small circumstances produce great events // jaz.

elle était là depuis quelques minutes seulement. ils devaient se rejoindre dans les locaux il y a déjà une bonne demi heure. ils n'était pas là. sûrement déjà dans la grande salle de représentation cinématographique, arthur aurait aimé que son équipe de tournage l'attende avant d'entrer par la grande porte et ne commence à répondre à certaines questions avant la projection d'un épisode hors série de leur émission. il n'était pas dans les habitudes d'arthur d'être à l'heure aux rendez-vous, et cette soirée ne dérogeait pas à la règle. elle avait peur d'avoir l'air stupide en arrivant ainsi seule, une demi-heure après l'horaire d'ouverture. pourtant, il le fallait. elle était la tête d'affiche de cette connerie qu'elle tournait avec toujours peu d'entrain. debout devant la grande porte, elle souffle un coup afin de se donner du courage. une grande inspiration, expiration. elle tousse. son coeur bat à tout rompre, de peur que tous les regards ne se portent sur elle. cette émission n'était pour elle qu'un tremplin vers le grand écran. c'était la première fois qu'elle allait passer au cinéma. et même si ce n'était pas pour un film, c'était mieux que rien. seulement une salle remplie de cons qui aimaient s'abrutir devant quelques personnes dire de la merde à la télévision. elle ne voulait pas y entrer. presque tremblante, elle fait demi tour et passe près de l'accueil devant laquelle elle n'avait pas pris la peine de s'arrêter en entrant. l'endroit avait été vide, à ce moment-là. la personne chargée des billets avait dû s'absenter pour placer les morveux qui allaient assister à la représentation. il était pourtant de retour à son poste. marchant doucement vers lui, elle soupire. « vous vendez de l'alcool dans l'coin ? j'crois que j'ai besoin d'un truc fort. » ses yeux s'arrêtent un instant sur le visage de l'homme qui l'avait regardé en retour. et c'est une zone sensible de son cerveau qui semble cogiter. son visage. ses traits. les mimiques de son faciès. la belle a le coeur qui bondit au fond de sa poitrine.
plissant légèrement les yeux, elle croit rêver. ce n'est qu'un mirage dû au stress. son cerveau lui fait avoir des hallucinations afin qu'elle prenne son courage à deux mains et décide d'entrer dans la salle de cinéma pour répondre aux questions de ses pseudo-fans. certes la plupart était des femmes abruties, et des hommes regardant seulement pour loucher sur ses seins, mais ils restaient son public. elle ose ouvrir les lèvres afin de poursuivre sa lancée, mais elle a peur de faire une gaffe. elle se contente alors de souffler. « jasper ? »

Il travaillait dans le milieu du cinéma. C’était ce qu’il répondait aux inconnus qui lui posaient cette question banale, habituelle mais teintée de mépris. “Vous faites quoi dans la vie?” Il avait honte de dire la vérité. Il aurait voulu être quelqu’un de grand, il aurait aimé pouvoir impressionner les autres, lire l’admiration dans leurs yeux. Mais il n’avait jamais eu le courage ni même l’envie de faire des études, d’entreprendre, de se donner les moyens de réussir professionnellement. Il se considérait voué à l’échec, et ça ne l’intéressait pas de se donner en spectacle et de s’écraser lamentablement. Alors il restait là, à l’entrée de ce cinéma, sans d’autres ambitions. Il s’efforçait d’être aimable, feignait des sourires, se retenait de dévoiler le dénouement des films aux clients insupportables. C’était son quotidien. Ce n’était pas si terrible, ça payait les factures et puis il avait des réductions sur les snacks. Il ne lui en fallait pas plus pour être satisfait. “Vous vendez de l’alcool dans l’coin?J’crois que j’ai besoin d’un truc fort.” Jaz s’affairait derrière le guichet, d’abord trop occupé à vérifier la caisse pour lever les yeux vers la fille qui s’adressait à lui. Sa voix lui semblait familière mais pendant un instant il n’en fit rien et commença à répondre machinalement. “Hum nope, on…” Il redressa la tête et s’arrêta net de parler. Il avait l’impression de rêver. Tant de fois il avait imaginé leurs retrouvailles, imaginé ce qu’il lui dirait, ce qu’il ferait. Il y était, ça y est, et il ne savait plus comment réagir, les mots lui manquaient. “jasper?”  Il sourit d’abord, la joie de la revoir prenant le dessus sur toutes les autres émotions qui le chamboulaient. Il ne savait pas quoi faire. La prendre dans ses bras? Elle était peut-être déçue de le revoir. Elle était partie sans un mot, et il n’avait pas pu s’empêcher de tenter de la suivre. Elle lui avait manqué, terriblement, plus qu’il n’osait l’avouer. “Arthur… Je… T’es vraiment là” Il avait besoin de s’en assurer, de confirmer que ce n’était pas un mirage.

