deadline. (cahal)

il n'y a que la vision de son propre sang qui l'aide à évacuer.
la lame de rasoir qu'il tient entre ses doigts,
devant le miroir il contemple l'entaille qu'il vient de rajouter à sa collection. une ligne droite, et fine qui traverse le haut de son buste. il n'est pas fier. mais il ne pense plus à alba, à ce meurtre sordide et à cette vie qu'il ne mènera jamais. il n'est pas fier, mais quand l'hémoglobine goutte contre la faïence, il a l'impression que ses émotions s'échappent de son être au ralenti. ça le soulage, juste un temps. quelques jours, quelques heures, parfois seulement quelques minutes où mcgrath se sent libre.
une liberté coûteuse. puisque les mutilations sont telles, que l'homme n'est plus en mesure de retirer sa chemise en public et ce depuis une trentaine d'années.
il déserte son appartement pour la soirée.
c'est une autre évasion qu'il s'en va chercher en effaçant les quelques rues qui le sépare de l'antre de son cadet. cahal, reste sa meilleure source de bien être. s'il n'avait pas eu la chance d'avoir des frères, c'est lui qu'il aurait souhaité avoir à ses côtés. c'est une chance inouïe que ses parents lui offert, le meilleur des cadeaux pour son cinquième anniversaire. une tête brune qu'il ne saurait voir ailleurs qu'auprès de lui. les deux hommes ont été taillé dans le même bois. ils sont identiques, mais sont aussi les seuls à en avoir conscience. il a enfilé une chemise blanche -aurait du préféré la noire, puisqu'un filet carmin la tâche d'ores et déjà. il entre chez son frère comme un roi, toujours le bienvenue en ces lieux qui sont aussi les siens. c'est une femme qui le conduit jusqu'au salon où se trouve le deuxième de la fratrie. il a le sourire accroché aux lèvres tomás quand il l'aperçoit enfin.
j'ai l'impression que ça fait des mois que je ne t'ai pa vu. qu'il jette en premier, s'approchant de lui pour une accolade qu'il lui réserve seulement à lui. il ne lui laisse pas le temps d'en placer une, c'est qu'il a trop à dire, trop de questions qui courent dans son esprit depuis la dernière fois où il l'a seulement aperçu je t'ai aperçu au closer, y'a une semaine, mais j'ai pas osé venir te déranger, il sourit en coin, t'étais assez occupé, avec une jolie blonde, rose c'est ça ? c'est son nom de scène, il ne connait pas grand chose d'elle l'irlandais. mais il compte bien en apprendre d'avantage, dès ce soir. il lui tourne le dos, enlève sa veste pour être plus à l'aise et file déjà jusqu'à la bouteille de bourbon en évidence. t'as pas un petit truc à me raconter ? il parle tout en servant deux verres, bien remplis. quand il se retourne pour lui apporter, il n'a toujours pas vu la trace qui trahissait ses méfaits. le sourire toujours ancrés aux lippes.

une semaine qu’le closer n’a pas été béni des pas lourds de l’irlandais. une semaine qu’il l’a quitté. dernier arrêt sur le trottoir trempé, dernier arrêt dans les rétines d’la blonde aimée. une paume qui s'est égarée dans l'creux d'ses reins et leurs sourires qu'ont causé pour c'qu'ils n'osaient s'dire. pas un baiser. pas une joue effleurée. juste des regards échangés et des au revoirs esquissés.
une semaine pour y r'penser. pas tout l'temps. juste de temps en temps. pas l'genre de cahal de s'laisser bercer d'émotivité. une semaine pour s'dire que putain, c'était bien. que putain, il y reviendrait bien.

mcgrath entend la porte d'entrée claquer et les talons d'la bonne hurler sur l'parquet. seul dans un trop grand appartement au style d'un autre temps. la compagnie d'une subordonnée. l'autorité vouvoyée. et les sols cirés.
même le nez dans les bouquins, cahal reconnaît. la démarche assurée et les épaules qui, pour sûr, sont en train d'se balancer autour d'ce buste carré. l'aîné des mcgrath qui suit l'obligée, tout en sachant pertinemment où il trouvera son cadet. les deux silhouettes se présentent dans l'entrebâillement d'la porte et la troisième se lève pour saluer. dépose ses dossiers sur la table basse et dévoile les canines, s'approche les bras ouverts. c'est la colombie qui ne te réussi pas mon vieux, qu'il rétorque en écho, l'sourire aux lèvres.
l'ombre de trop s'évapore par la même porte qu'elle vient d'franchir. cahal se défait d'son aîné ; seul type qu'il tient en respect. sur lequel il hésiterait à cracher. l'seul type qu'il hésiterait à duper. c'est tomas qui l'a forgé. lui et toute la violence dont il l'a assommé ; sur ses doigts encore l'sang du type qui lui a apprit à aimer -et à haïr l'imparfait.

