paralyzed. (marty)

|	paralyzed ; Lais & Marty

Marty Einsenmann ne pensait pas qu’il serait un jour doté de ce que le commun des mortels dénomme « la morale ». Lui, il ne s’est jamais embarrassé de ce genre de codes sociétaux vides de sens, visant seulement à brider les esprits les plus inventifs, tel que le sien. Pourtant, son âme était quelque peu torturée depuis cette dernière soirée passée en présence de Lais. Comme à son habitude, il avait joué avec elle les mauvaises consciences, l’avait poussée à franchir les limites du raisonnable, convaincu que leurs excès ne pourraient rien entraîner de bien grave, trop insouciant pour envisager les conséquences, que ce soit sur le court ou le long terme. Sauf que Marty s’était trompé sur toute la ligne. Après avoir accepté d’avaler les pilules qu’il lui tendait comme des bonbons, Lais s’était effondrée, son corps lui signalant de la manière la plus brutale qui soit qu’il n’allait peut-être pas être capable de résister à cette nouvelle sollicitation. L’overdose s’était pointée à la fête sans rien dire, sans signe annonciateur, et Marty avait trop craint de sortir de cette affaire avec les mains sales que pour envisager d’intervenir. Il l’avait donc abandonnée lâchement et s’était contenté d’avertir l’une ou l’autre personne qu’il avait croisé en s’éclipsant de la fête, afin d’être certain que toute cette situation n’allait pas dégénérer. Il s’était contenté de laisser s’exprimer le peu de conscience qu’il lui restait avant de s’en aller sans le moindre remord, sans même envisager la possibilité qu’il ait pu condamner, à lui seul, cette pauvre Lais qui n’avait rien demandé.

Ce n’était que le lendemain, au détour de quelques flashbacks un peu flous après une douloureuse gueule de bois, qu’il avait réalisé ce qu’il avait fait, pris conscience de la gravité de sa fuite. Il avait tenté, par tous les moyens, de découvrir ce qu’il était advenu de Lais après cette soirée, mais il n’avait trouvé absolument aucune information. Il avait ratissé les réseaux sociaux pendant des heures et n’avait jamais vu surgir la moindre publication concernant la mort prématurée de l’enfant star, victime des excès d’une célébrité survenue trop tôt. Il s’était pourtant attendu à voir fleurir les hashtags visant à lui rendre hommage : #LaisThomaRIP #LaisAnAngelInTheSky #DeathOfLaisSoSad. Mais il n’y avait rien. Absolument rien. Il avait donc conclu que Lais n’était pas morte, qu’elle était sortie indemne de cette soirée et que ce qu’il avait pris pour une overdose n’était rien d’autre qu’un léger malaise. Instantanément, il s’était senti stupide d’avoir paniqué pour si peu, et s’était empressé d’envoyer un sms à la concernée. Un texto qui n’avait pas pour but de s’inquiéter pour elle d’une quelconque manière, mais bien de tâter le terrain, afin de s’assurer qu’elle n’était pas trop fâchée, et qu’elle serait prête à remettre ça d’ici peu.

Tout ce qu’il avait obtenu comme réponses à ses messages, c’était de longs silences. Des silences interminables, qu’il avait été incapable d’interpréter. Si elle n’était pas morte, pourquoi lui en voudrait-elle ? Elle était vivante, c’était bien ça l’important, non ? Elle n’allait tout de même pas lui reprocher de lui avoir fait passer la meilleure soirée de sa vie, si ? Et puis de toute façon, si elle ne voulait plus lui parler, il s’en fichait. Elle n’était pas essentielle à sa vie, ne l’avait jamais été et il n’avait jamais eu besoin d’elle pour s’amuser. Du moins, c’est ce dont il essayait de se convaincre pour tenter de mieux vivre ces silences, pour ne pas avoir à admettre qu’elle lui manquait, et qu’il s’en voulait malgré tout.

S’extirpant de cette nouvelle soirée pour prendre l’air et surtout, pour se griller une cigarette, il ne prête d’abord pas attention à la jeune femme qui s’avance vers la bâtisse, comme si elle ignorait où elle devait aller. C’est en l’observant un peu mieux qu’il reconnaît sa silhouette. Celle de Lais. D’abord, son coeur s’arrête, ses muscles se figent et il se met à la fixer comme s’il venait d’apercevoir un fantôme. Que vient-elle faire ici ? Il a pourtant indiqué sur tous ses réseaux qu’il serait présent alors si elle souhaitait l’éviter - comme son silence semble le suggérer -, que fait-elle ici ? Compte-t-elle lui passer un savon ?

