Je te l'ai dit pour les nuages (Opale)

|	je te l'ai dit pour les nuages ; Anya & Opale

L’effervescence des premiers succès, l’euphorie d’un début de célébrité qui pointe le bout de son nez, Anya qui vit un rêve éveillée sans même comprendre pourquoi cette faveur lui est accordée. Mais elle est bien trop emportée par les courants de cette joie candide pour être en mesure d’étayer son esprit critique, qui risquerait d’assombrir trop rapidement ce bonheur incandescent auquel elle estime avoir enfin droit après avoir traversé tempêtes et ouragans pendant près d’une année. Le coeur vagabondant entre toutes ces émotions multiples et nouvelles, elle traîne sa lourde valise jusque dans sa chambre afin de désencombrer le salon, après avoir passé tout un week-end dans une ville qui n’est pas la sienne afin de participer à un festival, au cours duquel elle s’est sentie reine en l’espace de deux nuits à peine.

La sonnette qui retentit dans tout l’appartement la fait presque sursauter alors qu’elle se perdait encore dans les méandres de ses pensées. Sans attendre, elle lâche la lanière de sa valise, qu’elle abandonne à moitié éventrée au pied de son lit, avant de revenir vers le salon, parcourant la distance qui la sépare de la porte en une fraction de seconde. C’est un sourire sincère qui s’empare de ses lèvres au moment où elle découvre la silhouette d’Opale, qui se dessine harmonieusement dans l’encadrement. Un sourire dont elle avait presque oublié la saveur pendant l’orage. Déboussolée par tout ce bonheur qui la submerge, elle en oublie presque d’instaurer la distance habituelle, la serrant spontanément dans ses bras avant de la laisser entrer chez elle, attrapant au passage la robe qu’elle lui avait laissée la dernière fois, et qu’elle a eu la gentillesse de lui ramener.

- Merci d’être venue jusqu’ici.

Le bout de tissu qu’elle pose négligemment sur le plan de travail de la cuisine, elle la guide déjà vers le salon, sans perdre ce sourire incandescent.

- Au fait, je suis désolée de t’avoir envoyé des messages au beau milieu de la nuit ce week-end… Mais avec l’effervescence des concerts, je perds parfois la notion du temps.

Excuse trouvée à la va-vite pour se débarrasser rapidement du malaise toujours implanté en elle, elle qui n’assume pas d’avoir trop pensé à Opale alors qu’elle aurait pu être submergée par des dizaines d’autres réflexions parasites.

- Alors, comment tu vas sinon ?

Et aussitôt, elle change de sujet, désireuse qu’Opale n’envisage pas de l’interroger sur les raisons qui l’ont poussée à la contacter elle en pleine nuit, plutôt qu’un(e) autre. Des raisons qu’Anya ne préfère pas formuler à voix haute.

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Son âme s’inscrit encore pleinement dans l’euphorie d’un week-end qui s’est fini trop vite. Un week-end durant lequel elle a vécu comme jamais, a bu plus que de raison, quitte à laisser ses principes derrière elle, quitte à se laisser dépasser par ses émotions. Qu’est-ce qui avait bien pu la pousser à envoyer ces messages à Opale ? Qu’est-ce qu’elle s’était imaginée ? Qu’est-ce que son inconscient désirait et qu’elle se refusait d’accepter ? Après cette soirée passée dans son appartement avec son ex, elle s’était pourtant convaincue qu’elle ferait mieux de garder ses distances, parce qu’elle n’était bonne qu’à la faire souffrir, la briser en mille morceaux, sans même s’en rendre compte. Elle avait bien cédé à la tentation une fois, et Léo était de retour à New York désormais, alors comment pouvait-elle être sûre qu’elle n’allait pas succomber à nouveau ? Elle devrait résolument se tenir à l’écart pour ne pas prendre le risque de piétiner son coeur à nouveau, car il paraît invraisemblable que leur relation reste parfaitement platonique et détachée. Mais peut-être qu’Anya se trompe ?

La pression de ses bras relâchée autour du corps d’Opale, elle s’écarte pour la laisser entrer, récupère la robe pour l’abandonner dans un coin de la cuisine et consacrer à nouveau toute son attention à la jolie brune. C’est fou ce qu’elle est belle, rayonnante, avec ses grands yeux perçants, et ses lèvres délicates. A-t-elle seulement conscience qu’il suffit de sa présence pour illuminer une pièce ?

- Super bien ! Mieux que je ne l’espérais. Monter sur scène, c’est un rêve pour moi depuis toujours, tu le sais.

Opale est l’une des premières personnes avec qui elle a partagé son désir de devenir chanteuse, de percer dans le domaine de la musique. Elle sait mieux que quiconque à quel point ce souhait lui tenait particulièrement à coeur, mais elles se sont séparées bien avant qu’il ne se réalise.

