I'll be the light in the dark if you lose your way - Meg

Ewan ne sait pas trop ce qui l’a conduit jusqu’ici, à part cette envie un peu trop fébrile de faire la fête et de perdre le contrôle. Ce n’est pas dans ses habitudes de céder à ce genre de tentations le week-end, parce que c’est souvent le moment de la semaine le plus chargé dans son agenda, mais ce soir plus que jamais, il a besoin de lâcher prise, de ne plus réfléchir et de se laisser aller. Installé sur l’un des tabourets blancs de la cuisine, il mange sur le pouce, comme d’habitude. Une salade avec quelques coquillettes, des dés de tofu, des croutons de pain et une vinaigrette light. C’est ce en quoi consiste son repas du soir, qu’il ne veut jamais trop lourd. En finissant sa bouteille d’eau pétillante, il compose le numéro d’un Uber et demande à ce qu’on vienne le chercher chez lui dans trente minutes exactement. Ça lui laissera juste assez de temps pour enfiler une chemise, y appliquer deux pressions de son parfum préféré - l’Acqua di Gio – et pousser dans sa bouche un chewing-gum. Il a toujours eu la sale manie d’en mastiquer, à toute heure de la journée. Ça l’aide à canaliser son stress. Une demi-heure plus tard, son Uber est là, comme convenu, et Ewan dévale les escaliers de l’immeuble afin de rejoindre le bitume froid et de s’engouffrer dans le véhicule. Il pousse un discret soupir d’exaspération quand il reconnait le chauffeur. C’est celui qui a la fâcheuse tendance à parler, trop, et d’aborder les sujets les plus ennuyeux, pour ne rien arranger à la situation. N’ayant pas d’autres choix, Ewan le subit jusqu’à ce qu’il arrive à destination. Il n’a pas pour habitude d’être désagréable - au contraire – alors il lui répond comme s’il s’intéressait véritablement à ce que type peut bien lui raconter. Lorsque la voiture s’arrête enfin, Ewan est soulagé. Il s’extirpe de l’habitacle en remerciant le chauffeur pour son amabilité et se dirige vers le bar dans lequel il a décidé de passer la soirée. Il s’installe sur l’un des tabourets du comptoir, au hasard, et aussitôt, il extirpe son téléphone de la poche de son jeans. Machinalement, ses doigts pianotant sur l’écran tactile le conduisent jusqu’à son répertoire et il envoie un texto à sa meilleure amie. ”Tu prends un verre avec moi ce soir ?” Sans attendre sa réponse, il commande un rhum coca et quelques secondes plus tard, son téléphone se met à vibrer. C’est Nina. ”Pas dispo ce soir, désolée ” Ewan soupire et tourne la tête vers la jeune femme assise à un tabouret de lui. Il est sûr que son visage lui est familier. D’ailleurs, il ne se gêne en rien pour la fixer davantage, jusqu’à ce qu’il se souvienne enfin : Meg, la danseuse de rue. Il ne passera pas sa soirée seul, finalement. Le sourire aux lèvres, il embarque son verre et se décale d’une chaise pour venir s’asseoir juste à côté d’elle. « Salut. » soupire-t-il d’une voix douce. « Je sais que tu pourrais parfaitement me retourner la question mais... Qu’est-ce qui t’amène ici toute seule ? » lui lance-t-il sur son ton chaleureux habituel, espérant ne pas l’importuner.

