honeymoon (sam)

tu l’as attendu ce jour,
assez pour barrer d’une grande croix rouge ton calendrier,

celui qu’est posé au-dessus du meuble de l’entrée, offert par le boucher du coin, surement une trouvaille de p'pa. t’a attrapée le gros feutre rouge que tu’as pu trouver dans un des premiers tiroirs du meuble, celui de l’entrée, un bordel sans nom, un tube de plastique au milieu des piles usées, des lacets cassé et autres babioles qui ne serviront probablement plus. tu t’es appliqué JJ, pour tracer une belle croix, deux grands traits barrant la date cruciale. une grosse croix rouge comme une carte aux trésors, un point vers lequel naviguer, un but à aller chercher. Un jour à ne pas louper, et depuis tu comptes les heures.

Jour-J, tu t’es réveillé de bonne heure, parce qu’il y avait des travaux dans la rue, parce qu’il y avait un déménagement dans l’immeuble, parce que tu n'arrivais plus à dormir probablement. pour dire vrai tu’as peu dormi cette nuit là, l’esprit retourné par ce jour qui arrive. le jour frabieux, comme dans Alice au pays des merveilles. t’avale un reste de jus d’orange, envoie la bouteille valdingué au milieu du chaos ambiant de la cuisine, danse au milieu du couloir et du parquet qui grince, retrouve ta chambre de gamine, la penderie dont les vêtements s’échappent, comme la bouche d’un monstre vomissant son quatre heures. tu sais pas ce que tu dois mettre JJ, y'as pas vraiment de bonne tenue pour accueillir son taulard de mec, pour fêter la liberté d’un prisonnier. Y'as bien la robe rouge, celle que tu’avais “achetée” avec lui, celle qu’il aime. la même que t’avait sur le dos la dernière fois que tu l’as vu, la même qui couvrait ton corps quand il t’a dit que c’était fini, qu’il fallait plus venir. tu chasses ses dernières paroles bien rapidement de ton esprit, parce qu'aujourd’hui est un jour différent, parce qu’il sera bientôt là et qu’il ne sera plus question d’en finir. tu vides la moitié de ton armoire pour finalement attraper une robe quelconque, coiffé tes beaux cheveux blonds, maquillé ta bouche.

tu sais même pas s’il sera content de te voir, tu sais même pas s’il a envie que tu sois là, à la sortie du centre pénitentiaire, de l’autre côté de la grille. et s’il ne sort pas ? s’il ne sort plus, si c’est annulé ? si on te dit de faire demi-tour, de remonter dans le bus, de retourner chez toi ? tu te poses des dizaines, et des dizaines de questions devant le paysage qui défile, les soubresauts du bus, ses arrêts brutaux. encore une station. encore une station et tu y seras. pile à l’heure. pour une fois. encore une station et ton cœur s’emballent un peu plus, à l’idée de le voir, de le sentir, de le toucher. à l’idée d’être réunis, à nouveau. encore une station et le bus te crachent sur le trottoir, flopée d’âme vagabonde, des mères au sac bien trop lourd, des enfants aux doigts crasseux et aux joues roses, des femmes aux ventres arrondis. bal des habitués du parloir de quatorze heures, des familles en manque d’amour, en quête de reconstruction. tu les observes, regard attendri, tu crames ta dernière clope. merde. T’aurais dû en racheter. au moins pour lui offrir la première. ils disparaissent en face de toi, un à un, passant la petite porte métallique. celle qui s’ouvre une dernière fois, dernier tintement de fer qui s’entrechoque et il est la en face de toi. bel et bien là.

