Comme si elle n'avait jamais douté de la beauté du monde (Asteria)

(1) Papa a toujours été fier, il répétait sans cesse que les italiens étaient les plus forts, les plus beaux, qu’ils avaient le sang chaud. Asteria était sa princesse, sa poupée, et sa famille sa plus grande fierté. Oui, Papa il était tellement fier, et son sang tellement chaud, que quand les factures se sont accumulées et que tout s’est effondré il n’a voulu prendre aucune responsabilité. Et lentement le corps de maman s’est recouvert de galaxies bleutées, ses yeux embués ont cessés de briller, et elle a arrêté de chanter. Asteria a grandi, mais la situation empirait sous ses yeux, et impuissante elle a vu sa figure paternelle peu à peu s’effondrer. Jusqu’à ce jour où il a franchi la porte et n’est jamais rentré, les abandonnant brisées et endettées. (2) Maman, elle a essayé. Elle a tenté de cacher sa peine, de cacher les bleus (même ceux de son âme) et elle s’est plongée dans le travail. Asteria a essayé aussi, elle a cherché à travailler à côté du lycée, est devenue vendeuse dans un petit magasin pour aider, mais ça n’a jamais été assez. Asteria elle répare tout, mais elle n’a pas réussi à réparer son cœur brisé. Elle ne se rendait pas compte que les factures n’étaient plus le vrai problème, que la vie de maman devenait sans saveur, et bientôt elle n’avait plus goût à rien, les os de maman apparaissaient quand elle disait qu’elle n’avait pas faim. Elle est devenue fine, puis encore plus fine, tellement fine qu’elle a fini par tout simplement disparaître. (3) Asteria on l’a mise dans une nouvelle famille, comme si ceux qu’elle avait perdu pouvaient être remplacés. Un papa et une maman tout neufs pour une fille qui n’a plus aucun amour à retourner. Elle abandonne le lycée et les esquisses d’études qu’elle avait pu un jour espérer, et commence à sortir tard la nuit, à embrumer son cerveau avec des liqueurs fortes pour tenter, le semblant d’un instant, d’oublier. Elle commence à sortir avec des hommes plus âgés, des hommes qui ne l’aiment pas, qui ne l’aimeront jamais. Elle se noit dans des relations bancales, où elle sait que ses sentiments à elle ne dépasseront pas l’amitié. Elle se promet de ne jamais reproduire le schéma de ses parents, de ne jamais laisser quiconque atteindre son cœur, d’apprendre de ses erreurs. (4) Mais Asteria reste hantée par son passé. Elle comble le vide qui se trouve au fond d’elle en vidant ses placards, elle se remplit de tous les aliments qu’elle trouve jusqu’à se rendre malade et tout régurgiter. Elle n’arrive pas à se contrôler et se retrouve à pleurer de culpabilité, de panique, d’anxiété. Elle voit son poids qui fluctue beaucoup et peine à le cacher, elle commence à s’affamer pour contrebalancer. Et quand son ventre vide se crispe, le souvenir de sa mère plane au-dessus d’elle, et elle se dit qu’elle aura beau tout tenter pour ne pas finir comme elle, son destin à l’air tout tracé. Pour elle tout devient clair ; Si jamais elle laisse à quelqu’un le pouvoir de briser son cœur, elle sait déjà comment l’histoire va se terminer. C’est son plus gros secret, la preuve de sa faiblesse, de ses angoisses ; Personne ne doit savoir ce qu’elle fait. (5) Et puis un jour, le pire est arrivé. Elle l’a aimé comme on s’accroche à une bouée au milieu d’un océan déchainé, il a fait fondre la glace autour de son cœur, franchit toutes les défenses qu’elle avait érigées. Il lui a proposé de lui montrer ce que c’était qu’aimer, et elle a pris peur, elle lui a dit qu’elle ne pouvait pas, s’est raccroché à la seule raison sensée qu’elle a trouvé. « On ne peut pas faire ça à ton frère. Je l’aime, et toi et moi c’était rien qu’une erreur, j’ai déconné. » Comme si elle-même y croyait. Elle a tout fait pour prendre ses distances jusqu’à ce que le destin vienne encore une fois la tourmenter. Accident. (son cœur rate un battement) Il a tout oublié. (crise cardiaque) Même elle. Même eux. (crise de panique). Le peu de stabilité qu’il avait apporté à ses angoisses s’envolent et elle essaye corps et âme de trouver le déclic qui lui fera se rappeler. Un an d’efforts, un an d’espoirs, un an où son état à elle ne fait que s’aggraver, à chaque fille qui entre dans son lit et dans sa mémoire tandis qu’elle en a été effacée. Alors elle a fait ce qu’il y avait de mieux à faire pour elle : oublier tout comme lui ce qu’il s’est passé et refermer son cœur à jamais.