudre l’arcade fendue du seul ami qu’il n’ait jamais eu. Avec le recul, Doc’ se rendit compte que cet élément avait possiblement mis la puce à l’oreille au ravissant opiomane, quant au fait qu’il possédait des notions de médecine. Les points de sutures furent en effet exécutés avec une telle perfection, qu’aucune cicatrice ou marque disgracieuse, ne vint altérer le beau, si beau, visage de l’Hercule au sourire d’éternel enfant. Le plus dur restait encore à faire. L’épaule droite de Milo avait en effet énormément trinquée au cours de cette bagarre, au point d’être méchamment déboîtée. Dommage que ses quelques cours d’orthopédie en FAC de Médecine, n’eurent jamais grandement passionnés de Docteur Shedir. Néanmoins, il tâcha au mieux, dans son état bien éméché, de raviver le souvenir fugace de ses quelques rudiments en la matière.

Non sans une certaine appréhension, il apposa donc sa paume sur le trapèze musculeux du grand narco-trafiquant, à qui il rendait huit bon centimètres. Levant légèrement son coude à l’équerre, il prit une grande inspiration afin de se calmer et rassembler toute sa concentration. Celui qui était également immunologue rabâcha maintes fois à voix basse, et se figura mentalement, les différentes étapes de la manipulation qu’il s’apprêtait à réaliser. Fin prêt, il tira alors sur l’articulation d’un mouvement sec et brusque. Le bruit de l’os craquant le fit frissonner et une grimace compatissante de douleur déforma son visage. S’il eût été conscient, l’éphèbe aux yeux des plus fascinants aurait très certainement hurlé à la mort. Fort heureusement pour lui, en étant ainsi dans les vapes, cette action ne coûta à Milo qu’un grognement sourd étouffé, une petite moue ainsi qu’un froncement des sourcils prononcé. L’atèle qu’Inko dut porter jadis pour palier sa luxation, suite à une initiation désastreuse au Ju-Jitsu, trouva une seconde jeunesse. Débarrassant l’assoupi de son t-shirt avec une extrême délicatesse, l’écrivain au style parfois très cru et trash, suréleva doucement la tête de celui qui lui avait mis une misère ce soir au billard, puis passa son bras en écharpe, pour ainsi aider son épaule encore fortement endolorie à se consolider.

Les autres blessures étaient superficielles. N’importe quel quidam aurait pu les traiter. Écorchures, égratignures et plaies peu profondes furent très vite désinfectées et nappées d’un baume cicatriciel. Pectoraux pansés. Côtes et abdomen strappés. Mains bandées. Les membres inférieurs avaient dans l’ensemble miraculeusement été épargnés. Quelques bleus et ecchymoses constellaient de-ci de-là, les ischios et tibias de son « armoire à pharmacie » sur pattes. Des petits bobos qui d’ici un jour ou deux, ne seraient bientôt plus que de lointains souvenirs. Son travail de traumatologue achevé, le Docteur en Anthropologie s’accorda un dernier verre de whisky en solitaire, se laissa tomber dans le fauteuil et poussa un soupir crevant le silence. Perdu dans la contemplation de l’adonis endormi, qu’il ponctua par quelques lapées de liqueur ambrée pour attiser encore un peu la griserie, le romancier eut ce qu’il appelait pompeusement « une bouffée de fièvre créatrice. ». Il abandonna donc son verre vide au trois quart, et alla chercher en toute hâte son ordinateur portable branché en charge sur son lit.

Assis à la table basse dans la position du lotus, le dépendant aux drogues d’hôpital pianota à vive allure sur les touches du PC. Ce soir là naquirent deux nouveaux chapitres du futur tome de sa saga. S’il lui manquait un mot, ou s’il se battait avec une tournure de phrase un peu alambiquée, Inko n’avait qu’à lever le nez de son écran et poser les yeux sur Milo pour retrouver la flamme. Fumant comme une cheminée et s’enfilant mug de café sur mug de café pour rester bien éveillé, le Stephan King indien et sa machine à écrire 2.0 vainquirent nuit. Et lorsqu’au petit jour, le dealer émergea en remuant péniblement et grognant faiblement, son ami aux multiples phobies se surprit à accourir vers lui en arborant un immense et radieux sourire de soulagement. Travelling en avant, et l’on arrivait directement sur ce torturant jour de Juin. La rétrospective de sa relation avec le pharmacien clandestin achevée, l’homme à la carnation basanée ne put que constater, que ce ne furent pourtant pas les occasions de révéler toute l’étendue de ses activités qui manquèrent. Ca et … tout un tas d’autres choses qu’il ne savait comment formuler, lui qui était d’ordinaire si à l’aise avec les mots.

Il avait enfin trouvé quelqu’un qui l’appréciait sincèrement pour ce qu’il était entant qu’homme, et non pour ce qu’il représentait. Le romancier n’avait que trop saigné des incalculables persécutions, des coups et noms d’oiseaux, dont le gratifièrent ses compatriotes américains les plus sectaires et hermétiques au concept de melting pot. Sans parler des incommensurables déceptions qu’il dut essuyer, toutes les fois où il prit conscience qu’une personne qui paraissait pourtant sympathique, ne cherchait en réalité qu’à profiter de lui. Pour la première fois, il venait de trouver quelqu’un qui le supportait lui et son foutu caractère. Quelqu’un qui joua franc jeu et carte sur table avec lui de A à Z. Quelqu’un en compagnie de qui ses vieux démons, ses tourments et ses névroses disparaissaient presque comme par magie. Le Docteur adorait jusqu’à la démesure, cette puissante connivence qu’il partageait avec son cadet d’un peu moins d’un an. Pour une fois, il ne se sentait nullement le cœur de saborder et anéantir ce qu’il était parvenu à construire. Oui, le gardien des bocaux de formol renouait et s’autorisait de nouveau à être heureux.

Tout était tellement simple, tellement beau et tellement naturel avec Milo, qu’il ne souhaitait en rien que quoi que ce soit n’eût bougé d’un iota. Comment cela aurait-il pu être possible, si Inko lui avait avoué qu’en plus d’être écrivain, il était aussi, et avant tout, un médecin légiste à qui il était donné de collaborer avec la police dans des affaires d’homicides, ou de morts suspectes, soudaines et inexpliquées. Comment ne pas craindre un seul instant la très forte probabilité, qu’à la lumière d’une telle nouvelle, le brun aux yeux envoûtants n’eût pris ses distances de manière draconienne avec celui qu’il ne supposait être qu’un auteur brisé, cassé et flippé. Alors, le dit auteur préféra se taire et s’embastionna dans une citadelle de non-dits, par peur que la vérité dans son plus simple appareil ne poussa son ami à s’éloigner ad vitam æternam de lui. L’issue au final était la même. Il venait de le perdre. C’était reculer pour mieux sauter. Le toxico n’était finalement parvenu qu’à piètrement repousser l’échéance de ce moment fatidique qu’il redoutait tant. La fréquence de la voix qui l’interpella lui sembla ondoyer. Preuve que l’Oxycodone commençait à agir.

La boule au ventre, le métis releva lentement la tête puis suivit d’une démarche mal assurée, le petit bout de femme hispanique aux formes plantureuses. La lumière blême éclairant laborieusement le boyau exigu qu’il arpenta, ne fut pas sans lui rappeler celle illuminant faiblement son royaume troglodytique, qu’était la morgue de l’Hôpital de Flushing. Dans une immense salle où fleurissait tout un vaste parterre de tables, abondance d’hommes et de femmes « honnêtes » étaient venus rendre visite à un parent, un enfant, un conjoint ou encore un frère. Parmi le bataillon des combinaisons orange, la référence en médecine légale reconnut le détenu dont il espérait ardemment la rapide libération. Le souffle en suspension, le Docteur Shedir fut prit d’un subit étourdissement, dès qu’il vit le géant brun à ce point diminué. Son teint, d’ordinaire frais et rosé, s’apparenta à du papier mâché et ressemblait à deux poids deux mesures près, à celui des cadavres qu’il autopsiait toute la sainte journée. Sa somptueuse chevelure d’ébène, en plus d’être franchement chaotique, paraissait poisseuse au toucher. Des spasmes, synonymes de sevrage drastique et forcé, secouèrent de temps à autres son imposant corps à la musculature développée.

La transpiration s’échappant de ses pores, fit luire la peau laiteuse de son cou, ainsi que de son front et ses pommettes. Horrifié devant l’affaiblissement et l’extrême fatigue du trafiquant écroué, Inko voulut se précipiter vers lui pour lui porter assistance. Toutefois, il opta pour l’adoption d’un pas plus calme, serein et limite suffisant, lorsque sa vision périphérique accrocha le maton assis à son bureau, qui rehaussa la tête en froissant bruyamment les feuilles de son journal. D’une main tremblante, le père de la série « De Chair et d’Os » tira le dossier de la chaise et s’installa face à l’homme, tout autant criblé que lui par la fatigue et que le manque tenaillait. A l’instant où les deux billes, tirant ici davantage sur le marron, de Milo entrèrent en collision avec celles du praticien exerçant la médecine forensique, ce dernier eut l’impression que l’air parvint enfin à inonder ses poumons. Comme si une enclume n’ayant de cesse de compresser sa cage-thoracique, se volatilisait soudainement. L’accueil qu’il reçu de la part de son confident fut conforme à ce qu’il avait envisagé. Glacial et cinglant. Les mots prononcés dans la douleur par son vis-à-vis, furent autant de banderilles qui perforèrent les centres vitaux du touche à tout au QI affolant les compteurs.