"jones, tu sors mardi à 14 heures"
une libération conditionnelle s'offrait à lui et il avait du mal à y croire. partagé entre l'excitation et la peur, il n'eu que très peu de réaction ce jour là. "cool." voilà ce qu'il a répondu.
se contenter de répondre ainsi c'était comme cracher à la gueule des autres détenus qui espéraient chaque jour qu'on leur annonce leur libération. d'ailleurs certains n'ont pas manqué de le lui faire remarquer. sérieux jones, t'abuses.
il a eu quelques jours pour se préparer, dire aurevoir, remiser ses affaires. comme quand on quitte une colonie de vacances et qu'on s'apprête à retourner à la maison. à la différence prêt que lui n'avait pas de maison à laquelle retourner, et qu'il n'était plus censé agir comme un gosse.

mardi, 13 heures. il a encore de la peine à le croire. d'ici une heure il sera dehors, libre. il a encore du mal à s'en réjouir. parce qu'il a eu du temps pour penser, bien trop d'ailleurs. il en est même arrivé jusqu'à remettre toute son existence en question, submergé par la frustration d'être incapable d'apporter des réponses à ses propres questionnements. il avait toujours été cet être errant, sans passions, animé par la seule joie de défier les règles et ses propres limites. et aujourd'hui, qu'advenait-il de tout ça?
il décrochait une à une les photos punaisées au dessus de son lit. la paroi effritée lui facilitait la tache. des photos de ses potes, un petit mot d'opale, une couverture de magazine. il avait tenté de donner vie à ces quelques murs. il n'oublia pas d'emporter avec lui cette lettre de jj qui dormait paisiblement sous son matelas. ah, jj.

14 heures, une sonnerie retentit. "jones, tu es libre! essaye de pas te faire choper la prochaine fois"
il a enfin récupéré ses vêtements. ils n'ont probablement pas été lavés, sales d'il y a un an et demi. de vieilles baskets nike en lambeaux, un jean noir, un tshirt blanc et une veste en denim. toutes ses affaires personnelles sont remisées dans un vulgaire sac poubelle. et les portes s'ouvrent. bon vent!
devant lui se tient jj. quelle surprise.
il n'avait prévenu que très peu de monde de sa libération, et surtout pas jj. il ne voulait pas qu'elle vienne le voir, il comptait l'éviter. parce qu'il avait trop peur de succomber de nouveau, parce qu'elle faisait de lui un homme sans limites et effrayant. il voulait l'oublier. "qu'est-ce que tu fais là " il lui lança, tout en lui adressant un regard furtif. il ne s'est même pas arrêté face à elle, il a foncé tout droit.

t’as l’coeur qui bat dans ta poitrine,
la juste en dessous,
tambourine un peu plus alors que les minutes défilent.

tu t’es pas posé de questions ce matin quand tu t’es préparé, quand t’es monté dans le bus, trimbaler jusqu’au centre pénitentiaire. tu t’es pas posé de questions quand ta prise la décision de venir le cueillir à sa sortie, d’être là à l’attendre comme tu l’avais promis. T’as agis, sans vraiment réfléchir, suivant un instinct qui n’est pourtant pas des plus fiables… mais là, debout sur le trottoir, à attendre que la porte s’ouvre une nouvelle fois, attendre l’apparition divine d’un visage qui te semble si lointaine, tu te demandes si tu’as bien fait. Est-ce que c’est ta place  ? est ce que tu devrais vraiment être là ? après tout ça, les derniers mots qui se sont éteint contre ton cœur brisé. “J'suis désolé Jj”. T'a rien dit, t’a juste garder ton sourire figé, puis t’a gueulé, après, longtemps après. l’insultant de tous les noms, crachant tout ce que tu pouvais contre lui. Foutue Sam. Sam ce con qui ose te quitter sans donner d’explication. Foutue Sam. T'a rien fait pourtant, tu mérites pas ça, t’en est convaincu, tu refuses d’accepter sa décision, t'es pas d’accord.

