(+18) Reira & Anton (1) - poison

Darkness is your candle.

C'était l'une de ces soirées "pompe fric" comme les appelait Reira. Il suffisait de bien s'habiller, voire de laisser transparaître des pans de chaire, et cette fois-ci elle avait décidé d'en laisser paraître de manière conséquente, d'être aimable, d'user de flatterie et de servir des verres aux conviés. En somme, il fallait faire rester les clients un maximum de temps dans le club et leur faire dépenser un maximum d'argent. De grands pontes étaient conviés ce soir là, du monde de la finance, de l'immobilier et peut-être même de la politique, alors Reira avait opté pour un look assez précieux pour qu'on en oublie l'audace. La soirée devait commencer à onze heures du soir, ce rendez-vous tardif suffisait à dévoiler la discrétion nécessaire pour pêcher de tels clients, et cela en disait long sur le porte monnaie qu'ils portaient. Si souvent Reira ne faisait presque seulement qu'acte de présence afin de faire gagner de l'argent au club, sans jamais chercher à alpaguer de nouveaux clients, ayant déjà un carnet d'adresse établi et suffisant, manquer à cette soirée ou ne jouer le jeu qu'à moitié aurait été idiot de sa part. Du moins, c'était son avis.

Si niveau affaire la grande brune semblait garder la tête sur les épaules, niveau sentiments cette dernière semblait un peu plus naïve. Cela ne faisait que quelque jours que Anton l'avait larguée sans crier gare, et même si la plupart des hommes considéraient que la rupture était trop fraîche pour oser ne serait-ce que poser leurs yeux un peu trop longtemps sur la jeune métisse, les femmes, elles, n'avaient pas tardé à colporter des ragots dont Reira ne savait démêler le vrai du faux concernant les coucheries d'Anton durant leur relation.
Finalement, aux 7 Pêchés Capitaux, une seule personne avait fait preuve d'empathie : c'était Ben. Le plus dangereux étant que Ben ne semblait pas intéressé que par la plastique de la jeune femme, la veille il l'avait écoutée et réconfortée, elle avait dormi chez lui et il n'avait rien attendu d'elle. Il dégageait quelque chose de si sincère et rassurant que Reira se maudissait de s'être laissée emportée dans une relation avec Anton, le patron, au lieu de remarquer Ben plus tôt. Elle qui ne croyait pas au mythe du "nice guy" commençait presque à douter.

Lorsque Reira arrive au club, Ben lui demande comment elle se sentait suite à une soirée forte en émotions, afin de ne pas laisser des oreilles malveillantes se délecter de son récit sur la peine et le trouble douté par sa rupture la jeune femme invite le comptable à se caler en intimité. Elle le remercie, il la complimente, elle lui demande ce qu'il fait à la fermeture du club ce soir et avant même qu'elle ne puisse réagir à sa réponse, un des molosses d'Anton les interrompit. A cet instant, le visage de Reira se referma, elle attrapa sans tarder son sac à main et son boléro en fausse fourrure blanche et monta jusqu'au bureau du boss.
Avait-il toujours été ainsi ? Lorsque Anton la toisait ainsi en susurrant son prénom, Reira se sentie comme une proie. Il avait tout d'un requin à cet instant, et le simple contact de sa main sur son corps, dont peu de tissu faisait barrière, lui donna un frisson. Elle ne savait pas si c'était une réaction alchimique ou de la crainte, tout ce qu'elle savait c'est qu'elle n'appréciait pas. Elle n'appréciait pas cette sensation de n'être qu'une petite chose entre ses mains, d'être une chose tout court. Et Reira n'était pas au bout de ses peines.
Avant même qu'elle ne puisse répondre à sa question, qui de toute manière sonnait tout à fait rhétorique, Anton l'attrapa par le cou, la pression qu'il exerçait sur elle la fit grimacer de douleur, crispée contre le bureau la jeune femme senti un pic d'adrénaline la traverser. De la peur. Elle avait tendance à oublier le milieu dans lequel elle traînait, elle décidait d'elle-même de ne voir que l'argent et les paillettes, et savait parfaitement faire l'autruche sur le dégoût que certaines actions lui inspiraient, ou sur ce qu'était capable de faire des hommes comme Anton. C'était son moyen de survie, sa solution pour continuer à se supporter : ne prendre que l'agréable et jeter le reste. Mais à ce moment précis, il n'y avait rien d'agréable. Tu vas.. me faire des marques. peina-t-elle à répondre d'un ton sec tout en le fixant droit dans les yeux. Si elle espérait qu'il cesse sur le champ, par confort et sécurité, elle tenait aussi à lui signifier la bêtise de son impulsivité : Anton souhait-il vraiment marquer son coup d'hématomes à quelques heures d'une soirée "pompe fric" ? Plus elle fixait son regard, plus elle se rendait compte combien cette interrogation était futile... Anton voyait rouge à cet instant précis, et lorsqu'il commença à se coller à elle Reira cligna lentement des yeux et pût enfin lâcher un soupir lorsque le Russe desserra son emprise sur sa gorge. C'était tout ce qu'il l'importait ? Savoir que personne d'autre ne la posséderait dans l'intimité ? Hypocrite. Tiendrait-il le même discours si Ben laissait une grosse liasse de billets sur la commode après l'action ? Toutefois, quand bien même Reira n'était pas du genre à ravaler ses paroles, l'évocation d'un Ben "plus là" lui mit la puce à l'oreille et l’inquiéta. Mais plutôt que de montrer cela à Anton, la jeune femme préféra user d'une arme à laquelle ce dernier semblait bien plus sensible. Sans hésiter elle porta sa main à l'entrejambe revigoré du mafieux et serra la prise comme pour accentuer ses mots : Très clair.

