Ultraviolence _ Roméo

ULTRAVIOLENCE
Shotgun

On est dans c’genre de soirée "in". Un de celle où on se réveille dans l’brouillard le lendemain matin mais avec une certaine fierté d'y avoir participé. The place to be murmurée avec envie sur toutes les lèvres. Celle qui vous assurera d'avoir au moins une anecdote dingue à raconter aux prochaines du même acabit.
En tout cas c’est c’que me vendent les Morgenstern à chaque fois qu’ils veulent m’y amener. D’habitude je joue l’jeu. Courtois, policé, bien léché. Presque aimable. Après tout faut bien la mériter cette manne financière intarissable provenant tout droit des comptes parentaux.  
Tu verras, il y a plein de gens importants à rencontrer Alec…
Pour l’instant c’est surtout le zinc du bar avec qui j’ai fait connaissance.
Discrètement accoudé du côté de l’orchestre – les musiciens sont invisibles hors récital – j’ai bien pris soin d’enquiller l’équivalent d’une demie bouteille de grand cru en les observant. L’dégoût à peine masqué qui me plisse les yeux devant cette classieuse mascarade de retrouvailles entre grands pontes à l’occasion d’une énième vente aux enchères pour une quelconque œuvre de charité. Ça leur donne l’impression d’être miséricordieux avec le p’tit peuple.
Overdose de condescendance pour moi, préfère m’enfoncer dans un réflexe alcoolique afin d’survivre à ces quelques heures de bienséance obligatoire.

L'amertume de la bile m'envahit la gorge. Mon corps s'agite par sa seule volonté, en pilote automatique. Un pas après l'autre. Une respiration après l'autre. Un nauséeux battement de cœur après l'autre.
J'titube sur le sol bien ciré comme un homme ivre. Je suis ivre. Mes prunelles ne saisissent aucun détail des couloirs, aucun trait des visages que j’croise et qui me dévisagent. J’suis  reconnaissant de ne pas parvenir à discerner la pitié qui doit les habiter. J’pue l'alcool à deux mètres et mes fringues initialement tirées à quatre épingles ressemblent davantage à des frusques.
Foutu whisky…

J’vise la poignée du battant dressé devant mon nez. Une fois. Puis deux parce qu’elle danse sacrément cette conne. J’finis par l’abaisser violemment et déboule sur une terrasse plongée dans l’noir.
Merde.
C’était les toilettes que j’cherchais.
Les dalles de béton feront bien l’affaire.
J’secoue la tête en essayant d’aligner deux pas cohérents, me débats avec mon futal et commence à m’soulager contre un mur propret en grognant de satisfaction.
Le claquement de la porte me fait sursauter en entraînant un manque de contrôle flagrant du jet d’urine.
« P’tain ! »
J’remonte maladroitement la braguette en m’retournant vers l’intrus.
Mes yeux manquent de m’sortir des orbites en reconnaissant sa sale gueule. Là tout d’suite j’avais pas forcément besoin d’lui.
«  Saint-Clair… Toujours là au bon moment pour reluquer d’jeunes innocents. C’est du harcèlement ? T’sais qu’tu risques la prison pour des conneries pareilles? »
Tout en déballant mes saloperies j’cale une blonde entre les dents et inspire comme un forcené dessus. Roméo, jeune nantis d’origine, artiste de profession – plutôt doué même si ça m’fait mal de l’dire – et putain d’branleur fini. Il a toujours l’air de traîner toute la misère du monde derrière lui et ça a tendance à légèrement m’porter sur les nerfs. D’habitude j’arrive à m’éviter de l’endurer pendant ces jolies réceptions.
Faut croire que la chance est partie tapiner ailleurs.

camo015