Les pas qui se font un peu incertains. L’écho dans la ruelle et l’heure tardive. Ça ne lui importe pas, l’horloge. Ça ne lui importe pas le temps. Cette impression d’être au milieu du temps depuis la mort de sa douce, depuis le déclin de son empire, de sa vie d'antan. Ce goût amer du passé dans le fond de la gorge, qui lui donne envie de vomir sa tristesse à chaque instant. Les pas chancelants, le coeur décadent, les pensées noires comme la plupart du temps. Le souffle qui vacille et la paume de la main qui se pose contre le mur froid pour reprendre contenance. L’heure. Il ne sait pas. Les gouttelettes de pluie se perdent dans la chevelure ébène, coulent sur la barbe mal rasée, sur les yeux injectés de manque de sommeil. La tête tourne un peu, l’alcool empoisonne le sang, mais il a besoin de plus pour oublier le passé, pour oublier le présent, pour oublier qu’il est vivant.
La destination finit par se dessiner devant les pupilles dilatées, devant le cerveau embrouillé. Il doit en ingurgiter des masses pour se rendre à cet état lamentable. Pourtant, il n’en a pas assez. Infecté le sang jusqu’à ce qu’il perde la notion du temps, les pensées incessantes qui ressassent depuis des années. Le souvenir du carmin entre ses doigts, cette sensation que sa vie était en train de s’enfuir. Il voulait la remettre à l’intérieur de son corps, cette âme parfaite, la sienne. Ça n’a pas été le cas. Morte par sa faute. À cause d’une distraction, les baisers qu’elle lui demandait et la glace qui lui a fait perdre le contrôle. Les phalanges s’emparent de la poignée pour faire tinter la cloche de l’établissement. C’est trop tard, mais il n’a que cela en tête. Une bouteille de plus pour noyer la peine. Une bouteille de plus pour ne plus penser à elle. Les doigts qui s’emparent d’un rouge au hasard et il se dirige vers la caisse. La bouteille s’y pose. Il aurait dû en prendre deux ou trois. Le regard de la demoiselle ne l’affecte pas. Teo, il perd la notion du temps, il perd la notion de ce qu’il doit faire. Il sent l’alcool. Il sent la déchéance. Il put la tristesse. - Quoi? Bravo la politesse. Il se demande pourquoi elle ne lui annonce pas le prix, pourquoi elle ne s’active pas. Il ne crève que de retourner chez lui pour boire un peu plus, pour se tuer un peu plus.
Sujet: Re: (marjo) one more sip Lun 13 Aoû - 17:37
toujours le même éclairage blanchâtre qui pâlit le visage des clients, et le même néon qui clignote et grésille et provoque les râles des caissières. marjo elle ne l'entend plus, marjo elle s'y est faite. c'est pas le meilleur des jobs mais c'en est un, et il lui permet de renflouer le frigo, payer le loyer et même acheter de petits cadeaux à la famille qu'elle s'est construite pour noël et les anniversaires de chacun. faut dire que quand on est sept c'est pas rien... donc marjo s'est faite une raison, elle accepte le métro boulot dodo si à la fin de la journée il y a sa bande de bras cassés. alors de tous, marjo c'est sûrement celle à qui l'éclairage sied le mieux parce qu'il réfléchit le blanc de ses dents qu'elle montre à chaque passant. sûr qu'elle en a marre, sûr qu'elle n'a jamais vraiment envie de faire la fermeture du magasin et se taper le ménage avec en prime le rangement des rayons, mais elle a du courage la petite. et pas la force de se battre. marjo elle ne suit pas la vie négative, marjo elle a signé pour une vie positive - même si ça implique de se faire entuber à chaque occasion. c'est son lot. sa collègue lui a dit ça te dérange pas si je pars maintenant ? j'ai un rendez-vous là, et j'vais être en retard... surout dis rien au patron j'me ferai tuer. et marjo elle a dit plutôt virer. nan vas-y file t'inquiète j'me débrouillerai. la veste sur le dos et les clefs en main elle était sur le point de décamper quand la cloche de la supérette la coupe dans son élan. merde. un pincement de lèvre et un soupir plus tard elle rejoint l'homme à la caisse, le regard baissé sur le rouge qu'il vient de poser. quoi ? elle hausse un sourcil, encore un qui la prend pour un robot. faut croire que tant que tu t'es pas trouvé de l'autre côté de la caisse tu penses que ceux qui s'y trouvent sont nés pour te servir. mais marjo elle a pas le cœur de s'énerver contre cet inconnu vacillant, elle a reconnu l'odeur, elle veut pas comprendre la cause de la tristesse qui lui bouffe les yeux. je peux pas vous l'encaisser m'sieur on est fermés. elle tente un sourire, elle sait très bien qu'elle n'en recevra pas. peut-être qu'elle devrait le jeter dehors et lui dire de rentrer chez lui mais vu son gabarit la scène risque d'être drôle puis franchement elle s'en fiche de son état. c'est de sa faute, fallait verrouiller la porte plus vite.
je peux pas vous l'encaisser m'sieur on est fermés. Il a perdu la notion du temps, il a perdu la notion de vivre. Cette envie de crever qui bouffe de l’intérieur, le suicidaire encore sur terre. Peut-être qu’il ne s'efforce pas assez, de la rejoindre, de retrouver Abigail. La sensation de son regard qui manque, les sourires, la douceur de ses mains pour calmer les maux. Il se souvient du carmin sur ses paumes, de ses paupières se fermer et la vie s’extirper de ses lèvres parfaites. Le con. Il n’aurait pas dû lâcher la route du regard, mais elle lui rendait la tâche difficile, avec sa beauté. Il ne comprend pas. Les mots viennent résonner dans son crâne, un moment. Un instant. Il a besoin de sa drogue pour se sentir un peu mieux, pour oublier que sa vie est un foutoir. Les phalanges se serrent autour de la précieuse, de la bouteille parce qu’il en as besoin. Ce soir. Chaque soir. Les cadavres s'accumulent dans l’appartement. - Vraiment? Jouer l’innocence, jouer le connard. Ca semble plus simple. Il ne sait pas comment faire autrement, il ne sait pas quoi faire de plus.
Un regard autour de lui. Le seul dans l’endroit. Le seul à demander un peu plus. Pourtant, il reste là, il n’a pas envie de s’enfuir. Il a envie de râler, de partir avec cette bouteille entre ses doigts, mais il n’est pas comme ça. Un voleur de boisson. Il n’arrive pourtant pas à chasser cette envie insatiable d’alcool pour lui engourdir le cerveau un peu plus. - Pas possible de faire une exception je suppose? Pourquoi pas. Pourquoi pas ne pas demander d’une façon plus neutre, d’une façon plus gentil. - Peut-être que nous pourrions la boire ensemble dans l’arrière-boutique? Pourquoi pas? Peut-être qu’elle a mieux à faire. Surement. Lui. Il n’a rien d’autre à faire que de broyer du noir, que de penser à elle, à elles. Un souffle. Il n’a pas envie de cesser son ascension vers le coma, vers l’alcool pour empoisonner ses veines. À voir ce qu’elle aura envie de lui dire. - C’est surement une mauvaise idée, vous avez surement mieux à faire. Lui et les manière, lui et le poète qui ressort sans le vouloir. Elle pourrait pensez qu'il lui désire du mal, mais ce n'est pas le cas. Ce n'est pas lui, il ne prend pas sans demander, il ne désire par briser la vie des autres, mais la sienne.