misguided ghosts (river)

Elle devait avoir fière allure, Ely, alors qu'un frisson parcourait son corps du bout de son crâne, jusqu'à la pointe de ses orteils. Elle jeta un coup d'œil à l'horloge accrochée sur le mur en face d'elle et prit conscience qu'il était plus de quatre heures du matin. Depuis combien de temps était-elle là ? Des heures. La soirée avait pourtant bien commencé : sortie entres copines, la brune s'était laissée traîner par ses amies, consciente du chamboulement qu'avait été sa dernière rencontre avec River. Cinq ans qu'elle ne l'avait pas vu. Cinq ans qu'ils n'étaient plus ensemble, qu'il ne faisait plus parti de sa vie. Elle s'était pensée remise de cette déception amoureuse, mais en réalité, la plaie était toujours béante. Il lui avait suffi d'une rencontre, de percevoir la chaleur dans son regard pour qu'elle se rende compte de ça. Pauvre gamine. Elle se sentait stupide. à plus de trente ans, incapable de construire quelque chose de concret avec un homme, à cause des blessures du passé. Pourtant, elle n'avait pas vécu quelque chose de si horrible que ça : des nanas larguées par leur mec, il y en avait des centaines tous les jours. Alors pourquoi est-ce qu'elle se sentait si fataliste quant à son avenir amoureux ? Comme si elle avait laissé filée sa chance. Elle avait connu l'amour. Le grand. Le vrai. Et était certaine de ne plus jamais vivre quelque chose d'aussi passionnel... Elle s'était faite à cette idée. Acceptant son avenir solitaire. Et pourtant, revoir River après tant de temps avait ravivé l'espoir. Là, au fond de son regard, elle avait retrouvé la chaleur d'un amour qu'il lui avait un jour porté. ça l'avait chamboulée bien plus qu'elle osait l'avouer. Chose que ses amies avaient bien remarqué. Sortir semblait donc la meilleure solution pour lui vider l'esprit. ça avait fonctionné, alors que les verres d'alcool s'étaient enchaînés, pendant quelques heures. Elle avait enfilé une robe noire un peu trop courte, des talons un peu trop hauts et avait peut-être un peu trop forcé sur le maquillage... Désormais, elle regrettait amèrement ses choix : assise sur une chaise inconfortable de la salle d'attente, elle frissonnait de froid, avait atrocement mal au pied et devait avoir une sale tête avec son maquillage dégoulinant. ça avait été une soirée éprouvante. Elle avait compris, dès lors qu'elle avait reçu un simple message de Maddox sur son téléphone portable, que c'était grave. Alors, pour une fois, elle avait mis sa sensibilité et sa panique de côté pour aider son meilleur ami. C'était elle, qui l'avait conduit jusqu'à cet hôpital. Elle qui avait garé sa voiture de manière brutale et désordonnée, sur le parking du bâtiment. Elle, qui était entrée en panique dans ce hall. Et encore elle, qui avait attendu des heures qu'on vienne lui donner des nouvelles de Maddox. Elle ne savait pas trop pourquoi, mais son réflexe avait été d'envoyer un sms à River. Il était le frère de Maddox, après tout... mais au-delà de ça, elle avait besoin de son soutien. Comme avant. Elle, qui s'en était passé pendant tant de temps, ne comprenait même pas son geste. Elle se sentait atrocement seule dans ce hall pourtant rempli de souffrants. Seule et désemparée. Et les réponses de River ne semblaient pas la satisfaire. "Et bien sûr c'est toi qu'il prévient quoi. Putain fait chier. J'arrive et force les médecin à parler bordel.". La mâchoire plissée et un soupire énervé qui sortait d'entre ses lèvres. S'il avait été face à elle, elle l'aurait probablement giflé. Au lieu de ça, elle lui renvoya un message acide et son écran devint noir. "Merde". Plus de batterie. De toute manière, c'était le cadet de ses soucis. Finalement, un médecin s'approcha d'elle et l'emmena près de Maddox. Elle l'avait vu. Juste quelques minutes. Et le verdict était tombé. Cancer. Elle eut du mal à avaler sa salive, encore plus à poser son regard sur son ami. C'était grave. Trop grave pour qu'elle déverse sur lui sa colère et frustration. Et on la fit ensuite sortir. Il avait besoin de repos. Et elle resta une fois de plus dans le grand hall, reposant ses fesses moulées dans cette robe trop courte sur une de ces chaises inconfortables. Ils devaient la tenir au courant. L'état de Maddox était encore critique. Et elle ne pouvait se résoudre à le laisser seul ici...
