underground (ella)

boran kuzum. kiddsressources. 345 786 30

Et les choses qui ne sont nullement faites pour arriver, un jour, s’en vont, se volatilisent, attisant les peines, parfois les regrets.
À Elio, c’est le vide qui lui avait été soutiré. Car sans doute dans l’imaginaire commun, n’étaient-ils rien même ensemble, pour n’être point fait pour se rencontrer, ni même s’apprivoiser.
Au coeur de l’aéroport, accusant le coup d’épaule de chacun, le bruit s’éteint, la cacophonie s’interrompt. Et le gamin au milieu de ce foutoir n’écoute plus rien d’autre que le silence laissé par Kaja; des bruits d’elle, inaudibles, qui ne viennent pas et ne viendront jamais plus.
Il était ici pour la trouver quand elle, déjà, était partie depuis des jours, d’un vol sans retour pour l’Irak. Mais le déni oppresse plus fort que tout ce qu’il reste de raison, et encore une fois, il n’y avait qu’elle pour souffler un brin de conscience au garçon.
Posté depuis des heures devant les envolées qui se succèdent, il se réveille quelque part sur le chemin cahoteux des ravages causés par la pensée, empoigne le portable qu’il trouve au fond de sa poche.

to: Ella
J’suis arrivé trop tard. Kaja est partie.
On peut se voir? Le bar près de chez toi.

Et ses abysses sont plus vides encore lorsqu’il scrute les danses mornes du quotidien qui s’exécutent trivialement sous son nez, sans que rien n’ait changé. Le monde ne connaît d’aucun bouleversement lorsque chacun de ses pions trouve enfin sa juste place, que les éléments finalement aux diapasons, forment l’harmonie - l’octave des gens malheureux.
Ainsi, l’italien ne trouvera plus aux pieds de son hiver le printemps d’une irakienne, volatilisée. Il préfère rebrousser le chemin de boue qu’il a suivi pour arriver sur ce pallier de déception, où toute chose est morte, rejoindre ailleurs la petite brune qui étanchera son courroux pour s’y être frottée tant de fois alors.
Il arrive le premier, ironie du sort, ou peut-être est-ce dû à son appel tardif. Qu’importe réellement. Il a cessé d’attendre, de courir après le vent. La langue est déjà gonflée de toute l’amertume de l’alcool, sevrée de toutes traces de sobriété, quand Ella enfin apparaît.
Le tableau fait presque pitié.
“ Quoi? Pourquoi tu m’regardes comme ça? C’est parce que je t’ai pas attendu? Vas-y c’est ma tournée, fais pas la gueule, Ella ”

@ella gardner

☾ ☾ ☾
{ underground }
crédit/ tumblr ☾ w/@Elio Abruzzeze

Les lunes noires rivées sur l’écran blafard,
les quelques mots énoncés, si simples, que l’on n’y devinerait jamais la fatalité,
leur fatalité,
celle avec laquelle ils vivent ; celle qui les unit ; celle qui, ce soir encore, va les réunir.

Elio, il ne va pas bien. Il ne le dira peut-être jamais à haute voix mais elle le sent, elle, dans les abysses les plus profondes de son cœur lié au sien.
Parce qu’elle n’a pas besoin de mot,
parce qu’il est Ella, parce qu’elle est Elio,
parce qu’ils ne font qu’un dans leurs maux.
La cancéreuse écrasée entre ses phalanges craque sous le poids de la culpabilité. De ce putain de métro qui ne marche jamais. Elle quitte la rame, agacée, inquiète, oubliant les effluves salvatrices de la veille.

Pourtant, c’était important hier soir,
hier, y’avait elle, et puis Ambroise,
y’avait un goût de paradis sur ses lippes,
jusqu’au retour à la réalité assombrie,

ella et elio, toujours,
y’a que ça dans cette putain de vie qui dure.

