Partner in crime (Valentina)

Partner in crime
@Valentina Rivera

La tenue blanche avait été abandonnée pour un pull destiné à affronter le froid mordant de janvier, les baskets usées pour des chaussures de ville, le smartphone glissé dans la poche arrière du jean comme il en avait l’habitude, l’odeur collant à l’épiderme des hôpitaux aseptisés rincée le temps d’une douche rapide, le badge à son nom (Doc. Marshall) troqué contre une cigarette déjà accrochée au coin des lèvres bien avant qu’il ne puisse l’allumer sans risquer la moindre remontrance. « Quelle journée de merde », Ambroise conclut tout en finesse et délicatesse en refermant le casier rouillé ici et là, grinçant inévitablement. Il était des jours interminables, où tout s’enchainait de travers qu’importe la bonne volonté, où les patients s’entassaient avec des problèmes tous plus tordus les uns que les autres, où rien n’allait (et pourtant, il était de ceux qui mettaient de la bonne volonté à l’œuvre, y compris en début de semaine) : ce lundi en faisant de toute évidence partie.

Des deux, il était toujours le plus rapide à se préparer pour quitter les lieux. Il avait pris l’habitude d’attendre Valentina quand leur emploi du temps se regroupait, mais jamais bien longtemps. Simplement de quoi prendre un peu d’avance à travers les couloirs qu’il connaissait par cœur, et entamer seul dans ses pensées les premières bouffées du bâton de nicotine salvateur. Il était plein de bons conseils, Ambroise, il savait quoi dire dans quelle situation... Mais n’avait jamais été un exemple d’hygiène de vie.

Il faisait nuit depuis longtemps évidemment, mais la pluie s’était arrêtée. C’était déjà ça. Il emmitoufla sa main libre dans la poche de sa veste, redécouvrant machinalement du regard le décor urbain quotidien, mais pas pour longtemps, comme prévu. Comme c’était toujours le cas, depuis toutes ces années qu’ils travaillent ensemble... L’acolyte attendue brièvement ainsi retrouvée, il cala le rythme de ses pas sur son allure. Et machinalement et sans arrière pensée aucune, mais réellement intéressé par la réponse puisque Valentina figurait parmi les (très) rares personnes avec lesquelles il acceptait assez volontiers de partager des bribes de son quotidien, il demanda : « Tu fais quelque chose ce soir ? »

Partner in crime
@Ambroise Marshall

Après une telle journée, Valentina n’avait qu’une envie, sortir au plus vite de l’hôpital pour aller retrouver la nuit qui l’attendait. Cette dernière était déjà bien avancée mais il était clair que c’était le bon moment pour aller s’amuser comme elle le souhaitait. Les clubs seraient enfin ouverts et c’était tout ce qu’elle désirait. Oh, elle aurait pût aller se coucher mais franchement, l’adrénaline était encore là et même si elle pourrait redescendre sur le chemin du retour, elle ne le voulait pas vraiment. Elle avait envie d’oublier les morts qu’elle avait vu aujourd’hui et surtout oublier que ce n’était que le début d’une semaine qui s’annonçait déjà bien chargée bien que la vie à l’hôpital ne soit jamais la même chaque jour. Si elle pouvait éviter d’avoir des problèmes aussi chiant la prochaine fois, elle ne dirait pas non. Elle prit le soin de se doucher rapidement, de s’habiller et de se maquiller pour sortir avant d’aller rejoindre Ambroise. Ils s’attendaient toujours lorsqu’ils travaillent sur les mêmes créneaux horaires et elle était en général pas trop longue à attendre. Ce soir là, ce n’était donc pas très différent même s’il l’attendit un peu plus longuement. Elle savait qu’elle le retrouverait à fumer une cigarette alors elle ne s’en inquiéta pas vraiment. Elle s’emmitoufla dans son manteau, un bonnet sur les oreilles et ses mains bien au chaud dans ses gants. On pourrait croire que c’était bizarre de la trouver sortie comme ça mais il ne faisait pas bien chaud et sous son manteau, c’était bien différent. Elle était habillée d’une simple robe noir assez échancrée devant et derrière sous laquelle elle avait enfilé ses collants transparents et de jolies bottes montantes. Tout pour passer une bonne soirée.

