young blood (Alejandro)

New-York, la ville qui l’avait vu naître et qui le verrait sûrement mourir, et il ne comptait plus les occasions manquées. Gigi était fier de considérer cette ville comme son tombeau, et parfois il lui arrivait d’attendre ses funérailles avec impatience. Il était las, las de vivre à ne cependant pas confondre avec une volonté de s’éteindre. Il n’était pas de ceux qui se foutraient en l’air, il se trouvait trop bien pour cela ou plutôt il le laissait volontiers aux faibles d’esprit. Hermétique à toute façon d’illusion, il savait bien que la belle ne l’attendait au bout du tunnel, bien qu’il aimait à s’imaginer qu’elle l’accueillerait sourire aux lèvres.

Graziella,
J’aimerais te manquer autant que le vide…

Oh oui, le vide, cette plaie ouverte qui ne cicatrisait pas et ce, trente ans plus tard. Le décalage l’extirpait un sourire, il n’était pas homme à qui on prêtait ce genre d’intentions et de pensées. Sauf peut-être Franco qui avait su se faire une place de choix dans son existence. Place qu’il désertait ces derniers temps depuis qu’il était parvenu à reconquérir Lisa. Des promesses avaient été faites, il avait juré de changer et hurler son amour pour l’italienne et les voici dans leur voyage de noce qui durait généralement quelques semaines, deux mois au maximum avant que Franco ne s’abandonne à nouveau à ses démons. Il se faisait ainsi rare durant les retrouvailles, Gigi ne s’en formalisait plus. Il savait très bien comment les choses tourneraient, même si son ami s’évertuait à clamer le contraire.

Tu l’as dit,
Il aime toujours autant se mentir à lui-même,
Mais je pense qu’il voudrait être le premier à croire à cette possibilité.

Gigi se laissait avaler par des petites ruelles pour être recraché dans les suivantes. Il aurait pu se déplacer les yeux fermés tant il maitrisait son terrain de jeux. Il ne lui fallut pas bien longtemps pour rejoindre les quartiers d’Alejandro dans lesquels il avait rendez-vous. La soirée s’annonçait intéressante et seul son hôte suffisait à la rendre ainsi. Un gamin curieux, son silence avait frappé le vieil italien en premier, pourtant l’on pouvait distinguer de sacré flammes dans ses prunelles, déstabilisant pour un non aguerri.

Il te plairait, je pense.

Il a un sourire à cette pensée alors qu’il annonçait sa présence à son hôte. Il patienta ainsi quelque secondes le temps de finir sa cigarette de sa main libre. Les bruits lui indiquèrent que l’on venait l’arracher à la froideur nocturne et bientôt il put enfin distinguer le visage d’Alejandro. « Livraison à domicile » lança Gigi en guise de salutations, un sourire flottant distraitement sur ses lèvres « meilleure pizza de New-York, j’peux t’l’assurer » Une pizzéria tenue par un vieux couple qu’il avait connu alors qu’ils étaient encore dans la fleur de l’âge… le temps semblait se moquer d’eux à cet instant.

Son lieu de naissance, cette ville cosmopolite remplit autant de noirceurs que de lumière était sa terre depuis sa naissance. Son sang coulait, son âme voguait dans les ruelles sombres et sordides de cette ville depuis plus de trente ans. C’était sa zone, l’endroit où ses pires vices s’exprimaient. Endroit où se trouvait également son garage, son bébé construit de ses mains avec l’aide de son meilleur ami et frère de cœur.

Un endroit salvateur après la violence de la prison, pour oublier les cris, pour oublier la meute de chiens qu’il avait dû côtoyer pendant cette période. Une bande d’animaux derrière des cages qu’on regroupait une heure par jour dans une cour où tous les coups étaient permis. La loi du plus fort, l’endroit où les poings rencontraient les mâchoires régulièrement sous les yeux pervers des gardiens et gardiennes.

Observateur de la déchéance humaine dans leur tour de pierre et de barbelés, observateur privilégiée de la cruauté humaine, spectateur d’une mise à mort physique et intellectuel. Des êtres humains qu’il trouvait presque aussi exécrables que les flics, un dégoût viscéral pour ces deux professions. Des flics qui lui collaient au cul comme des mouches à merde pour son plus grand agacement.

Impossible de s’en débarrasser, ce serait prendre le risque d’attirer le reste de la cavalerie derrière son cul, un danger qu’égoïstement il n’était pas prêt à courir. Les autres n’avaient que peu d’importance à ses yeux, chaque personne connaissait les risques dans ce milieu.

Céder à la tentation du fric facile, des pires vices étaient mettre sa vie en danger, celles des proches également. La dualité flic/voyous, un combat sans merci où le plus fort gagnait. Des hommes qu’on mettait derrière des cages pour qu’ils se remettent sur le droit chemin, sans grand succès.

Une rédemption qui n’existait pas pour les gens comme lui, suppôt de Satan, les poches remplies d’argent sales. Un bien pécuniaire blanchi par l’achat d’immeuble, de motos anciennes et autres propriétés. Un beau pactole, jamais montrés, la discrétion comme mode de vie. Solitaire de nature, il accordait son attention à peu de gens. Celui qui venait de se pointer comme une fleur faisait partie de ceux-là. Loup qui avait partagé sa cage, taiseux un peu moins que lui, mais un taiseux quand même.

Une personnalité qui collait à la sienne et qui expliquait cette entente, à défaut de parler d’amitié. Serais-tu un homme de goût ? Un léger sourire ornant ses traits, il s’écarta du chemin pour le laisser rentrer dans sa tanière lui faisant signe de s’installer. Et deux bières venant de mon frigo. Un briquet pour simple décapsuleur et une rasade de bière plus tard, il reprit la parole.

Quoi de neuf ? Un intérêt mitigé, monstre d’égoïsme qui finalement ne s’intéressait pas à grand monde. Puis les banalités de la vie l’avaient toujours fait chier, qu’est-ce qu’il s’en foutait de leurs gosses ou des personnes partageant leur vie.

@GIGI DICONSTANZO