Elle arrive enfin dans le bar empli de tocards. Lieu de débauches et de vices, elle oublie le palpitant au profit de celui qui a un bout de son âme. Et la douleur immuable, qui se fond trop vite, entre les affres sentimentales. Elle le voit, Ella, tout de suite, dans les prunelles comblées par le néant. Elle le ressent dans la torture lancinante des myocardes qui battent depuis toujours à l’unisson. Elle le devine dans le malsain désir de se perdre un peu plus ; s’abîmer un peu plus ; se tuer toujours plus.
L’agonie est vertigineuse.
Comme un saut dans le vide, un coup de lame en plein cœur.
La symphonie de la débauche paraît toujours la plus harmonieuse. Mais tous les verres du monde ne lui ramèneront pas Kaja. Le maudit n’a qu’elle, maigre consolation, elle qui sera pourtant toujours là. Les pupilles orphelines le fixent, lui, emplies d’inquiétude et de cette tristesse infinie.
Pas besoin qu’il ne la confie,
pour qu’elle soit partagée par sa meilleure amie.
Et puis, les mots qui arrivent. Bien imbibé déjà, les effluves alcoolisées parviennent à l’écorchée vive comme si elle avait goûté ces verres avec lui. – J’te regarde, c’est tout. Et la scène lui fait mal au cœur. Peut-être autant qu’elle a pu briser le sien de mille éclats de verres. La môme s’installe à côté de son siamois, les prunelles cherchent aussitôt les siennes dans tout ce vide abyssal. – T’as essayé de la joindre ? et elle fait sûrement la dernière chose qu’il voudrait ; la dernière chose qu’elle voudrait. Car il n’y a qu’une âme qu’ils se partagent dans les abîmes, elle le sait, Ella.
Elle lui parle de Kaja.

boran kuzum. kiddsressources. 345 786 30

underground

L'ephèbe se désaltère, les cendres de l’envolée lui grattent la trachée tandis qu’il boit avidement la liqueur du désespoir faisant claquer le verre à chaque ingurgitation. Il a appelé Ella afin qu’elle lui danse sur la cervelle, écrase les songes épineux en se prenant de pitié pour sa douleur inénarrable de garçonnet à l’abandon. Cette plaie qui mesure pourtant moins que son égoïsme conduira -du moins l’espère-t-il- l’âme sœur au massage cardiaque; les mots seront enrobés de pommade, les caresses d’empathie et les yeux d’une buée mièvre. Et si cela ne suffit pas, Elio tiendra en silence la raison pour laquelle il lui a commandé de venir: que la seule ruine d’Ella soit l’appât de sa lucidité, qu’elle expose ses fêlures et qu’elle le sauve par l’écho qu’elles auront sur celles du gamin. Retiré ainsi à ses jérémiades Elio penchera le buste sur sa poupée moitié et maudite, lui polira la joue de quelques caresses et au creux de son oreille: “Merci d’avoir amorti la chute, regarde-toi maintenant, toute abîmée”. C’est ainsi; comme il arrive parfois qu’Ella provoque le déclin d’Elio en dépit des apparences raisonnables de ce dernier, l’inverse se produit également. Les pulsations suivent la même rythmique parce que chacun s’efforce d’attirer l’autre dans le puits de son malheur - rarement de l’euphorie.
L’ombre par-dessus sa carcasse le toise, Ella est arrivée, il renifle son parfum parmi les notes d’alcool qui lui parviennent chaque fois qu’il soupire contre son sort. Soudainement elle demande en guise d’introduction, si dans un éclair de raison, Elio a tenté de joindre Kaja. Il courbe la nuque vers l’arrière, ferme les yeux au plafond et bascule en avant, les lèvres à portée de verre. “Non, elle devait partir” et il admet avec vigilance que ce n’est pas qu’elle soit partie qui heurte sa fragile existence, c’est qu’ainsi il était seul, l’équilibre en branle, la constance en dent de scie. “Si je lui avais demandé elle serait restée tu sais”, le timbre retombe puis s’aggrave de plus bel “mais fallait qu’elle parte, c’était une erreur pour elle de faire un crochet par ici”.
Il traite ses déboirs avec une telle acuité, qu’il sent déjà qu’il en a besoin: d’Ella dans les abysses près de lui, leurs mains enlacées traversées à la surface par des gouttes d’humidité, et la sentir souffrir plus fort à côté.
Les orbes roulent et sondent jalousement la jeune femme, les pommettes vives mordues par la température, les yeux paisibles et conscients. “Ne me regarde pas comme ça, tu penses que j’aurais dû la retenir hein?”, ça empeste la répulsion qui lentement fait son tracé dans le discours. Elio titube, lape la dernière lampée de liquide coincée dans le verre. “Eh bien, c’est la différence entre toi et moi, je ne me jette pas aux pieds de quelqu’un qui s’en va en pensant faire suffisamment pitié pour qu’il reste”. Demain, il espère que le marasme qu’il fomente avec Ella sera venu couvrir celui de Kaja, qu’il luttera, penaud et grommelant, pour rattraper les mots pointus qui ont servi à perforer le cœur qu’ils ont de commun. En attendant, il opère à lui faire assez de mal pour aller mieux.