Pando

Présence fébrile, l’envie d’être ailleurs, l’envie de disparaître. Elle ne se sent bien nulle part, à sa place nulle part, elle qui, autrefois, avait le don de s’approprier chaque espace, chaque coin de rue. Elle ne se sent bien nulle part, pas même dans son propre corps, encore moins dans son esprit. Comme si la moindre once de vie ne pouvait la saisir, préférant s’envoler bien trop loin d’elle et de cette aura mortuaire. Aura qu’elle porte, qu’elle traine, comme un boulet, avec les fantômes accrochés à ses pieds. C’est l’impression que t’as, Meg. Celle de n’être jamais vraiment seule. Celle qu’ils sont toujours là, autour de toi. Et cela lui rappelle sans cesse qu’elle n’est qu’une putain de meurtrière. Que c’est elle, qui aurait dû mourir. Que c’est elle, qui ne mérite pas de vivre, dénuée d’espoir. La battante, la force, transformée en cette ombre, cette carcasse vide qui continue à se déplacer tant bien que mal, donnant l’impression d’être toujours présente alors qu’il n’en est rien. Et elle pourrait se terrer chez elle, comme elle en a l’habitude. Repousser le monde qui l’entoure, pour éviter de faire mal, de blesser à nouveau les personnes qu’elle aime. T’es qu’une image inhabitée, qu’un putain de chat noir, qu’un corbeau de malheur, Meg. T’es plus rien. Plus rien. C’est ce qu’elle vient noyer, ce soir. Un verre, et encore un, puis un de plus, cocktail explosif entre ce liquide et les médicaments qui lui permettent d’encore tenir debout. Antidépresseurs comme dernière solution pour ne pas complètement s’effondrer, la dépendance qui se développe et s’accroit à la vitesse de la lumière. Elle sent son corps lâcher, et elle n’a pas les idées claires, Meg. Elle a mal, toujours. Elle souffre, toujours, depuis l’accident. Et rester seule est certainement la meilleure chose qu’elle puisse faire, non pas pour elle, mais bien pour le reste du monde. Seule. Entièrement seule. Jusqu’à ce qu’une voix ne vienne s’immiscer dans son subconscient. Son esprit divague légèrement mais cette voix réveille en elle un souvenir, une émotion qu’elle tend de plus en plus à refouler, l’envie de danser. Ewan. Professeur à la Juilliard School. Rêve d’autrefois, rêve passé pour lequel elle s’est tant donnée, et qu’elle voit peu à peu s’effacer. - Salut. Qu’elle lâche à son tour, le teint un peu faiblard, le regard vitreux plongé dans le sien. Si t’étais toujours la même, t’aurais certainement tout donné pour qu’il te remarque. Pour qu’il t’entraîne. Pour qu’il t’intègre et te permette de toucher ton rêve du bout des doigts. T’aurais tout fait, mais t’es plus capable de rien. - J’ai terminé mon service assez tôt ce soir. Alors je venais… Décompresser. Et toi ? Un sourire qui se veut rassurant, du moins, elle essaie de l’être. S’il y a bien une chose qu’elle ne sait pas faire, c’est montrer ses faiblesses. Admettre ses faiblesses.

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Meg semble atrocement triste, brisée de l’intérieur. Son corps n’est qu’une enveloppe qui retient une âme qui luit encore faiblement, telle la lumière d’une lampe à pétrole qui a consommé pratiquement l’intégralité de son combustible, qui vacille légèrement pour menacer de s’éteindre d’un instant à l’autre. Ewan n’avait jamais vu un regard aussi éteint, vitreux. On pourrait presque croire qu’un voile blanc, opaque, s’est posé sur ses douces rétines, autrefois illuminées par une soif de vivre indescriptible. Aujourd’hui, c’est comme s’il n’y avait plus rien. Comme si tout était mort. Comme si tout avait été ravagé par une tornade destructrice, dévastatrice, sans pitié. Ewan est bien trop touché par sa peine pour y rester complètement indifférent. C’est pour cette raison qu’il saisit son verre et se décale d’une place pour se rapprocher d’elle et entamer la conversation, sur un ton léger, l’air de rien, comme s’il n’avait pas remarqué son air triste. Ewan pense d’abord qu’elle va le remballer, l’envoyer paître, lui dire qu’elle est pas venue ici pour taper la discut’ avec un quasi inconnu dans un bar mais non. Meg est juste éteinte, pas aigrie. « Tu m’as jamais dit dans quoi tu bossais, je crois ? » demande-t-il en lui renvoyant son sourire, se doutant qu’elle n’a pas dansé aujourd’hui, puisqu’elle parle de service. « Un peu comme toi. La semaine a vraiment été éprouvante alors j’avais besoin de me changer un peu les idées. » souffle-t-il pour répondre à son tour à la question. Il boit alors une gorgée de son rhum coca avant de demander : « Tu fais de la danse depuis combien de temps ? » Il ignore s’il s’aventure sur un sujet houleux ou non, mais il ne pourra pas en avoir le coeur net tant qu’il n’aura pas essayé.

