in love and death we don't decide, Ella

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Une âme-soeur dont on n’était pas supposé croiser la route, petit mythe de l’androgyne qui les ont fait naître en des terres séparées, car les réunir dès le départ aurait laissé place à un cataclysme. Ainsi, il avait été Un dans un autre monde, et laissés Moitié dans celui-ci. On imaginait trop mal ce que leur petit chaos aurait pu faire à l’immensité, alors on avait séparé le soleil de ses rayons. Naissant loin des frontières de l’autre, on avait veillé à endormir le volcan de chacun. Elio loin d’Ella, Ella loin d’Elio.

Mais entre eux, il n’y avait personne pour croire au destin, on envoyait alors valser les obstacles qui s’étaient érigés pour empêcher la rencontre. On se trouvait dans la brume, se voyait à travers les murs, aucune prison suffisamment fortifiée pour contraindre ces êtres à ne jamais s’en évader. C’est comme ça qu’Elio avait trouvé Ella, en se détachant des ombres de Platon. On comprenait que certaines choses, dès lors, ne pourrait s’expliquer. Que sans les éluder, il ne faudrait toutefois pas y chercher de science pure.

Et c’étaient ces mêmes événements qui l’avaient amené là, sur ce seuil, à frapper et, n’ayant plus la patience du silence, à s’insinuer dans l’appartement de son alter. « Ella? » une interpellation qui chevauche l’air et fouette l’accalmie. Les lieux sont tombés dans le noir, il devine qu’elle aussi sans doute, et qu’elle mime cette petite mort pour n’avoir plus rien à faire avec les vivants. Elle a broyé le noir entre ses tempes, et le gamin a senti qu’on lui avait crocheté le coeur. Parce que Rien n’existe pas avec la brune et s’il dément ce n’est que pour ne pas glisser à son tour dans cette spirale de déraison.

Le poing qui cogne le bois « Ella? », les gonds qui grincent. Il sait qu’elle est là, parmi ces murs et ses meubles, inerte, probablement éreintée. C’est toujours l’état des choses, quand on enchaîne les insomnies et les désastres au clair du jour. Et les frontières deviennent lambeaux. Elio contourne, les tapis, le bois du lit, s’effondre sur cette chaise qui décore un coin de l’antre. Il y a quelques jets de lune qui transpercent les rideaux « on peut rester dans le silence, ou tu peux choisir de ne pas ignorer ma présence, mais tu l’sais, qu’on finira par en parler ».

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Le cœur qui s’est fait la malle, en proie à ses idées noires. Plus de place pour rien, rien d’autre que son désespoir. C’est dans cet état qu’elle est depuis quelques jours. Quelques jours, quelques nuits, elle ne sait plus trop combien. Elle a juste rompu tout contact avec tout être humain. Elle n’a ni le courage d’affronter la civilisation, ni l’envie de faire semblant. Elle en a assez de faire semblant. Depuis qu’elle a pété les plombs, ce soir-là, dans la voiture de cet homme censé être sa victime. Cet homme qu’elle ne reverra plus, assurément, comme elle n’a plus envie d’en voir aucun. Elle ne sait plus ce dont elle a envie, ce dont elle a besoin. Elle ne sait plus rien. Les méandres de son esprit, viennent s’ajouter au vide abyssal qu’est devenu sa vie. Elle n’est pas seule, pourtant. Il y a ses amis, il y a Meg, et peut-être même un peu Djawny. Mais elle ne l’a pas, lui. Le vide qui ne cesse de s’approfondir avec le temps. Elle ne sait pas qui a prétendu que le temps guérissait les plaies, mais c’est clair qu’il ne l’a jamais rencontrée. Elle se laisse dépérir, Ella. Elle se laisse bientôt mourir.

Trois jours que t’as pas quitté ton lit.

