new person, same old mistakes (arya)

elle est toujours là, l’ombre,
la présence envahissante qui entoure ton dos,
elle est là, river, retournes-toi


c’est son reflet que tu vois, coup d’oeil dans le miroir, l’image qu’il te renvoie. dérangeante. dérangeante parce qu’il te ressemble, parce que les traits sont les miennes, quoique plus marqué par le temps, quelques rides au bord des lèvres, quelqu'une sur le front. probablement à force de s’énerver, de froncer les sourcils, de prendre son air méchant. en a-t-il vraiment besoin ? n’est-il pourtant pas déjà craint par tous ceux qui l’entourent ? bien sûr que si. tu l’observes, silencieusement, les bras tendus, sans bouger. T’as l’impression d’avoir à nouveau dix ans, d’être là, debout dans le salon, à faire ce qu’on te demande bien sagement. sans jamais broncher. et c’est ce que t’es encore en train de faire aujourd’hui, pantin, mannequin inanimé qui se fait mesurer de bout en bout. les dernières retouches sur un costume hors de prix. de fursac, s’il vous plaît. parce qu’il faut que tu sois présentable, le plus beau, le plus remarquable pour ce soir. ton père revient, s’approche de toi, raccrochant le cellulaire qu’il tient en main. “Albert viendra te chercher à vingt heures, ne soit pas en retard”, une main sur ton épaule avant qu’il ne tourne les talons, un ordre qui claque, ton obéissance jamais remise en question.

en effet Albert est là, à vingt heures. précise. il ne s’agit pas d’arriver en retard ce soir. Tu monte dans la voiture, le chauffeur privé qui t’emmène à l’autre bout de la ville sans un mot. ce soir, tu représentes l’élite River, la réussite, l’excellence. ce soir, tu dois faire honneur à ton père, à ta famille, aux tiens. Sourire quand on te le dit, parler quand on te le dit, réciter le discours qu’ils t’ont écrit. rien n’est laissé au hasard, jamais, surtout pas ce soir.

alors tu fais ce qu’on te dit, te place où on te place, récite les mots qui prennent tout leurs sens, sans jamais raisonner en échos dans ton crâne. tu croises des visages, que tu connais bien, d’autres un peu moins. d’ancien, et nouveau élève de la Colombia, l’élite de la nation, la relève des futurs diplômés, futur président, pdg, tête couronnée. jolie minois. tu reconnais le visage sans pouvoir y coller un nom, un prénom, tout en faisant quand même les quelques liens qui vous relient. un sourire pour t’éclipser, une pirouette acrobatique pour t'extirper d’une conversation barbante, tu traverse la foule compacte pour la rejoindre, elle, sa moue boudeuse, et son ennuie flagrant. une coupe a la main que tu glisse entre ses doigts, véritable gentleman. “moi aussi je m’ennuie toujours dans ce genre de soirée”, c’est pas totalement vrai, pas véritablement faux. disons qu’avec le temps, tu t’es habitué à la longueur de ces moments, aux conversation sans intérêt, aux faux semblant.

@arya warren

s’il y a bien une chose à savoir de toi, River, c’est que tu ne fais jamais rien au hasard.
jamais.

pas même cette fois où tu t’es mis en tête qu’il fallait renverser l'ordre établi, faire tomber les têtes couronnés, décapités tes pairs et observé lentement leurs chutes. pas même cette fois où tu as rencontré l’ange de la mort, la cavalière à la crinière blonde comme les blés. pas même quand tu l’as choisi. non jamais, tu ne laisses ton destin entre les mains de ce foutu hasard, de cette foutue chance. il y a bien trop d’enjeux, bien trop de possibilité qui ne te convienne pas, d’élément que tu ne peux maîtriser. et ça, tu ne le supporte pas. maître de ton destin, capitaine de ton âme, ou une connerie du genre.

ce soir non plus tu ne laisses rien au hasard, ni le costume hors de prix choisi avec soin, ni le discours répété machinalement. ni même ta venue, droit sur elle, verre à la main. bien sur que ce n’est pas un hasard si tes yeux ont croisé les siens, bien sur que ce n’est pas un hasard si tu décides de t’approcher, d’engager une conversation qui sera sans doute sans grand intérêt. bien que tu n’aies toujours pas réussi à remettre un nom sur son visage tu la situes, ailleurs, différente, dans une autre ville. de l’autre côté du pays, souriante à l’époque au bras de ton ami, David. et ça te reviennent soudain, Warren, la fille Warren. un prénom qui peine à se frayer un chemin dans ta mémoire et ce n’est rien, sans intérêt à tes yeux du moins. tu connais vaguement leurs histoires, tu connais très bien ton ami. David, coureur de jupons invétéré,  salaud de bonne famille. tu sais juste que la fin fut tragique, pour elle plus que pour lui. et le reste tu t’en fous pas mal, de savoir si elle souffre encore, de savoir si elle pense encore à lui, si elle rêve toujours de lui. tout ça t’importe peu au fond, ton seul objectif de ce soir est de raviver ses souvenirs, t’assurer qu’elle n’oublie pas complètement l’ami à l’autre bout du pays.

elle répond vaguement à tes insinuations, accepte le verre que tu glisses entre ses doigts. tu hausses vaguement les épaules, l’air indifférent, le regard ailleurs le temps d’un court moment. “Ça dépend…” que tu laisses trainer entre deux gorgées de champagne, entre un regard qui se pose à nouveau sur elle. “parfois certaines rencontres peuvent changer la donne…" évidemment c’est à elle que tu fais référence, à votre passif, aux démons du passé que tu pourrais bien réveiller ce soir.  que tu comptes bien remettre sur pied.