Maintenant lâche moi s'il te plaît. soupire alors Reira après avoir quelques fois glissée sa main sur l'intimité d'Anton, l'air de rien, avant de finalement porter la main à son propre cou et de doucement inciter le Russe à enlever la sienne. Ça valait bien le coup de me larguer. ajout-a-t-elle avec sarcasme, afin de dédramatiser la situation tout en manifestant son mécontentement. Anton était injuste. Mais il ne l'entendrait pas. Il venait de lui faire peur, mais elle ne lui dirait pas. Son cœur tambourinait et sa respiration avait du mal à ne plus être douloureuse, un soupçon d'adrénaline de désir se fit alors sentir, et l'idée qu'il puisse y avoir ce genre de tension entre eux, dans ce genre de situations, la répugnait. Elle regrettait le temps où il n'y avait rien de sexuel entre eux, où il la regardait comme si la désirer signifiait la souiller, où elle se sentait en sécurité à ses côtés. Finalement, ce qu'elle aimait considérer comme une arme s'était retournée contre elle : en lui donnant son corps, Reira avait l'impression d'avoir donné tout les droits à Anton. Le pire étant que son corps parfois appréciait cette situation sans se l'avouer. Un conflit s'établissait alors entre sa tête et son ventre.  
 

Darkness is your candle.

Il fait ce qu'il veut ? Avait-il réellement besoin de le dire ? Tout dans son attitude le criait déjà au monde entier constamment, à quel point avait-il besoin de répéter cette autorité souveraine sur son affaire pour qu'elle soit entendue ? Tout le monde le savait déjà, les femmes, les hommes, les clients, et Reira en première ligne : même avec elle il avait continué de faire ce qu'il voulait, sans jamais se soucier de ceux sur qui il marchait. Pervers narcissique ? Complexe d'infériorité ? Troubles du comportement jamais soignés ? La grande brune ne quittait pas Anton des yeux alors que ces réflexions tournaient comme en boucle dans son esprit. Avait-il besoin qu'on le rassure sur sa position de tout puissant ou était-ce la défiance qui le stimulait ? Rien à foutre. Finalement, les désirs d'Anton n'étaient plus la préoccupation de Reira. Du moins.. en théorie, car ce dernier agissait toujours comme si c'était le cas.
Lorsque le mafieux évoqua le manque de sentimentalisme présumé de la jeune escort, celle-ci arqua un sourcil et ne pût réprimer un léger sourire. Finalement, si il la percevait comme une femme sans sentiments, Reira n'avait peut-être pas tout perdu, tout compte fait. Lorsqu'il agissait comme un prédateur des plus limites, elle se congratulait qu'il la connaisse aussi mal. Il avait sans doute été trop occupé à ne voir que sa plastique et tremper son biscuit un peu partout pour voir qui elle était vraiment. Il était plus aisé pour Reira de tout mettre sur le dos d'Anton que de réaliser combien les barrières qu'elle érigeait entre le monde extérieur et le sien étaient efficaces : pour le meilleur comme pour le pire. Ben, une distraction ? Peut-être. Mais rien n'était calculé. Tout ne tourne pas autour de toi Anton.
Qu'est-ce qui le frustrait autant ? Pourquoi avait-elle été érigée en princesse pour finir comme une prisonnière coupable aux yeux du même qui l'avait encensé deux ans auparavant ? Tu as raison. dit-elle, désinvolte, avant de se redresser et passer une main dans sa queue de cheval puis de rattraper son boléro qui avait commencé à glisser de son emprise. Il la voyait ainsi ? Comme une espèce de veuve noire ou de mante religieuse ? Ainsi soit-il.
Mais tandis que Reira s'enfermait dans ses mécanismes de défense, la question qu'Anton lui posa sans crier gare l'interpella.
Redressant la tête pour le regarder à nouveau, déconcertée comme si il ne faisait qu’enchaîner des inepties, elle répondit : Ma liberté ? Quelle liberté ? Eclaire-moi, tu piques ma curiosité. Tu veux me virer de ton club ? elle eut un sourire insolent. Oh man... Cette simple question lui rappela combien elle était douée pour ce qu'elle faisait, combien certains hommes ne venaient ici que pour elle. Qui serait le plus perdant dans ce cas là ?
Laissant ses mots tomber en suspend, la jeune femme se glissa dans un fauteuil, croisant les jambes, accentuant le surplomb de son patron sur elle, il voulait être le grand méchant loup ? elle le laisserait faire.
Son regard se baladait sur les multiples effets du bureau, comme si la présence d'Anton était obsolète. Puis soudain, elle fronça les sourcils, avant de rediriger lentement ses yeux vers le Russe. Ou peut-être tu préfère tomber dans le crime passionnel ? "si je ne peux l'avoir alors personne ne l'aura", elle eut un léger rire. Sérieusement ?
 