Elle n’a plus aucune idée du jour ou bien de l’heure qu’il est. Elle est, presque, tranquillement en train de pioncer. Les pensées abruties par les médicaments ingérés, elle ne sait plus trop si c’est un rêve ou la réalité. Les bruits à la porte qu’elle entend, auxquels elle ne répond pas. Puis, d’autres plus près, comme des pas. Elle a les paupières encore obstinément fermées, quand la voix familière vient à raisonner dans la pièce. Pas n’importe quelle voix, la sienne. Celle de son alter ego, lui qui partage un bout de son âme. Lui qui, comme les autres, a sûrement tenté de la joindre sans aucune réponse de la jeune femme. Mais Elio, il s’inquiète. C’est peut-être le seul qui s’inquiète. Le seul qui s’entête, aussi, à veiller sur elle. Comme elle aurait tendance, elle aussi, à prendre soin de lui sans lui demander son avis. Il est celui qui panse ses plaies chaque fois qu’elles viennent à se rouvrir. Celui qui tente, comme il peut, depuis tellement de temps de la guérir.

L’ancre dans la mer,
L’étoile dans le ciel,
La lumière dans tes enfers.

Elle ne sait pas si c’est le hasard, ou bien le destin. Elle ne sait pas si c’est un cadeau de la vie, ou juste une erreur de l’avoir mis sur son chemin. Mais Elio, il est à Ella ce que l’eau est au feu. Ce que le paradis est à l’enfer. Ce que l’ange est à Lucifer. Il est celui qui la sauve, en toutes circonstances. Des autres, mais surtout d’elle-même. Celui qui répond présent, quand elle l’appelle, mais surtout quand elle ne donne plus de nouvelle. Celui qui la sort, chaque instant, de ses ténèbres. Pas surprise de se retrouver devant son autre moitié, la féline n’est toutefois pas tout à fait réveillée. Encore sous l’effet de tout ce qu’elle a ingurgité, elle grogne, plus qu’elle ne répond. – Bordel, Elio, je dors... Non, en l’occurrence, elle ne dort pas. Elle se laisse couler, elle se laisse tomber… au fond de ce puits. Le plus profond possible, dans les abîmes de ce gouffre où personne ne pourra la retrouver, personne même pas à lui… Mais, Elio, il est encore la dernière lueur qui te maintient en vie.

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Cette Morphée déguisée, éludée sous un monticule de couvertures et d’obscurités, était à peu de choses près la seule chose qui demeurait dans les souffles jetés par son coeur. L’amorphe, et sa détresse qu’elle s’appliquait à étouffer, à réduire au néant qui la dérobait minute par minute. Il a les lèvres éraflées par la tendresse qu’il lui porte silencieusement, parfois s’ébruite. À l’instant, Elio a le palpitant qui éclate en battements incessants, remué de voir Ella s’éteindre et les étincelles de son âme s’amenuir. Cette peine qu’ils partagent, l’organe qui crépite en même temps.

L’italien s’élève, se dégage du berceau accueillant de la chaise et s’effondre sur le lit contre son dos. Il porte encore sa veste sur ses épaules, l’étreinte est insupportable mais il la soutient et la resserre ; un bras qui entoure le sien et sa main qui trouve aveuglément celle de l’enfant. Ô ces deux gamins n’ont rien à se promettre, mais ne sauraient se laisser tomber non plus. Il y en a un qui sombre, et c’est celui qui a déjà sombré qui le propulse vers la lumière, s’emmêle dans ses rayons, chute inévitablement. Le coeur lourd se dégonfle du plomb qu’il se logeait parmi les tissus, un soupir bruyant qui s’abat sur les cheveux d’Ella qui ne trouve même pas la force de rejeter les affections de l’homme. Et ils restent ainsi collés, longuement, dans le silence absolu de leurs tourments.

« Tu vas m’dire ce qu’il n’va pas? » Ella n’a jamais ruisselé sur les prismes lumineux, il semble même qu’elle avait toujours été cette gamine paumée, fauchée par moment par les ombres qui creusent à l’intérieur de sa carcasse. Dernièrement, les griffes de la nuit avaient coupé des parts de sa chair et la naphte devenait dangereuse alors que son amie y était enlisée. Le môme ne sait pas grand chose de la pègre qui rôde autour d’elle et fracasse les derniers pans de son humanité. Mais Ella se tient ce soir le souffle coupé, depuis trois jours, et bien loin d’être à la hauteur, il voudrait leur faire payer les souffrances qu’elle endure, emmurée.

