Le murmure des pas contre le bitume. L’odeur nauséabonde de l’humidité mêlée à la moisissure du lieu. Les semelles crasseuses pour s’ancrer à la poussière. Le sursaut de la carcasse. Le trémolo au bout des phalanges. Les lippes dont plus aucun son n’ose se dégager. La courbure charnue et dessinée de rose qui frôle l’overdose de vie.
Le claquement de la basket. Le claquement de sa présence. Le dérapage de trop. L’ombre de ses yeux fusillée par celle du bourreau. Il n’y a plus aucun recul possible. Un sursaut. Une respiration approximative. Le canon du flingue dans son viseur. Elle, ancrée dans le leur. Les mots coincés au fond de la trachée. Les lèvres pétrifiées des nébuleuses angoisses. La main tremblante. Le corps vacillant. Des voix pour s’élever. Des voix pour maudire la gamine. L’approche rapide. Trop rapide. Un homme pour coincer sa silhouette. Les paumes font ravages sur ses bras. L’ivoire sertie d’écarlate sous l’impulsion colérique. L’autre, il ricane une première fois. Et c’est le flingue qui s’appose sur l’abdomen. Une première menace. L'enfant, supplie. L'enfant réclame l’accalmie. La tempête fait rage dans son crâne. Les idées qui défilent. Sa vie qui marque un tournant. L’accumulation des images.
L’accumulation des souvenirs. De son père à ses frères. De ses frères à sa mère. Des larmes aux éclats de rire. Des éclats de rire à la tendresse des mots.
Une deuxième menace.
Celle qui éradique la vie. Celle qui repousse la chaire. L’effluve carbonisée. La fumée perçant l’asphalte. Une détonation ricoche. La main du bourreau tremble. Réaction affolée du geste. Alors une seconde s’éprend des râles où l’oxygène n’est plus qu’un spectre. Fardeau du corps qui s’éclate sur le sol. La tête fracasse le bitume. Les bras se disloquent dans la chute. Les yeux se révulsent. Les lèvres qui tremblent. Le filet pourpre pour peindre la courbure. La respiration haletante. Les poumons nécrosés.
Le myocarde assassiné. Les derniers battements surplombés par des supplications qu’on entend plus. Des supplications qui fusent avec l’écho sardonique des balles. Le champ de bataille où l’unique victime ne se relève pas. Les paupières pèsent de tout leur poids. Les lippes se ferment. Et la vie disparaît.
Comme Théa, cette nuit là.
Comme Théa, quand les souvenirs sont trop violents.
Et la respiration qui n’est plus qu’un spectre. La poitrine qui se gonfle. L’expiration impossible. L’expiration invisible aux yeux de tous. Même les siens. La requête. L’ordre. La nécessité. La cicatrice affichée. La cicatrice peinte de cette main qui retombe. Les berges encore gonflées. Les berges encore enflammées des souvenirs macabres. L’écarlate contour pour stigmatiser le mal. Il ne part pas. Il ne fait qu’accroître. Telle cette soif de vérité pour ravager les idées. Telle cette soif de vérité qui danse à la surface du palpitant. Mouvements en arrêt. Idées ancrées vers une seule destination. Les secondes de latence. Les secondes en suspend. Les secondes pour faire rougir ses pommettes. Les secondes pour faire filtrer les larmes au coin des yeux. L’incapacité à les laisser couler. L’incapacité à laisser sa fragilité gagner.
Un cœur éteint, un cœur noirci. Un cœur anesthésié. Un cœur ravagé. Le tiens, Théa. Et elle court la gamine. Elle court
chez lui. A l'Olympia. A peine arrivé que les cris fusent.
Qu'est-ce que tu foutais !? Distance rompue. Distance annihilée. Il se rue sur elle. Les mouvements de la poitrine pour détonner. De plus en plus rapidement. Symphonie archaïque des pulsations qui cognent si fort, qui déforment la cage thoracique. Un bras en otage, et elle se retrouve plaquée contre le mur arrière du bar.
Tu m'as pris pour ton putain de baby-sitter ? Hein ? Elle joue nerveusement avec ses doigts. Bête sauvage qui a tout de violen avec elle. Pourtant, elle trouve son salut dans les gestes brutaux de l'animal. Un contact rassurant. Un contact doux. L’anarchie au creux de l’abdomen. La bouche entrouverte. Les mots captifs. La bouche entrouverte. Les larmes abandonnées au creux des iris. «
S'cuse moi pop, je ... » Les mots pour capter son attention. Les mots pour signer l’armistice en son fort intérieur. Le geste salvateur sur le maculé. Contours qu’elle trace de la pulpe comme avant avec la mine désolée. La main accaparé. Les regards qui se croisent. Les regards qui se toisent. L’abandon le plus total. La confiance conduite sur un plateau de cendres. «
J'crois … J'crois que je suis cassée. »
C'pas normal de ne rien ressentir. C'pas normal de ne pas jamais pleurer, crier, hurler, s'énerver. La plus pure des confessions. La pire des intentions. La gorge où l’amertume s’exile. Les lèvres où la langue flirte à peine. L’éprise impression de vie. Elle tient toujours sa main.
Un cran d’arrêt. Comme celui du flingue.
Un cran d’arrêt. Comme celui de sa vie suspendue aux machines.
@hadès solomos