Elle arriva enfin, ses talons se faisant entendre dans les couloirs de l’hôpital. Cela annonçait clairement ce qu’elle allait faire de sa nuit mais elle s’en fichait. Elle avait la tête à ça et personne ne pourrait rien y changer. Elle arriva alors près d’Ambroise et commença à marcher à ses côtés. « Tu fais quelque chose ce soir ? » Elle le regarde en souriant. « Après une journée comme celle-ci, je vais aller me défouler en dansant. Et toi ? Tu vas faire quoi ? » En fonction de sa réponse, elle l’inviterait à se joindre à elle. Si finalement, ils étaient de bons collègues, elle ne savait jamais trop se qu’il faisait en dehors de l’hôpital.

Il n’était pas pénible, Ambroise, jamais. En sortant du travail, après une journée bruyante qui n’en finissait pas de stimuler chacun des sens, il n’aspirait pas à trouver le calme complet. Changer d’atmosphère suffisait. Il aimait le murmure désorganisé de la ville, la pollution sonore tout sauf poétique, n’aurait échangé le bruit des ambulances et des klaxons des taxis contre aucun petit coin tout à fait au calme à la campagne. Il aimait trop ce brouhaha ambiant, vivant. L’apparence pouvait être trompeuse, le gamin de la ville prenait son temps, s’appliquait, ne précipitait que rarement un mot par-dessus l’autre, mais restait profondément citadin. Il aimait la nuit jamais complètement noire car souillée des éclairages perpétuels de la ville qui ne dormait pas, les stimuli visuels et sonores perpétuels, berceuse singulière et toute particulière quand il savourait une cigarette. Il restait casanier pourtant, se noyait dans les foules mais sans casser son anonymat ou sa discrétion. Il aimait sa solitude et jusqu’à peu, il imaginait même ne jamais s’en lasser... Après tout, c’était Ella, la fêtarde, oiseau de nuit bien différent de lui qu’importent leurs insomnies communes. Seulement voilà, l’appartement vide d’Ella, vide de Wes parfois aussi, ne lui plaisait plus comme avant. Les murs s’étaient imprégnés d’eux tout entiers, et son quotidien à lui aussi. Il s’ennuyait, à ne plus les trouver d’office, le soir.

Retour à Valentina. La question était donc anodine et simplement curieuse, il n’avait pas pensé au fait qu’elle puisse envisager là comme ça d’aller danser. Ambroise n’imaginait jamais aller danser. A quel point était-il possible d’à la fois très bien connaître une personne, et à la fois très mal ? Le thème revenait de façon récurrente, quand ils abandonnaient leurs seringues et habits blancs. Valentina était l’une des rares avec lesquelles il savait sans trop de mal partager des bribes de son quotidien en dehors des murs hospitaliers. Il était doué pour faire parler les autres, Ambroise : pas pour parler de lui – simplement parce qu’il imaginait toujours n’avoir rien à raconter. « Je n’ai rien prévu, je crois qu’Ella était de sortie de son côté, je ne sais plus. Mais moi je ne danse pas », il répondit très spontanément, recracha la fumée de la cigarette, sourire rendu. Il insista, catégorique, juste au cas où : « C’est rédhibitoire, je déteste ça. » Il ne précisa pas qu’Ella était la seule à avoir réussi l’exploit de le faire se déhancher (mal) en musique (et pas du tout en rythme), à coups de vin rouge et de produits moins licites. Mais c’était Ella, et pour Ella seule il voulait bien faire des efforts, de bon gré ou malgré lui.  Sinon, il ne dansait pas. Tant pis pour le regard et le sourire insistant qu’il sentait. Les femmes en général avaient ce côté plus entêté que lui, ce qui n’était pas nécessairement difficile à faire, suivant l’objet dont il était question. Il proposa néanmoins une alternative : « Tu as envie d'aller boire un verre ou tu préfères absolument danser ? » Auquel cas ce serait sans lui.