Il se rappelle qu’elle a toujours été là où il aurait voulu la voir disparaître, petite dévote inébranlable, à peine affligée par les colères qui s’emparent quelques fois de ses poings, de sa tête. Elio lui est redevable « j’vais te faire couler un bain, t’es dans un piteux état » qu’il dit en s’arrachant des hautes délicatesses « lève-toi » qu’il ordonne, plus de place pour les suggestions. Les sourcils qui se froncent devant les mirettes vaseuses de sa partenaire, et ses digues trouvent aussitôt les boîtes vidées sur le chevet. « Putain Ella » qu’il éructe face à la tragédie. Un vent de panique déstabilise le marbre de ses traits ; si elle ne rejette pas les pilules rapidement la brune pourrait y perdre quelques facultés. Le fauve contourne le lit et saisit le corps opiniâtre, blessé entre ses bras. Ses épaules cognent contre les murs en même temps que les jambes de la môme qui grommelle ; il la dépose finalement sur le carrelage glacé de la salle d’eau, devant les toilettes. « Si t’y mets pas les doigts, c’est moi qui m’y colle » qu’il grogne à travers sa barbe.

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Sa douloureuse tête se met à tourner quand il redresse son corps affaibli et sans énergie. Sans aucune force, elle se laisse attraper, Ella, la carcasse vide dans ses grands bras qui la tiennent. Qui la retiennent. Il la force à quitter les abysses dans lesquels elle est plongée depuis trop longtemps. Il la force à quitter sa torpeur quand elle veut juste se laisser noyer définitivement. Il y a son corps qui est là, contre lui, mais son esprit ne répond plus. C’est foutu, Elio, tu ne le vois pas ? Je suis déjà perdue. Perdue trop loin pour qu’il puisse la retrouver, il essaie pourtant bien, l’obstiné. Elle entend des bribes de mots, des interrogations, reconnaît bien sa consternation.

Et tu le sais,

quand tu te fais tout ce mal,
c’est lui que tu plonges avec toi dans ce vide abyssal,
c’est lui que t’entraînes dans cet enfer qui vous sera fatal.

Elle ne voulait pas qu’il vienne. Elle voulait que personne ne vienne. Mais, surtout pas lui, lui qui peut ressentir tout ce qu’elle éprouve. Lui qui a mal avec elle chaque fois qu’elle souffre. Comme un jumeau d’un autre sang, il est cette âme siamoise à la sienne. Ce cœur qui bat au même rythme anarchique que le sien. Elle le sait, Ella, pour le vivre chaque fois que c'est lui qu'elle retrouve en plein tourment. Non, elle ne voulait pas qu’il vienne, pas lui. Pas Elio. Surtout pas Elio. Parce qu’il y a tout cet amour qui vous lie tous les deux. Et l’amour, tu le sais, ça intoxique. Ça détruit. Ça tue à petits feux. Elle a brisé trop d’âmes déjà bien assez écorchées, Ella. Elle ne supporterait pas de le faire avec l’un des rares souffles de vie qui lui restent. – Va-t'en, Elio. elle lâche, le ton qui se veut froid, comme si c’était suffisant pour qu’il oublie son émoi. Comme s’il ne la connaissait pas par cœur, son ami. Comme s’il n’avait pas l’habitude d’être celui qui la maintient en vie. Il la serre fort, si fort contre lui alors qu’elle n’a pas la force ni de répondre à son étreinte, ni de l’empêcher. Elle ne sait même plus, en cet instant, ce qu’elle ferait.

Trop affaiblie, t’es incapable de protester,
incapable de lutter,
t’en as jamais été capable face à lui.

