(tw - caliente mujer) you acting kinda shady

Shea a besoin d'être sollicitée, ce soir plus que d'habitude. Et pourtant, elle ne cesse de réajuster son tee-shirt trop court, de repousser les garçons, et filles auxquelles elle ne trouve pas le courage de dire qu'elle veut arrêter - et de regarder Devon qui fait des allers-retours fulminants. Certaines filles sont ouvertement hostiles à la présence d'hommes, arborant une moue hautaine, mais pour Shea, ses regards leur glissent dessus comme s'ils n'étaient rien de plus que des poignées de porte. Aucun d'entre eux ne suscite son attention, et certainement pas de crainte concurrentielle. Elle finit par s'accouder au bar pour observer la piste, et constate qu'en fait, la cohue ne lui est pas désagréable. C'est même exactement le genre de chose dont on peut avoir envie dans un endroit comme celui là. Pour Shea, qui fait un rapide tour d'horizon du bar, l'équation est désespérante : sur quatre cent filles, elle en compte trois cent à peine abordable, quatre vingts quelconques, une centaine pas mal mais qu'elle a déjà eues, les vingt restantes étant celles dont il ne faut surtout pas s'approcher... ou les collègues. Une seule question se pose : finira-t-elle par accepter de rentrer avec une telle ou telle dédaignée cent fois auparavant ? On tente de lui faire une blague, à sa droite et Shea porte une main sur son coeur et l'air foutrement outré : it's my signature cocktail !

La britannique est désormais installée près du fond du bar, adossée contre le comptoir. On lui fait de grands signes, et Shea consent à se relever pour aller trouver la cliente. Elle est tellement suffisante qu'elle ne veut même pas croiser son regard. La cliente essaie de l'entraîner en retrait pour échapper aux regards, déjà que tout le monde a les yeux rivés sur sa chemise trop ouverte, sa jupe courte. Shea esquisse un soupir et la cliente prend aussitôt un air scandalisé avant de s'installer sur un tabouret, les jambes croisées puis s'approche de son oreille : « c'est toi Shea ? » Celle-ci n'est pas certaine d'avoir bien entendu et lui demande de répéter, puis recule la tête pour l'interroger d'un regard sceptique et esquisser un sourire amusé. Elle l'observe sortir son téléphone de sa poche et le déverrouiller, sentant le sourire s'agrandir au coin de ses lèvres mais s'efforçant de le retenir, consciente du regard que ses collègues porteraient sur elle, et de l'humeur borderline de Devon. Elle tourne la tête au même moment que Devon et cette fois, elle soutient son regard, se sentant à la fois fière et vaseuse. Quelque chose l'interpelle, c'est autant le ton de sa voix que ses mains qui empoignent brusquement le col d'un client. Finalement, Shea se penche vers la cliente insistante, et sans la regarder lui dit : « une autre fois peut-être. » Sa main vient s'agripper à sa hanche pour l'attirer en retrait. « Hey ! », lance-t-elle d'une voix calme malgré la surprise, sa main se délogeant enfin de sa taille. « Qu'est-ce que tu fous ? » Force est de constater qu'elle était trop occupée pour assister à toute la scène. « Qu'est-ce que t'as ce soir ? »

@Devon Willis

Pas d'accalmie chez Devon. Une attitude aussi sarcastique et agressive que l’annonce est violente. Interloquée, Shea l'observe faire un tour d'horizon, ricaner entre ses dents. « Quoi, tu veux me frapper aussi ? ». Elle la toise un instant et décide qu'il n'y a pas de risque, et que même si ça lui prenait, que ferait-elle ? Est-ce que Shea aurait vraiment le droit de lui en vouloir ? Depuis le temps qu'elles travaillent ensemble, et après ce qui s'est produit entre elles, Shea sait forcément quoi faire pour la faire réagir au quart de tour. L’incertitude s’infiltre en elle, brûle son visage et transforme radicalement sa constance. Les mots ne fonctionnent pas pour elle, ou bien Shea ne prononce pas les bons. Elle a l’impression qu’elle va la perdre, comme un animal enfermé dans une cage, dans les prochaines secondes, alors la seule chose qu’elle peut faire c’est lui prendre la main. « Mais arrête... » elle coupe doucement, et il n'y a ni colère, ni agacement dans son regard qui continue de soutenir le sien. Juste une profonde incompréhension. C’est à peine plus qu’un soupir, d'ailleurs, et elle espère que son souffle parvient suffisamment jusqu’aux oreilles de Devon, parce que sa phrase l’affaiblit, elle, quelques secondes avant qu’elle n’essaie de renforcer sa posture. Elle la quitte un instant, le temps qu'il faut pour s'assurer que Lucy puisse gérer l'assemblée seule pendant cinq minutes. Lentement, celle-ci hoche la tête d'un air entendu : j'ai le choix ?

