i got you. (nova)

Elle disparaît, dès que possible et laisse les équipes gérer le plateau. Laisse tout tomber pour se rendre au domicile de son amie, de celle pour qui elle ressent chaque jour un peu plus d’amour. Un saut dans sa voiture, un trajet rapide, qu’elle consomme le plus vite possible. Ce n’est qu’une fois devant la bâtisse que le démon frappe à la porte, décidé à emprunter les ailes d’un ange. Coucou ma belle. Faible sourire, une présence tombée à l’improviste, sans avoir pris le temps de la prévenir de son arrivée. Parce que l’inquiétude était trop grande, trop forte, que tu ne pouvais pas attendre. Comment tu vas ? Une main qui se glisse machinalement contre son bras, caressant Nova avec douceur. Elle ne sait que trop bien quel champ de ruine s’est imposé dans l’esprit de son amie. Que d’une minute à l’autre, elle est capable de s’effondrer, de laisser le monde l’engloutir.  

Il n’y avait plus rien, plus rien… plus rien, là où la vie s’était créée, plus rien, quand elle touchait son ventre, plus rien, quand elle fermait les yeux, plus rien, mis à part les jours qui défilaient, mis à part les horreurs qui revenaient, mis à part les mots d’un mari trop opprimant, les pleurs d’une femme trop perdue, tigre à l’agonie qui ne savait plus exister, tigre qui se perdait dans les affres de son esprit. Les jours qu’elle comptait, trois cent soixante-treize. Elle ne savait plus s’arrêter, elle les recomptait, encore. elle ne savait plus s’arrêter, se sentait embrumée entre les parois de son esprit, par ce cauchemar sans fin qui s’abattait sur elle. loup effrayant qui venait la détruire, feu si violent qu’il venait la brûler, c’était plus que de la souffrance, c’était plus que de la folie, c’était ce mélange macabre qui la détruisait sans aucun état d’âme, c’était ce mélange macabre qui la réduisait en poussière, quand elle essayait de penser. c’était cette mort, si douce, si mauvaise, qui voulait la punir de ne pas s’être suicidée quand elle aurait pourtant pu, quand elle aurait pourtant dû. C’était cette mort qu’elle refusait, qu’elle désirait, qu’elle ne reconnaissait plus. et dans ces moments là, tigre saccagé, il n’y avait que la vipère qui pouvait t’apaiser, qui pouvait te faire du bien, te donner le courage, te donner la force, de donner de quoi survivre, de quoi vivre. Il n’y avait plus que cela pour que tu survives, vipère qui se glissait toujours contre toi, contre ta fourrure calcinée, contre ton corps ravagé, pour te permettre de survivre, un peu plus. pour te permettre de survivre, un peu plus longtemps. Pour te permettre de sourire, un peu plus. quelques mots échangés, le besoin de la voir. Quelques mots échangés, l’urgence de sa présence, pour arrêter de compter les jours depuis l’horreur, pour se mettre à compter les moments en sa douce présence. Silene était comme un baume, comme un trésor, comme si le tigre avait trouvé de quoi ne plus souffrir, comme si une amie était venue la secourir. Une amie. c’était le mot juste, nova. Elle était ton amie, l’une des seules. Elle était ton amie, depuis ce jour à l’hôpital. Ton amie, qui avait veillé sur toi. elle était un serpent que l’on disait vicieux, qui persifflait, qui sifflait encore et encore. elle était ce serpent qui détruisait. Encore. toujours. Mais pas toi. non, toi, elle te sauvait. Non, toi, elle t’aimait. Et tu ne savais même plus croire les gens qui la voyaient comment un démon, alors qu’il était évident qu’elle avait une auréole au dessus de sa tête, quand elle te parlait, quand elle t’écoutait, quand elle te câlinait.
Et elle ne pouvait plus s’en passer, nova. De cette présence chaleureuse. Les serpents avaient le sang froid, pourtant, avec elle, elle était toujours aussi chaude qu’une bouillote que l’on désirait ardemment avoir. elle était d’un réconfort sans égal, elle était aussi incroyable qu’un ange pouvait l’être.