Lorsqu’elle était partie de la demeure familiale, c’était avec un grand regret qu’elle avait quitté son frère. Ses parents ne semblaient pas lui manquer outre mesure, elle ressentait pour eux le respect que l’on doit à sa famille, mais pas un lien particulier formé par des souvenirs inoubliables. Il en était autrement concernant Jasper. Elle avait voulu aller le voir, lui expliquer qu’elle n’avait d’autre choix que de s’en aller. Ils seraient peut-être partis ensemble. Elle aurait échapper aux mois de solitude qu’elle avait endurée avant de faire la belle rencontre de son ange gardien, Hazel. Mais, au dernier moment, sur le chemin la menant chez eux, elle avait fait demi tour. En effet, elle avait eu peur qu’il ne la retienne, qu’il ne lui demande de ne pas partir. Elle ne sait pas comment elle aurait réagit à cela. Elle n’avait pas le choix. Malgré son amour pour Tommy, et l’envie de faire sa vie avec lui, elle devait partir afin d’assurer la longévité de sa carrière d’actrice. Une carrière qu’elle échangerait pourtant avec plaisir, contre un baiser de son ancien amant. Alors, malgré les supplications de Jaz, elle aurait été bien obligée de s’en aller. Sans regarder derrière elle. C’est alors ce qu’elle a fait. Son petit sac sur l’épaule, des idées plein la tête, et la peur collée au coeur. Elle n’avait pas revu Jaz depuis, mais elle pensait souvent à lui. Elle se demandait ce qu’il était devenu, s’il était parvenu à faire une grande carrière, à trouver l’amour, à fonder une famille. Elle ne savait rien de sa vie d’aujourd’hui, et parfois elle s’étonnait d’avoir peur qu’il ne lui soit arrivé quelque chose. Après tout, avec Hazel, elle avait la preuve que tout pouvait bien vite arriver.
Alors, le voir ainsi, derrière le comptoir, à compter quelques billets, Arthur ressentie une joie incommensurable. Il était en vie. Il allait bien. Il ne lui en fallait pas plus pour être au comble du bonheur. Elle ne fait même pas attention à sa réponse concernant l’alcool. Elle s’en moque. Elle n’en a plus besoin. Elle va déjà mieux, grâce à lui. Lorsqu’il relève la tête, et semble la reconnaître, la belle n’en est que plus heureuse encore. Un sourire indémodable peint sur les lèvres. Elle ne demande même pas l’autorisation, elle se moque d’être mise à la porte pour être entrée dans une zone réservée aux employés. De toute manière, elle fait partie du spectacle, elle aura ses arguments pour rester dans les locaux, quoi qu’il arrive. Elle fait le tour du comptoir, et rentre par un minuscule portail dans cette zone. Une flèche. Elle atterrie contre lui. Elle entoure ses bras autour de lui, la tête contre son épaule, les larmes qui menacent de couler, mais qu’elle retient tant qu’elle peut. « J’avais peur de ne plus jamais te revoir. » Elle reste ainsi, profitant de son contact, de son odeur. Lui revient alors des souvenirs olfactifs, d’enfance. Eux, courant, jouant, riant aux éclats. Ils avaient été si proche, des frères et sœurs hors normes. La séparation n’en avait été que plus rude alors. Elle relève la tête afin de le regarder, et se détache peu à peu de lui. Elle ne sait comment réagir complètement. Il doit certainement lui en vouloir de l’avoir ainsi abandonné. « Je suis heureuse de voir que tu vas bien. »