(c) élissan. @ella gardner

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{ underground }
crédit/ tumblr ☾ w/@Elio Abruzzeze

Elle devait partir,
que tu me dis,
comme si elle était déjà perdue,
comme si t’y avais jamais cru,
et moi, Elio,
tu me retiendrais,
si je partais ?
et moi, Elio,
tu déciderais aussi de m’oublier ?
ou peut-être que, enfin, tu te battrais ?

Les deux billes plantées dans les iris éteins, elle le contemple, elle ne dit rien. Elle ne dit rien mais le juge cent fois, Ella, d’abandonner comme ça.
Pourtant elle l’a fait tant de fois,
trop de fois, justement, pour le soutenir dans son choix,
trop de fois, pour approuver le départ de Kaja.
Elle a connu les abandons, les a provoqués aussi plus que de raison,
elle ne veut pas ça pour Elio,

elle lui donnerait le monde, Elio.

L’insolence au bord des lippes, il la pique, de ses paroles assassines. Il la pique, pour partager son agonie ; l’attirer avec lui dans sa dérive. Silencieuse, la féline, elle garde pour elle son avis. Jusqu’à ce qu’il essaie lui-même de l’obtenir. « Ouais, je pense que t’aurais dû la retenir. C’est ce qu’on est censé faire quand on aime quelqu’un. » Et tu vois, Elio, je commence à peine à le comprendre. Avec Meg, avec Ambroise. Avec ceux que j’ai laissés derrière moi, mais qui sont toujours là. Ou ceux pour qui je commence à me battre, juste pour les garder avec moi.

Puis, y’a toi, l’éternel
pour lequel elle s’est jamais battue,
toi, avec qui elle a jamais eu besoin de le faire,
toi, dont l’âme s’entremêle à la sienne,
toi dont le cœur s’accorde au sien.

Violents. Percutants. Les mots sortent de ses lèvres comme autant de coups assassins. Lames acérées qu’il plante dans le cœur amoché, mais toujours dévoué. C’est douloureux, un peu, mais moins que ça aurait pu l’être dans le passé. Car il évoque les cœurs oubliés, quand le sien est désormais possédé par un ange toujours à ses côtés. Elle encaisse la virulence uniquement destinée à provoquer sa souffrance, prête à lui accorder ce semblant de délivrance. « Donc t’as décidé d’engendrer le mode connard, vas-y, si ça te soulage. » elle ne laisse pas entrevoir la douleur engendrée par son meilleur ami. Âme sœur et damnée, tout entier, capable d’exploiter le pire, d’elle, car il le connaît, et même, il l’aime. C’est peut-être précisément ce qu’il cherche ; sa détresse, pour mieux l’emmêler à la sienne ; sa douleur, pour mieux sentir l’osmose entre leurs deux cœurs. Seulement, il y a un truc qui diffère, ce soir. Il s’appelle Ambroise. Il s’appelle Ambroise et lui fait entrevoir, la faible clarté d’un espoir. Tout ça, elle ne le sent pas, Ella ; elle ne décèle pas l’opposition soudaine, inattendue, qui se creuse avec l’autre fragment de son âme. Trop habituée qu’ils sont, à être en accord, dans leur perdition. « Tu sais que même sans elle, tu seras pas seul hein. Moi, je suis là, quoi qu’il se passe. » elle affirme, la voix adoucie, le besoin d’être là pour lui. Le besoin de le maintenir en équilibre.
Ella, toujours à ses côtés,
et s’il perd pied,
elle refusera peut-être cette fois de sombrer,
elle veut juste être là pour le rattraper.