A chaque phrase crachée dans un mépris tangible, l’homme à la peau cuivrée s’affaissa toujours un peu plus sur son assise. A la manière d’un gamin tout piteux ayant fait une bêtise, et que l’on gourmanderait sévèrement. « J-je … j’ai bien conscience que c’est un peu tard pour cela désormais, mais je tenais à ce que tu saches quelque chose que j’aurais dû te dire depuis le début. Cela n’enlèvera sûrement rien à la haine que tu me voues à présent, ni au sentiment de trahison que je dois t’inspirer, mais … tu as plus que le droit à la vérité. », ânonna-t-il d’une petite voix, à laquelle il n’avait probablement pas habitué le prévenu en face de lui. Soutenir son regard empli de colère se révéla mission impossible pour le pêcheur se confessant, puisque ses yeux aux pupilles dilatées par l’Oxycodone, finirent inéluctablement par s’échouer sur le bois peint à l’aérographe industriel, de la table qui se dressait entre eux. Le maelström d’émotions qui étreignait le détenteur d’une double nationalité, éroda petit à petit le semblant de consistance qui lui restait encore. Il avait peur. Peur de s’être irrémédiablement attiré les foudres de Milo, au point qu’il en soit arrivé à donner tout ce qu’il avait de plus cher au monde, pour le savoir à six pieds sous terre bouffé par les vers et les scarabées nécrophages.

Il avait honte. Honte d’avoir évolué à visage masqué, alors que le beau brun au minois de playboy s’était toujours montré tel qu’il était. Sans armure, ni façade. Il culpabilisait. Pour avoir si éhontément trahi et brisé la confiance que le dealer lui accordait, en plus d’avoir fait voler en éclat l’amitié qui les unissait. Une amitié qu’il s’était plu à croire indéfectible et qui, à son grand désarroi ainsi qu’à la lumière des paroles de celui qui le comprenait mieux que quiconque, s’avérait vraisemblablement révolue. Oui … elle ne s’écrirait désormais plus qu’au passé. Un rien aurait suffit pour qu’Inko vacille et s’effondre. Bien qu’il demeurait tête basse et mirait ses larges mains qu’il n’eut de cesse de torturer, le serviteur des défunts sentit le regard furieux et à la fois impatient de curiosité, de celui qu’il aurait voulu pour la vie compter entant qu’ami, le calciner. Il alla puiser une once de courage dans une profonde inspiration, puis s’éclaircit légèrement la voix. « Je ne travaille pas pour la police. Du moins … pas directement. Je suis légiste à l’Hôpital de Flushing et … il arrive que les forces de l’ordre viennent solliciter mon aide dans certaines affaires. Tiens, regarde. », déclara-t-il toujours de ce même ton hésitant en se hâtant de faire l’inventaire de ses poches.

Plus que jamais, l’homme friand des mots précieux et oubliés de jadis tint à prouver sa bonne foi. Bien sûr, il n’était pas assez naïf et candide pour croire une seule seconde, que cela puisse miraculeusement restaurer leur complicité d’antan, qu’une semaine de temps suffit à réduire comme peau de chagrin. Jamais ils ne pourraient oublier. Repartir à zéro. Tirer un trait sur le passé et tout recommencer. Malgré tout, il conservait un infinitésimal espoir, que ce qu’il s’apprêtait à faire, parvienne à imperceptiblement amoindrir le ressentiment de Milo à son encontre. Autant que le jet d’un seau d’eau sur un feu ravageant des hectares de forêt, puisse être efficace pour éteindre le brasier. Alors, il sonda l’intérieur des poches avant de son jean, ajouré par deux larges trous au niveau des genoux. Faisant chou blanc, il partit autopsier celle du derrière. Guère mieux. Les traits tirés, et lui donnant dix ans de plus, du médecin commencèrent à se figer tel un vieux fond de sauce, au moment où il passa au peigne fin sa veste. Rien dans les poches ventrales. Ni dans celles pectorales. Explorant celles à l’intérieur du vêtement, l’auteur de ce que les mauvaises langues appelaient « des pornos softs pour dames », ne put que se rendre à l’évidence : il ne l’avait pas sur lui.

La badge de l’hôpital, sur lequel était apposé une photo de lui digne d’un avis de recherche, et avec lequel il pointait pour accéder à la morgue ou aux diverses zones de l’hôpital, uniquement allouées aux membres du personnel soignant. Lorsqu’il réalisa que ce dernier était resté dans la poche de son blazer, lui même resté pendu au perroquet dans l’entrée de son appartement, Inko se mit à jurer à voix basse d’un air paniqué. La pulpe de ses doigts lui apprirent néanmoins, qu’il avait mal refermé le flacon d’Oxycodone tout à l’heure et qu’une bonne partie de son contenu en avait profité pour se faire la malle au fond du petit compartiment textile. Faisant appel à toute sa dextérité, il s’évertua à en attraper le plus possible. Peut-être qu’il ne parviendrait nullement à faire sortir l’élancé et baraqué brun d’ici, mais il avait néanmoins la possibilité en cet instant très précis, d’apaiser le mal qui le dévorait sans risquer d’empirer les choses. Ou plutôt, de les empirer encore davantage qu’il ne l’eût déjà fait. S’agissait juste d’être discret, adroit et rapide. Le new-yorkais de toujours dans l’âme s’assura d’échapper à la vigilance du surveillant, avant de rapidement sortir sa main pour saisir celle complètement moite de l’homme tremblotant et grimaçant de douleur.

Le gaucher convoqua alors toute son adresse, pour transférer de paume à paume la bonne petite dizaine de comprimés ronds. « Je t’en prie Milo … il faut que tu me crois. Jamais je n’ai voulu, ni ne voudrai, te faire du mal ou te causer du tort. J’ai trop de respect, de loyauté et d’estime envers toi pour te faire une crasse pareille. », conclut-il d’une voix dont le ton s’effilocha et que des trémolos firent chevroter. Le barbu à l’âme abîmée considérait que le fait de connaître l’élancé receleur de pilules, était sans nul doute l’une des meilleures choses, qui lui soit arrivée au cours de son existence. Pour rien au monde il n'aurait voulu que cela s’arrête. Etre effroyablement seul, comme ce fut le cas avant que le trafiquant n’entre dans sa vie. A travers ce geste clandestin d’approvisionnement en antalgiques, Inko avait surtout à cœur de prouver que quoi qu’il advienne, et malgré la rage et le mépris que lui portait son homologue junkie ; il serait toujours là pour lui. Que c’est armé de la science, qu’il irait se battre pour rendre caducs les accusations pesant sur son double, et ainsi le libérer. Il ne l’abandonnera pas. Il restera. Même dans l’œil du cyclone, il restera. Parce qu’il n’a que lui. Cet homme qui fut un temps, lui accordait le titre d’ami. La voix du gardien toujours assis derrière son bureau s’éleva, pour rappeler que tout contact physique était formellement interdit. Avalant âprement sa salive, l’homme de lettre retira alors promptement sa main de celle du brun tout d’orange vêtu, comme si elle fut chauffée à blanc. Une main qu’il serra durant un laps de temps anormalement long, et qui lui parut pourtant tristement court. Le chef incliné vers l’avant. Les yeux perdus sur le matricule apposé sur la combinaison agrume au niveau de la poitrine. Et ce mantra qu’il ressassa en boucle. Une prière pressée. Empressée. Pitié … ne me hais pas.                      
                                                                                           
(c) DΛNDELION
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OH THE TRUTH HURTS

AND LIES WORSE

Inko & Milo

Tandis que le regard noir de Miles fusillait son visiteur, son esprit fatigué tournait à du cent à l’heure. L’absurdité de la situation ne cessait de le percuter avec violence ; il avait beau la retourner dans tous les sens, il ne parvenait pas à comprendre à quel moment les choses avaient bien pu déraper pour qu’il ait fini par se retrouver en taule, à haïr l’une des rares personnes en qui il avait placé une confiance absolue. Et c’était sans doute là le cœur du problème – cette satanée confiance qu’il n’aurait jamais dû accorder. Quel curieux concept, que la confiance… Il ne s’agissait, au final, que de donner délibérément à quelqu’un le pouvoir de vous faire du mal, sous couvert de la croyance que cette personne ne s’en servira jamais. Ce n’était rien de plus que de courir le risque de se voir blessé ou complètement anéanti. Et cela, Milo le savait depuis belle lurette. C’était précisément la raison pour laquelle il était devenu plus méfiant avec les années, partant toujours du principe que la personne qu’il avait en face de lui était potentiellement nuisible et qu’il existait une chance non négligeable qu’elle profite de sa première volte-face pour lui enfoncer un couteau entre les omoplates. Son activité professionnelle qui lui faisait courir un risque titanesque au quotidien l’avait conforté dans cette méfiance, et c’est ainsi que Milo avait, petit à petit, barricadé son cœur dans l’intention de le protéger hermétiquement de tout individu tentant un peu trop de s’en rapprocher. Une poignée de personnes étaient parvenus à pénétrer la forteresse, mais elles se comptaient sur les doigts des mains. Et désormais, Milo réalisait qu’il aurait mieux fait de laisser Inko dehors. Ce n’était pourtant pas faute d’avoir été mis en garde, et à maintes reprises ; Carmen, en particulier, avait vu d’un œil très mauvais l’amitié naissante entre Miles et son nouvel acolyte. Elle n’avait cessé de répéter à un Milo tout ce qu’il y avait de plus sceptique qu’Inko ne lui inspirait rien de bon, qu’elle n’aimait pas l’influence qu’il exerçait sur lui, et que toute cette histoire lui donnait un mauvais pressentiment. Milo avait balayé ses propos d’un revers de la main, convaincu qu’il s’agissait là d’un élan de jalousie et de possessivité mal déguisées, car il savait que Carmen n’admettrait jamais autrement que de manière détournée qu’elle était mécontente de passer moins de temps qu’à l’accoutumée à ses côtés. Il l’avait rassurée avec légèreté à chaque fois qu’elle ramenait le sujet sur le tapis, faisant taire ses inquiétudes d’un tendre baiser. Puis, lorsque la situation avait commencé à se gâter, que Carmen l’avait surpris défoncé après tant de mois de sobriété et que l’heure qui avait suivi avait été emplie d’éclats de voix, il avait fini par se contenter d’éviter le sujet épineux qu’était son amitié avec Inko. Il s’était assuré de faire en sorte de toujours être sobre devant Carmen, mais le mal avait été fait : elle nourrissait une animosité et une désapprobation vives à l’égard du beau métis, et maintenait qu’un jour, il attirerait des ennuis à Milo – ce qu’elle estimait de toute façon déjà être le cas depuis qu’elle avait découvert qu’il avait recommencé à consommer. Mais Milo, avec sa stupide confiance et sa satanée loyauté, n’avait jamais songé à ôter les œillères qu’avait mises en place sa nouvelle amitié, pas même face à l’inquiétude évidente de sa moitié qui n’avait pas l’habitude de s’inquiéter d’autre chose que de la tenue qu’elle porterait le soir même ou de la meilleure manière de tourmenter son prochain ; pas même, non plus, après les violentes disputes qui prirent place à quelques reprises entre les tourtereaux, qui avaient pour habitude de se chamailler presque quotidiennement, mais jamais bien méchamment et certainement pas pendant plus d’un quart d’heure. Car c’était bien là le problème de Milo : une fois qu’il accordait sa fichue confiance, il lui fallait bien plus que quelques pressentiments et quelques cris pour remettre celle-ci en question.