et t’es là,
en face de lui quand il sort, apparaît de l’autre côté du trottoir,

la route qu’il traverse, dans ta direction. Est-ce qu'il va regretter, ce jeter dans tes bras, te serrer contre lui comme tu l’as tant espéré depuis qu’il s’est fait coffrer ? rien de tout ça. il ne s’arrête pas, à peine un regard, crache des mots froids. “qu’est-ce que tu fais là ?” il ose demander. rictus mauvais qui déforme ton visage, tu te tournes vers lui. “J'suis ton putain de comité de bienvenue !”, la seule surtout, la seule qui a fait le déplacement, qui soit venue le voir, venue le chercher. ils sont où tous ses potes maintenant ? tu t’attend à ce qu’il s’arrête, c’est surement une blague, une farce, il fait genre pour te serrer plus fort ensuite n’est ce pas ? non ? non. il continue, son chemin, comme si tu n’étais pas là. et tu comprends enfin que ton idée n’était pas bonne, qu’il n’est pas heureux de te voir là l’enfoiré.

tu lui emboîtes le pas, rapide, cours pour le rattraper, une main sur son bras pour l’arrêter, qu’il ait au moins le courage, le cran de te regarder. de te le redire en face. “c’est fini, j'suis désolé Jj”. tu te plantes devant lui, l’arrête dans sa course folle. “tu te fous de ma gueule là ? c’est une blague ?”, tu cherche du regard une once de vérité dans ses yeux, dans ses traits. ceux qui te semblaient avant si familiers, que tu connaissais par cœur, que t’aurais pu retracer. on dit que la prison ça change les hommes, t’as l’impression qu’il a changé c’est vrai. peut-être que ces yeux sont moins bleus, que la flamme brûle moins au fond de ses iris. “pourquoi tu fais ça Sam ?”, tu fronces tes sourcils, ton visage de gamine contrarié qu’aimerait juste comprendre, refuse d’entendre encore une fois que tout est terminé.


@Sam Jones

cette insolence déconcertante avait toujours fait partie de lui et c'était ce qui constituait sa carapace. quand il le réalisait il ne pouvait pas s'empêcher de se dire que finalement il n'était qu'un cliché. un putain de cliché, comme les autres. jouer les caïds pour dissimuler ses faiblesses, rejeter les autres pour ne pas devoir faire face à un potentiel abandon. il se détestait quand il réalisait qu'il était un cliché.

et là de nouveau il allait agir comme tel. le gros dur qui repousse la fille pour ne pas la faire souffrir. ça c'était le scénario qu'il voulait bien dévoiler. en réalité il la repoussait pour ne pas souffrir, lui.

pourtant il n'avait pas pu passer à côté de sa beauté. il savait qu'elle avait du passer du temps à préparer sa venue, imaginer leurs retrouvailles.
il savait que tout ça devait être d'une déception incommensurable.

“J'suis ton putain de comité de bienvenue !”
aïe.
c'est vrai ça, ils sont où les autres? ok il n'avait prévenu que très peu de personnes, mais aucun de ses potes n'avait eu l'idée de venir? peut-être que c'était jj qui leur avait dit de ne pas venir, qu'elle préférait le retrouver. ouais c'était surement ça. en même temps, avant de sortir il ne s'attendait pas à retrouver qui que ce soit, ça venait tout juste de le frapper, d'un coup.

et il voit bien la déception dans son regard, pourtant il fait tout pour rester le plus froid possible. enfin c'est ce qu'il se dit. ne craque pas. elle le rattrape et se poste devant lui, elle l'affronte alors qu'il se défile. et les questions s'enchainent, des questions auxquelles sam ne veut pas répondre.
" oh jj... " il arrête sa course, dans un soupire.
" je pensais avoir été clair, il faut qu'on arrête. "
c'était pourtant déjà bien généreux de sa part d'être venu le chercher à sa sortie de prison après la façon dont il avait terminé leur histoire. lui en remettait une couche. mais il savait que s'il craquait maintenant c'était fini pour lui, elle allait le bouffer, parce qu'il était capable de trop de choses folles pour elle. il ne lui avait jamais dit, d'ailleurs il aurait surement du, peut être qu'elle aurait compris. qu'elle le rendait fou, littéralement.