let me down slowly

01/ Hannah est enfant unique, fruit de l’amour de ses parents, un jeune israélien venu vivre le rêve américain, et une new-yorkaise déjà consciente de la dure réalité. Ils se sont aimés très jeunes, presque aussitôt mariés. Un enfant était la suite logique, cet enfant qu’ils désiraient tant mais qui tardait à venir. Hannah est née via une procréation médicalement assistée, après des années de combat, de tests, de rendez-vous en clinique. 02/ Les Braun n’ont jamais roulé sur l’or, mais Hannah n’a manqué de rien. Papa travaillait à la station essence, maman était vendeuse dans une boutique de prêt à porter. Ils n’avaient besoin de rien d’autre, de toute façon. L’amour suffisait. 03/ A l’école, Hannah était le genre de gamine discrète, qui fait tout bien comme on lui demande, sans jamais faire de vague. Ses parents lui ont appris la valeur du travail et de l’argent, et Hannah n’a jamais quitté le droit chemin qu’ils avaient déjà tout tracé pour elle. 04/ Des rêves, elle en a toujours eu plein la tête. Elle a d’abord rêvé d’être présidente des Etats-Unis, quand elle avait cinq ans, avant de se destiner, des années plus tard, à la cuisine. Ses parents auraient préféré quelque chose de plus prestigieux, comme des études de droit ou de médecine, elle qui avait pourtant eu de si bonnes notes. Raté. C’était la cuisine qui la faisait vibrer. 05/ A seize ans, elle est tombée follement amoureuse, pour la première fois. Un garçon charmant, sans une ombre au tableau. Leur idylle a duré quatre ans, quatre années avant qu’Hannah ne décide de mettre un terme à leur relation. Cette relation qui l’enfermait, l’étouffait, elle qui avait soif de vivre. Et comme la plupart des filles, elle l’a regretté.  06/ Lorsqu’elle a quitté l’école, Hannah est sensiblement devenue une personne différente, du moins pour ses parents. Elle a rencontré cette fille qui lui a donné goût à la fête, à l’alcool, à tout ce que New-York avait à offrir.  07/ Il y a deux ans, Hannah est tombée enceinte. Ce n’était qu’un soir, qu’une nuit trop imbibée. Ça n’arrive pas qu’aux autres. Elle s’est tue, elle n’a rien dit à ce garçon, cet homme qu’elle connaissait à peine. Et elle a avorté. Elle ne l’a dit qu’à sa mère à l’époque mais, bien moins secrète que sa fille, elle a fini par l’avouer à son paternel. Celui-ci s’est mis dans une rage folle, lui pour qui l’avortement était inconcevable, interdit par la religion. Je te déteste. Hannah et son père ne se sont plus parlés pendant des mois, avant qu’il ne refasse un pas vers elle. 08/ Il y a un an, elle a rencontré un autre garçon. Ce n’était pas aussi fort que son premier amour, mais tout de même. Sauf qu’entre-temps, le karma est passé par là. Il avait encore son ex dans la peau. Impossible de concurrencer. Il l’a laissée, par texto, quelques jours avant la Saint-Valentin. 09/ Et puis c’est le drame. La perte de son père. C’est la vie, certains disent. Les parents partent avant les enfants, logique des choses, même si cela n’empêche pas la douleur. Une crise cardiaque foudroyante, face aux flingues braqués sur lui, dans sa station essence. 10/ Les jambes qui vacillent en apprenant la nouvelle. Les cris de sa mère. Les pleurs. Ils l’ont tué. Pour Hannah, son père a été tué. Laissé pour mort, comme un chien. Tout ça pour quoi ? Quelques thunes, le contenu de la caisse, tout ce que valait sa vie. Elle aimerait être capable de pardonner, de faire son deuil. D’appliquer ce que son père lui a toujours appris, ces enseignements religieux qui prônent le pardon et l’amour de son prochain. Mais elle n’y arrive pas. Elle est dévorée toute entière par la rancœur, par cette colère et cette haine qui lui rongent le cœur.