Smoke - Rex&Ash

la nuit descend sur new-york. dès que disparaît le jour, c’est la même histoire, le même travail, des visages différents mais toujours les mêmes trouvailles. encore une boîte du queens huppé qui réclame des gros bras et voilà que rex se tient debout devant la porte d’un établissement bien trop luxueux pour la majorité des gens qui s’alignent et s’entassent devant lui. il n’aime pas particulièrement cette partie du queens. l’or et le faste se paient à coup de pieds dans les couilles de tes potes et si t’es pas prêt à te saigner pour obtenir ton bureau au dernier étage d’un building tout de verre vêtu, tu finiras à la rue, à pleurer sur ton sort et ta faiblesse de type bien. rex soupire. la vérité, c’est qu’il les envie les gens d’ici. lui, il a jamais connu que la misère, l’absence d’un parent et le travail après l’école pour aider à payer le loyer. dans le fond, il l’a pas si mal vécu que ça, sa vie de sale bâtard. lui le clébard des rues, à prier pour le prochain repas, et c’était pas grave tant qu’il avait sa maman. mais s’il rêve de luxe, d’opulence et de salaire à six chiffres, c’est pas pour son confort personnel. faire un comeback fulgurant dans la vie et grimper l’échelle sociale, défiant le clivage financier : très peu pour lui. pour les beaux yeux de primrose, cependant ; pour les sourires de sa sœur, il s’en boufferait des jobs de merde. n’importe quoi pour lui offrir, et sur un plateau de rose, cette vie à laquelle il sait qu’elle songe. alors c’est fort de toutes les pensées qu’il lui réserve que rex persévère, gardant les portes de la boîte, comme cerbère, celles des enfers. toutes sortes d’abrutis tentent de passer le gardien. y’a ces filles d’à peine dix-sept ans qui traînent des décolletés jusqu’au clito et qui espèrent, du haut de leur talons et leur maquillage raté, passer pour des grandes. y’a ces mecs ostentatoirement ivres, ceux avec deux grammes dans le sang, ceux qui marchent en faisant des vagues et ceux qui tombent rien qu’en se tenant la. y’a ces bouffons des plus bas rang de la société qui veulent se battre dès qu’on leur refuse l’entrée. ils menacent de passer en force, d’appeler le proprio et même de baiser ta meuf, parfois. ceux-là, c’est ceux que rex aime le moins. c’est pas un mec violent notre gentil garçon. c’est un chic type, un gars respectable. néanmoins y’a une certaine catégorie d’enfoir »s spécialement basse dans la race humaine qui a le don de le foutre en rogne. et puis enfin y’a tout le reste. ceux qui valent pas la peine qu’on se souvienne d’eux parce qu’ils ne sont que paix et sérénité. tout ceux qui entrent en disant « bonsoir », ceux qui hochent la tête poliment, bref, ceux qui rendent le métier plus facile. et c’est l’un de ces gars-là – les gentils – qui vient voir rex sur le coup de trois heures, alors que l’entrée se fait déserte depuis quelques temps déjà. il se rapproche clope au bec, cheveux roux, des yeux gentils comme ceux d’un chiot. ça l’fait sourire, le videur. il se souvient pas du tout de lui, alors il suppose qu’il a dû rentrer sans encombre et qu’il a pas causé de problèmes. rien que ça, c’est suffisant pour accéder à sa requête. du feu, donc. rex hoche la tête, il fouille dans ses poches. il en a plein des briquets. aucun ne lui appartient, il ne fume pas. mais dans son métier, si on la chance – ou la malchance, c’est selon – de tomber sur suffisamment de guignols, on finit par se créer un petit pactole de tas de petites choses. « tiens. » il lui tend un tempête, le plus gros du paquet, celui qui est resté entre ses doigts alors qu’il fouinait dans sa veste. « tu peux le garder, si tu veux. j’en ai pas besoin, je fume pas. je l’ai récupéré sur une des têtes de bites qui tentent de forcer le passage. » c’est ce qu’il dit dans un sourire. sourire du style bien trop aimable pour l’imaginer sur le visage d’un videur. c’est qu’il a pas franchement la tête du métier, l’rex aussi : des yeux humides, des traits de mannequins ; on le verrait bien mieux ailleurs. « j’me souviens pas de toi. c’est bon signe, ça doit vouloir dire que t’es pas un cas à problèmes. c’est les gens comme toi qui permettent de passer des nuits plus ou moins tranquilles. » le même sourire sur les lèvres, une amabilité à en faire pleurer le diable. de la gentillesse comme s’il en pleuvait, des contacts yeux dans les yeux et des blagues s’il en faut, c’est tout ça rex.