Pando

Il a cette belle âme, Ewan. Cette pureté en lui qui le différencie certainement de tous les autres hommes présents ce soir, de tous ceux qui pourraient l’approcher pour se servir d’elle, plutôt que pour l’aider. Ce serait si facile, de profiter d’elle, ce soir. De profiter de cette vulnérabilité, cette fragilité qu’elle déteste, qu’elle n’aimerait n’avoir jamais à montrer. Ce serait si facile, mais ce n’est pas ce qu’il fait, le danseur. Lui, il transpire la bienveillance. Transpire la compassion. Et c’est certainement quelque chose que tu n’aurais pas pu supporter, auparavant, la compassion, Meg. Pas envers toi, bien que tu puisses en avoir envers les autres. Mais tout est différent, aujourd’hui, t’es beaucoup plus faible. Et ce malgré tes efforts pour tenter de le cacher. Et ce malgré tes efforts pour te le cacher à toi-même. Elle aimerait croire qu’elle contrôle, qu’elle est la seule maîtresse de la situation, mais elle se trompe. Elle ne contrôle plus rien, elle ne ressent plus rien. Plus rien d’autre que cette peine incommensurable, que cette douleur qui vient crever son cœur un peu plus chaque jour. L’absence ne s’efface pas, les souvenirs ne s’effacent pas, peut-être parce qu’elle s’est enfoncée beaucoup trop bas. Beaucoup trop bas pour pouvoir remonter sans une main tendue. Et cette main, serait-elle la sienne ? Serait-elle celle du danseur qui partage la même envie, la même passion qu’elle ? Peut-être qu’ils ne sont que deux âmes connectées, après tout. Peut-être que la danse à le pouvoir de lier bien plus que n’importe quels mots. - Dans un bar. Mais pas celui-ci. Qu’elle lâche, faible rire qui s’évapore bien rapidement dans les airs. Parce qu’elle n’a jamais eu la chance d’exploiter son art, pas la chance d’en vivre, pas encore. Elle s’est toujours battue pour, mais aujourd’hui, elle n’est même plus certaine d’y croire encore. C’est naturellement, que tu t’intéresses à lui. A cette vie que tu n’as pas. A cette passion qu’il a la chance de frôler tous les jours de sa vie. - Eprouvante ? Raconte-moi. Et de cette façon, elle espère oublier. Oublier ses propres peines. Oublier ses propres malheurs. Quoi de mieux pour y parvenir que d’écouter les récits d’un danseur ? Son but ultime, son rêve. - Depuis que j’ai appris à marcher. Je me sens transportée, quand je danse. C’est tout ce que j’ai toujours souhaité faire de ma vie. Révélation provenant du plus profond de son cœur, du plus profond de son être.

