120 battements par minute

Ruisselle au fond des coupes tendues distraitement du bout des doigts, un flux pourpre et amer, ailleurs ce sont les cristaux dorés d’une boisson toute d’or faite. Au-dessus des bruits d’écoulement, celui d’une foule dorlotée dans le parfum qui s’agite en déférences hypocrites.
Poignées de mains et rires scandés, Lion sert un sourire poli à ces effusions mondaines et alcoolisées, frappe avec légèreté l’épaule d’un homme aux blagues graveleuses. Le français passe de doigts en doigts, des rencontres ponctuées d’accolades féminines, et au milieu desquelles se glissent quelques mots pour les oeuvres qui ont amené le grand peuple entre ces murs.
Le vernissage s’éternise, tenu en haleine par une critique incessante d’amateurs sur la question de ce qui relève ou non de l’art. Les invités s’en mêlent, apposent un oeil déjà repus de toutes les beautés du monde sur les peintures de cet artiste, s’interrogent sur les quelques traces de splendeur qui maculent ses tableaux.
Un employé de l’hôtel vient sonner la fin des événements, rompre les sonorités largement menées par les flûtes ingérées; la salle de réception est sur le point de fermer ses portes. Au coeur du gratin new-yorkais, Lion se profile vers la sortie accompagné d’un groupe d’hommes encostumés ; ils bavassent, s’esclaffent et le rire qu’il partage s’interrompt aux paysages familier de son visage à elle.
i r i n a.
Le charme troublé, la délicatesse enivrante enveloppés dans un cuir satiné. La Vénus aux yeux de lionne s’impatiente, prostrée près du bar en figure chaste et divine à contempler.
Et cette silhouette sagement imbriquée dans le décor lui arrache un froncement de sourcils inquisiteur.
« Messieurs, si vous voulez bien m’excuser. Je vous souhaite une excellente fin de soirée » il s’efface et se retire jusqu’à teinter l’ombre de la sirène de la sienne, engoncée dans l’obscur. Une main dans la poche de son pantalon, il étudie le mirage de profil.
« Je ne pensais pas te voir ici », elle vient frotter ses jades au gris de ses iris. C’est un plaisir silencieux, une aubaine miteuse qui sabre la pierre coffrée derrière le torse.

@Irina Ivanova

MADNESS

Lionne sournoise à la démarche séductrice. Prise à son propre piège, retour à la réalité brutal. La maquerelle de retour dans ses habits de sirène, creusant l'abîme du mensonge comme un appât pour les clients les plus fortunés. L'impression que tous les regards prédateurs sont pointés sur son visage impassible quand elle ne fait que subir l'impatience de voir son prochain consommateur de chair arriver. Manières de reine qui lui fait serrer les dents, jouant nerveusement avec le verre d'alcool russe entre ses menottes manucurées. Elle se perd jusqu'à devenir hermétique au monde qui l'entoure, omettant même l'ombre qui se rapproche de son corps sûrement trop vulnérable. La voix de l'animal indomptable manque de la faire sursauter. Il est bien futile de lever les yeux pour le reconnaitre, c'est une présence qu'elle ne peut oublier depuis longtemps. Inquisiteur de ses nuits les plus sombres et de ses jours sans soleil. Lion à la carapace trop solide pour être brisée avec un simple sourire et Irina n'est pas sûre de vouloir le faire quand c'est le mensonge sur son exercice qui les relient. La russe ne pose pas ses iris sur lui, feint l'indifférence quand tout son être vibre de le sentir si proche et si lointain à la fois. « Lion. » Soupir étouffé dans la vodka quand elle daigne enfin se retourner dans sa direction. Elle aussi, elle vient de revêtir son enveloppe glaciale, comme un reproche muet de ne pas être venu plus tôt, une possessivité qu'elle dissimule à peine. « Il faut croire que j'arrive toujours à te surprendre. » Rictus pudique qui se dessine au coin de la pulpe de ses lèvres. « Qu'est-ce que tu fais ici ? J'ignorais ta passion pour les soirées mondaines. » Son terrain de chasse. Les plus gros portefeuilles associés à des hommes accaparés par le vice pour oublier l'ennui de la demeure familiale. Irina est toujours à la recherche d'un indice, d'une piste pour réussir à creuser un peu plus dans les entrailles de Lion. C'est presque une obsession, au point de lui faire oublier l'existence d'un potentiel futur client qui ne devrait pas tarder à voir sa place volée.

(c) élissan.