Et ça, Carmen n’avait pas manqué de le lui faire comprendre, lorsqu’elle était venue lui rendre visite quelques heures seulement après qu’on l’eut jeté dans sa cellule. Elle avait débarqué dans cette même pièce, tirée à quatre épingles et aussi éblouissante qu’à son habitude, son beau visage déformé par une froide colère qu’elle ne chercha pas un instant à dissimuler. Elle l’avait traité de tous les noms, lui sifflant des mots acerbes, la voix tremblante de fureur, les yeux plissés par l’énervement. Après tout ce temps passé à ses côtés, Milo avait perçu sans peine que c’était sa façon à elle de manifester la profonde inquiétude et la franche terreur que lui inspirait l’emprisonnement de l’homme avec qui elle partageait sa vie. Sa façon à elle, bien particulière, carrément étrange, même, de lui témoigner son amour. Cela ne l’avait pas empêché de littéralement se recroqueviller sur sa chaise, sans songer à contester ne fût-ce qu’une seule des paroles qu’elle lui crachait. Il finit par admettre, la voix lourde de chagrin, qu’elle avait vu juste au sujet d’Inko, et qu’elle avait eu raison sur toute la ligne. Elle n’avait même pas eu besoin de lui répondre à voix haute pour lui faire comprendre ce qu’elle pensait, se contentant de ce fameux regard noir, celui qui signifiait qu’il ne pouvait en vouloir qu’à lui-même, qu’elle l’avait mis en garde dès le départ, et qu’il ne lui restait plus qu’à récolter ce qu’il avait semé. Elle avait fini par s’adoucir très légèrement, rendant plus perceptible son inquiétude, et au terme de leur entrevue, il lui avait demandé de ne plus revenir pour le moment, sans avoir besoin de préciser qu’il ne voulait pas qu’elle le voie dans cette situation tant il se sentait humilié, et sans savoir encore qu’il ne tarderait pas à être encore bien plus diminué dès que les premiers signes de sevrage, dont il ne pensait pas qu’ils arriveraient tant il ignorait à quel point il était réellement enfoncé dans la drogue, le frapperaient. Elle avait acquiescé sans un mot – elle était comme ça, Carmen ; elle ne comprenait pratiquement rien à la nature humaine, mais elle le comprenait, lui, le connaissait par cœur, et acceptait tous ses côtés sans chercher à les changer. C’était pour cette raison, parmi tant d’autres, qu’il l’aimait autant. À ce moment, il avait été profondément reconnaissant qu’elle se fût comportée comme elle l’avait fait, même si ce n’était de toute évidence pas pour lui qu’elle avait affiché froideur et colère plutôt que douceur et compassion. Mais c’était de cela qu’il avait besoin – lui dont l’orgueil d’ordinaire titanesque se voyait déjà considérablement réduit, il n’aurait jamais eu la force d’affronter l’humiliation de voir de la pitié dans les yeux de sa dulcinée.

Après cet épisode, les seules visites que reçut Milo furent celles de son avocat – un type que lui-même ne connaissait pas ni n’avait appelé, mais dont il comprit bien rapidement que c’était son patron qui l’avait envoyé. Les magnats de l’organisation criminelle dont faisait partie Milo avait beau ne pas être des enfants de chœur –Miles était le plus vertueux des anges en comparaison avec les autres grandes pointures du réseau–, ils n’en prenaient pas moins soin des leurs, et il ne fallut pas plus de quelques minutes de discussion avec l’avocat à Milo pour qu’il réalise qu’on lui avait envoyé ce qu’on faisait de meilleur dans le coin. Le type avait visiblement l’habitude de défendre des crapules, avec lesquelles il partageait visiblement un sens de l’éthique pour le moins douteux. Ce qui ne dérangea nullement Milo, qui était bien conscient que l’avocat incarnait sa seule chance, toute maigre qu’elle fût, de salut. Il revint lui rendre visite une ou deux fois, et leurs entrevues, quoique pas franchement agréables, eurent au moins pour point positif, elles aussi, de ne pas être teintées non plus par une compassion aussi larmoyante que malvenue.

Mais là, maintenant, tout ce qu’il avait voulu éviter était en train de se produire – parmi les émotions qu’il crut déceler dans les yeux d’ébène d’Inko, outre l’appréhension et l’inquiétude, il y avait très distinctement une bonne dose de peine. Le genre de peine dont se voile notre regard lorsque l’on a sous les yeux un chiot blessé, un sdf grelottant dans la neige ou une femme qui sort de son domicile le visage tuméfié. Cette peine qui traduit une compassion proche de la pitié, et qui génère un geste réflexe comme une douce caresse sur les cheveux ou une petite tape dans le dos. Milo ne savait trop s’il inspirait ce sentiment à Inko en raison de la situation globale dans laquelle il se trouvait, ou s’il était apparu lorsque l’indo-américain avait découvert son état physique pour le moins alarmant. Milo savait qu’il faisait peine à voir, oui. Il sentait la sueur perler sur chaque centimètre carré de sa peau, y compris dans des régions dont il ne savait pas qu’il était possible qu’elles transpirent, il se sentait trembler finement de la tête aux pieds, il savait qu’en dépit de ses douches quotidiennes, il avait les cheveux gras et collés au front, il avait en permanence le cœur au bord des lèvres et il ressentait très clairement l’épuisement tant physique que mental dans lequel l’avaient plongé les derniers jours. Et le sevrage était d’autant plus pénible qu’il était inattendu – car Milo n’avait pas tardé à réaliser qu’il s’était autant menti à lui-même qu’à Carmen en affirmant à cette dernière que sa consommation de narcotiques n’était qu’occasionnelle, et totalement sous contrôle. Lui, plus que tout autre, aurait dû se douter que lorsqu’on a été toxicomane, on ne cesse de l’être qu’en coupant tous les ponts avec la drogue, et qu’il n’existe pas de consommation ponctuelle lorsqu’on a déjà sombré une première fois dans le vice de l’addiction. Mais il s’était voilé la face, et aujourd’hui, loin de ses pilules et de sa poudre, il réalisait qu’il était retourné exactement au stade qu’il avait laissé tant bien que mal derrière lui peu après sa rencontre avec Carmen : celui d’un junkie dont la vie ne peut suivre son cours sans sa dose de came quotidienne. Maintenant, il ne lui restait plus qu’à traverser cet épouvantable sevrage, sans même avoir accès à la méthadone qui lui avait permis de s’en sortir la première fois, et qui avait empêché tous ces terribles symptômes de le tourmenter sans plonger son esprit dans l’état second qu’il tentait désespérément de laisser derrière lui. Cette fois-ci, il était terriblement seul face à sa maladie, et il ne lui restait plus qu’à braver les remarques méprisantes des gardes et le regard insupportable que lui lançait Inko. Et il aurait préféré mille fois les insultes de l’imbécile de garde qui l’avait apostrophé quelques minutes plus tôt à la douleur qui habitait les yeux de celui qu’il avait considéré comme son ami. Dans ces yeux, il ne vit pas la bienveillance ni l’affection qui avaient engendré cette peine ; au contraire, il n’y vit que son humiliation, la pitié qu’il inspirait et son ego plus bas que terre. Il avait envie de lui hurler d’arrêter de le regarder, d’aller voir ailleurs s’il y était, de ne plus jamais oser poser sur lui ce regard de Mère Teresa face à un petit lépreux. Mais il n’en fit rien. Les dents serrées, il se contenta de le regarder avec cet air assassin. Défiant, aussi. Il voulait lui faire comprendre, et clairement, que malgré son état diminué, il n’en restait pas moins ce même Miles Cooper dont le nom provoquait chez certains respect et intimidation, celui qui parvenait à ses fins à coups de charisme et de phrases savamment tournées, celui qui faisait regretter à ceux qui osaient se mettre en travers de son chemin d’avoir fait sa connaissance. Celui qui ne supportait pas d’être regardé comme une pauvre chose, qui n’accepterait jamais pitié ni compassion et qui, même dépouillé de ce qu’il avait de plus précieux, ne céderait pas sa dignité ni son orgueil. C’était pour cela, aussi, qu’il assortit à son regard noir des paroles acerbes et mordantes, qu’il s’était penché en avant de cet air menaçant tout en proférant ses propos hargneux, et qu’il ne lâcha pas un instant de ses yeux ceux de son interlocuteur, les fixant avec intensité jusqu’à ce qu’Inko finisse par baisser légèrement les siens. Si jusque là, Inko n’avait jamais eu droit à plus méchant de la part de Milo qu’un air méfiant et un ton réservé lors de leur première rencontre, à cet instant précis, il devait probablement réaliser pleinement la dualité qui caractérisait le dealer. Car l’attitude qu’il lui réservait était l’exacte raison pour laquelle Milo, tout profondément bon et doux qu’il était avec ceux qu’il chérissait, était parvenu à se hisser à la place qu’il occupait aujourd’hui dans un monde régi par des brutes dénuées de toute conscience. Ce qu’il montrait en ce moment, c’était qu’il n’était en rien un imposteur qui jouait un rôle savamment mis sur pied pour se frayer une place dans l’univers dur et violent au sein duquel il évoluait, mais qu’au contraire, une partie de lui était faite de la même trempe que ses collaborateurs. Une partie sombre, glaçante et effrayante, dont avaient fait les frais quelques malheureux qui ne se risqueraient à recroiser son regard de sitôt. Et au vu de la manière dont s’annonçaient les choses, Inko risquait bien de voir son nom inscrit au bas de cette liste.