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Le corps de Meg est imprégné d’une émotion évidente, transcendante, qui se reflète dans chacun de ses muscles quand elle se met en mouvement. Ewan l’a perçu dès qu’il l’a vue danser, dans cette rue. Elle avait rien des élèves qu’il voit défiler à longueur de journée dans la salle d’entraînement. Elle portait pas de juste-au-corps, ni de tenue adéquate, et ses cheveux n’étaient pas relevés en un chignon élégant et serré pour dévoiler son cou délicat. Mais ça ne gâchait rien. Chacun de ses gestes était d’une pureté déconcertante, transmettant une émotion de manière directe et brutale. Ses pas étaient précis, parfaitement calculés, pas trop guindés ni trop souples. Meg tiendrait sans la moindre difficulté un premier rôle dans un ballet prestigieux, mais Ewan ignore tout de son parcours. Où a-t-elle été formée ? Pourquoi n’est-elle pas sur les planches, avec un tel talent ? En admirant l’amplitude de ses gestes, l’exactitude de ses mouvements, Ewan en est arrivé à la conclusion qu’elle ne pouvait pas avoir atteint un tel niveau de perfection en dansant simplement en amateur, à moins d’un miracle tout à fait prodigieux. Et pourtant, ce soir, alors qu’elle est assise sur l’un des tabourets de ce bar, il a presque du mal à retrouver dans ses yeux l’éclat qui brillait quand il l’a aperçue dans la rue. Il peine presque à réaliser qu’il s’agit de la même jeune femme, qui se tient juste à côté de lui, un verre d’alcool à la main. Il l’écoute quand elle lui avoue où elle travaille. Dans un bar ? Ewan hausse un sourcil. Ca ne colle pas vraiment à l’allure gracieuse de Meg, mais il ne connaît rien à sa vie. Elle n’a peut-être pas d’autres choix que de remplir des verres derrière un comptoir pour satisfaire les gosiers de ses clients. « Heureusement que tu viens pas décompresser du boulot sur ton propre lieu de travail… Y aurait de quoi devenir dingue. » Certes, passer de l’autre côté du comptoir, ça implique de se décharger d’un certain nombre d’obligations - comme sourire de manière hypocrite, rester jovial face aux clients insupportables, ne pas rouler des yeux devant les remarques désagréables et les jurons - qui peuvent rendre le moment plus agréable, mais le boulot, c’est le boulot. D’ailleurs, si Ewan s’est traîné jusqu’ici, c’est bien pour décompresser, relâcher ses nerfs engourdis et changer d’air. « Oh, tu sais, c’est rien de très grave en soi… Je suis juste trop exigeant avec mes élèves. » Et c’est vrai. Par moment, Ewan se fait du mal à lui-même en poussant la limite toujours plus loin. « La plupart d’entre eux sont excellents sur le plan de la technique mais leurs mouvements manquent cruellement… D’émotions. » Et là, ses yeux se braquent avec insistance sur Meg, parce que elle, justement, elle sait précisément placer l’émotion là où il en faut. « Si ça te passionne à ce point, j’imagine que tu dois donner des cours de danse ? Ou en prendre ? » lui demande-t-il avec un petit sourire espiègle, parce qu’il sait très bien que ce n’est pas le cas. Au vu du niveau de Meg, elle perdrait tout simplement son temps en allant dans une autre école que Juilliard, ou en reléguant son talent époustouflant au simple rang de passe-temps.