Elle avait un peu perdu la notion du temps, et s'approcha finalement du distributeur de nourriture. Elle inséra deux pièces et appuya sur les boutons correspondants à la friandise chocolatée qui viendrait rempli le trou dans son estomac. Elle avait besoin de sucre et de chocolat. Là, tout de suite, maintenant. Et lorsque le paquet se coinça dans la machine, elle sentit une frustration mal placée l'envahir. Son indexe qui appuyait frénétiquement sur le bouton et face à l'inactivité de la machine, ses mains qui venaient tenter de secouer l'engin. En vain. Sa mâchoire qui se serrait et sa respiration qui se faisait plus forte. "Merde, merde, merde et merde !!". Peut-être lâchés un peu trop fort. Mais elle s'en fichait. De toute façon, les gens présents dans la pièce avaient d'autres choses à faire. Et finalement, son front qui se posait sur le vitre de la machine et ses yeux qui se fermaient. Elle était fatiguée, elle avait froid. Elle aurait rêvé d'un bon bain ou d'un bon chocolat chaud. Mais il était hors de question qu'elle laisse Maddox ici... Et finalement, elle sentit une présence à ses côtés et ouvrit les yeux, redressant son visage un peu trop brusquement. Léger sursaut alors que ses yeux se posaient sur River. Et finalement, ses yeux qui se levaient exagérément vers le ciel. "Manquait plus que ça...", qu'elle lâchait entre ses lèvres serrées. Nouveau soupire, et la fatigue qui rendait son agacement bien plus important. Elle se tourna totalement vers lui, tentant de prendre un peu de contenance. Il avait bien meilleure allure qu'elle... De toute manière, n'importe qui aurait eu bien meilleure allure qu'elle, à ce moment là. "J'peux savoir c'que tu fais là ? J't'ai dit de laisser tomber !". Elle croisa les bras sur sa poitrine, forgeant un peu plus cette carapace qui l'empêchait de fondre dans ses bras. Pourtant, ça lui aurait fait un bien fou. Elle en rêvait presque, de la chaleur de son corps contre le sien. mais elle était fière, Ely, et sacrément têtue.

Bloqué derrière mon ordinateur à écrire encore et encore. Je sais très bien que mon éditeur attendait que j'écrive mon prochain livre. Mais je n'y arrivais pas, les mots me manquaient. J'avais effacé un nombre de mots qu'on ne pouvait pas imaginer. Mais comment arriver à écrire alors que mes pensées étaient tournées vers elle. Ely, cette femme avec qui j'avais vécu pendant des années, des années de bonheur qui était devenu un cauchemar pour elle à ce que j'ai pu comprendre. L'amnésie pouvait tout faire oublier, malheureusement, eux ils n'avaient pas oublié ce que j'avais pu leur faire subir. J'avais envie de me faire pardonner, mais impossible de savoir comment. Surtout quand on ne sait plus ce qu'on a bien pu faire pendant ses années. Les larmes que j'avais pu faire couler sur ses joues, de poupée, de princesse. Personne ne devrait autant souffrir, elle était une perle et je ne pouvais pas lui en vouloir. J'en voulais surtout à mon frère de ne rien m'avoir dit quand j'étais sorti de ce coma. Il m'avait laissé croire que ça allait bien entre Ely ét moi, et il avait fallu que j'attende un moment avant d'apprendre la vérité. Pour moi, c'était comme une trahison et ça m'avais fait beaucoup de mal. Une chute de plusieurs étages, ce soulagement que j'avais pu lire dans le regard d'Ely. Les questions qui me venaient en tête et pourtant que je n'osais pas lui demander. Elle avait souffert par ma faute, et même si ses mots étaient inconnus pour moi, que les souvenirs n'étaient plus là, je ne pouvais que la croire et me taire. J'étais en tort, je n'avais pas à dire quoi ce soit. Juste la laissée partir, qu'elle puisse vivre sa vie. Même si au fond, j'avais mon cœur qui se serrait encore plus.