qu'est-ce que tu foutais au closer à une heure pareille ?, détourne l'irlandais tout en s'asseyant dans un des fauteuils en cuir qui entourent la table basse. il a l'sourire gêné, le regard fuyant et l'attitude du frangin qui vient d'se faire prendre. parmi tous ses secrets, c'est p't'être celui-là qu'il aurait voulu garder inviolé. les rétines basses et l'rire du malaise, il attrape dans sa paume l'verre tendu d'un autre brun satisfait. il voudrait s'noyer dans la première gorgée. étouffer dans l'bourbon pour n'avoir rien révéler. aucun compte à régler. sauf que l'aîné n'souhaite pas abandonner.
cahal se redresse. cahal s'adosse dans l'fond d'un cuir si peu réconfortant. ses rétines s'aventurent sur l'visage de tomas. rapidement. puisqu'il n'supporte pas ce rictus de type comblé. tu m'emmerdes, qu'il lâche dans un timbre amusé, oui, c'était rose. et oui, tu la connais alors arrête de tourner autour du pot, tu veux ? ses iris coupables s'évadent par la fenêtre et il peine à cacher son poignet nerveux qui agite l'ambre dans l'fond du cristal ornementé.

cahal il hait, les instants d'faiblesse. s'nourrit d'la mort de l'allégresse.
cahal il avait toujours refusé, d'aimer. toujours refusé, d'pouvoir perdre c'qu'il voudrait protéger.

l'cadet voudrait bien éviter la conversation. s'enfoncer si profond dans l'dossier, qu'tomas n'pourrait plus l'observer. les billes bleues d'son aîné, toujours perturbantes pour l'gamin qu'il est resté -dans ces yeux privilégiés. écoute j'ai rien à raconter. il s'est presque rien passé.
il voit pas encore l'trait carmin qui grandit sur le chemise. ses rétines tombent dans l'fond d'son verre et il marmonne presque qu'pour lui-même ; et puis ça fait longtemps que je suis seul.
longtemps qu'la balle est partie. qu'sa vie aussi. longtemps qu'tomas est complice d'un vieux secret dont ils évitent de causer.
longtemps qu'ses draps n'ont jamais été réchauffés.

il est curieux l'irlandais. il l'a toujours été, encore plus lorsque cela concerne son cadet.
c'est avec un regard et un sourire amusé qu'il le sonde.
il doit être le seul à le savoir comme ça.
un être humain caché sous une couche que certain appelle monstre.
tomas ne s'est jamais résolu à le voir ainsi, puisque ce serait se mettre en face de son miroir et se qualifier lui même de monstre. en est-il un ? les marques sur son épidermes en sont la preuve, c'est à lui qu'il inflige les plus lourdes peines, pour ne pas avoir à se retourner sur ce monde qui l'entoure. il enfouie tout, depuis trop longtemps et personne ne sait ce qui pourrait arriver s'il laisser la soupape exploser. oui, c'était rose. et oui, tu la connais alors arrête de tourner autour du pot, tu veux ? il joue les innocents, hausse les épaules tout en avalant une gorgée ambrée. cahal à le regard fuyant, le sourire au coin des lèvres et ça le rend heureux tomas. ça lui fait un pincement au coeur de le voir touché par quelqu'un. écoute j'ai rien à raconter. il s'est presque rien passé. et puis ça fait longtemps que je suis seul. il a un soupire compréhensif le brun, parce qu'il sait. que le secret est enfermé à double tour dans sa caboche. à tel point, que c'est à peine s'ils en ont parlé. la trahison ne méritait que la mort. c'est un principe cruel et simple inculqué par leur paternel. qu'ils ont toujours suivi à la lettre.
qu'est-ce qu'on en à a foutre que tu sois seul depuis longtemps ? il arque un sourcil, sérieux, c'est pas l'genre de choses qui s'oublie, et les présences féminines de passage, ça peut aller, un temps. mais avoir quelqu'un à ses côtés, qui réchauffe les draps, c'est autre chose. tu as le droit d'en éprouver le manque. qu'il continue, le ton se voulant rassurant. il en sait quelque chose, lui qui est marié depuis plus de vingt ans. il l'aime frida, à retardement, mais il l'aime et ne saurait plus vivre dans un monde où elle n'existerait pas. il est tant préoccupé par ce qui se passe entre rose et son frère, qu'il ne sent pas le sang imbiber lentement sa chemise.
il ne s'est presque rien passé dis-tu ? il retrouve son amusement, y'a qu'à te regarder pour prétendre le contraire. ce sont ses manies de gosses qui reviennent au galop, il ne sait pas mentir dans ces circonstances cahal. tu ne peux pas me laisser comme ça, sans rien me dévoiler, c'est un suspens insoutenable. il rit maintenant, avec franchise. termine son verre d'une traite avant de le poser sur la table devant lui.