- Est-ce que je dois comprendre que tu n’es toujours pas allée chez le kiné..? demande-t-elle sur un ton malicieux, faisant directement référence à leur dernière conversation, au cours de laquelle Opale lui avait parlé de son agression, et lui avait clairement fait savoir qu’elle n’avait rien fait pour se soigner, que ce soit sur le plan physique ou mental.

En la regardant s’installer, elle se détourne un bref instant pour aller récupérer deux bières dans le frigo. Elle rejoint ensuite Opale dans le salon et lui tend l’une des deux bouteilles, en lui adressant un sourire rayonnant.

- Une bière, ça te dit ?

Déjà, elle s’installe juste à côté d’elle dans le canapé, se tenant bien trop proche d’elle, incapable d’instaurer cette distance qu’elle s’était promise de garder. Elle prend une première gorgée de sa bière, comme pour se donner le courage de ne pas s’éloigner, de la regarder dans les yeux malgré ce qu’elle lui a fait et dans l’espoir de retrouver l’euphorie qui l’animait il y a quelques heures à peine, alors qu’elle s’était mise à penser qu’Opale lui manquait bien plus qu’elle ne voulait bien le dire.

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Que sont-elles censées construire ensemble à présent ? Que doivent-elles ériger sur les ruines de leurs amours mortes, terrassées par la trahison d’Anya ? Ce rendez-vous improvisé est-il réellement la meilleure idée qui ait pu leur traverser l’esprit ? Certainement que non. Pourtant, la musicienne aimerait pouvoir recoller les morceaux, prouver à Opale à quel point elle regrette, s’en veut tous les jours d’avoir tout gâcher entre elles, mais c’est impossible. Le mal est fait et rien ne pourra jamais réparer l’erreur passée. Pourtant, elle a le sentiment qu’Opale se montre nettement moins hostile que le jour de leurs retrouvailles, comme si elle acceptait enfin d’entrouvrir une porte, un volet, laissant pénétrer un faisceau de lumière dans le coeur désolé de la rousse.

- Merci ! Ca a pris du temps mais… Je crois que ça se rapproche vraiment de ce à quoi j’aspirais. lance-t-elle, guillerrette, incapable de canalyser l’excitation qui la submerge encore après un week-end comme celui-là, l’ayant placée au sommet de l’euphorie.

Elle a le coeur qui bat la chamade, Anya. La respiration saccadée, les pupilles dilatées, le rythme saccadé de l’hémoglobine qui court dans ses veines et ses artères. Et ce n’est peut-être en rien l’allégresse résiduelle des concerts qui la met dans un état pareil, mais plutôt cette proximité avec Opale, qui se trouve à moins d’un mètre d’elle. Il lui suffirait de se pencher un peu pour la toucher, la serrer dans ses bras, sentir son souffle heurter sa peau. Mais elle reste parfaitement immobile, se contentant de la contempler en silence, s’émerveillant silencieusement de sa beauté, sans que la brune ne soupçonne quoi que ce soit.

- Pourquoi tu n’y vas pas ? Tu as peur ? qu’elle demande en adoucissant le ton de sa voix, pour se montrer plus prévenante, mais clairement pas prête à abandonner le sujet aussi rapidement que la dernière fois.

Elle lui propose une bière pour s’échapper de son emprise un court instant. Délivrance furtive afin de ne pas éveiller trop vite le démon qui sommeille. Elle revient vers le salon avec une bouteille dans chaque main, vient s’installer juste à côté d’Opale, instaurant cette proximité presque oppressante entre elles, sans même s’en rendre compte, sans prendre en considération  ce que peut bien ressentir son ex petite amie, voulant juste profiter de ce sentiment de plénitude qui l’assaille quand elle se trouve juste à côté d’elle, comme si c’était la place qu’elle avait toujours voulu occuper.

- J’imagine que tu as dû arrêter la gymnastique à cause de cette blessure, en plus ? qu’elle s’interroge en désignant d’un geste presque imperceptible du menton la jambe qu’Opale traîne toujours douloureusement derrière elle, sans trop savoir si elle s’aventure sur un terrain hasardeux ou non.

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Elle peine à y croire, Anya. Elle peine à croire que tous ses rêves sont en train de se réaliser, de prendre de l’ampleur, d’illuminer sa vie comme jamais. Elle se sent pousser des ailes, comme si plus rien ne pouvait l’arrêter, la stopper net, l’arracher à ce qu’elle convoite depuis tant d’années déjà. Depuis qu’elle est en âge de parler et de chanter, elle se voit sur le devant d’une scène, inondant de sa voix chaude et suave une salle remplie d’un public qui ne serait venu que pour elle, sa personnalité, son charisme, ses mélodies et ses paroles mélancoliques. Son cœur bat à deux mille à l’heure et elle se sent toute puissante. Tout est susceptible de lui appartenir, elle le sait, elle le sent. La preuve d’ailleurs : Opale est de retour dans sa vie, dans son existence, alors qu’elle s’était promis de ne plus jamais en faire partie. Anya capte l’attention des individus qui gravitent autour d’elle, tel le soleil rayonnant qu’elle est. Elle est éblouissante, aveuglante, capable d’illuminer les âmes et les cœurs. Elle a l’intime conviction qu’Opale pourrait être à nouveau sienne, et ce semblant de certitude déploie l’envol d’une centaine de papillons dans sa cage thoracique cabossée.