- Lais ? qu’il articule de sa voix résonnante, comme pour s’assurer qu’il s’agit bien d’elle, qu’il n’est pas en train d’halluciner, alors qu’il est presque constamment sous influence.

Furtivement, il s’approche, la toise de la tête aux pieds alors qu’elle lui fait remarquer qu’il est toujours prêt à faire la fête. Léger froncement de sourcils, lui qui se demande s’il est censé interpréter ce constat comme une pique.

- Ouai… T’étais passée où ? Je t’ai envoyé plein de messages, je te signale.

Ses paroles résonnent comme des reproches, alors que Lais avait tous les droits de l’ignorer, de l’envoyer paître, de décréter qu’il ne ferait plus jamais partie de sa vie. Bien sûr, cette évidence échappe complètement à Marty.

- Très bien, comme toujours, lance-t-il en soufflant la fumée goudronnée de ses poumons dans sa direction.

- Et toi alors ? Tu as développé une allergie à ton téléphone j’imagine ?

S’enfonçant toujours plus dans l’arrogance, il lui réclame des comptes, comme un père trop sévère le ferait avec sa fille, l’étouffant sous une nuée de blâmes injustifiés, ayant pour unique volonté de la faire culpabiliser pour des actes qu’il a lui-même commis.

|	paralyzed ; Lais & Marty

Il est le pire des poisons. Il est le venin qui se mêle à l’hémoglobine pour la rendre complètement impure, toxique, mortelle. Le pire dans tout ça, c’est qu’il n’en a même pas conscience. Le pire dans tout ça, c’est qu’il pense répandre des rayons solaires et lumineux dans son existence, comme s’il n’était rien d’autre qu’un astre incandescent et bienveillant. Il ne mesure jamais les conséquences et l’impact de ses actions, se contentant de savourer l’instant en toute insouciance. Pourtant, cette fois, il sait qu’il a mal agi, il sait qu’il a merdé, que son comportement puéril aurait pu conduire à une finalité funeste. S’en veut-il ? Non, pas le moins du monde, car il est toujours habité par cette conviction qui consiste à croire qu’on ne vit qu’une seule fois. Cette devise le conduit à prendre toujours plus de risques, et à emporter les autres dans les torrents qu’il s’impose à lui-même.

- À cause de quoi ? T’as pris des vacances ?

Il l’interroge sans pudeur, expulsant par intermittence la fumée chargée de nicotine de ses poumons noircis par le tabac. Intérieurement, il brûle d’envie de savoir ce qui a bien pu la pousser à l’ignorer de cette façon, à lui infliger d’interminables silences bien plus douloureux que de cinglants reproches. Car personne n’ignore jamais Marty Eisenmann. Personne. Même ceux qui cherchent à faire abstraction de son existence finissent toujours par céder à ses tentatives désespérées d’accaparer l’attention, aussi pitoyables soient-elles.

- Je n’irais pas jusque là.

Les commissures de ses lèvres s’étirent en un sourire moqueur, masque de détachement qu’il pose sur son visage dans l’unique but de se montrer le plus distant possible, pour ne pas lui laisser le loisir de s’imaginer qu’il puisse lui accorder la moindre place dans sa vie. Et pourtant, Lais occupe bien plus d’espace dans ses pensées qu’il ne le voudrait. D’ailleurs, il aura beau tenter de se convaincre du contraire qu’il ne s’enfoncera que davantage dans cette peine à laquelle il pense pourtant pouvoir échapper.

- Mais j’me suis inquiété de pas avoir de tes nouvelles. J’ai cru que tu me faisais la gueule, pour l’autre soir.

Il reste évasif mais amorce tout de même la bombe, bombe qu’il s’attend à lui voir exploser au visage d’une seconde à l’autre. La goupille qu’il arrache sans précaution de la tête de la grenade, la gardant entre ses mains en attendant avec appréhension la mise à feu. Lui en veut-elle de l’avoir abandonnée lâchement, sans même se retourner, alors qu’elle avait été happée sans le vouloir par les effets dévastateurs du cachet qu’il lui avait filé ? Ca lui semblerait évident que ce soit le cas, même s’il trouverait - évidemment - cette attitude complètement exagérée. Mais quelque chose lui dit que Lais ne se serait pas montrée aussi peu vindicative si elle était rongée de l’intérieur par la rancune.