C’est plus vrai encore quand il s’emporte, sans qu’elle ne comprenne tout de suite ses raisons, peut-être seulement qu’il en a assez de retenir son corps en décomposition. Il l’entraîne sans qu’elle ne réalise jusqu’à la salle de bains. C’est le sol glacial qui vient frapper ses genoux qui, pour la première fois, fait réagir la féline. – Bordel, je t’ai rien demandé ! qu’elle lâche, insolente, comme une gamine devant un parent inquiet, comme une ingrate qui ne sait plus être aimée. Elio, il ne se laisse pas démonter. Il est habitué à ses excès de colère, il sait aussi qu’ils ne sont qu’un moyen de se protéger. Il se fiche bien qu’elle se mette à crier, il l’oblige à tout dégurgiter. - J’y arrive pas… elle commence lentement à s’effondrer. Minable, sur le carrelage de sa salle de bains, le bras posé sur la cuvette des toilettes, le front plaqué dessus, elle se met à tousser, ou bien à sangloter, c’est difficile à déterminer. – J’y arrive plus, Elio... Et cette fois, c’est de la vie qu’elle est en train de parler, l’âme rejetée. Une pauvre âme en perdition parmi toutes les autres, dans cette vie qui l’a oubliée.

La vie contre laquelle t’en as assez de lutter,
depuis que t’es née,
la vie que tu ne peux plus supporter.

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— @Ella Gardner et Elio

I will fight, I will fight for you. I always do, until my heart is black and blue. I will stay, I will stay with you. I'll reach my hands out, In the dark and wait for yours to interlock. I'll wait for you, I'll wait for you

C’est avec le mutisme sévère du bourreau que l’italien recueille l’attitude révulsée d’Ella. Ils partagent ce mauvais usage de l’amour, des jets d’épines dirigés vers le coeur. Pourtant, il y a toujours les corps pour crier plus fort que cette âme fière ; ils s’aiment alors dans une collision inexpliquée, étrange, souvent silencieuse. La sauvage est quelque part entre le sommeil et son naufrage, réagit à rebours, à ses genoux qui fêlent la glace du carrelage. Du robinet de la baignoire il fait couler l’eau, en même que ne coulent les suppliques de son martyr. Elle s’effondre là, aux abords de la cuvette, les membres chevrotants ; lui-même raté, il lorgne sur la décadence du marmot, impuissant, la moitié de son palpitant mêlée à la dérive de cette enfant. Elio tombe, à ses côtés, nulle ascension, jamais, pour ces angelots.

Ses mains trouvent les contours du visage humide de sanglots qu’il redresse au-dessus de ses clairs de lune ; il ne trouve pas de mensonges, que des évidences angoissantes qui ne servirait que sa chute. Il n’y a pas d’illusions suffisamment puissantes pour la bercer, ils vivent l’existence comme une souffrance lancinante qui ne s’épuise jamais, aucune consolation au marasme. Finalement, Elio attire ce poupon fêlé contre lui, bien incapable de négliger sa peine. Il a penché sa tête vers l’arrière, le dos frappant le mur, il soupire profondément en serrant l’oisillon aux ailes rompues contre les battements de sa poitrine, les spasmes quelque peu soulagés par la rencontre, l’homme encore tendu par la détresse de son âme-soeur.

On attend que ne passe l’orage pour renvoyer quelques foudres « Ella, faut que tu dégueules ce que t’as pris, sinon j’t’amène à l’hôpital ». Les miettes de son pragmatisme retombe sur ce rejeton encore en berne. On n’a plus le temps de lutter contre les songes. Il s’absout loin d’elle, aussi subitement qu’un mistral. On entend la vaisselle torturée par l’urgence, les placards grogner. Finalement, dans l’illustre apothéose il remet les pieds ; verre de lait agrémenté de tabasco, la parfaite combinaison des hauts-le-coeur. « Bois ça » comme un archange qui n’a pour offrir que sa plus tendre misère, il dépose dans entre ses mains complaisantes le verre. La baignoire fumante, repue, il empêche l’eau de couler encore.