Pando

L’âme vagabonde rêvant de disparaître. Elle aimerait être une des danseuses des boites à musique, enfermée, à l’abri du monde, se contentant simplement de danser pour les beaux yeux de son propriétaire. Enfermée, à l’abri du monde, à l’abri de la souffrance et de la mort, à faire ce qu’elle aime et uniquement ce qu’elle aime. Peut-être que l’opportunité se trouve là, juste sous ses yeux. Peut-être que cette opportunité est bien présente, en la personne d’Ewan, et qu’elle devrait la saisir. Si seulement t’étais capable de la saisir, Meg. Si seulement t’étais capable d’agir encore comme avant. Ce que tu aurais fait, si tu n’étais pas aussi brisée. Ce que tu aurais fait, te pliant en quatre pour qu’il te donne une chance, pour qu’il t’aide à intégrer la Juilliard. Mais tu ne mérites plus rien de tout ça. Tu ne mérites plus cette chance. Peut-être qu’elle est plus à sa place, en servant des cocktails à longueur de soirées. Peut-être qu’elle est plus à sa place, seule, recluse dans son appartement. Seul moyen de ne plus blesser personne. Seul moyen de ne plus faire de mal à personne. L’esprit qui s’est envolé, qui s’est exilé, pour finalement perdre la raison. Uniquement capable de se considérer comme un bourreau alors qu’elle n’est que victime. Victime, elle aussi. Victime de la vie, victime du destin, victime du monde. - Exact ! Trop de temps au boulot tue le boulot ! Le rire qui se fait de nouveau entendre. Et un aveu, un aveu qui en dit long sur la vie qu’elle mène. Parce qu’elle n’a pas la chance d’être passionnée, elle aussi. D’être passionnée parce qu’elle fait jour après jour, pas comme lui. Pas la chance de pouvoir vivre de son art. Pas la chance d’être de ces élèves qu’il semble maltraiter. Pas la chance d’être de ceux qui ont un professeur aussi doué. - J’imagine que c’est pour qu’ils progressent. Et dans ce cas-là, tu as raison de le faire. L’émotion, c’est ce qui change tout. Parce que t’es pas un robot, toi, Meg. T’as peut-être pas la technique la plus parfaite qui soit, t’es peut-être loin d’être une professionnelle, mais quand tu danses, tu vis. Tu vis ce que tu danses et danses ce que tu vis. - J’ai pris des cours, oui. Mais financièrement, c’est…  toujours un peu compliqué. L’honnêteté. La dure vérité. Celle qui ne fait que lui rappeler d’où elle vient, sans cesse. Ce milieu contre lequel elle s’est toujours révoltée, toujours battue, avec la volonté brûlante de vivre ses rêves, peu importe le prix. Volonté qui s’est envolée, à force de désillusions et de destins brisés.

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Dans le fond des rétines de Meg, il y a cette lueur que l’on ne décèle que dans les yeux des artistes. Les vrais artistes. Ceux qui parviennent à fendre la foule pour briller sur le devant de la scène, ou ceux qui restent dans l’ombre, talents incompris du reste du monde, abandonnés au rang de poètes maudits. Ewan, il est capable de remarquer ces choses-là, de percevoir les sensibilités de chacun, comme s’il était équipé d’un radar, planqué dans le fond de son myocarde et de sa cervelle de danseur torturé. Et ça lui déchire le coeur de voir la belle posée là, contre ce comptoir, le regard perdu dans un néant qui lui échappe, les pupilles noyées d’un chagrin qu’il ne comprend pas. Elle est belle, mais elle semble tellement brisée. Qu’est-ce qu’elle cache ? Qu’est-ce qui lui donne l’air si malheureux ? Il voudrait le savoir, décortiquer ses moindres secrets, retirer une à une les écailles de cette carapace trop épaisse, mais ce serait risquer de mettre la créature délicate à nu et de la rendre vulnérable face à un environnement si hostile, un environnement qui n’est pas pour les diamants comme elle. « Sauf quand on fait le boulot qu’on aime. » lui lâche-t-il sans avoir la moindre intention de la narguer d’une quelconque façon, lui qui dispose du luxe de pouvoir travailler dans un domaine qui le passionne depuis toujours, parce qu’il est parvenu à se démarquer au bon moment, parce qu’il a réussi à attirer l’attention sur lui, et que personne ne l’égalait à l’époque où il accédait à ses premiers moments de gloire. « Il n’y a que les vrais danseurs qui ont conscience de ça. » Un sourire mutin qu'il lui adresse comme une allusion qu’elle serait la seule à pouvoir comprendre, sirotant doucement sa boisson pour espérer se donner l’air plus discret quant à la stratégie qu’il est en train d’installer. Stratégie qui consiste à instaurer une discussion autour de la danse entre lui et Meg, pour lui faire avouer ce qu’il souhaite tant connaître à son sujet. « Donc tu as arrêté ? » qu’il suppose puisqu’elle parle au passé avec cet air abattu qu’arborent ceux qui ont dû abandonner leurs rêves pour des perspectives plus réalistes, des perspectives qui permettent de se nourrir et de payer les factures quand la fin du mois arrive. « Et si… Le côté financier n’était plus un problème ? » qu’il demande alors qu’une idée complètement folle germe dans son esprit, lui que rien n’arrête quand sa passion se profile dans l’ombre.