des mains qui se touchent ; rex le remarque mais n’y prête pas attention. ce n’est jamais qu’une dizaine de doigts qui s’effleurent et ça le dérange pas. c’est rien, ça arrive. le nouvel arrivé est reconnaissant. ça fait plaisir à rex. y’a toujours de quoi faire avec les emmerdeurs dans les clubs. on peut se servir de leur propriété pour égayer la soirée de ceux qui le mérite par exemple. il allume sa clope, prend le soin de souffler de l’autre côté. c’est qu’il a pas vraiment besoin de se donner cette peine. certes non-fumeur, rex se plait à regarder les volutes du fumée s’échapper et tourner dans les airs avant de lentement disparaître. comme un flot de pensées qu’on ne dit pas, les effluves de clopes prennent de la hauteur, à la fois légères et dégoulinantes, et même leur odeur ne lui apparaît pas repoussante. si elle n’est pas nécessairement agréable, elle est au moins familière : réminiscence d’un temps lointain où sa mère fumait à la fenêtre et lui, son fils et son trésor, la tête posée sur ses genoux – déjà bien sensible aux terreurs du monde mais encore bien ignorant de celles qui étaient à venir – l’écoutait raconter des histoires ensoleillées et mille fois rassurantes sur cette reine des caraïbes, si belle, si belle et son petit prince aux doux yeux de chiot. « c’est pareil pour moi. plutôt ironique pour la personne sensée jouer le bras armé de la boîte. » ça le fait rire un petit peu. la violence : très peu pour rex. pourtant, être prêt à y mettre le geste, c’est l’une des choses qu’on attendrait du videur d’un lieu aussi prestigieux. incapable d’effrayer sincèrement avec les coins de la bouche qui se relèvent et les mirettes qui brillent, c’est surtout une question de charisme. et puis, s’il ne peut pas compter sur la bonne volonté de certains, il a toujours la lâcheté des grandes gueules pour lui. un signe pacifique de la main levé comme un étendard et un sourire d’enfant que rex ne peut s’empêcher de rendre. conversation qui se poursuit, de simples banalités mais une cassure néanmoins agréable du rien ou de la jungle du métier. danse, amusement et rencontres sont posés sur le tableau. hochement de tête. évidemment, que faire d’autre en boite ?« t’es venu ici parce que tu te faisais chier à l’intérieur? la musique est pourrie ? j’entends pas trop d’ici. ou alors c’est les filles qui sont chiantes ? dans les boîtes de quartier, on tombe souvent sur des michtos et des emmerdeuses. » supposition classique de l’hétéro qui présume que son vis-à-vis l’est aussi. parfaitement inconscient des regards appuyés qui le déshabillent, rex se croit grand sauveur en conseillant sa nouvelle connaissance à propos de cette espèce toute particulière de grognasses qui rodent dans le queens huppé. lui qui les aiment méchantes et cruelles, il ne les regarde jamais si elles sont ostentatoirement stupides ou vulgaires. très peu intéressé par ce qui se cache entre leur cuisses quand elles n’ont que deux neurones se battant en duel à offrir. « non. j’suis sensé rester là jusqu’à la fin de mon service, même quand l’heure de pointe est passée. c’est pour vérifier que ceux qui sortent pour rentrer à nouveau ensuite ont été tamponnés. » un vrai cerbère au seuil du tartare. mort d’ennui la plupart du temps, à regarder sans enthousiasme les mains de ces messiers et de ces mesdames allant et venant par petits groupes dans la nuit. parfois une âme un peu hardie lui révèle son tampon imprimé sur son sein ou son ventre. juste de quoi le faire sourire pendant une petite seconde avant de retourner à la sempiternelle routine, qui, au milieu de la nuit, semble durer des jours. « c’est pas interdit, mais les fumeurs ne viennent pas ici. ils préfèrent le coin fumeur à l’intérieur là où peuvent continuer à écouter la musique et rester entre eux, je suppose. » c’est ce que rex répond gentiment, lorsque l’autre lui demande, peut-être soucieux d’avoir transgressé les règles. « donc c’est juste moi et mon téléphone la majorité de la nuit. j’atteins des scores incroyables à bubble witch saga. » il ajoute sur un ton amusé. c’est vrai qu’il n’y a pas grand-chose à faire une fois le gros de la population déjà transpirant sur le dancefloor. alors forcément, ça laisse du temps pour s’entraîner à tous ces jeux mobiles stupides mais qui permettent de faire passer le temps un peu plus vite. « je m’appelle rex, au fait. » suivant les règles de courtoisie, il lui tend sa main. toujours poli, toujours bien élevé. « si tu viens souvent ici, tu pourras utiliser mon nom comme un laissé-passé garantie à 100%. même si je fais pas les entrées, les videurs laissent passer toute personne qui connaît l’un d’entre eux. » les mêmes règles que dans les traphouses et preuve des gens riches qui se la pètent. suffit de connaître trois lettres pour être traiter ici comme un roi. c’est que ça leur donne l’impression d’appartenir à une société secrète. une sorte de mot de passe pour s’assurer l’entrée. rex trouve ça stupide, mais puisqu’il connaît le secret, il ne voit pas pourquoi ne pas le partager.