Il ne prononça pas un mot en réponse aux premières paroles qui s’échappèrent des lèvres de l’écrivain, se contentant de le toiser en silence, profitant du fait qu’il eût les yeux baissés pour étudier un peu plus attentivement ses traits. Il y décela de la fatigue, beaucoup de fatigue. Les traits d’Inko étaient tirés, creusés, et Milo se demanda pourquoi il se trouvait dans un état pas bien plus glorieux que le sien. Il se demanda, aussi, sur quelle planète Inko s’exprimait de la sorte, avec cette voix à peine plus haute qu’un murmure, lui qui d’ordinaire dégageait une prestance qui n’avait d’égale que sa délicieuse arrogance, deux traits qu’ils semblaient partager mais qui se manifestaient d’une façon extraordinairement différente chez chacun – avec plus de sobriété chez Miles, et de façon bien plus flamboyante chez Inko. Jamais il n’avait vu l’écrivain penaud, à s’exprimer à voix basse et le regard fuyant. Une nouvelle fois, il fut frappé par l’incohérence flagrante de la situation – si Inko l’avait trahi comme il le croyait, pourquoi semblait-il aussi ébranlé par le destin de Miles ? Était-il mû par une poussée de regrets, par le besoin de soulager sa conscience ternie par le coup bas qu’il lui avait asséné ? Inko n’était pas du genre à regarder en arrière et à laisser des remords le consumer, Milo avait eu l’occasion de le remarquer à maintes reprises. Mais alors… pourquoi ? Il décida de ne pas chercher à comprendre, pas tant qu’il n’avait pas plus d’informations qui lui permettraient enfin de donner un sens à cette histoire qui n’avait ni queue ni tête. Son regard se fit donc pressant – non pas qu’il crût qu’Inko s’en rendrait compte, dans la mesure où ce dernier contemplait toujours avec insistance la table qui les séparait. Mais Milo ne comptait pas lui demander d’élaborer ; il ne voulait plus rien lui demander, plus jamais. Alors, il patienta, les bras croisés, le regard furibond.

Et ses yeux de s’écarquiller lorsque vinrent enfin les explications. Celle-là, il ne l’avait absolument pas vue venir. Il crut d’abord à une mauvaise farce, tout en sachant pertinemment qu’il ne s’agissait en aucun cas de cela, et qu’Inko était tout ce qu’il y avait de plus sérieux. Il se passa une main sur le visage, essuyant au passage la sueur qui avait perlé sur son front et ses joues au cours des dernières minutes, et soupira, incrédule. Il voulut prendre la parole, mais fut interrompu en plein dans son élan par son cœur qui s’était mis à galoper et dont les palpitations lui coupèrent le souffle pendant quelques instants. Il porta une main machinale à sa poitrine, tout en sachant que cela ne changerait rien et que, comme à chaque fois qu’il se présentait depuis quelques jours, il n’avait d’autre choix que d’attendre la fin de cet accès de tachycardie. Il inspira profondément, s’exhortant à un calme dont il savait pertinemment qu’il ne viendrait pas. Lorsqu’il finit enfin par prendre la parole, ce fut du même ton, froid et sarcastique, que celui qu’il avait employé pour apostropher Inko à son arrivée dans la pièce. « Super. Génial. Manquerait plus que tu sois le légiste chargé de ce cas », ironisa-t-il en regardant Inko fouiller frénétiquement ses poches. Lorsqu’il le vit hésiter l’espace d’une demi-seconde, le regard toujours fuyant, il sut instantanément qu’il avait vu juste, lui qui avait tout simplement voulu être ironique en mentionnant le seul scénario qui aurait pu rendre la situation encore plus pénible qu’elle ne l’était déjà. Il laissa échapper un bref rire incrédule et dénué de toute joie, passa sa main dans ses cheveux avant de se frotter les yeux du pouce et de l’index, le coude posé sur la table. Il releva la tête, les traits suintant d’un sarcasme glaçant, tout comme sa voix lorsqu’il hissa, à peine plus fort qu’un murmure : « Putain, j’y crois pas. C’est vraiment parfait. Par-fait. » Il se doutait bien que là, il était cuit. Sans savoir qu’en plus d’être légiste, Inko était la référence new-yorkaise en la matière, il ne doutait pas un instant du fait que ce dernier fût extrêmement compétent en la matière, au vu de son intelligence tout simplement hors du commun, qui avait toujours profondément impressionné Miles. Et, connaissant le personnage, il ne doutait pas non plus de son éthique de travail, en plus du fait que, par définition, il travaillait au service de la police et avait une réputation à tenir – en d’autres mots, Inko allait le condamner sans le moindre doute à un bon paquet d’années d’incarcération. « Mon pote va s’assurer que je ressorte pas d’ici avant vingt ans, le rêve », cracha-t-il. Mais, au fond de lui, il savait qu’il ne pouvait s’en prendre qu’à lui-même. Que c’était ses propres conneries qu’il était en train de payer. Cela ne rendait en rien le rôle qu’allait jouer Inko dans sa condamnation plus supportable, ni moins douloureux. Et, pour couronner le tout, Milo se sentait encore plus stupide en repensant à la confiance qu’il lui avait accordée, combinée à l’aveuglement total qui l’avait empêché de prêter attention aux signes qui auraient pu le mettre sur la voie. Plus que des signes, il avait ignoré des énormes panneaux clignotants stipulant « Attention, docteur ! ». Pourtant, il les avait remarqués – raison pour laquelle ils lui revenaient en tête par dizaines, à commencer par ce fameux lendemain de rixe qui l’avait laissé quelque peu perplexe, mais qui n’avait pourtant pas suffi à soulever en lui la moindre interrogation.

Entrouvrant lentement un œil tout en s’agitant très légèrement, Milo remarqua immédiatement la douleur. Elle sévissait dans son crâne, qui semblait menacer de se fendre en deux, victime de tout l’alcool ingurgité la veille. Mais elle sévissait aussi dans son épaule, sa poitrine, son ventre, aggravée par le moindre petit mouvement, y compris sa respiration pénible. Il se redressa légèrement en esquissant une grimace de douleur, s’appuyant contre l’accoudoir dans une position relativement confortable. Un rapide état des lieux lui apprit rapidement qu’il était allongé sur le canapé d’Inko, vêtu uniquement de son caleçon sous la couverture qui avait été apposée sur son corps dénudé, et qu’en plus d’une attelle qui immobilisait son bras droit, il était recouvert de pansements et bandages en tous genres. Un état des lieux un peu plus approfondi, effectué à l’aide des doigts hésitants de sa main valide, lui apprit que la douleur au niveau de son sourcil gauche était due à ce qui semblait être des points de suture. Enfin, un coup d’œil vers le côté lui apprit qu’Inko était juste à côté de lui, son large sourire illuminant son visage aux airs épuisés. Milo esquissa à son tour un petit sourire, les yeux brillant d’une lueur espiègle malgré la douleur qui le terrassait. « Bah alors mon grand, t’as pas dormi pour t’assurer que je crève pas ? C’est mal me connaître, mon pote », plaisanta-t-il, à mille lieues de s’imaginer qu’en réalité, Inko avait veillé pour exploiter la fièvre créatrice qui s’était emparée de lui, et qu’il tirait directement de Milo. Il était à mille lieues de s’imaginer qu’Inko l’avait observé à de nombreuses reprises pendant la nuit, certes, mais pas pour s’assurer de ce qu’il respirât encore. À mille lieues de s’imaginer que dès le jour de leur rencontre, il avait inspiré à son ami un personnage à l’importance grandissante dans sa série de bouquins – à vrai dire, Milo n’avait jamais ouvert un seul des livres qu’avait écrits Inko, même aujourd’hui, après qu’ils se furent liés d’amitié. Non, Milo se dit plutôt, en apercevant l’ordinateur resté ouvert dans le fauteuil qui faisait face à celui où lui était installé, qu’il avait eu de la chance de ne pas se réveiller en plein milieu de la nuit pour découvrir un Inko en train de se faire plaisir devant un film porno. Cette pensée lui arracha d’ailleurs un autre sourire assorti à son regard amusé. Il se laissa retomber en position allongée, bougeant la tête pendant quelques instants jusqu’à avoir trouvé une position confortable, et grimaça imperceptiblement lorsqu’un faux mouvement provoqua un élancement douloureux dans son épaule. Son regard se posa machinalement sur l’attelle qu’il avait autour du bras, avant de croiser avec curiosité celui d’Inko. « C’est toi qui m’as rabiboché comme ça ? On dirait que t’as fait ça toute ta vie ! », s’exclama-t-il, le ton aussi surpris qu’admiratif. À cent mille lieues de se douter de la vérité, il imagina Inko, en citoyen modèle, appliquer avec concentration les quelques leçons de premiers secours qu’il avait dû suivre dans l’un ou l’autre centre communautaire. « Merci mille fois, en tout cas – t’es un vrai pote », sourit-il paisiblement, la gratitude nettement perceptible sur son beau visage. Loin de se douter qu’il emploierait le mot « pote » quelques mois plus tard, dans une pièce lugubre de prison, avec toute l’ironie du monde à l’encontre de celui qui avait passé une éternité à panser chacun de ses petits bobos. Milo referma les yeux, épuisé et prêt à se rendormir. Mais avant de retomber une nouvelle fois dans les bras de Morphée, il souffla d’une voix endormie, ou perçait une pointe de colère paresseuse : « Ce sale con, si je le retrouve, je le tue. J’laisserai personne te parler comme ça. » Et, sur ces belles paroles, le voilà profondément endormi.