Elle était serpent, mais les serpents n’avaient pas tous le vice en eux. Et si silene l’avait, il n’était pas présent avec elle.
Et quand elle sonna, le tigre apparu, un sourire sur le visage, celui de voir son amie. Un sourire sur le visage, qui ne savait pas s’oublier. Un sourire sur le visage, qu’elle désirait voir, avoir. coucou… sa voix rauque, elle n’en avait pas honte avec silene. Elle sentait que la vipère n’en tenait pas compte. je… pas bien… et toi ? dit-elle, tout en la laissant entrer, adorant cette caresse sur son bras presque déchiqueté. parce que tu avais beau être brûlée, avoir mal, quand tu comptais, quand tu te perdais, tes ongles venaient sur ton bras, le griffaient. Tes ongles voulaient se sentir encore griffes, nova. Contre toi. contre ta chair. et seules les caresses de son serpent parvenaient à lui faire du bien.
Seule silene parvenait à la calmer, à la retrouver, quand elle se perdait.
Elle avait besoin d’elle.
Plus que tout au monde.

L’agonie. L’agonie, qui résonnait, entre les murs de la grotte, de la maisonnée. L’agonie, qui semblait rebondir, s’enfuir, revenir, toujours présente pour se coller au tigre, pour la détruire un peu plus. l’agonie, elle la sentait, elle la perdait, elle revenait, elle ne disparaissait jamais vraiment. Et cela devenait trop pesant, le souffle qui se faisait plus rapide, le cœur qui se faisait plus douloureux, la peine qui se faisait plus sombre encore, et cet homme qui ne désirait que la faire souffrir, qui l’accusait, quand elle était mal. qui t’accusait, monstre, qui avait perdu le bébé, le petit être. Qui t’accusait, monstre. alors que le tigre ne pouvait plus se défendre, que les larmes le prenaient. Prédateur, il ne l’était plus. proie, il le devenait. Et il ne fallut pas longtemps pour qu’elle appelle silene, pour qu’elle se confie encore, pour qu’elle lui demande de venir, pour qu’elle s’excuse de lui faire perdre son temps. pour qu’elle compte les minutes, jusqu’à ce que son serpent se présente devant la porte. Pour qu’elle compte les moments, durant lesquels la vipère put lui apporter sérénité. Pour qu’elle arrête de compter les jours qui passaient depuis le drame, le plus grand drame de sa vie. parce que le feu, ce n’était rien. comparé à la perte de ton bébé.
Pour qu’elle arrête de pleurer, en elle. en toi, tigre qui se voulait fort, qui ne craquait pas, pas quand il y avait quelqu’un. Même elle. parce que tu ne voulais pas être faible, parce que tu ne voulais pas paraître faible. malgré la douleur, malgré les maux. Malgré le fait que silene la connaissait assez bien pour l’entrainer sur le canapé, agir comme chez elle. mais tu ne pouvais pas te montrer faible. je… je veux bien… un thé… s’il te plait. la notion de territoire disparaissait, avec le serpent. Elle le partageait, femme de la savane. Elle le partageait, pas parce qu’elle ne pouvait pas le défendre, mais parce que le reptile avait sa place sur ce territoire, pour toujours. Parce que sans ces écailles réconfortantes, le pelage du tigre serait déjà tombé, le corps aurait déjà rejoint les astres, ou les abîmes.
Non… la notion de territoire n’existait plus, lorsque silene était dans les parages. Parce que cela faisait trois cent soixante-treize jours que ce doux animal était venu s’enrouler autour d’elle pour la préserver, pour l’aider, sans même la connaître. Plus d’un an, qu’elle restait contre elle, quand rien n’allait, qu’elle l’appelait quand tout dérapait, qu’elle répondait, quand silene en avait besoin. j… j’ai… j’ai retrouvé… le body… petit morceau de tissu acheté lorsqu’elle avait eu le test de grossesse positive, qu’elle avait acheté avec d’autres affaires, pour un bébé jamais né. Pour un désastre dans sa vie. mais alors que les souvenirs remontaient, elle se revoyait tout jeter, en compagnie de silene. Tout jeter, aidée par son serpent, pour ne pas pleurer, pour ne pas craquer, pour ne pas se détruire, se laisser tomber en lambeaux, proie vaincue. mais le body avait dû glisser derrière la commode, puisque tu l’avais retrouvé aujourd’hui. et alors qu’elle remettait la main dessus, toute cette année avait défilé. trois cent soixante-treize… trois cent soixante-treize… trois cent soixante-treize… comme un tic, comme un trouble, les jours qui recommençaient à défiler, dans un espace-temps figé. Figé, parce que chaque mot était le même nombre. Le même nombre de jours qui revenait encore et encore, qui emprisonnait son esprit, qui abusait du tigre déjà au sol.