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L’espoir. Doux mot oublié, sentiment effacé, au profit du désespoir. Consonnance similaire, signification destructrice. La perte de l’un engendre l’arrivée de l’autre. Le désespoir. Il n’y a plus que désespoir, dans son cœur, dans son âme. Il n’y a plus que cette faiblesse apparente qu’elle déteste, qu’elle méprise au plus haut point. Il n’y a plus rien, plus rien de bon. L’espoir. Il pourrait pourtant renaître, en la présence d’Ewan. Si seulement elle acceptait d’y croire. Si seulement elle voulait bien y croire. Il a tout ce qu’elle a toujours voulu. Tout ce qu’elle a toujours désiré. Il est de ceux qu’elle admirait et de ceux qu’elle souhaitait approcher. Il aurait pu être ton mentor, Meg. Il aurait pu être celui qui t’emmène toucher les étoiles. Si seulement t’étais encore là. Si seulement t’étais encore en vie, intérieurement. Et peut-être qu’il touche du doigt l’essentiel, Ewan. Peut-être qu’il lui manque simplement une raison de se relever, une raison de se battre à nouveau, le retour d’une passion. Un métier qu’elle aime. Exercer un métier qu’elle aime. Ce qui aurait dû être sa vie, depuis toujours, la danse. La danse et uniquement la danse. Mais t’es pas née du bon côté de la barrière, Meg. Toi t’es née dans un quartier, toi t’as grandi sans ta mère, élevée par un père militaire. T’as rien eu d’une princesse, même pas les rêves. Les douces paroles du brun s’immisce dans son esprit, provoquent un sourire, une jolie pensée. Danseuse. Professionnellement parlant ce n’est peut-être pas ce qu’elle est, mais dans son cœur c’est tout ce qu’elle a toujours été. - Et bien, je ne suis pas certaine d’être une vraie danseuse, parce qu’en effet j’ai arrêté les cours. Petit sourire, parce qu’elle a presque oublié ce sentiment. Celui de progresser, toujours. Celui d’apprendre avec quelqu’un ayant pour seul et unique but l’envie de créer les danseurs de demain. - Comment ça « si ce n’était plus un problème » ? Le regard intrigué qui se plonge dans le sien, perdue. Elle ne sait pas sur quel terrain glissant il souhaite l’attirer, exactement. Elle ne sait pas vraiment ce qu’il cherche à faire avec elle, pourquoi est-ce qu’il perd son temps avec elle. T’imagines pas qu’il puisse rester quoi que ce soit pour toi dans ce monde, Meg. Qui que ce soit pour te tirer vers le haut, lorsque t’es déjà tombée bien trop bas.