Devant mon ordinateur alors que je lisais ce que je venais d'écrire, des idées m'étaient venu en tête. L'histoire d'une femme qui n'avait pas une vie facile. J'écrivais sans vraiment me dire que ça allait être le best-seller de l'année. Mais au moins, ça me changeais les idées. Jusqu'à recevoir ce message. Tout de suite, l'inquiétude venait me prendre d'un coup. Me redressant tout de suite pour attraper mes affaires. Bon, j'avoue que je n'avais pas été des plus cools avec Ely. Mais le stress étaient beaucoup trop présent, inquiet pour mon frère. Je roulais un peu vite avant de rejoindre cet hôpital. Montant les marches assez vite, le souffle court, je cherchais Ely jusqu'à la voir. Elle ne semblait pas contente, mais pas grave. "On parle de mon frère qui est aux urgences, donc normal que je sois là." Et plus j'y réfléchissais, et plus je me disais que c'était sûrement pour ça que je ne me sentais pas bien depuis quelques heures. Continuant de la regarder, je pouvais lire la détresse dans son regard. Mais surtout, je venais la regarder de haut en bas. Retirant ma veste pour la poser sur ses épaules. "Explique-moi, qu'est ce qui se passe? Tu as eu des réponses ?" J'essayais de me retenir et pourtant l'avoir aussi fragile me donnait envie de la protéger.

Y avait son corps qui tremblait et ses yeux qui ne voulaient pas le lâcher. Bien qu'elle ait déjà croisé River plusieurs fois depuis son accident, il était encore compliqué pour Ely de l'avoir devant elle, comme ça. Comme avant. Avant qu'il ne publie son livre, marquant un changement drastique dans leurs vies. Avant que ses absences ne deviennent quotidiennes. Avant que les fiévreux baisers ne deviennent que souvenirs. Avant que l'amour ne s'efface de son regard à chaque fois qu'il posait les yeux sur elle. Ely, elle avait vu River s'éloigner. Petit à petit. Incapable de le retenir. Incapable de mettre fin à tout ça également. Passive de cette relation qui la faisait tant souffrir. Victime de l'amour qu'elle lui portait. Elle aurait enduré son indifférence des décennies, s'il n'avait pas mis fin lui-même à leur histoire. Capable de supporter toutes les souffrances tant qu'il lui promettait de s'endormir dans ses bras.
Avec du recul, elle se sentait stupide. Pauvre petite idiote, beaucoup trop amoureuse d'un homme qui n'avait pas hésité à la quitter par un message qu'il n'avait même pas écrit lui-même. Alors, y avait ce goût étrangement amère au fond de sa gorge, à chaque fois qu'elle le voyait. Parfaitement consciente de la faiblesse qui l'envahissait, de son cœur fiévreux de cet amour qui lui avait été enlevé depuis tant d'années. L'aimait-elle encore ? Oui. C'était certain. Et ça l'énervait. En cinq ans, elle n'avait pas évolué d'un millimètre. Toujours aussi faible face à lui. ça ne lui avait pas servi de leçon. Alors, ses paroles se faisaient amères. Son ton rarement amical à son contact. Seul moyen de tenir la distance. Seule manière de protéger le peu d'amour propre qu'il lui restait.

