Couleur hématome.

Leo entre dans le club, laissant sur son passage une trainée d’amertume et de rage contrôlée mais palpable. On vient encore de lui faire faux bond, ayant comme corollaire sa présence au piano ce soir, pour pallier au manque. Son temps est trop souvent gaspillé ces derniers temps. Ses yeux furieux se posent involontairement sur une Meg complice avec Thomas. Il lui soufflerait bien avec dédain qu’elle rit avec le seul frère qui veut la mettre dehors alors que l’autre oeuvre dans l’ombre pour veiller sans savoir pourquoi. L'ironie de la situation lui échappe et finit par lui arracher un rictus vaguement désabusé par le manque de lucidité d'Arganza. L'enfant terrible préfère faire un tour dans son bureau pour occuper son esprit de tâches futilement administratives avant d'entrainer dans l'arène. Une vingtaine de minutes plus tard, l'ouverture, les premiers clients qui s'installent et attendent déjà les premières boissons d'une longue série. Leo, à l'instar d'un rapace guetteur, vérifie que l'engrenage fonctionne sans grain de sable qui viendrait tout enrayer. Malheureusement pour elle, Arganza passe devant lui, une dizaine de secondes après son frère. L'esprit en ébullition, il l'arrête. « Tu es là pour travailler, Meg » il rappelle placidement, l’air naturellement glacé de celui qui n’est pas prêt à faire des concessions. Ses traits n’appellent à aucune contestation qu’il étouffera dans son autoritarisme génétique. Les autres témoins de la remarque acide du patron se font silencieux, comme pour s’effacer de cette scène qu’ils n’ont pas choisi. C’est vrai que Leo, on n’arrive jamais à savoir si on l’apprécie ou on le déteste au club, alors dans le doute, personne ne cherche à faire de vague en sa présence. Le courroux facile et la colère traumatisante.
«  Je ne vois pas comment je pourrais être plus clair » Leo énonce simplement dans un décret qui se veut royal. Il est conscience de l'instabilité chronique de Meg alors son attitude distante n'a pour unique but d'endurcir la môme à l'hypersensibilité criante. Le moindre de ses gestes passe par le filtre de son exigeance à lui.

C'est dans ce genre de moment qu'il aimerait qu'elle ait la présence d'esprit, la lucidité de disparaitre, de comprendre que sa présence n'est pas désirée. A la place, elle se contente de squatter, l'insolence en compagne. Parce que Leo oscille, entre l'envie de l'avoir sous les yeux pour être certain qu'elle ne sombrera pas plus et l'envie de respirer tranquillement sans avoir à s'énerver parce qu'elle continue à graviter ici. Elle a cette arrogance qui ne lui arrache qu'une expression sereine, maître paranoïaque de ce qu'il lui renvoie. Enveloppe fragilisée par sa fureur. Sourire fugace du connard qui ne l'assume qu'à moitié. « C'est marrant parce c'est ce qu'il me demande souvent » il pointe du menton Thomas qui évolue entre les serveurs, instructions soufflées pour ne pas déranger. Leo ne sait répondre à sa question lancinante « qu’est ce qu’elle fait encore là ? ». Il fuit pour éviter de bégayer une flopée de mots incohérents. Il fait attention parce qu'il sait que le sort de Meg dans le club est intrinsèquement lié à ses humeurs filantes.

« Pourquoi tu t'entêtes alors que tu ne vois que ça ne peut pas marcher » il demande simplement dans une question sincère et non dans une rhétorique bien menée. Parce qu'elle n'aurait jamais osé répondre à son patron de cette façon normalement, mais le fait que ce soit lui biaise la donne. Le même problème de son côté se pose. La rancoeur est trop présente pour leur permettre de vaquer, le coeur allégé, à leurs activités sereinement. Il se sait naturellement tendu lorsqu'elle fait irruption dans son champ de vision, le regard animé par l'envie de la blesser, la mâchoire trop dessinée pour se contenir. « Je pense que tu as suffisamment de problèmes à régler pour t’en créer volontairement de nouveaux » il se permet dans une réalité qu’ils connaissent tous les deux. Prétendre le contraire serait mentir. Il a encore l'ego éraflé de n'avoir été qu'un pansement bancal quelques temps alors que son esprit, à elle, n'était que tourné vers son défunt amant. Dégage Meg. En filigrane.