Darkness is your candle.

Lorsqu'il lui répondit du tac-au-tac, Reira sut qu'elle avait fait mouche. Heureusement pour elle, il lui tourna le dos, la jeune femme pût alors prendre une grande inspiration afin d'évacuer toutes les émotions qui s'étaient ruées sur elle dès l'instant où elle était entré dans le bureau : la colère, l'angoisse, le frisson et même une légère envie de rire quand il semblait maintenant un peu plus clair qu'il ne comptait pas la refroidir. L'en pensait-elle réellement capable ? Elle ne pouvait pas se prononcer là dessus. Son avis à ce propos changeait au gré de l'humeur d'Anton.
Ce dernier coupa le fil de ses pensées lorsqu'il se retourna vers elle pour entamer.. une discussion ? C'est ça alors, tu me rends ma liberté ? cette phrase semblait être une défiance, mais Reira se posait réellement la question, il n'y avait pas d'ultimatums ? Pas de piège ? Anton se montrait-il enfin raisonnable ? Si telles étaient ses doléances... ce ne serait sans doute pas difficile d'y répondre à l'affirmative, qu'importe l'hypocrisie de la requête. Tu veux que je te respecte... lâcha-t-elle en un soupir avant de se relever de son siège. C'était l'une des rares fois que la balle semblait être dans le camp de Reira, et, imprudente, cette dernière ne semblait pas vouloir partir avec sa balle et gober tout ce qu'il lui disait. Pour une fois qu'elle l'avait en main, elle comptait bien jouer un peu avec, l'espace de deux ou trois rebonds peut-être ?
La Persane vint s'installer sur le rebord de la fenêtre aux côté de son ex, leurs épaules se frôlaient légèrement tandis qu'elle pencha la tête sur le côté en le fixant. Pourquoi ne rends-tu pas cette rupture officielle ? Qu'est-ce qui t'en empêche ? Ce n'est pas comme si quoique ce soit te retenait à moi ou t'obligeait à faire bonne figure. On est pas mariés, et les filles se vantent tellement de leurs exploits à tes côtés que je sais pertinemment que notre couple n'a jamais été une barrière à quoi que ce soit dans ta vie. Le fixant quelques secondes pour surveiller sa réaction, Reira se mit finalement à prendre ses cigarettes dans sa pochette et à s'en allumer une. Je ferais un effort. Elle balançait ça sans en être sûre. Sa tête lui dictait d'accepter les concessions qu'il lui demandait, mais son esprit de contradiction avait toujours la sale manie de se manifester au pire moment.
 

Darkness is your candle.