Un soupçon de curiosité teintait le regard de Milo alors qu’il regardait Inko continuer à s’affairer, visiblement toujours à la recherche de dieu sait quel objet. Les mains jointes sur la table, légèrement penché en avant, le trafiquant fronçait les sourcils, manifestement perplexe. Il s’apprêta à se laisser retomber une nouvelle fois en arrière en soupirant lorsqu’Inko sembla faire chou blanc, à en juger par le flot de jurons qui s’échappèrent à voix basse de sa bouche, mais il fut coupé net par un geste pour le moins surprenant – voilà que l’écrivain s’emparait de sa main moite, pratiquement avec l’énergie du désespoir. Fronçant les sourcils, Milo s’apprêta à retirer sa main d’un geste vif, mais il réalisa bien vite qu’Inko avait une idée derrière la tête et, pris de court, il resta donc immobile. Il sentit de petits objets tomber de la main d’Inko dans sa paume, et, sans même avoir besoin de les voir, sut instantanément de quoi il s’agissait. Toujours comme tétanisé, il resta dans cette position quelques secondes de plus, écoutant d’un air mauvais la supplique de celui qu’il avait considéré comme son ami. Une nouvelle fois, il fut frappé par le caractère tremblant, presque faible, de sa voix – mais, plus encore, il fut frappé par le contenu de ses propos, et par un mot, en particulier. L’étrange sort auquel il semblait avoir été soumis et qui l’avait maintenu parfaitement immobile fut levé lorsqu’Inko retira sa main de la sienne, rappelé à l’ordre par le garde qui était déjà retourné à la lecture de son journal, et Milo, à son tour, retira sa main pour la poser sur le bord de la table. Si c’était possible, son regard était encore plus noir que quelques instants auparavant. Et là où la voix d’Inko s’était montrée incertaine et étranglée, celle de Milo, au contraire, était calme, sûre d’elle, mais surtout, lourde de hargne. « N’ose même pas me parler de loyauté. Entre toi et moi, y a qu’un type loyal, et laisse-moi te dire que c’est clairement pas celui habillé en civil. » Ses yeux se plissèrent légèrement, sa lèvre inférieure se mit à trembler de colère, mais lorsqu’il poursuivit, ce fut toujours avec cette voix calme et glaciale. « Le type loyal, c’est celui qui aurait pas sourcillé devant la vérité et qui aurait fait avec, quitte à devoir chercher une solution pas évidente, parce que c’est comme ça que ça marche, la loyauté. Toi, t’as juste paniqué à l’idée que j’te renvoie vers la pharmacie de ton putain d’hôpital », siffla-t-il, impitoyable. En une phrase, il venait de réduire l’attachement d’Inko à son égard aux médicaments qu’il lui fournissait, lui signifiant clairement qu’il ne croyait plus un instant à l’amitié que l’écrivain avait prétendu lui témoigner. Mais il ne pouvait faire autrement – il était estomaqué, choqué par le peu de confiance qu’Inko lui avait apparemment accordée alors que lui s’en était remis à lui sans demi-mesure dès lors qu’il avait mis de côté sa méfiance première. Il s’était montré tel qu’il était à son ami, sans jamais prendre de gants, sans jamais chercher à enjoliver la réalité lorsque celle-ci était moche, ni à dissimuler des éléments dont il n’était pas fier. Certains de ses secrets les plus sombres et les plus jalousement gardés, il les lui avait confiés au décours d’une soirée passée à se défoncer ensemble. Il avait toujours été lui-même, sans filtre et sans détours, et était, naïvement, parti du principe qu’Inko en avait fait autant. De savoir qu’il s’était abstenu de lui dire la vérité de crainte de le voir lui tourner le dos était presque insultant. Pas un instant, Milo ne parvenait à imaginer que l’on pût croire cela de lui, après ces mois qui témoignaient clairement de la sincérité et de la profondeur des liens qu’il avait tissés avec Inko. Jamais il ne l’aurait repoussé pour une raison aussi futile. Bien évidemment, il n’aurait pas été ravi d’apprendre l’occupation principale de l’écrivain. Mais il aurait trouvé un moyen de contourner la difficulté de la situation, comme il le faisait à chaque fois qu’une relation qui lui tenait à cœur rencontrait un obstacle notable. Des solutions, il y en avait toujours – alors que de vrais amis, sur qui l’on pouvait compter jour et nuit, ce n’était pas la denrée la plus abondante en ce bas monde. Milo aurait fait le nécessaire, comme toujours – après tout, si Inko était parvenu à trouver un ami en une personne dont le gagne-pain consistait à profiter de la faiblesse de personnes fragilisées par leur toxicomanie, la moindre des choses était de lui rendre la pareille. Mais, visiblement, ce qui était évident aux yeux de Miles ne l’était pas aux yeux de son interlocuteur.

Il baissa le regard sur sa main, qu’il entrouvrit imperceptiblement pour y reconnaître une poignée de gélules d’oxycodone. Exactement ce dont il avait besoin en ce moment – mais, s’il hésita pendant une grosse seconde, il ne lui fallut pas plus longtemps pour décider qu’il n’en voulait pas. D’une part, parce que le fait de traverser ce sevrage lui avait fait réaliser qu’il avait laissé la situation s’envenimer bien plus qu’il ne l’aurait voulu, et qu’il était grand temps de retrouver le chemin qu’il avait décidé de suivre pour Carmen, loin de toutes ces crasses. Si pour cela, il devait traverser l’enfer du sevrage sans rien pour l’y aider, ainsi soit-il. Quand bien même il rêvait plus que tout du bien-être que lui procurerait une de ces pilules, il ne pouvait se résoudre à rechuter une nouvelle fois. Et surtout pas à cause de, ou grâce à, Inko. C’était là la deuxième raison qui motiva son refus – l’idée d’accepter l’aide d’Inko était tout bonnement inenvisageable pour le dealer à l’orgueil déjà considérablement piétiné, mais toujours trop vif pour s’abaisser à faire l’objet de la charité de quiconque, et encore moins celui qui l’avait trahi sur toute la ligne. Non, même couvert de sueur et le teint parchemineux, il avait encore trop de fierté pour cela. Milo s’assura donc de ce que le garde ne les regardât pas pour s’emparer à son tour de la main de son interlocuteur, dans laquelle il laissa à son tour tomber les pilules. « Garde ça. J’en veux pas. Et surtout, garde ta pitié, j’en veux encore moins », cracha-t-il, avant de retirer sa main d’un geste vif. « Et ton but c’est quoi, au juste ? Qu’on me chope avec des pilules et qu’on me rajoute un nouveau chef d’accusation au cas où j’en avais pas déjà assez sur le dos ? », ironisa-t-il sans aucune joie en recroisant les bras. À vrai dire, les ennuis que lui attirerait le fait d’être coincé en possession de comprimés qu’il n’avait pas le droit d’avoir ne l’inquiétaient que modérément – il aurait trouvé un moyen de les planquer, s’il les avait vraiment voulus. Mais pour Milo, avare d’épanchements émotionnels, cette précision était bien plus facile à fournir que de confier la franche terreur que lui inspirait l’idée d’avoir rechuté pour de bon, ou d’admettre combien il se sentait humilié et amoindri en cet instant.
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Oh the truth hurts and lies worse
@Miles Cooper & Inko Shedir


Appa. Papa. La légende veut que ce petit mot dissyllabique, aurait été le tout premier que babilla petit Inko, à l’aube des années quatre-vingt dix. Un petit terme gazouillé dans une large et franche risette encore dépourvue de dents. A l’arrière-boutique d’une épicerie de quartier. Alors que pendant ce temps là, Madonna Voguait, Janet Jackson nous conviait à une Escapade, Demi Moore et Patrick Swayze s’adonnaient à la poterie et Will Smith se faisait sacrer Prince de Bel-Air. Légende étant, vous l’aurez compris, une métaphore pour faire allusion à celle qui donna la vie à celui ignorant qu’il est pourtant sur le papier, l’unique héritier au second degré du Kraken financier qu’était Shed & Co. Entreprise et vaste empire industriel, étant parvenue à s’arroger au fil des années le quasi monopole sur le secteur immobilier, de toute la côte est des Etats-Unis. Un accomplissement verbal que la fierté à son papa, réalisa avec quelques mois d’avance sur la moyenne de l’ensemble des autres petits bambins. Haut comme trois pommes et les couches même pas sèches, que déjà il fallait qu’il fasse tout mieux et avant tout le monde. Un point de détail qui eut toute son importance aux yeux de l’intrusive, pour ne pas dire abusive, mère du petit prodige à l’incroyable qualité d’éveil.