@Lion Brummell

Aux iris détournées qui ne cillent pas, Lion se persuade que la créature était là à l’attendre. Les lèvres suppliantes ourlées sur le cristal et baignant dans le liquide translucide, dans un battement de coeur imperceptible pour cette âme inamovible. Elle a l’impassibilité exigeante d’une déesse habituée à apprivoiser les mortels.
Il lève un doigt vers le barman pour exiger la boisson des sources d’Olympe dont elle s’abreuve. Et bientôt, l’homme lui fait l’aveux d’un rictus emprunt d’arrogance, qu’il n’est point un Dieu et bien moins qu’un mortel.
Le givre se fissure au sourire délicat et timide qu’il perçoit du coin de l’oeil. Elle est vénus, sibylline, et l’instant d’après, quelque chose de plus fragile, le bouton d’une pivoine sur le point d’éclore ou une goutte d’eau créant rupture avec le reste d’une flaque. Il se garde alors de lui répondre que ce n’est pas tant de la voir ici qui tisonne les braises de sa surprise, mais plutôt, qu’elle soit ici seule et par-dessus tout, sans lui.
Il boit pour se tenir au silence et résister à l’appétit inconscient de cette femme conçue pour lui seul. L’animal considère la russe de ses opales aux teintes ternes, comme si la curiosité qu’elle manifestait lui était devenue hostile, soufflée en reproche.
« Un vernissage. Les mondanités font les bonnes affaires, mes hôtels ne vivent pas sans quelques mécènes »
Les yeux se détachent de la divine faite de marbre, ses lèvres s’accrochent au verre platement vaincues par les habitudes qui gangrènent jusqu’à son foi.
« Tu es à couper le souffle », les secondes s’égrainent, s’éternisent alors qu’il braque ses orbes sur les bouteilles exposées. « Je devine que tu ne t’es pas apprêtée pour boire un verre en solitaire? », le verre claque sur le bois du comptoir, un bruit feutré, qui insuffle une autorité troublante. Le vautour s’éprend dangereusement de la charogne, s’efforce de battre des ailes vers d’autres horizons que cette innocence mensongère.

@Irina Ivanova

MADNESS

A se croire maitresse de ses actes, à s'inventer des droits qui n'existent pas pour les femmes comme elle, elle finit par forger une barrière impénétrable. Et elle la sent pourtant, cette brûlure qui tente de combler le vide de son absence quand il est si proche et si éloigné à la fois, à portée des yeux mais intouchable pourtant. Il n'y a que son breuvage pour apaiser le brasier qui danse dans ses iris, rapacité mal dissimulée derrière le marbre. Il est son unique convoitise, celle qu'elle ne s'autorise pas avec le commun des mortels, encore moins avec ses clients qui n'attendent que ça. Le seul qui lui fait serrer les dents sans réellement le chercher. Comme deux panthères qui se toisent, les expressions en moins pour ne pas se mettre à découvert. Un vernissage, voilà la raison de sa venue qui creuse un peu plus le fossé entre eux. C'est ce genre de monde qu'elle ne connaitre jamais, à moins de devenir reine à la place du roi, souveraine sans une once d'humilité dans le fond de la pupille. La cadence désaccordée dans sa poitrine met fin à sa soif de pouvoir. Elle est à couper le souffle, mais pas assez pour couper celui de Lion. Elle ne relève pas, se contente d'étirer ses babines dans un rictus satisfait face à l'exigence déguisée en questionnement. La Russe dévisage l'animal en cherchant à comprendre ce qu'il en est, sûrement rien d'autre qu'un amusement qui n'appartient qu'à eux pour dissimuler une vérité bien plus laide. « C'est vrai que j'attends quelqu'un, une personne importante. » Il n'y a que son air fier qui l'empêche de sourire un peu plus et elle n'a pas totalement tort, tous ses clients sont importants à leurs manières, jamais comme lui. La situation est trop inhabituelle pour qu'elle sache gérer du bout de ses doigts fins, elle se donne de la contenance en ramenant sa tignasse sur une seule épaule avant de reprendre d'une voix adoucie par l'alcool que son corps tolère. « J'ai toujours la possibilité de lui fausser compagnie si un meilleur plan s'offre à moi, je tolère mal le retard. » Un haussement d'épaules désintéressé alors que c'est son enveloppe corporelle qui vibre d'une future proposition. Le cristal débarrassé de son contenu vient retrouver le comptoir, la anse de son sac retrouve l'épaule dénudée, offerte suite au mouvement de sa chevelure. Elle est prête à partir, prête à conquérir un peu de Lion pour y apposer sa trace manucurée.

(c) élissan.

@Lion Brummell