une seconde rafale aurait pu t'déstabiliser si tu n'possédais aucune notion d'équilibre. si tu n'avais pas appris à grand renfort d'années écoulées à garder tes deux pieds bien ancrés dans l'sol. pourtant, la cosima aux allures d'souvenir égaré revenait percuter ton présent sans s'annoncer. altérant ta routine bien huilée, réveillant c'que tu t'étais donné tant d'mal à oublier. les traits d'son visage n'ont pas changé. tout c'que tu remarques, c'est qu'elle a grandit en même temps qu'toi. qu'elle a murit et que l'temps ne l'a pas enlaidie. ici et là, tu retrouves les stigmates de celle dont tu t'rappelais. c'qui diffère, c'est cet affrontement qu'elle s'donne tant d'peine à t'infliger. c'est c'ton qu'elle emploie avec toi, c'est sa gestuelle et ses mouvements d'corps qui t'repoussent encore davantage qu'ses mots. c'est c'dédain qu'elle affiche, la moquerie en sourdine.
j'dois vraiment répondre à ta question d'merde ? elle n'veut rien savoir de toi. indifférente à ton parcours, à c'que la vie avait fait de l'homme. préférant d'loin nourrir une rancoeur tenace qu'tu avais balayé depuis longtemps déjà, tant ressasser l'passé ne t'avait jamais rien apporté. elle stagne dans c'qui vous a détruit cosima, baignant dans un bain d'mauvais sentiments, te haïssant encore pour ça. quand toi, tu aimerais l'écouter t'raconter. t'asseoir et la laisser parler d'celle qu'elle est devenue, de c'qui la construite, de c'qui l'a mené là, devant toi.
j'suis flic, connard. alors, ouais, on prend des balles parfois. sa langue est acide, elle t'cracherait à la gueule si elle l'pouvait. incapable d'contenir la rage qui semble l'habiter. une rage qu'elle a entretenu pendant tout c'temps où tu as fait l'mort. tu l'as sûrement pas volé kaan, cela n'empêche que t'as un mal d'chien à l'accepter, à l'digérer. tu prends sur toi pour garder ton calme, pour n'pas lui renvoyer les balles qu'elle s'applique à dégoupiller avec agilité. forgée par son métier. sa douleur est voilée, l'impact oublié, alors qu'son esprit est concentré sur un tout autre sujet. tu sens combien elle veut fuir cette scène qui la fait rugir intérieurement, sauf que tu n'lui permettras pas d'disparaître dans cet état. parce que ton nouveau boulot te l'souffle et parce que c'est cosima. tu t'tais parce que tu l'dois, rien de c'que tu pourras dire ne t'excusera. et en silence, tu l'observes. tu remarques les tremblements d'ses membres, les yeux vrillés d'fatigue, les stries parsemant sa peau. quelque part, ça t'blesse d'pas avoir été là, de l'avoir obligé à composer sans toi. tu t'dis que c'était l'destin et qu'tu trouverais peut-être ton salut en la soignant aujourd'hui. ta main tendue en signe d'pardon. alors tu mises sur les informations transmises par ta collègue, un détail qui n'joue pas en ta faveur encore une fois.
t'écoutes aux portes maintenant ? le temps t'a pas enlevé ton audace. tu lèves les yeux au ciel, atterré par cette armure dont elle ne s'sépare jamais.
range tes griffes, j'suis pas là pour m'battre avec toi. tu veux simplement faire ce pour quoi t'es bon, ce pour quoi on t'paye et ce par quoi tu t'sens gratifié. tu veux soigner ses plaies apparentes, à défaut d'gommer celle que t'as sans doute laissé sous sa peau. et tu comprends pas qu'ça l'irrite autant, qu'elle t'fuit autant.
m'touche… m'touche pas. on en est vraiment là toi et moi cosima ? les mimiques d'ton visage trahissent ton incompréhension, tes gestes sont suspendus dans l'air tant tu t'refuses à être intrusif. son teint est laiteux, bien plus que d'ordinaire et tu sais d'instinct qu'la blessure n'y arrange rien.
et on fait quoi alors ? tu repars comme ça ? ton énervement est palpable. tu veux bien comprendre qu'elle t'veuille loin d'elle au plus vite, mais elle perd un temps fou que t'aurais déjà pu employer à colmater la brèche. à cet instant, elle serait déjà loin d'toi.
non. j'peux… j'peux pas. dégage, kaan. dégage... d'sa maigre force, elle t'chasse. et tu lui accorderas cette trêve si elle en ressent l'besoin. tu n'seras pas celui qui la brusquera, tu préfères lui offrir l'opportunité d'évoluer comme elle l'entend.
tu peux pas quoi cosima ? explique-moi parce que j'comprends rien. j'peux pas t'aider si tu t'ouvres pas. tu la vois grimacer, tu sens la pression d'sa main sur ton bras.
appelle un putain d'autre infirmier… tu mérites même pas d'me faire face. tu secoues la tête avant d'poursuivre.
j'appellerais personne d'autre. alors soit tu t'en contentes. soit tu m'gifles et tu hurles, en espérant qu'on viendra à ton secours. t'en as fini avec la consilience, tu n'veux plus la regarder souffrir au nom d'sa foutue revanche. accrochée à toi, tu la sens faiblir, tu la sens partir. et dans tes bras, tu la retiens. un infirmier à quelques mètres arrive immédiatement et t'aide à l'allonger. puis il applique une pression sur la plaie pour éviter au sang de suinter davantage, et il dégage ses voies respiratoires avant d'lui relever les jambes. tu t'opposes au soin instantané, tu sais qu'elle t'en voudra de n'pas avoir attendu son feu vert. alors tu restes là, attendant qu'elle reprenne ses esprits. les autres s'feront une raison.
et il lui faut d'interminables minutes pour reprendre pied dans la réalité.
ça t'arrive souvent de t'prendre pour la belle au bois dormant ? tu marmonnes dans un sourire, pour la ré-accueillir dans les meilleures dispositions.