Bien qu’elle ne l’avouera jamais, il est plus que probable qu’en son for intérieur, l’opiniâtre matriarche aurait préféré que le tout premier pépiement de sa petite merveille eût été « Maman ». Ainsi, son bonheur aurait parachevé d’être total et complet. Qu’à cela ne tienne, ce haut fait ne manqua pas d’enorgueillir la triomphante femme, qui ne ratait jamais une occasion pour se pâmer devant qui voulait bien l’entendre, des prouesses du fruit de ses entrailles. Dieu seul sait combien d’oreilles elle a rebattues, en se targuant et se glorifiant d’avoir enfanté, de ce qu’elle croit dur comme faire être « le plus brillant et bel être qu’il n’ait jamais existé depuis le commencement de la création ». Un leitmotiv récurant, dont finit par se convaincre l’être en question, et auquel il eut le droit à de nombreuses reprises dans sa prime jeunesse. Madame Shedir se plaisait en effet à porter aux nues et dresser un inventaire à la Prévert des exploits de son rejeton, chaque fois que ce dernier faisait preuve de modestie, hésitait, doutait ou visait, selon elle, bien en dessous de ses prétentions et ses capacités. Quand on connaît aujourd’hui la personnalité et le caractère de la sommité en matière de médecine légale, force est de constater que le modelage et façonnage de sa génitrice sont loin d’y être étrangers.

Comme dit l’adage, la pomme ne tombe jamais très loin de l’arbre. Rien de bien surprenant. On n’a rarement vu des chiens faire des chats. Même si en cet instant, où il ressemblait à un bébé chiot à qui l’on aurait donné un coup de journal sur le museau pour s’être allégrement soulagé sur le tapis persan du salon, cela pouvait paraître difficile à croire ; il ne fallait absolument pas s’y fier. En dépit des apparences actuelles, Inko était bel et bien fait de ce même bois maternel arrogant, narcissique et présomptueux. Quiconque le rencontrait pour la première fois, et n’ayant donc pas connaissance de tout les éléments factuels de son histoire, pouvait être en droit de penser que « je » fut le premier terme que bafouilla le sémillant Docteur alors qu’il n’était même pas en âge de gambader, tant il n’avait en permanence que ce mot là à la bouche. Nul doute cependant que la marque des nombrilistes, vint très vite s’écussonner au vocabulaire de « l’indien dans la ville ». Lui qui était toujours dans les pattes de son appa. S’accrochant à son mollet tel un koala à son arbre, alors qu’il trimait pour faire tourner l’épicerie familiale.

Avec maman, ce n’était pas vraiment le même son de cloche. S’il est possible de s’exprimer ainsi, disons qu’elle avait le rôle « du mauvais flic ». Nonobstant qu’elle fut fendue d’admiration devant son fils, la mère du médecin ne sauvant aucune vie, tenait à ce que son enfant marche droit dès son plus jeune âge. Rigueur, assiduité, discipline et beaucoup d’application dans le travail scolaire, qui se poursuivait bien souvent après l’école à la maison. Une maman tigre dans toute sa splendeur, et conforme à l’archétype habitant l’imaginaire populaire. Ancienne fille de ayant renoncé au luxe de sa tour d’ivoire par amour, la paria des Shedir savait pertinemment que pour exister dans ce monde, il fallait s’en donner les moyens et être le meilleur dans tout les domaines. La femme pragmatique au sens de la survie et la débrouillardise aiguisé, entretenait le secret espoir qu’un jour peut-être, son dieu vivant s’élèverait, deviendrait quelqu’un et aurait le droit aux somptuosités de l’Eden dont elle avait été chassée jadis. Les pieds sur terre et le sérieux du scientifique. Bien sûr qu’il y avait de l’amour. Et bien sûr qu’il y avait de la tendresse. Seulement, les témoignages d’affection maternels n’étaient pas vraiment naturels et spontanés.

Ils venaient toujours en guise de récompense pour quelque chose accompli de main de maître. Un peu comme le sucre que l’on donne à un chien de concours, pour le congratuler d’avoir brillamment exécuté un tour. Tactique payante. D’autant plus quand on sait qu’outre les opioïdes, Inko se révèle être un homme carburant à l’émotivité et en perpétuelle insécurité affective. Cette corde sensible n’échappa en rien à la tenace mère, qui n’hésita pas à pincer et tirer sans vergogne dessus, chaque fois qu’elle souhaitait que son virtuose se dépasse et se transcende. Un système et une manière de procéder très efficace, mais qui n’était toutefois pas exempt d’une certaine forme de cruauté et … d’un petit côté pervers et malsain également. C’était là sans conteste, la part d’ombre et de vice qu’abritait cette femme très princière, racée et au charisme intrinsèque. Pour appa, l’amour ne connaissait pas de quota, de limite et n’était en rien une monnaie d’échange servant à rétribuer quelque action, le plus souvent ardue et complexe pour un bambin en si bas âge, menée à bien avec maestria. Quand bien même était-il occis par la fatigue, après toute une journée de travail qui avait commencé bien tôt et fini affreusement tard, il trouvait toujours la force nécessaire pour consacrer du temps à l’unique trésor dont il était riche.

Le plus souvent juste avant l’heure du dîner, quand maman faisait la caisse et s’occupait de quelques formalités. Ainsi tournait le petit commerce familiale. Madame s’occupait de tout le volet administratif, financier et chapeautait l’intendance, tandis que Monsieur gérait la partie commerciale, le relationnel avec les clients et la manutention. Rares étaient les instants en journée, où il pouvait accorder à sa progéniture toute l’attention qu’elle lui réclamait. Alors quand les stores du magasin tombaient, ces poignées de minutes où il était pleinement disponible pour son fils devinrent très vite pour l’époux de la chef de famille, un rituel quotidien sacré. Le garçonnet montait sur les pieds de son paternel qui s’amusait à le faire danser, ou à tenter de le faire gentiment tomber à la manière d’un doux run de rodéo, en allongeant les enjambées. Il touchait les nuages et déployait ses petites ailes de toute leur frêle envergure en riant aux éclats, quand son héros le portait à bout de bras et le faisait tournoyer toujours plus vite. Si le jour n’avait pas complètement décliné, et qu’il était parvenu à fermer plus tôt, Monsieur Amritaj se rendait volontiers avec la chair de sa chair au parc situé à quelques rues en amont de là où ils vivaient tous.

Là-bas, petit Inko faisait de la balançoire et rigolait à s’en décrocher la mâchoire, tandis que papa poule poussait son poussin dans le dos afin qu’il aille toujours plus haut. Il lui apprit aussi à faire du vélo sans les petites roues. Soigna ses genoux écorchés et ses coudes égratignés, résultant de ses premiers gadins. Et quand vint le soir, il lui racontait à la manière d’un fabuleux conteur, mille-et-une fables et légendes de la mythologie hindoue, juste avant que le futur écrivain ne ferme ses petits yeux, encore noisette à l’époque, et ne s’endorme au pays de Krishna, des éléphants, des épices colorées, des saris chamarrés, des fakirs, des charmeurs de serpent et des temples millénaires. La sensibilité et l’âme rêveuse du littéraire. Etre fils unique et avoir été traité comme un Maharaja appelé un jour à régner, expliquait probablement pourquoi dans neuf cas sur dix, les prises de parole de ce grand phobique comportaient au minimum une occurrence du pronom « Je ». « Tu » semblait être une bizarrerie, voire une grossièreté, bannie et excommuniée de son vocabulaire. Il fallait vraiment qu’autrui soit au plus mal ou réalise quelque chose de sensationnel, pour que l’ogre d’égoïsme qu’était le romancier daigne enfin lever le nez de son nombril et cesse de monopoliser l’espace ou de vampiriser l’attention.

Quant à nous … eh bien, Monsieur cent-soixante cinq de QI ignorait ce à quoi cela pouvait bien ressembler, pour la simple et bonne raison, qu’il n’avait jusque là jamais trouvé de tu ayant les nerfs suffisamment solides, pour le supporter lui et le mastodonte qu’était son je. Tout bien considéré, peut-être pas. Il y eut bien ces quelques années en faculté de médecine à Columbia. Ces quelques années où il rencontra un être qui lui paru irréel, tant elle était parfaite. Une belle aux yeux turquoise, dont le forçat de travail estimait ne pas mériter l’amour. Chaque jour, il se demandait ce qu’il avait bien pu faire de si extraordinaire, pour mériter qu’une femme aussi exceptionnelle entre dans sa vie. Oui, à cette époque, l’homme incollable sur les ossements et viscères humains qu’il était déjà, se risqua et se hasarda à bafouiller timidement ce nous, auquel tout à chacun aspire. Néanmoins, ce mot lui laissa un goût amer en bouche quand la fin fut venue. Alors, le brun ayant la métaphore facile calfeutra et condamna ces reliquats d’un bonheur pluriel, avant de les enfouir au plus profond de lui dans le cimetière des passions disparues. S’en était suivi une longue traversée d’un aride erg, ponctuée par une alternance entre des oasis luxuriantes et des mirages illusoires.