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Ça amuse beaucoup Ewan de se dire que Meg soit sincèrement convaincue d'avoir le dernier mot avec lui. C'est mal le connaître. Ewan, il est têtu, il est borné. Quand il a une idée en tête, il l'a clairement pas dans le cul. Et Meg, il a su voir l'étincelle briller au fond d'elle, cette âme de battante et cet éclat qu'on remarque que chez les danseurs qui sont animés par la flamme, la vraie. Il sait qu'elle a un talent que très peu de personnes peuvent se vanter d'avoir mais apparemment, elle est complètement aveugle. Ou aussi bornée que lui. Visiblement, elle a réussi à se convaincre qu'elle n'était qu'une médiocre danseuse, pas le genre de nana sur qui on peut s'attarder sans perdre son temps finalement. Ewan veut pas avoir l'air prétentieux en lui disant qu'il est pas arrivé où il est par hasard, et que s'il était pas foutu de remarquer une jeune étoile quand il en voit une, il aurait plus qu'à prendre sa retraite. Mais cette fois-ci, il va pas faire dans le rentre-dedans. Il a le sentiment qu'avec Meg, il faut se montrer subtil et ne pas montrer les dents directement. « Parce qu'il faut forcément prendre des cours pour être ce que l'on souhaite ? » Un rire un peu moqueur qui s'échappe d'entre ses lèvres tandis qu'il lève la main pour interpeller le barman alors qu'il vient tout juste de finir son verre, qu'il pousse vers l'autre bout du comptoir. Il pose ses avant-bras sur la surface en bois et tourne la tête vers la brune, attendant sa réponse sans détacher ses yeux d'elle. Alors, croit-elle sincèrement qu'il faille systématiquement prendre des cours pour réaliser ses rêves ? Des autodidactes qui ont fini par percer dans leur domaine de prédilection, il y en a des dizaines. Alors qu'est-ce qui l'arrête juste ? Il a l'impression qu'elle se cherche surtout des excuses. Le barman remplit un nouveau verre pour lui, le fait glisser dans la direction du danseur, qui vient le récupérer entre ses doigts graciles quand la jeune femme lui demande enfin ce qu'il insinue exactement. « Si la seule chose qui te laisse penser que tu n'es pas une vraie danseuse, c'est que tu ne puisses pas prendre des cours, et que ce deuxième fait découle uniquement d'un manque de moyens, j'ai une solution très simple à te proposer. Et cette solution, elle se trouve juste sous tes yeux. » Ewan, c'est de lui qu'il parle évidemment. Mais comme il craint de ne pas s'être montré suffisamment clair, il ajoute : « Moi, j'pourrais très bien te donner des cours de danse. Et pour pas un rond. » qu'il lâche enfin, observant les moindres réactions de Meg, se demandant comment elle va réagir face une proposition qui, de son point de vue, ne peut pas être refusée.

Pando

Comme une petite étincelle, lorsqu’elle l’écoute, lorsqu’elle admire. Parce qu’il a tout ce dont elle rêve et parce qu’il semble prêt à tout pour lui redonner le sourire, pour lui donner l’envie, le goût de se battre à nouveau. Il fait ce qu’il peut alors qu’il n’a absolument aucune obligation de le faire. C’est quelque chose qu’elle admire, Meg, du plus profond de cœur, cette bonté. Cette incroyable bonté qu’il semble posséder en lui, à cultiver comme un trésor. De là où elle vient, rares sont les personnes comme lui, rares sont les personnes qui ne voient que le positif et ne donnent que le positif. Toi-même, tu n’es pas de ce genre, Meg. T’as toujours eu ce cœur énorme envers les quelques personnes que t’aimes, envers celles que tu protèges coûte que coûte, mais tu n’as jamais eu cette même bienveillance, cette même douceur envers de parfaits inconnus. Et elle voit, où il souhaite l’amener. Elle comprend ce qu’il insinue. Qu’elle est une véritable danseuse, et ce peu importe ce qu’elle croit, peu importe ce désespoir. Qu’elle est une véritable danseuse parce qu’elle a le cœur d’une danseuse. Mais elle ne s’attend pas une seule seconde à la proposition qui survient juste après. A la proposition qu’il lui fait, encore une fois pleine de douceur, d’une incroyable gentillesse. - C’est vrai ? Qu’elle demande, réellement surprise. Parce qu’il propose de faire gratuitement ce pourquoi il est ordinairement rémunéré.  - Pourquoi est-ce que tu… Ferais ça… ? Et elle est partagée, perdue entre deux sentiments contradictoires. L’envie et la peur. L’envie de faire ce pourquoi elle est faite, ce qu’elle a toujours tant désiré, tant aimé. Ce pourquoi elle s’est toujours battue, depuis sa naissance. Puis il y a la peur. La peur de ne pas être à la hauteur, de ne plus être à la hauteur. Après tout ce qu’elle a vécu, tout ce drame, tout ce qu’elle vit encore. Plus capable de se battre, plus capable de danser avec autant de cœur. Et cette foutue addiction aux calmants qui ronge, qui ronge, toujours un peu plus. Elle lui offre pourtant un sourire, un vrai sourire, un beau sourire, parce qu’elle lui est profondément reconnaissante de tout ce qu’il fait pour elle. De tout ce qu’il tente de faire pour elle.

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