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 memories bring back you (aodh)

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Message Sujet: memories bring back you (aodh)   memories bring back you (aodh) Empty Ven 20 Mar - 0:11

aodh & crystal

Le bar. Le même. Il y a des tonneaux en bois sur lesquels poser sa chope, des tonneaux en bois qui ont bu les verres renversés des invités ivres qu'ils ont servis. Les tonneaux en bois qui puent la bière, offrent à l'endroit une sale odeur qui lui est caractéristique. Presque plaisante.
Un gars et son groupe jouent une sorte de hardrock lourdaud, et chaque pinte engloutie pour apaiser leurs cordes vocales détraquées apporte son lot de fausses notes et voix cassées. C'est la plaie du mercredi soir au Commodore Cafe.

Il y a des avantages à évoluer dans ce fracas auditif. Au comptoir, vous n'avez jamais exactement ce que vous avez demandé, mais étonnamment vous vous retrouvez généralement à boire davantage. Sur le carrelage glissant qui sert de piste de danse, on ne se hasarde pas à adresser la parole, on se contente d'agiter ses reins à droite, à gauche, les yeux fermés pour oublier I'm gonna bleed when you stab me aboyé par le poète satanique. Fréquentation de semaine, toilettes propres et accessibles, places assises, visages familiers. Patrick est saoul à 6pm, Marnie à 8.

Ce soir-là, au bar, un souvenir.

Comme un courant d'air aux allures de fantômes, il s'est glissé dans la pièce. Depuis l'horloge tourne, les verres se vident, Crystal l'épie.
La banquette rouge du fond est son radeau, elle s'y fond et s'y accroche alors qu'elle se cache, honteuse d'une chose qu'elle n'a pas faite, coupable seulement d'avoir peur de se souvenir. Une éternité à se demander si, vraiment, c'est lui. Un autre millénaire à évaluer cet arrière-goût amer, cette relique désagréable, un reste de sensation périmée. Sur ses joues, la peau picote comme en mémoire des larmes qu'il y a tracées. McGrath. L'enflure.
Il attrape un verre d'une paume assurée. Du whiskey, sans doute. Dans une autre vie il lui en avait fait goûter, et quand elle avait craché le vingt ans d'âge, il avait essuyé ses lèvres avec les siennes.
Une gorgée, deux. L'ambre scintille devant les lumières, on dirait du parfum. C'est adroit, habitué. Ses sourcils ne se froncent même pas à la piqûre du poison. Quand il avait quinze ans il finissait les bouteilles sur les murets du Queens.
A côté un gars, ils discutent. Un inconnu parmi les inconnus, un protagoniste qui n'a pas sa place dans l'histoire. Un second plan. Elle ne le voit que dans un nuage brouillé désintéressé. Les mots sont chuchotés malgré le vacarme ambiant. C'est important. Tout avait toujours eu l'air important avec McGrath. Des phrases solennelles, des rires appuyés. Tout avait été important avec McGrath. Il importait peu que leurs amours aient été louvoyées par les drogues et alcools. Ils avaient été là. Ensemble. Un instant parmi les instants.
Sur la banquette rouge, passive, spectatrice, Crystal l'observatrice.

Un temps.
Le gars s'en va enfin. Et finalement, c'est pire, puisqu'elle n'est plus l'âme anonyme d'un numéro répété. Le troisième est parti, le charme est rompu. Ce n'est plus qu'elle et lui, seuls, pour de vrai. Comme dans les films, on a éteint l'arrière plan. Un duo sur scène, le rideau est levé, les masques sont tombés. On attend son accroche, sa tirade, son retour, l'exploit.
Crystal se lève.
C'est étrange qu'aujourd'hui elle soit mue d'une curiosité périlleuse, après l'avoir maintes fois croisés sans jamais avoir osé interrompre leur manège improvisé. Mercredi, dans un bar miteux, on crève l'abcès. C'est certain, ça va s'infecter.

Son corps délicat sur le tabouret, tout proche, leurs coudes se frôlent. Elle se faufile à son côté et se faufile dans sa vie, un virus, un microbe, le retour de la plaie saisonnière. C'est une acrobatie risquée, ce point de non retour.
Abasourdie par la situation, sidérée de sa propre effronterie, elle reste là un moment. Silencieuse. Toute conne. Ses yeux à lui la trouvent, l'englobent, la découvrent. Se souviennent, enfin. Et quand, après de longues secondes d'exploration muette et d'étonnement partagé, il ose entrouvrir les lèvres, elle l'interrompt. Ce serait insensé de lui laisser prendre le contrôle.

So... We're gonna fuck or what?

Quatorze ans après et c'est la seule chose auquel elle se raccroche. Le sexe. Un de leurs seuls points communs, elle pense. Et c'est aussi vulgaire qu'absurde, que de croire qu'il n'a été là que pour la faire gémir. C'est une de ces maigres consolations dont on se bourre le crâne pour rafistoler une plaie béante, sécher ses larmes et remonter sur son vélo. Ce n'est rien. Ce n'est pas grave. Ça va aller. C'est pas important, dis.
Il l'entraîne hors du bar, par honte, par peine, pour pouvoir gueuler et se faire entendre, pour la frapper et ne pas se faire voir. Qui sait.
Crystal ferme sa gueule et attend la sentence, petite gamine ayant été assez ardente pour aller chatouiller l'essaim grouillant.
Dehors, le froid piquant de mars lui fait regretter sa veste, dans le bar. Sur son bras nu au duvet dressé, la marque de ses larges doigts lorsqu'il l'a attrapée.
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