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Intransigeante est sa cruauté, proportionnelle à l’amour qu’il peut lui porter. Il la secoue, Elio, il remue son esprit déjà beaucoup trop chaotique. L’âme torturée, au cœur trop souvent délaissé, devrait trouver un réconfort devant cette manière qu’il a de l’aimer. L’aimer encore, l’aimer toujours plus fort, alors qu’elle se perd un peu plus dans les décombres de sa propre existence. Mais elle est fatiguée, Ella, fatiguée de se battre pour vivre. Fatiguée de se contenter de survivre. Elle ne sait même plus, la suicidaire, ce qui la pousse réellement à rester sur cette putain de planète. Elle ne sait plus ce qui la retient, sur terre.

Pourtant, il est là, Elio,
il est toujours là,

cette âme aussi brisée que la tienne,
cette â me s œ u r à l a t i e n ne ,

il est ton cœur, il est ton s o u f f l e d e v i e ,
à te sauver la vie,
à t’obliger à c ho i s i r l a v i e,
même quand t’en as plus aucune envie.

C’est ce qu’il fait en ce moment même. Il l’oblige à se maintenir en vie, alors qu’elle voudrait laisser tomber sa carcasse sur ce sol glacial qu’elle déteste. Presque autant que, lui, elle le déteste. Oh, Elio, tu sais que c’est faux. T’es bien le seul être qu’elle n’a jamais pu chasser. Le seul cœur dont elle n’a jamais pu se passer. Toi, son autre moitié. L’amitié peut prendre des intensités disproportionnées. Excessive, la leur est poussée à son paroxysme le plus extrême. Devenue cet oxygène dont elle ne peut se passer. Sauveteur de son cœur délaissé, Elio est aussi celui qu’elle aime à détester, chaque fois qu’elle devient incapable de simplement aimer. Et, même dans ces instants-là, il ne la laisse pas. Il est toujours là. Lui, il prend tout, comme une fleur qu’il a cueillie sans hésiter. Il en accepte aussi bien la délicatesse des pétales que la douleur des piques infligées.

C’est bien plus que tout ce que tu pourrais espérer,
tout ce que tu n’as jamais mérité.

L’amour trop violent s’apaise instantanément quand il vient la plaquer entre ses bras d’ange déchu. Une âme perdue qui retrouve un semblant de chemin, quand elle retrouve celui de sa main. Blottie contre son meilleur ami, l’écorchée vive retrouve en son corps le souffle de vie qu’aucun mot n’aurait pu lui apporter. Il sait, qu’aucun discours ne pourra la soulager. Qu’aucun sermon ne sera capable de la soigner. Il sait, qu’il n’y a que lui pour la garder encore en vie. Immense responsabilité, pour l’âme meurtrie. Deux vies à l’équilibre précaire, se retiennent de tomber, au risque que ce soit l’un d’eux qui fasse chuter l’autre. Il n’a jamais été question de le laisser pour la rose fanée. Réciprocité, il sait le prouver, mieux que personne. Ses opales plongées dans les siennes, dernière ancre qui l’empêche de couler, elle le voit pourtant s’échapper. Lui échapper. Peut-être a-t-il enfin saisi, qu’il ne tirerait rien de cette carcasse vide ?

Il revient,
il te retient,
te maintient en vie, ton ange gardien.

L’enfant tourmenté lui tend ce breuvage étranger. Sa main accepte le verre instinctivement, parce qu’il vient de son âme sœur, sans peur, lui qui maintient en vie son cœur. Mais, un bref instant, elle semble hésiter, jusqu’à ce que le regard assombri de sa moitié la dissuade de refuser. Et suffisent seulement quelques gorgées, pour que tout soit dégurgité. Violemment, elle ne s’y attendait pas. – Bordel, c’est dégueulasse ! lâche-t-elle entre deux vomissements intempestifs. Que de la bile, elle n’a rien avalé, hormis ces foutus cachets. Elle a encore besoin de plusieurs secondes avant qu’elle ne laisse poser sa tête contre le mur le plus proche, épuisée. – J’te déteste, Elio.

Jamais un mensonge n’a paru aussi loin de la vérité.

