religiously unkind (silene)

Les dernières cendres de sa lucky se consument entre ses doigts ensanglantés. Le monde autour n’est que nuisances et tambours, c’est à peine s’il entend les sirènes, l’alcool hurlant dans ses oreilles. Vito, accroupi sur le trottoir regarde le ballet des bottes et des robes, psychédélique danse entre l’ordre et le chaos. Il sourit, les gestes se transforment en chimères, il voit les corps se métamorphoser, devenir art dans leur laideur et leurs imperfections. La clope échoue sur la chaussée trempée, alors il en craque une autre, ses mains si près de son visage mêlant les odeurs de sang et de nicotine. On crie son nom dans le tumulte d’après minuit, à l’heure où les bars s’imbibent de la folie et des rires furieux. Des bagarreurs aussi. Des gars comme Vito, qui partent au quart de tour si on leur donne l’occasion de briser les os et la dignité des autres. S’il a provoqué ou lancé le premier coup, il ne se souvient plus, vision floue, mémoire tourmentée par les démons du whiskey et de la poudre blanche. On le saisit par l’épaule, le force à se mettre debout. Il reste là, planté sur ses deux jambes au milieu des pavés, la pupille dilatée, l’air narquois, jeune dieu dans la fureur des nuits new-yorkaises. - Arrête de sourire comme un con. Casse toi avant que les flics arrivent, kid.

Soupir du grand gamin qui prend la fuite, file dans la nuit, regard dément des imbibés, de ceux qui n’ont plus peur de rien, bienheureux de s’égarer, porté ça et là par les envies désinhibées des frontières et de la bienséance. Il se fout de tout, des badauds qui le regardent trébucher sur les trottoirs, des gosses qui se moquent et pointent du doigt. Vito n’a plus honte de rien, dans la chaleur de l’été naissant, cuir brûlant sur le dos qu’il tient droit même si ses pieds, eux, s’emmêlent. Il est trop tôt, pas assez tard, les immeubles autour de lui se confondent, il reconnaît les rues, les parterres piétinées d’impatience, les lampadaires qu'il prend pour des étoiles, l’off licence jamais fermé où il s’arrête pour acheter une bouteille. - G r a z i e. Et l'gars rigole alors que le déchu continue sa route, gravit les marches du perron et vient abattre son tonnerre sur le bois usé, interrompre sans malaise la solitude. Petits pas agacés derrière la porte close. - ciao bella. lance-t-il, son plus beau sourire en travers du visage, bourbon présenté en sacrifice pour qu'elle le laisse entrer.

Il a mal Vito, tellement mal, il en crève chaque jour un peu de s’être brisé, de ne plus être tout à fait lui, d’échouer chaque soir dans sa quête pour vivre pleinement. Il ne se supporte plus, reflet dans le miroir qui l’dégoûte à chaque regard, balafres tracées sur la peau pâle comme autant d’opprobre et de regrets. Alors, oui, bien sûr qu’il a commencé sans elle, sans personne, parce qu’il ne peut plus attendre, rien, qu’il a trop peur que la vie lui file entre les doigts, parce que c’est juste un gamin, Vito, du haut de ses vingt-trois années flambées, un gamin paumé qui ne trouve plus le salut que dans la débauche et l’oubli. Il entre, dépose un baiser sur l’crâne de l’amie maudite, tendresse malicieuse qu’il trimballe dans son infâme sillage, traces ridicules de l’enfant d’autrefois, doux et rêveur, alors qu’il traîne des pieds jusqu’au salon.

- Mieux vaut être mal accompagné… qu’il ricane en fouillant dans sa poche avant de jeter sur la table basse les sachets d’herbes et de neige empoisonnée. – Ça va… Qu’il répète. Ni question ni réponse, la psyché qui s’évade un instant, qui s’perd, volage, le cœur sous l’bras, juste elle et lui dans le silence de la nuit. Jeunes dieux dévastés dans la solitude de ce monde imparfait. N o n, ça n’va pas, ça fait mille ans que rien ne va. – Si seulement tu savais… ça fait des années que tout fout l’camp. Putain d’larmes qui lui bouffent les opales, Vito qui serre les dents, qui secoue la tête puis attrape une cigarette. Moribonds, les âmes en peine se font face entre les murs striés des instants partagés, à s’mentir, à s’donner de faux espoirs, à s’dire qu’avec le temps courent aussi les blessures. La vérité c’est qu’il ne reste jamais que la douleur.

Corps désinvolte jeté dans le canapé, il prépare du bout des doigts tachés de sang séché le tabac et la marie-jeanne poussiéreuse, papier à rouler qu’il scelle du bout de la langue. Ses bleus dans les siens, il lui dit, amer. - C’est une question à la con ça, ça va. Tu trouves qu’on a des gueules à pouvoir prétendre ? Il tend le joint allumé vers la jeune femme, s’affairant de sa main libre à remplir les verres de l’ambre précieuse. - C’pour ça que j’te la pose pas, cette question, j’vois bien qu’ça va pas.