- Je l’espère…

T’es l’une des belles choses qu’elle espère voir atterrir de nouveau dans sa vie, Opale. Mais ça, t’en sais rien, parce qu’elle laisse rien transparaître. Du moins, pas explicitement. Par contre, peut-être que tu t’en doutes, rien qu’en analysant la manière qu’elle a de te dévorer des yeux, d’afficher ce même air niais quand vos regards se croisent et quand vos sourires s’imitent.

- J’imagine, mais c’est important. Y a personne qui pourrait t’accompagner ?

Une manière un peu détournée de te demander si t’as pas déjà quelqu’un dans ta vie, Opale. Quelqu’un qui pourrait t’accompagner dans ces épreuves douloureuses, te prendre la main, te rassurer quand t’es submergée par la peur, essuyer tes larmes quand elles viennent former des sillons humides sur tes joues de poupée de porcelaine. Égoïstement, elle espère que t’as personne, Anya. Pas parce qu’elle voudrait ton malheur, loin de là. Mais parce que ça la rendrait folle de jalousie. Ca la terrasserait de te savoir avec un ou une autre, même si elle a été obligée de se préparer à l’idée depuis que vous vous êtes séparées.

- Tu fais autre chose en attendant de pouvoir reprendre ?

Question anodine qu’elle pose sans même mesurer sa portée. Question innocente formulée alors que ses opalescences émeraudes semblent s’attarder un peu trop longtemps sur ses lippes charnues. Opale l’aura-t-elle seulement remarqué ?

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Elle a le sourire envoûtant, Opale. Cet éclat dans les yeux qu'Anya ne décèle dans aucun autre regard. Cette particularité qui la rend si spéciale pour elle, cette particularité qui la met dans tous ses états dès qu'elle se trouve à moins d'un mètre d'elle, comme c'est le cas maintenant. Ses opalescences qui s'égarent un peu partout sur son visage, et surtout sur cette bouche qu'elle a tant aimé embrasser. Baisers qui lui sont désormais interdits, volés, et qui semblent complètement hors d'atteinte. Elle voudrait pourtant y goûter une dernière fois, pour en apprécier la saveur, s'en imprégner, l'intégrer dans sa mémoire et ne plus jamais les oublier.

- Tu veux que je t'accompagne ?

Elle saute sur l'occasion qui se présente face à elle, saisissant l'opportunité de passer un peu plus de temps à ses côtés, de lui rendre ce service qu'elle ne lui a pas demandé dans l'unique but de s'immiscer à nouveau dans sa vie. Une porte qu'elle souhaite ouvrir, et ne plus jamais voir se refermer, être reclaquée brutalement sans qu'un dernier regard ne soit même jeté dans sa direction.

- En même temps, t'es blessée, c'est normal.

Opale qui a presque l'air de se reprocher d'avoir le corps meurtri par cette blessure qu'elle n'a pas choisi, que sa vie ait soudainement perdu tout son sens. Anya ne peut que la comprendre. Elle, que deviendrait-elle sans la musique ? Que ferait-elle de son existence si elle n'avait plus sa passion pour la maintenir en vie.

- T'en fais pas, j'imagine parfaitement ce que ça doit te faire. Mais 'faut juste que tu prennes ton mal en patience.

Elle voudrait lui dire que c'est la musique qui la tient debout, parce qu'à part ça, y a rien dans sa vie qui ait le mérite de la faire vibrer, surtout maintenant qu'Opale en fait plus partie. Et personne a jamais été en mesure de prendre sa place, parce qu'elle est tout simplement irremplaçable. Elle aimerait lui dire à quel point elle regrette, à quel point elle lui manque, mais elle a le sentiment que ce serait complètement déplacé. Et pourtant, le cœur prend parfois le dessus sur la raison, les mots s'évadant sans qu'on ne puisse les contrôler vraiment.

- Opale…

Deux syllabes qui s'échappent de ses lèvres sans même qu'elle ne s'en rende compte, à peine articulées, à peine audibles, initiant un aveu qu'elle n'est pas certaine d'assumer par la suite.

- Tu m'manques…

La voix qui tremblote un peu, incertaine, empoignée par l'émotion qui l'accapare soudainement, l'engloutissant tel un raz-de-marée. Ses iris menthe à l'eau se plantent tout à coup dans son regard, comme pour en sonder toute la profondeur. Ses prunelles s'embrument un peu dès qu'elle réalise ce qu'elle vient de dire, dès qu'elle réalise qu'elle ne pourra pas revenir en arrière et qu'elle est peut-être allée trop loin.