Toute la tension, l'attention, la conversation, son esprit, étaient à présent focalisés sur leur relation. Ce qui l'avait fait tiquer au début lorsque Anton menaçait indirectement Ben, semblait hors de propos désormais pour Reira. C'était réglé, si elle adoptait le bon comportement. Réussirait-elle à se passer de la bouffée d'air frais que représentait Ben lorsqu'elle mettait un pied dans le club ? Elle espérait que oui. Finalement, tout ça n'était qu'entre elle et Anton. Du moins, c'est ce qu'elle pensait.
Reira plissa légèrement les yeux à la réponse du Russe. Cela n'avait aucun sens pour elle, encore moins lorsqu'il semblait résigné, las. C'était la façade d'Anton que les autres femmes du lieu ne pouvaient pas voir. Un aspect de sa personnalité qui l'avait touchée et séduite. Des hommes pompeux, vantards, autoritaires et vaniteux composaient son quotidien professionnels. Elle n'avait plus aucune empathie pour ces attitudes. Imbécile se dit-elle à elle-même, sans clairement se l'avouer. Voilà qu'après avoir eut envie de lui cracher au visage, Reira se surprenait presque à vouloir lui caresser les cheveux, ce qu'elle ne fit pas. Cette situation était pourtant familière, assez pour savoir qu'il était idiot de croire qu'un instant d'Anton plus ouvert suffirait à tout régler. Cela ressemblait à de nombreuses disputes qu'ils avaient eut, où ils passaient de la colère excessive à des instants de tendresse qu'elle s'imaginait encore lui être réservés. Qu'il baise avec la terre entière si il le souhaitait, ce visage, cette voix, qu'il avait à présent, n'appartenaient qu'à elle. Qu'est-ce qui est compliqué ? dit-elle en recrachant la dernière latte de sa cigarette récupérée plus tôt. Si tu as besoin que je ne sois qu'à toi lors de ces dîners, tu sais que je sais le faire. Je sais jouer la comédie, ces associés ne sont pas là h24, être libre et prétendre être la propriété d'un homme le temps d'une soirée fait partie de mon quotidien. Qu'est-ce que ça change, quelques jours de plus ? Le club et cette soirée n'ont rien à voir. Sur ces mots, Reira posa sa main sur le bras d'Anton. Attendait-elle une réponse en particulier ou était-elle simplement curieuse sans aucune arrière pensées ? Elle-même n'en n'avait aucune idée. Tu sais que même en rendant notre rupture officielle je répondrais toujours présente pour tes dîners. souffla-t-elle calmement à son cou avant d'y déposer un baiser furtif. C'est mon travail.
 

Darkness is your candle.

Reira s'était longuement confiée à Ben, sur le comportement d'Anton, la dureté avec laquelle il avait mit fin à leur relation, la difficulté de son tempérament, son sentiment d'avoir été utilisée : un sentiment faussé par la peine et l'indignation. Elle voyait en Ben un radeau, une épaule, et lorsque Anton s'était montré violent quelques instants auparavant la jeune femme s'était auto-congratulée d'avoir reporté son attention sur Ben. Pourtant, il suffisait qu'un brin d'humanité jaillisse du cœur compliqué du Russe pour que Ben s'évapore peu à peu de son esprit. C'est un syndrome que trop de femmes naïves ou fleurs bleues expérimentent : l'idée de pouvoir être celle qui changerait le loup en chien.
Elle observait Anton s'éloigner d'elle sans comprendre ce qu'il lui passait par la tête. Il souffrait de cette rupture ? Mais elle lui semblait nécessaire ? Ils semblaient aussi perdus l'un que l'autre, à se tourner autour, se rejeter tout en ne voulant pas couper le cordon qui les reliait l'un à l'autre. Jouer avec moi..? répéta-t-elle, le regard vague, comme essayant de traduire ce qu'il entendait par là. Un an de jeu ? Vraiment ?
Nécessaire pour quoi ? Ou pour qui ? répondit Reira en se relevant du bord de la fenêtre. Tu avais tout à mes côtés, tu ne te privais de rien, on peut établir de nouvelles règles.. dit-elle plus vite qu'elle ne le pensait, en se rapprochant du grand Russe. Comment ? Des règles de relation libre ? Pour quoi faire ? Si il était incapable de la voir fricoter avec un autre maintenant qu'elle n'était plus que son escort, il ne le lui accorderait pas plus dans une nouvelle relation. Elle le fixa un moment, comme dans l'attente d'un mouvement de sa part, mais après un soupir elle ajouta : Je comprends. On est jamais content de voir quelqu'un s'amuser avec le jouet qu'on avait pourtant décidé de jeter à la poubelle. acerbe. Il ne regrettait pas ? Alors quel était tout ce cinéma ? Clignant lentement des yeux, exaspérée par elle-même qui s'était sentie fondre en quelques instants, la grande brune récupéra sa pochette et son boléro, s'apprêtant à quitter le bureau. Quand est-ce que le dîner avec les Italiens aura lieu ? demanda-t-elle sur un ton plus professionnel.