Et puis, il y eut cette rencontre avec Milo. Une rencontre qui alla bien au-delà, de tout ce que son misérable cerveau de camé, obnubilé et parasité par les affres de la fosse abyssale du manque, avait pu imaginer. Encore aujourd’hui, il serait incapable de décrire et expliciter ce bien curieux phénomène qui se produisit en lui, la toute première fois qu’il aborda le trafiquant. A vrai dire, cette saugrenuité sévissait invariablement, à chaque fois qu’Inko se trouvait en présence du vigoureux receleur de narcotiques à la belle tignasse d’obsidienne. C’était comme … comme s’il traversait le miroir et voyait ce qui l’entoure de manière radicalement différente et inédite. Je paraissait soudain n’être qu’un sombre con insignifiant, ne méritant pas deux sous d’intérêt et tu … . Tu prenait les traits de l’entité la plus fascinante, envoûtante et captivante qui n’ait jamais foulé cette terre. Tu était cet être fabuleux, auquel le sang mêlé pouvait rester pendu aux lèvres durant des heures. Recueillant fébrilement et dans une extrême délicatesse le moindre mot qui s’en échappait, et les conservant précieusement dans sa tête et dans son cœur, comme s’il s’agissait de gemmes ou pierres précieuses inestimables.

L’Oxycodone pratiquant était, et reste à ce jour, l’unique personne en compagnie de qui le chapardeur en milieu hospitalier fut sujet à cet étrange état. Quelque chose qui n’était en rien comparable, à tout ce qui lui eut été donné de connaître. Pas même à toutes ces innombrables déclinaisons de défonce qu’il avait pu expérimenter. Et Dieu sait pourtant qu’elles étaient nombreuses. Cela ressemblait à une sorte d’hypnose onirique. Une douce transe éthérée. Une torpeur aux accents fantasmagoriques. Une suave léthargie que les sirènes de la plénitude s’affairaient à maintenir éveillée. Jamais le vaniteux lion ayant poussé son premier rugissement au mois d’août, n’avait auparavant fait à ce point passer un autre individu avant sa petite personne. Pire encore, ou mieux tout dépend, il en arrivait même à se reléguer au second plan, voire à se négliger. Sitôt qu’il se trouvait au côté du dealer, il devenait l’unique chose qui importait. Lui ne comptait plus. Milo avait la priorité sur tout. Droit sur tout. Son éléphantesque égo de médecin adorant s’écouter parler, se résumait à la taille d’un pépin de pomme à la seconde que le titan brun était là et que son regard de suie se posait sur lui.

En un clin d’œil, le séditieux auteur parvenait à totalement s’oublier au profit de son ami. Preuve en était en ce moment même. Probablement la dernière fois hélas. Songea-t-il. Une fois de plus, Inko venait de tout gâcher en signant l’arrêt de mort de leur amitié. Tout cela parce qu’il avait été trop lâche et couard. Pour livrer et servir la vérité. Celle qui blesse. Celle qui fait mal. A dire et à entendre. Celle qui fâche, divise et éloigne. Celle dont les incidences effraient, terrorisent et épouvantent. Celle que l’on se doit de sortir un jour ou l’autre. Enfin. Elle venait enfin d’éclater au grand au jour. Malheureusement, c’était déjà trop tard. Son unique havre de paix dans ce monde de bruit et de fureur, lui signifia implicitement de manière revêche et avec fin de non recevoir, qu’ils venaient de franchir le Rubicon. Que plus jamais il ne voudrait avoir quoi que ce soit à voir avec ce salaud, n’ayant pas eu le cran d’évoluer sans masque. Ni même entendre parler de lui d’une façon ou d’une autre. Oui, tout cela avait été dit. Entre les lignes et dans les silences. Ces silences que l’amateur de la provoque savait à la perfection décrypter et interpréter. Ce fut de loin ce qu’il y eut de plus douloureux pour le visiteur. Les silences et les regards inquisiteurs du détenu, aux prises avec la torture du manque de psychotropes dans les veines et les neurotransmetteurs du cerveau.

Le beau parleur fit face à sa plus grande hantise : il venait de le perdre. Ce bien amer constat lui donna l’impression que ses entrailles passaient en mode essorage dans le tambour d’une machine à laver. A cet instant très précis, l’homme au bagout d’ordinaire si prolixe, eut émotionnellement parlant la maturité d’un gosse, à qui l’on confisquerait son doudou. Il n’avait dorénavant plus que ses grands yeux sombres pour pleurer. Pleurer les kilomètres de distance qu’apposait cet homme, qui était rentré dans sa vie de façon retentissante et … et avec qui il se plaisait secrètement à raviver et envisager de nouveau nous. Cette pensée, que certains jugeront honteuse et contre-nature, avait effleuré l’esprit du Docteur pour qui les dépouilles humaines n’avait aucun mystère, un nombre incalculable de fois. Prétendre le contraire aurait été mentir. Une fois encore. En parler ? Avouer à Milo qu’il était légiste et travaillait à l’occasion en tandem avec la police lui avait déjà paru être une montagne infranchissable. Alors vous pensez bien que cela n’allait pas être demain la veille, qu’il oserait admettre éprouver plus que des sentiments amicaux envers lui. Refouler dans les tréfonds de son subconscient ces vaines chimères inavouables et ridicules.

C’était ce qu’il y avait de mieux à faire. Et ce fut certainement ce que le métis névrosé fit de mieux, durant tout ce temps où il eut l’indéfinissable privilège, de connaître l’homme au teint livide et maladif qui lui faisait face. De toute manière, c’était tout bonnement impossible. Parce que Miles Cooper disait déjà nous. Et ce depuis bien longtemps. Avec elle. Elle qui n’avait pour ainsi dire jamais porté, le meilleur ami de l’homme dont elle partageait la vie, dans son cœur. Ce dernier le lui rendait bien d’ailleurs. Croulant sous les ruines du chaos, Inko en arrivait à se dire que c’était peut-être elle qui avait raison en fin de compte. Peut-être qu’il n’était finalement qu’un parasite ponctionnant toutes les forces de son infortuné hôte. Un cancer incurable qui se propageait encore plus vite que la peste ou une gangrène. Un véritable déchet de l’espèce humaine. Tandis qu’il continuait à passer, en vain, en revue le contenu de ses poches, l’écrivain au style fleurant bon le souffre se figea au moment où le gaillard siégeant de l’autre côté de la table et transpirant à gros bouillon, ironisa sur un ton acerbe quant au fait que son vis-à-vis puisse être la personne en charge de l’autopsie du macchabée, dont on l’accusait d’avoir une part immense de responsabilité dans la mort.

Le docteur à la barbe hirsute et déstructurée se contenta pour toute réponse, de plisser les lèvres et de produire un son de bouche ressemblant à s’y méprendre au couinement d’un chiffon humide que l’on passerait sur une vitre crasseuse. Ce qui, dans leur langage silencieux dont ils étaient les uniques garants du code et de la transcription, équivalait plus ou moins à un : « Bah alors là, tu ne crois pas si bien dire … . ». Apparemment, et à en juger par la réaction du trafiquant tremblotant aux yeux ornés de cernes violacées qui tuaient la divine teinte de ses iris, le message semblait avoir été reçu cinq sur cinq. Une missive qui, si pour une fois dans sa vie le médecin avait fait les choses en bonne et due forme, aurait dû être remise et délivrée à son destinataire depuis fort longtemps déjà. Malheureusement, et à plus forte raison lorsqu’il s’agissait du relationnel et des rapports avec ses semblables, le praticien exerçant sur des patients froids comme des blocs de glace paraissait incapable de faire les choses bien. L’idée et l’intention étaient bonnes ; le timing en revanche, beaucoup moins. Même s’il n’y a jamais de moment opportun pour un tel aveu, le mieux aurait indéniablement été de le formuler il y a quelques mois de cela.

Ce fameux matin où Milo se réveilla tout contusionné et le corps perclus de douleur sur le canapé de son ami, ayant joué au pied levé le rôle d’infirmier personnel aux petits soins. C’était là qu’il aurait dû lui dire. Au moment où il s’était précipité vers lui, à la seconde où il émergea de son sommeil. Sitôt qu’il eut repris ses esprits. Mais au lieu de cela, Inko se contenta de sourire béatement, suite à la remarque ponctuée d’un petit trait d’esprit du blessé. Un alliage de joie et de soulagement fit pétiller les ténèbres au fond de ses yeux. Comme si le contrebandier venait de réchapper à un profond coma, après avoir livré un âpre bras de fer contre la mort. Grotesque ? Oui, certainement. D’autant, plus que le Docteur au carrée, savait pertinemment que le pronostic vital de l’apollon allongé, n’était en rien engagé. Hormis quelques douleurs musculaires et osseuses cuisantes, qui seraient vite palliées pour quelqu’un comme lui ayant open bar sur des terrils d’analgésiques, le pire était à présent passé. L’armoire à pharmacie au torse pansé et momifié par de nombreux bandages, offrit même à l’un de ses plus fervents client, une chance extraordinaire d’enfin lever le voile sur ce secret qui commençait à sérieusement lui peser.  

L’homme à la lèvre inférieure boursouflée et à l’œil chocolat autour duquel s’établit un coquard tirant sur l’aubergine, tendit à son aîné de quelques mois une perche sur mesure qui aurait évité bien des coups de sangs et des ressentiments s’il s’en était emparé. Il hésita. A ôter le loup sur son nez. Durant un court laps de temps. La peur du rejet et de l’éloignement de son soleil l’emporta finalement. Et il fit le mauvais choix. Celui de repousser cette perche et de s’obstiner à nager à contre courant en ces eaux profondes, où à tout instant il pouvait boire la tasse et se noyer pour une éternité. Tel un chat habile, le barbu basané retomba aisément sur ses pattes et banalisa la chose en ayant recours à l’humour. Un art dans lequel il était devenu maître au fil des années. Dans un bref éclat de rire, il rétorqua qu’il se pourrait que toutes ces années passées à regarder « ce branleur de George Clooney jouer au Docteur Miracle », n’avait peut-être pas servi à rien tout compte fait. L’expression amusée du pilulier de la Grosse Pomme, se fendit une grimace lorsqu’un spasme de rire secoua plus qu’il ne le fallait ses côtes endolories. Instinctivement, l’écrivain pour qui la nuit fut des plus productives, se hâta d’aller chercher la sainte Oxycodone, sommeillant dans le blouson de celui qui essayait de réguler sa consommation de stupéfiants par amour, afin d’apaiser les élancements qui le tiraillaient.