Shea saisit la main de Devon et sans préavis, s'enfonce dans le fond de la pièce qui mène à la réserve. C'est presque en la poussant qu'elle lui intime de s'y engouffrer. Elle referme la porte derrière elles et prend une profonde inspiration avant de se retourner vers sa collègue : « écoute, je tiens vraiment à ce qu'on passe une nuit pas trop pourrie pour une fois, alors tu vas prendre deux grandes inspirations et me dire pourquoi t'es d'une humeur exécrable. ». Et c’est facile, de se laisser happer par le silence, de se lancer dans des tours grandiloquents de fausses intimité et confidence plutôt que d’avoir à assumer le fait que, oui, - peut-être - qu'elle aussi voudrait être ailleurs qu'ici, plus souvent à chaque fois, ou qu’elle n’est pas complètement indifférente à la présence de sa collègue, ni à son ton abrupt qui lui semble plein de reproches. Désormais, c'est une mine sérieuse que Shea lui expose quand ses grands yeux sombres ahuris vont de se river dans le regard de Devon. C’est alors qu’elle sent dans les profondeurs de son être grandir cette peine, mêlée à l’envie de se rapprocher encore d'elle, elle qui est déjà si proche mais qui lui paraît si lointaine. Son sang commence à battre à ses tempes et les battements de son cœur s'accélèrent. Shea sait que Devon doit ressentir à peu près la même chose mais elle ne peut rien y lire d’autre que de la colère. Elle resserrerait son étreinte autour de sa taille, par crainte sans doute qu'une force quelconque ne la détache, si elle était encore près d’elle. Non, les mots ne fonctionnent pas pour elle, et peut-être qu'en fin de compte, son physique est sa seule manière de communiquer.

@Devon Willis

« Ça m'arrive rarement. » Rien n'est jamais assez important pour faire perdre pied à Shea Harrington. Pendant une longue minute, elle est consciente de la nouvelle obscurité qui s'offre à elles, mais bientôt, son attention s'effondre et elle s'intéresse de nouveau à sa vis-à-vis, à la conversation et à la rage que celle-ci tisse,  à ses reproches qui se multiplient et qui deviennent délirants et menaçants. Shea se débarrasse de son blouson, prête à se défendre si le face-à-face s'exalte. Elle se retourne pour la confronter, dans cette merveilleuse obscurité, mais aussitôt, elle abandonne les armes et lève les yeux au ciel à son tour : « il s'agit pas de moi, t'étais déjà énervée en arrivant. » Elle connait mal les réactions de Devon, son esprit tâtonne sans arrêt, comme si la lumière avait été éteinte dans une pièce connue où elle trébuche constamment. Le monde en dehors de cette réserve semble fou et hors de leur contrôle et les raisons de Devon sont légitimes : le monde des hommes n'a-t-il pas toujours été ainsi ? Ce qui importe à Shea, c'est que sa collègue ne se laisse pas maniée par les évènements en dehors du cercle qu'elles forment. Elle murmure. « Regarde-moi... On va le jeter d'ici. »

Même si, au Dutch Kills, elle est entourée de gens qu'elle appelle conquêtes et collègues, elle se sent encore parfois atrocement seule. Chez elle aussi - dans tout New-York, elle passe ses journées et ses nuits accompagnée mais isolée au milieu du vide en elle, de ses désirs et de ses rêves. Parfois elle se surprend à s'imaginer comment aurait été sa vie si elle n'avait jamais quitté Londres, quand sa soeur la faisait encore sourire et qu'elle pouvait regarder sa mère dans les yeux. Les américains, se sont montrés chaleureux avec elle, pourtant, mais ont en commun tout un univers qui n'est pas le sien, et elle n'a pas tardé à comprendre qu'il est vain d'espérer s'y introduire. Le visage grave est illuminé par le néon orangé qui bourdonne au-dessus d'elles, les autres tubes ont grillé les uns après les autres et n'ont jamais été remplacés, mais d'une certaine façon elle se réjouit presque de l'absence d'éclairage et du silence des projecteurs. Alors elle peut contempler à loisir les traits de sa collègue, et lorsqu'elle repense au goût des ses lèvres, il lui semble que l'air même est chargé d'un sentiment d'urgence, et en rétrospective, c'est peut-être la colère qu'elles échangent, elle en éprouve une espèce de pitié pour tous ceux qui ne sont pas elle.