Qui saccageait le reste de son mental.
De sa volonté déjà bien ébranlée.
Elle avait besoin de silene.

Serpent qui était sur son territoire, dans cette maison. Parce que Silene avait autant le droit d’être ici que nova, parce qu’elle était l’amie inespérée qu’elle n’aurait jamais pensé avoir, l’amie inespérée qu’elle désirait garder tout près d’elle pour une nouvelle éternité, alors qu’elle se sentait mal… silene, elle détenait les clés de son cœur, d’une certaine façon. elle était cette femme qui avait pu y entrer, quand l’orientale était au plus mal, quand son cœur se brisait, et qui avait tenté de le réparer, qui avait tout fait pour l’alléger. Elle était cette amie, l’amie d’une génération, qui se montrait si douce avec elle, si était là pour elle, elle qui était si seule, tigre ayant perdu de sa vertu, de sa prestance, de son bonheur, pour finir ses jours seul dans la savane… sans la vipère, jamais elle n’aurait pu empêcher son esprit de se noyer. Sans la vipère, jamais elle n’aurait pu revenir à la vie, après la mort mentale d’un bébé mort-né. alors tu ne t’étonnais pas de lui demander un thé, tout comme tu ne t’étonnais pas qu’elle agisse comme si elle était chez elle. c’était un peu le cas, pour toi. elle était chez elle. elles étaient chez elles. Et sa présence à elle seule avait pu doucement remonter le moral de nova, mais alors qu’elle retrouvait la blonde à ses côtés, et parlait de ce body, elle retomba dans les abysses, celles qui emprisonnaient son âme à chaque fois. les abysses des chiffres, des nombres, des jours passés depuis la mort de ce petit être en toi, toi qui étais le monstre l’ayant laissé mourir, d’après ton mari. Toi qui étais le monstre, ces nombres étaient ta culpabilité, qui se souvenait de ce que tu avais laissé faire, de ce que ton corps avait laissé faire. Parce que tu avais tué… ou plutôt, tu l’avais laissé mourir. C’était ainsi que tu le voyais, à cause de celui qui se retrouvait apposé sur ton doigt. elle n’arrivait pas à faire abstraction de ce que son mari disait, et ses larmes parvenaient sur ses joues, tandis qu’elle comptait, encore. qu’elle comptait, le regard perdu, vitreux. Comme si Silene disparaissait, et que le monde des jours passés apparaissait… fort heureusement, son amie savait comment s’y prendre, et doucement, une main dans la sienne, l’autre venant à sa joue, elle tentait de la faire revenir. De faire revenir l’orientale dans ce monde trop dur pour elle, dans ce monde qui ne voulait pas d’elle, dans ce monde qu’elle rejetait en retour. Ce monde qui l’avait faite souffrir plusieurs fois, qui l’avait brûlée, qui l’avait anéantie. Ce monde qui avait saccagé le tigre, pour que plus jamais il ne puisse se relever. Ce monde… elle ne le voulait plus, son esprit en avait peur, et pourtant… pourtant, devant ses yeux apparaissait à nouveau le visage de son amie. Dans ces abysses, silene réapparaissait, et d’un coup, ce monde de chiffres avait son amie dedans… j… je… ça fait… trois cent soixante-treize jours… je… je l’ai tué… je l’ai tué… je l’ai tué, silene… et elle explosa en sanglots…
C’était une douleur trop difficile, insupportable… une douleur qui la tuait à petits feux…