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— @Ella Gardner et Elio

I will fight, I will fight for you. I always do, until my heart is black and blue. I will stay, I will stay with you. I'll reach my hands out, In the dark and wait for yours to interlock. I'll wait for you, I'll wait for you

Et roulent les coeurs sur la falaise, se jalonnent, emportent avec eux mottes de terre, vers et les notes amères d’une chute à soubresauts. On s’aime, sème, à revers et peut-être trop ; on a pourri les terres, ravagé ce qu’il en restait, un Eden qu’on a pas su supporter. Avec elle, il a préféré les chemins escarpés, couverts d’aspérités et plus ils se vautraient, mieux c’était. Se partage le calvaire, se partage la douleur, comme s’ils eurent été indissociables. Cette fois encore, ils sauront pas se sauver. Ella, il sait pas expliquer ce qui baigne dans ses yeux ; elle a comme un gouffre sans fond qui rendrait la chute malheureuse. Et au moment où le fracas du robinet cesse, qu’elle régurgite les pierres qu’elle a enfoncé dans son âme pour couler un peu plus, Elio doute que la sienne soit assez légère pour supporter son absence.
Les crachats s’exhortent à plusieurs reprises, il se tient derrière pour retenir sa crinière et les mèches qui s’abattent sur son front. C’est comme cet amour convulsif qui a poussé sa mère du haut de sa fenêtre, il est pas loin de voir sa caboche s’éclater sur la terre sèche et ça lui irait bien de partir comme ça, pour elle. J’te déteste Elio. Vomissures scintillantes sur les lèvres, la fatigue a creusé les traits de son amie, elle dégueule encore quelques mensonges. La carcasse à bonne distance, l’italien est assis près d’elle ; y a que le mur pour les retenir de choir. Ce soupire exulté comme un vent cognant contre la toiture « je referai plus ça Ella, je te sauverai plus la vie ». Proféré, le mensonge, il penche ses azurs sur l’éreintée « ça me flingue aussi de t’voir comme ça, et je finirai pas comme ma mère ; j’me jetterai pas d’une fenêtre parce que t’es partie la première ». Ella a la lave au bord des lèvres, il sait qu’elle risque de l’envoyer se faire foutre parce qu’elle a jamais demandé qu’il lui vienne en aide, mais drapée d’épuisement la lave n’est qu’un long sentier glacé. Sur sa joue une main qu’il dépose, Elio, il tâche son front d’un baiser fragile et maladroit, de ceux qu’il ne délivre que rarement. « Je t’ai fait couler un bain, tu devrais t’y reposer » le garçon se redresse, prêt à disparaître, à soulever les ombres de la nuit, les fendre de son passage. Subitement, il a l’esprit récalcitrant, et les murs, encore, le retiennent ou peut-être est-ce la peine qui loge dans ses yeux à elle. « Je reste pour la nuit » la porte entre ses doigts, il lorgne sur la sirène noyée dans la vase, se demande si elle sera capable de rejoindre les eaux claires seule « je suis à côté si tu as besoin ».
Tintement du loquet, il disparait.

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Il l’a sauvée.
Il lui a sauvé la vie ce soir,
Il lui a sauvé la vie encore une fois.

Il y a toutes ces âmes qu’elle a délaissées. Celles, aussi, qui l’ont abandonnée. Il y a ce cœur bousillé, lacéré d’autant de lames glacées. Puis, il y a lui, qui est resté. Le seul être, en réalité, dont elle n’a jamais pu se passer. L’amour les lie, intrinsèquement l’un à l’autre à jamais. Mais il y a aussi cette fusion de leurs cœurs entremêlés. Au milieu de sa dépouille, quand elle ne sera plus là, quatre lettres d’or continueront de faire vivre son âme. À travers la sienne, siamoise, elle perdurera, Ella. Comme si une moitié de l’un avait fini par s’immiscer dans les veines de l’autre. Comme si une seule personne vivait dans leurs deux corps.

Et c’est pas lui que tu détestes, Ella,
c’est la part de toi que t’y vois,
celle qui t’empêche de partir,
celle qui t’empêchera toujours de définitivement en finir.