La nuit devient plus intriguante et plus excitante, et il ne lui faut pas plus d'une seconde ou deux pour s'affairer dans le noir, s'approcher d'elle et retirer sa main de la poignée. A six heures, les taxis viendraient récupérer les corps déambulants des businessmen et étudiants, et elles s'empresseront de remettre de l'ordre dans la salle, lançant des au revoir par-dessus leurs épaules aux autres employés, foulant les vastes trottoirs entre les derniers lampadaires et l'interminable tristesse de l'aube. « Ça irait mieux si je t'enlace ? » Elle a vu des relations s'enflammer et mourir. Elle a ajouté ses propres observations et spéculations, étudiant les couples avec une curiosité confuse, et en a déduit que c'est ce que font la plupart des gens neurotypiques pour rassurer l'autre. Elle sent sa main devenir moite et connait un instant de peur d'être rejetée lorsqu'elle porte la paume de Devon à ses lèvres. Elle se mord la lèvre pour s'empêcher de transformer ce geste intime en préliminaire et bénit la cohue à l'extérieur qui masque le battement de son coeur. « Je vois bien que t'es pas vraiment calmée. Qu'est-ce que je peux faire pour que tu passes une meilleure soirée ? ». Elle apprend désormais que le désir et le frisson valent la peine d'avoir peur.

@Devon Willis

Devon la mesure de ses yeux clairs, et ça lui rappelle qu'elle doit être vigilante tout le temps ; au moindre regard attendri ou geste de travers, la voilà qui doit fuir. L'espace d'un vaste moment suspendu, elle est incapable de donner du sens aux paroles de sa collègue, et elle réfléchit à toute vitesse, cherchant aveuglément à identifier ses véritables intentions. Elle a le visage blême, la peau tirée, tendue au niveau de la mâchoire, et ses doigts s'entortillent nerveusement.

« Tu peux pas me demander ça. » Shea s'écarte aussitôt, reprend possession de son bras, de sa prestance. Elle ferme son visage, lève des yeux totalement opaques vers elle, se rapproche un peu, juste assez pour la pousser contre le mur près de la porte. Elle aurait pu tout arranger. Ça ne lui aurait pas demandé grand chose - un mot, une plaisanterie, un geste. Elle aurait pu repositionner sa main dans la sienne, poser sa tête sur son épaule, dire qu'elle en est désolée. Mais elle reste impassible et intouchable, éternellement inaccessible à l'autre. « Jamais. » Sans réfléchir, et petit à petit sa main remonte sur son flanc, elle y plaque sa main tremblante contre sa côte, comme cherchant à tout contenir ensemble afin qu'elle se taise ; qu'elle n'ait plus aucune exigence envers elle. Son visage trouve le chemin jusqu'à son cou, elle y dépose juste un baiser et par-dessus la cohue, Shea commence à entendre le battement de son coeur et même - il lui semble - le bourdonnement de son sang. Une part d'elle rêve de l'entendre la supplier, mais l'autre se hérisse encore, perplexe et frustrée qu'on lui en demande autant. Et elle s'y accroche, au pouvoir de sa désinvolture, à l'assurance d'avoir le dessus, alors elle relève le visage vers sa collègue, et sans jamais saisir ses lèvres, déclare à quelques millimètres d'elle : « Allons-y. » Sa main quittant aussitôt sa taille pour agripper la poignée de porte, et tout en s'éloignant, elle lance par-dessus son épaule : « Je m'occupe de la saleté aux mains baladeuses. » Elle veut lui préciser qu'elle pourrait se montrer vulgaire, lui asséner un coup de poing, que - non - le client n'est pas roi, mais qu'un britannique digne de ce nom règle même les affaires les plus complexes dans la politesse, et qu'une Harrington, de surcroit, n'est jamais - jamais - affaire d'émotions.