Partner in crime
@Ambroise Marshall  

ALorsque la journée avait été courte mais intense, Valentina aimait se défouler après. C’était sa manière à elle de canaliser tout ce qu’elle venait de vivre. Surtout que bon, de nombreux fantômes lui faisaient encore coucou chaque jour. C’était fatiguant pour ses nerfs et son mental. Quatre ans qu’elle était titulaire et plus depuis qu’elle avait commencé ses cours. Elle ne s’était pas encore habituée à les voir pointer leur bout de leur nez devant elle. Evidemment, personne ne savait rien de cette faculté qu’elle avait. Seul Frederickson le savait et il avait bien été difficile de le convaincre que ce qu’elle disait était réel. Elle ne voulait donc pas qu’on la prenne pour une folle et qu’on l’enferme. Elle saurait ce qu’il fallait pour qu’on la croit saine d’esprit. Elle voulait juste éviter les problèmes. Alors danser lui faisait oublier tout ça. Oublier ses journées, oublier les fantômes, oublier que l’homme qu’elle aimait ne lui rendait pas ses sentiments. Elle lui demanda donc ce qu’il faisait de son côté. Elle s’intéressait réellement à Ambroise. Il était cependant plus discret qu’elle sur sa vie, pas qu’elle s’étende trop non plus parce que le travaille avant tout cas même. « Je n’ai rien prévu, je crois qu’Ella était de sortie de son côté, je ne sais plus. Mais moi je ne danse pas » Elle a déjà entendu plusieurs fois le prénom de cette Ella mais ne la jamais vu et se demande quand ça sera le cas. Elle était curieuse de ce qui l’entourait et des personnes autour d’elle alors ce n’était pas étonnant qu’elle veuille savoir. Elle ne peut s’empêcher de se dire que c’était bien dommage qu’il ne danse pas car ils auraient bien pût s’amuser. En temps ordinaire, elle en aurait profité pour draguer et passer la nuit dans les draps d’un ou d’une inconnu(e). Ce soir, elle était capable d’éviter s’il voulait danser ou parler car elle avait envie d’en apprendre plus sur lui. Oui, elle était capable de se retenir même si ses pulsions non assouvies diront le contraire. « C’est rédhibitoire, je déteste ça. » Elle ne pût s’empêcher de rire doucement. Elle ne savait pas comment les gens faisaient pour ne pas danser. C’était sa drogue à elle, son exutoire et elle ne se voyait pas arrêter ce plaisir. « Franchement, c’est parce que tu n’as trouvé la bonne chanson ou la bonne partenaire. » Parce que lorsque l’on trouvait la chanson qui nous mettais en joie et sur laquelle on ne pouvait pas s’arrêter de danser ou en tout cas, on dansait automatique, c’était le pied. Et puis si en plus, on a le partenaire qu’il faut alors c’est encore mieux. « Tu as envie d'aller boire un verre ou tu préfères absolument danser ? » Elle se tourne vers lui tandis qu’elle enfouis ses mains dans ses poches. « On peut aller boire un coup oui. Tant qu’on se change les idées de cette journée bien remplie. » Pour ne pas dire bien merdique. Elle l’entraine alors dans les rues pour aller vers un des meilleurs bars qu’elle connait. En tout cas, le barman le connaissait assez bien pour avoir droit à des prix parfois. En plus, il n’était pas rare qu’elle se déhanche sur une des chansons qui passaient. Alors elle pourrait toujours tenter d’entraîner Ambroise dans ses petits pas de danse. Oui, l’espoir faire vivre, surtout qu’elle ne savait pas pourquoi, elle avait décidé que ce serait sa mission du soir.