Parque ses mots, t’y crois pas,
pas une seule seconde, tu n’y crois.

Et tant qu’il sera là,
elle sera toujours là,
elle ne partira pas,
il ne la laissera pas faire.

Les mensonges n’ont pas d’emprise sur les âmes fusionnées. Comme si elle pouvait dire ce qu’elle voulait, il sait ce qu’elle peut réellement penser. Comme s’il pouvait dire ce qu’il pouvait, elle sait ce qu’il peut réellement éprouver. Et ça te brise un peu plus. Ça te tue un peu plus, de te voir, le détruire lui. Les perles salées viennent submerger son encre noire, la diluer sous l’émotion incontrôlée. Elle sent la culpabilité, plus douloureuse que la douleur même. Elle sent ses plaies, à lui, plus tortueuses que toutes ses propres tempêtes si tumultueuses. Sur un baiser, rare, entre les deux enfants esseulés, elle sent à nouveau l’émotion couler sur son visage défait. Elle relève la tête vers lui, ses prunelles cherchent les siennes alors qu’il recommence déjà à partir. – Non… reste. elle souffle dans un murmure. Elle se redresse difficilement sur ses jambes tremblotantes et avance tout aussi péniblement jusqu’à son seul trésor aux yeux d’azur. – J’suis désolée Elio… je suis désolée de te faire ça. Parce que si elle n’accorde plus d’importance à sa propre vie, il en est autrement pour le seul qui n’est jamais parti. Le seul dont l’amour lui sera toujours voué, au fond, elle le sait. Elle laisse sa tête tourmentée se poser contre le torse d’Elio, dans l’espoir vain qu’il la libère de ses maux. – Pars pas, Elio… j’t’en prie, pars pas. elle le supplie, les prunelles emplies de perles qu’elle ne retient plus. Déboussolée, la poupée fanée est perdue. Elle n’a pas conscience qu’il ne serait qu’à quelques mètres d’elle. Mais, quelques mètres, c’est déjà trop loin. Il est la seule parcelle de toi qui te reste. Le seul fragment de vie qui te reste.

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Il la voit qui se redresse sur ses jambes flageolantes, les murmures couverts d’effroi comme le noir de ses yeux qui tentent de s’accrocher aux siens déjà fuyants. Elle tient fébrilement sa carcasse au-dessus du carrelage, quémande le gamin, et lui contient la honte, de voir son amie se déchirer entre ses mains impuissantes. Encore, Ella se déchire en excuses et Elio s’immole en silences prolongés. Les azurs sondent le sol, quelques instants immobiles, une léthargie qui valse alors que le poupon trébuche sur sa poitrine. L’amour instinctif quand il s’agit d’elle, sa main se pose directement contre sa crinière. Elle attend une réponse, alors peut-être se penche-t-elle au-dessus de son coeur pour entendre ce que ses battements ont à lui dire. « C’n’est rien. Prends ce bain, je vais préparer quelque chose à grignoter » des affections glaciales, des sentiments évasifs qu’il annihile avec fermeté. Il lâche l’étreinte, à vite fait de disparaître. Mais la planche de bois dont il couvre son allure ne retient pas les soupirs éplorés de la tourmentée.
L’italien colle son front contre la porte, les yeux clos. Là, il imagine les sanglots qui secouent le corps de son amie alors même que ceux-ci lui sont cachés ; des secousses frénétiques, bouleversantes. L’existence comme un océan sans fond, il y a longtemps qu’elle a perdu pieds, Ella, qu’il la maintient péniblement au-dessus de la surface. Mais il ne lui a pas insufflé assez d’air, l’eau a gorgé ce qu’il reste d’elle, et voilà que la raison s’épuise.
Elio soupire, longuement, il lâche l’air qui, à lui, comprime son être.
Il pénètre à nouveau la salle de bain et l’imaginaire devient réel. Sur le visage du poupon se sont creusées des vallées salées qui n’épargnent pas le garçon obligé de capituler. Les mauvaises herbes autour d’elle ont dépassé sa petite taille, elle est encore plus paumée qu’alors, mais ses mains à lui viennent trouver ses contours mouillés, envoyer valser les déferlantes qui coulent encore. Il est là près d’elle, ses rayons viennent sécher les tâches d’humidité sur ses pommettes. Ce n’est pas assez. Il la serre contre lui comme pour lui faire reprendre contenance. « Tu sens affreusement mauvais » l’air se relâche, ses lèvres se retroussent en un mince sourire.