Qu'aurait-elle pu faire d'autre ? La tenir, caresser son visage et lui parler comme on parle à un enfant, en lui promettant que ça irait, lui murmurant les mensonges qui se transcendent eux-mêmes, deviennent une sorte de vérité simplement par le désir qui les commande. Elle passe une main dans ses cheveux en ouvrant la porte de la réserve, pour rassembler l'intégralité de son être, et porte un regard distrait au bar qui a rassemblé de nombreux groupes en leur absence. « Pardon. » dit-elle d'une voix étranglée à l'attention de Devon, tandis qu'on les interpelle déjà, et quand elle est capable de prononcer ces mots, elle toujours a l'impression de faire plus de mal que de bien.

@Devon Willis

Ses lèvres picotent encore à la suite du contact d'avec sa peau. Ça avait été un geste curieux, sans doute, plus intime et plus sensuel que tous ceux qu'elle avait eu à son égard ce soir, c'est ainsi qu'elle avait espéré lui amortir la chute. Elle réfléchit à de nouveaux arguments, mais Devon a retrouvé sa concentration. L'afflux de client impose une allure rapide, elle s'arrête quelques minutes pour boire une gorgée de bière, mais à peine est-elle finie qu'elle bondit déjà tandis qu'un autre groupe récite à (très) forte voix sa commande. Elle ne sait jamais vraiment combien les clients consomment ; pour elle, l'être humain n'est qu'un paquet de besoins primitifs qui épuisent le monde. C'est là qu'elle sent vaciller sa décision de quitter la réserve. Son visage a perdu son air satisfait et détaché et doit sembler solennel, fatigué.

Pendant que Devon essuie les verres, Shea fait le trie dans les bouteilles. De temps en temps, elle lui jette un coup d'oeil, pendant que Lucy tient à elle seule une conversation insipide. Devon lui adresse peu la parole, mais le silence lui semble devenir plus doux, comme si une nouvelle tendresse meurtrie se développait entre elles. Shea est debout en face d'elle, en silence, près des banquettes et mange une pomme à la lumière grisâtre de la nuit qui se termine. Ce qui vient ensuite la laisse paralysée dans le sillage d'une vague d'adrénaline. Peut-être que c'est la frustration de l'avoir effectivement laissée filer, mais l'espace d'un moment, elle a envie de faire comme si elle n'avait rien entendu, de demeurer, si ce n'est dans le déni, du moins dans un rapport de force. Mais elle glisse de l'autre côté de la table et se colle contre Devon comme si elle essayait de lui faire savoir avec la chaleur de son corps les intentions qui la guident. Elle croque dans sa pomme en haussant les épaules, un air désinvolte qui veut bien signifier : il y en aura d'autres. "Tu veux rentrer avec moi ?" murmure-t-elle. Elle songe à tendre sa main, à la toucher pour l'attirer davantage contre elle, mais tandis qu'une part d'elle en a envie, l'autre a conscience de ce qu'elle lui propose et qui se présente comme une strate de changement, et elle se rappelle avec une petite pointe de regret ce qu'elle a réalisé depuis la dernière fois : leur lien est dense, mais il ne leur reste plus qu'une seule nuit ensemble, et de fait, elle n'a aucune droit, même pas celui de réclamer qu'elle l'embrasse sur le champ. Elle repose le trognon de pomme qui doit nuire légèrement à l'élégance de cette situation et continue platement : "c'est juste que c'est plus près pour toi..." Bien sûr, c'est plus près, c'est la raison, à n'en pas douter.

Elle doit se retenir et empêcher sa main de glisser le long de sa colonne. Elle marque une pause pendant ce qui semble un moment d'indécision, puis s'empresse d'ajouter : "J'ai pas envie qu'on s'ignore après ça." Ses yeux cherchent à percer l'obscurité entre elles, au-delà de la faible lueur des néons, en s'efforçant de parler avec légèreté mais elle a la voix pâteuse qui s'effondre. Elle sert deux nouveaux shots de tequila, et sent la brûlure le long de sa gorge, elle a chaud, se sent oppressée, la tête lui tourne et elle ne parvient pas à faire la part des choses. Elle tend un verre à Devon, remplit le sien qu'elle propose à Lucy. Elle a l'impression que c'est le même scénario tous les soirs. Mais cette fois, la rousse soupire avec affectation, puis retrouve le silence, longtemps, penchée au-dessus des shots de tequila. Elle attrape la bouteille et la porte à sa bouche comme si elle s'acquittait d'une nouvelle corvée et la boit sous les yeux ébahis de Shea.

@Devon Willis