longtemps qu’t’es seul. ça aurait dû résonner entre ses côtes. faire frémir l’fond d’sa cage thoracique. ça aurait au moins du faire trembler sa caboche. au moins autant qu’il a fait trembler la sienne. l'glock embrassant son front et ces putains d'rétines sereines.
elle a crié. elle a hurlé. elle a tout fait pour se sortir d'cette trahison qu'elle avait elle-même mis sur pieds. elle s'est débattue, les poings liés. elle a pleuré, pour qu'il arrête d'la regarder. pour qu'ils reprennent leurs vies, comme si d'rien n'était. comme si elle n'avait pas fait d'lui, l'irlandais qui s'est fait baiser.
et ça a résonné. entre son dernier sanglot et l'carmin qui s'est mis à briller dans l'fond d'sa gorge désossée. ça a résonné. l'coup était parti. l'allégeance aussi. et au-dessus d'son épaule, cahal a pu sentir l'soupire soulagé d'son aîné. leur blason redoré. et c'foutu meurtre comme une horreur de plus à oublier.

mcgrath fait danser le bourbon dans l'fond d'son verre, et son malaise miroiter dans les reflets d'ses rétines baissées. il écoute l'autre. sans en avoir l'air. il l'écoute et hoche lentement les mâchoires, en rythme avec la liqueur qui n'cesse de s'agiter. pas besoin d'lever les yeux pour deviner ce sourire qui tranche les joues d'son aîné. qui témoigne de c'moment jubilatoire qu'il tient entre ses doigts, du plaisir qu'il prend à lui faire bouffer son désarroi.
je ne manque de personne tomás, cahal lève le menton. il est vrai qu'la solitude n'l'a jamais ébranlé. qu'il se fout d'être accompagné. d'être ce type qui s'pavane avec chaque soir une nouvelle fleur à faire faner. les sentiments n'l'ont jamais attiré. pas plus qu'la ferveur des ébats inopinés. encore moins la dépendance qui rampe derrière cette intimité.
le corbeau termine son verre, profite d'cette dernière gorgée tandis que tomas n'cesse de gratter là où l'oiseau est blessé. ça arrache un sourire au cadet. encore un. je te le répète encore une fois ; tu m'emmerdes. y'a son rire qui résonne dans l'cristal qu'il se penche pour déposer. tomas qu'il est en train d'imiter. et puis franchement je, cahal lève des rétines instantanément captées pour le liseret qui se forme sur la chemise de son aîné, tomás tu saignes. les sourcils froncés, la main toujours tendue et l'incompréhension mêlée d'inquiétude qui s'lit sur ses traits. le tissu s'est froissé et à faire luire l'hémoglobine dans la lumière l'hémoglobine en train de coaguler.
les yeux qui reviennent aux siens ; cahal percute enfin. des secondes de trop pour comprendre ce même refrain. tu as recommencé ? les morts sortent difficilement de son bec serré. ils s'faufilent entre ses dents paralysées par des souvenirs qu'il aurait pensé enterrés. dans l'fond du fauteuil qu'il vient s'réfugier. ou tu n'as jamais arrêté, probablement. apparence sereine. sang-froid qu'il dégueule à qui le veut. il n'en est rien. le gamin qu'il était tremble au fond d'son être. parce que cahal, il n'y a qu'lui même pour l'faire flancher.