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Paupières fermées, le cœur annihilé. L’écorchée n’écoute plus que les battements de celui de son autre moitié. Comme pour se rappeler ce que c’est, être vivante. Comme pour se rappeler, une raison d’être encore vivante. Les échos de son palpitant viennent l’apaiser, un bref instant, avant qu’il ne s’éloigne d’elle. Avant qu’il ne la laisse seule. Seule, et sans lui. Cela, c’est encore bien pire. L’âme en perdition laisse sa carcasse frêle s’adosser contre le mur froid de la pièce. Incapable de tenir seule debout, seule, sans lui, alors que ses sanglots reprennent. Désespérés, torturés, mais dans un profond silence. Comme si la douleur n’avait même plus la force de se faire entendre. Quelques instants à peine de secondes envolées, minutes dérobées, une éternité. Avant qu’Il ne vienne la retrouver.

Avant qu’il ne te revienne,
et plonge, avec toi, dans cet enfer,
elio, le complice éternel de tes ténèbres.

Un peu comme si la retrouver était devenu plus fort qu’elle, son ange gardien vient l’envelopper de ses ailes. Des ailes sombres dans lesquelles l’enfant perdue se confond et se perd. Ô, Elio, si elle pouvait te confier son cœur mille fois trop brisé, elle le ferait sans hésiter. C’est lui qui la maintient debout, c’est lui qui la garde à la surface quand, toute seule, elle se serait déjà laissée noyer depuis trop longtemps dans ses méandres abyssales. Elle serre son corps fragile contre le sien, fort, sans limite, sans songer aux réalités qu’il vient exposer. Un petit rire, encore aux allures de sanglots étouffés, vient s’échapper des lèvres de la tourmentée alors qu’elle ne bouge pas d’un millimètre près. – J’suis désolée. laisse-t-elle enfin s’échapper avant de, tant bien que mal, s’en détacher. Et cette impression douloureuse de se retrouver séparée de sa moitié. Elle prend une petite inspiration pour retirer les bouts de tissus qu’elle garde depuis des jours sur elle. C’est sans même y penser qu’elle lui expose sa silhouette, sans gêne, autant qu’elle n’en a pas eu lorsqu’il a relevé son odeur plus que discutable. Il l’a vue dans les instants les plus vulnérables. Ceux où la poupée si fragile s’est révélée cassable. Elle ne redoute pas qu’il la voit dans un quelconque état. Non, s’il y a une personne avec laquelle, elle n’a pas peur, Ella, c’est bien Elio.

Ce ne sera toujours qu’Elio.

La torturée finit par se plonger dans le bain encore chaud. L’eau brûlante vient apaiser, un peu, ses tourments. Comme si elle l’enveloppait dans un nuage de douceur. Mais c’est dans les prunelles azurées qu’elle vient la rechercher, après un long silence qui semble durer des heures. – Il est parti. elle avoue, brutalement. Elle avoue, la voix chargée par l’émotion. Pas besoin de prénom, Elio sait qu’il n’y a toujours eu qu’un homme pour faire battre son cœur. – Il est parti après m’avoir dit qu’il était prêt… prêt pour qu’on s’donne une vraie chance. Il est parti, et l’a laissée là, sur le bas-côté. Il est parti, la laissant avec ses souffrances, ses horreurs, ses douleurs qu’elle n’arrive plus à supporter. Dis, Elio, tu te rends compte, il n’y a plus que toi. Il n’y a peut-être jamais eu que toi. L’âme sœur, l’autre partie de soi. Peut-être qu’elle aurait dû s’en contenter, Ella, se contenter de toi.