Les paroles qui s’envolèrent dans un murmure étouffé, firent s’immobiliser instantanément l’homme d’ici et d’ailleurs, dans sa quête du remède susceptible de faire taire le mal torturant Milo. Il réalisa soudain que ce fut la toute première fois, que quelqu’un se risqua à prendre ouvertement et avec autant de ferveur sa défense. Lui qui jusqu’à présent avait fait face seul, et du mieux qu’il put, à la violace tant physique que verbale. Lui qui toute sa vie n’avait été que la piñata sur laquelle on frappait de bon cœur encore et encore. Le défouloir sur lequel on pouvait joyeusement cracher son venin. Inko déglutit difficilement et dut fermer les paupières en se concentrant quelques secondes sur sa respiration, afin de ne pas se transformer en torrent lacrymale et perdre la face. L’objet de sa quête enfin en sa possession, le légiste découvrit qu’il arriva après la bataille. Son tout était déjà reparti pour un doux séjour au pays d’Hypnos. Abandonnant le tube orangé translucide sur la table basse, le J.K Rowling indien s’agenouilla à côté de la personnification de Zack. Anxieusement, il leva la main, s’interrompit, gambergea, se ravisa puis se permit finalement de rabattre délicatement une mèche de cheveux, qui pendait sur le front par endroits moite du toxicomane qui s’évertuait à s’assagir pour elle.

Sourire saupoudré de tristesse aux lèvres, celui qui couchait comme on éternuait susurra et conjura le bel endormi de ne jamais rien dire ou faire pour lui, qu’il pourrait être amené à regretter un jour ou l’autre. Puis, il se releva lentement et partit se poster devant la baie vitrée donnant sur le petit balcon. Les prunelles ancrées sur les couleurs de l’aube drapant New-York la majestueuse, le médecin sans ordonnancier passa une main sur son minois éreinté et soupira à en faire pleurer les anges. Conscient que cette comédie n’avait que trop durée et qu’il fallait à tout prix qu’il y mette un terme. Il y était désormais. Le décor s’était écroulé. L’acteur n’avait plus rien à jouer. Le rideau s’était baissé. Son sort n’était plus entre ses mains désormais. Il appartenait à la critique. Critique qui se révéla venimeuse et assassine envers la petitesse de son jeu. Confus, le brun que l’on alpaguait dans la rue à grand renfort de Rajeev, ne put qu’encaisser les scories verbales de Milo, en mirant le formica de la table et rentrant la tête dans les épaules. Il avait raison sur toute la ligne. Le dealer avait été d’une loyauté sans faille, tandis que l’éminence en anthropologie ... n’avait été qu’un lâche.

Tout juste bon à se défiler et se cacher derrière un personnage, qui devint petit à petit une geôle dont il finit par ne plus savoir comment s’en extraire. Quand les coups de semonces oraux cessèrent, le menteur par omission trouva il ne-sait-où la force de relever la tête. Les larmes et le cœur au bord des yeux, le romancier aux quelques deux cent millions d’exemplaires vendus aux quatre coin du monde, se transforma en petit garçon désespérant que l’on entende sa voix dans la cacophonie ambiante. « Mais c’est faux … ! T-tu sais très bien que je te choisirai toujours et quoi qu’il advienne, à toutes les dopes de la terre. Je peux vivre sans toutes ces merdes, mais une vie sans toi … une vie sans mon ami … sans tout ce que l’on a partagé : ça, c’est au-dessus de mes forces. Je … je ne tiendrai pas si tu n’es pas là. Crois bien que j’ai voulu t’en parler plus d’une fois, mais ... j’avais peur. Que tu t’en ailles. Que tu m’évites. Et que tu finisses par couper tout contact avec moi. Jamais je n’ai parlé de toi. Ni ne t’ai balancé ou ai cherché à te faire tomber. », déclara-t-il les yeux embrumés de strass lacrymaux. Sa voix d’habitude chaude et suave oscillait et semblait être annonciatrice de sanglots. Inko fut contraint de marquer plusieurs temps d’arrêt, afin de ne pas se déchirer en un hurlement de loup agonie.

Comment pouvait-il faire ? Comment redevenir audible ? Comment lui faire comprendre ? Comment lui dire ? Lui qui avait la fatuité de se prétendre être un maître en toute chose, se heurtait à une muraille de « je ne sais pas ». Quatre mots qui n’étaient absolument pas monnaie courante, dans la bouche du coroner qui dans sa modestie légendaire, se glorifiait de détenir un savoir encyclopédique. A aucun moment dans sa scolarité exemplaire et ses études forçant l’admiration, il n’avait eu de leçon ou de cours en ce domaine. Il ne se rappelait pas non plus avoir lu quoi que ce soit de tel, dans toute la flopée de bouquins abscons qu’il avait potassé. Oui, en amitié, le Docteur Shedir méritait une bulle. Le brun à la carnation ocrée était en passe de s’en convaincre, jusqu’à ce qu’il sente le contact de l’épiderme en fusion de la main en sueur de Milo, s’emparer de sa senestre. Aussitôt, le palpitant du claustrophobe se mit à faire des loopings tout contre sa cage-thoracique. Un brin d’audace retrouvé, il contempla le visage fermé et affreusement blême de son congénère camé. Ce mirifique visage, qui sans le traditionnel sourire l’égayant, devenait d’une férocité presque animale. Ce petit geste fit germer chez le toxico en blouse blanche un minuscule embryon d’espoir.

Cependant, cet espoir avorta à l’instant où la paume du D.H Lawrence des temps modernes, se vit sertit des petites perles chimiques, qu’il venait d’enchâsser dans celle du matricule D782931 un peu plus tôt. C’était officiel : Milo ne voulait plus rien de lui. Ses mots vinrent étayer, cette bien houleuse constatation qui fit de nouveau tourner le cœur d’Inko au ralenti. Le poing serré, il profita du laxisme dans la surveillance du maton pour fourrer les hosties favorites de son ami, dans la poche de sa veste en jean. « Je voulais simplement t’aider, mais … je fais tout de travers. », bégaya-t-il lamentablement d’une voix qui se mourut dans un decrescendo pathétique. Une énième fois, l’auteur à l’esprit Rabutin inclina le chef. Cette fois-ci, il ne pouvait plus. Retenir. Contenir. Refréner. Elles coulaient. Dans une silence monacale. Sans faire tressaillir son buste mou, affaissé et sans vigueur. Ne tenant qu’à un fil à ses cils. Elles creusèrent leur sillons sur ses pommette. Puis vinrent s’emprisonner et mourir dans son épaisse barbe de méridional. Tels des monolithes séculaires accrochés à ses paupières par des filins d’aciers, elles le contraignirent à demeurer ainsi. Le front en berne.

C’était donc ainsi que leur amitié, jugée inconditionnelle et inestimable aux yeux souillés de rosée salée du multi-doctorant, allait rendre l’âme ? Avec ces quatre murs de béton bruts, dépouillés et austères pour sanctuaire. Sans hommage, flonflons, cérémonie et Marche Funèbre de Chopin. Dans le silence et l’indifférence la plus complète. Si cela ne tenait qu’à lui, l’addict au Fentanyl aurait tout tenté pour sauver cette patiente qu’était leur fraternité. Il se serait agité et démené au-dessus de ce gisant fluet tel un damné, en prodiguant un énergique massage cardiaque afin qu’elle demeure à jamais en ce monde. Hélas, son co-décisionnaire n’était pas de cet avis. Lui avait refusé l’acharnement thérapeutique. Il souhaitait que leur complicité soit débranchée de tout ces appareillages, qui s’évertuait à la maintenir vivante, et qu’elle s’en aille. Sans doute était-ce là une fin trop douce et lente pour le futur prévenu, pourvu d’yeux dans lesquels il faudrait être fou pour ne pas souhaiter s’y noyer. Sans doute aurait-il souhaité une méthode plus rapide et expéditive, telle que l’euthanasie. Bien que cela le foudroya sur place, la boule d’émotivité sur pattes se rangea la mort dans l’âme, à la volonté de l’homme à la ligne d’épaules aux somptueuses proportions.

Il avait beau être un monstre d’égoïsme et un détestable narcissique, il ne se sentit pas la force de contredire et de tenter de rallier le captif à son blanc panache, en déployant tout un arsenal d’arguments très convaincants et persuasifs. C’était Tu. Et ce Tu passait, et passerait toujours sempiternellement avant Je. Qui était-il pour s’arroger le droit d’avoir le dernier mot dans une situation pareille ? Personne. Seule l’opinion du plus grand, tant par la taille que par la beauté de l’âme, des deux hommes prévalait. A plus forte raison encore dans cette situation, et au regard de tout les récents événements qui s’étaient enchaînés de façon impitoyable. « S’il te plaît … laisse-moi essayer de te sortir d’ici. Après cela … . Je disparaîtrai de ta vie, et plus jamais tu n’entendras parler de moi. Promis. », assura-t-il la voix étrangement ragaillardie, alors que les sequins dans ses yeux continuaient à se déverser sur ses joues, qui ne méritaient rien d’autre qu’une bonne paire de claques. Toujours dans l’incapacité de rehausser la tête, Inko agrippa fermement le tissu de son jean clair dépiécé au niveau des rotules. Autant que faire se put, il tenta de restaurer et consolider ses remparts sévèrement émoussés. En prévision d’une probable future salve de tir à boulets rouges qui serait à essuyer. Car il fallait au moins cela pour éradiquer le parasite qu’il était.                                                                                                                                              
 
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