"on parle de mon frère qui est aux urgences, donc normal que je sois là.". Léger rire, venu du fond de sa gorge, alors que ses yeux se levaient exagérément vers le ciel. La fatigue n'aidait pas. Elle était irritable, Ely. De nature fougueuse, généralement incapable de gérer la pression. D'ordinaire, elle se noyait dans la nourriture... mais ce matin là, le distributeur n'avait pas été de son côté. Alors, ce fut la colère, la frustration et tout un tas d'autres émotions qui montèrent en elle. Un peu trop brusquement. Mauvais mélange. "laisse-moi rire ! ton frère à qui t'as pas donné de nouvelles pendant cinq ans ? ton frère que t'as exclu de ta vie après une dispute à la con ? c'est un peu tard pour jouer les jumeaux attentionné, non ?". Ces mots qu'elle crachait comme du venin, son regard qui lançait presque des flammes, son cœur qui tambourinait dans sa poitrine et... le retour sur terre. La colère qui n'apaisait absolument pas son cœur. Nouveaux frissons de froid et nouveaux soupires. "Excuse-moi...", qu'elle soufflait en détournant le regard, resserrant ses bras autour de sa poitrine. Il ne méritait pas ça. Pas de cette colère mal placée. En réalité, ça venait surtout de sa fatigue et de tout ce stress accumulé. "ça a été une longue nuit...", soufflait-elle à nouveau, la voix déraillant légèrement. Elle releva sur River un regard peiné, les yeux un peu rougis. Elle avait besoin de dormir. Ou d'un bon bain. Ou d'un café. Ou des trois à la fois. Son regard qu'elle baissait à nouveau et le corps de River qu'elle sentait s'approcher du sien. Enfin, un poids sur ses épaules. Sa veste qu'il venait de poser sur elle, la laissant profiter de sa douce chaleur. "Merci...", glissait-elle d'une petite voix, resserrant les pans autours de son corps, relevant son visage sur celui de River. Bordel, ce que ça lui avait manqué. Ce genre d'attention. Ce genre de comportement. Et son corps qui lui criait de se plonger dans ses bras, alors que son doux parfum émanant du tissu de sa veste chatouillait ses narines. Comme un doux souvenir d'un passé heureux. Tout lui manquait, même l'odeur de sa peau. "explique-moi, qu'est ce qui se passe? tu as eu des réponses ?". Elle se redressa légèrement, s'éclaircissant un peu la voix. Ses épaules qu'elle haussait. Si sa mère l'avait vue, elle aurait eu le droit à une vile remarque. "Les médecins ont parlé de leucémie... J'crois que ça dure depuis des mois... Je l'ai pas vu longtemps, je...". Et sa voix qui déraillait à nouveau, sa lèvre qu'elle mordillait nerveusement. Tentant de reprendre le dessus, elle prit une grande inspiration. "C'est grave, River...". A vrai dire, elle n'avait pas compris grand chose au charabia vivement lâché par le médecin qui s'était occupé de Maddox. Cependant, le mot cancer avait suffi à l'alerter. Et la vision de Maddox sur le lit d'hôpital lui avait également suffi. "Je sais que c'est ton frère, mais...". Ses yeux qui se remplissaient de larmes et sa voix qui tirait dans les aigus. "mais c'est aussi mon meilleur ami... j'peux pas le perdre, c'est pas possible... pas après t'avoir perdu, toi aussi...". A vrai dire, elle n'avait plus vraiment consciente de ce qu'elle disait, alors que le pire scénario envahissait son esprit. Maddox avait été essentiel à sa vie "d'après River". Si Nia avait également été présente, Maddox avait eu une présence salvatrice dans sa vie, l'empêchant de sombrer totalement...