(stella), you could rattle the stars

new york, one month ago/ Esdras. Comme une idiote, Stella avait passé de longues minutes à fixer l'écran de son téléphone avant de se résoudre à l'envoyer à l'autre bout du canapé – jamais il n'avait été aussi loin d'elle. Même quand elle dormait, ce stupide objet était toujours à portée de main : là, c'était comme si elle le maudissait. Trop de souvenirs, trop de choix, trop de possibilités. Elle n'voulait plus lui parler, à Esdras – plus jamais. Elle n'voulait plus entendre parler de lui, elle n'voulait plus le croiser ni l'entendre parler ni le voir. Après avoir regardé deux fois d'affilée le Titanic ce soir, elle avait cru qu'elle y arriverait : yeux gonflés par le chagrin d'autres personnes tout autant que du sien, elle s'était imaginée s'y résoudre- enfin. Mais elle n'en fit rien, pitoyable comme d'habitude, le cœur en miettes et la gorge douloureuse, à force de pleurer et pleurer comme la plus minable des filles. N'était-ce pas ce qu'elle méritait ? Elle qui se permettait d'être la maîtresse d'un homme marié : elle n'avait toujours été que ça, hein ? Quelles que soient les confessions que le brun lui avait faites, les histoires qui décrivaient à quel point son mariage était devenu horrible, vide de sens et d'amour, elle, elle n'avait toujours été que ça. La maîtresse. D'un homme marié qui n'avait jamais eu aucune intention de divorcer. Son prof' – le cliché par excellence. Oui, elle n'pouvait s'en prendre qu'à elle, naïve et stupide. Assez naïve pour ne pas voir la déchéance du mariage de ses propres parents. Voilà qu'elle avait le rôle de la belle-mère qu'elle avait détestée, plus jeune, quand elle avait appris pour la double vie de son père. Putain, l'ironie. Sauf qu'Esdras, lui, il avait choisi tout l'opposé- et la blonde déchue se retrouvait à n'être que ça: déchue. Et stupide. Lundi, elle allait devoir retourner à l'Université, à essayer de sauvegarder les apparences, à n'pas avoir l'air d'un déchet humain sorti des tréfonds d'son chagrin. Oh, ils avaient été si bons à tout cacher de leur p'tite aventure clandestine, presque un jeu, de quoi mettre du piment dans l'histoire la plus classique qui soit. Quelque-part, elle aurait dû toujours savoir, qu'ça tournerait mal pour elle.

Maintenant, elle était malheureuse comme une pierre, à se détester, à s'insulter, à pleurer jusqu'à en avoir les yeux secs, sans avoir qui que ce soit à qui parler. Peut-être, peut-être oui que si elle décrochait son téléphone, quelqu'un l'aiderait, l'écouterait, critiquerait cet homme inconnu à eux, avec elle, rien que pour la consoler un peu. Mais Stella, elle préférait se retrancher sur elle-même : avec ses cheveux en bataille, son vieux tee-shirt sur lequel elle avait fait tomber de la glace fondue, elle n'avait pas l'allure qu'elle présentait partout ailleurs- dans la rue, sur les réseaux sociaux, ou n'importe où d'autre. La fille qui avait toute sa vie devant elle et qui la vivait à cent pour cent. Elle venait d's'en prendre un gros, de mur – à vivre trop passionnément, le cœur en avant, l'imprudence en guide. Elle avait vraiment été la bêta par excellence pour aider Esdras à passer du bon temps ; maintenant, il s'était lassé d'elle, et elle était seule. Ses seuls compagnons, ses regrets.

new york, two weeks ago/ Tu étais belle aujourd'hui, dans cette robe. Naïvement, Stella avait ramassé le bouquet de fleurs déposé devant la porte de son appartement, entrant en dépliant la carte qui avait été accrochée à une petite épingle. Rien de plus anodin qu'un petit cadeau, hein ? Les possibilités avaient déjà fusé dans sa tête, quant à savoir de qui il pouvait s'agir. Qui pouvait avoir de telles attentions pour elle, quand elle se sentait, le cœur lourd, parfois si invisible ? Difficile d'y croire, ouais – il suffisait qu'elle referme la porte de son chez elle, pour que la lourdeur d'une solitude insidieuse n'lui retombe sur les épaules. Plutôt que de gonfler, pourtant, son cœur se serra contre son poitrail, fusant contre ses côtes en s'emballant à toute vitesse. Depuis quelques semaines déjà, elle recevait des messages sur son téléphone : d'abord curieux, suspicieux ensuite. Alarmants, maintenant. Et cette carte, ce bouquet, cette écriture ; deux mois plus tôt, elle en avait reçu un similaire, un mot de c'genre – conne, elle avait cru que ç'avait été d'Esdras. Sa seule relation stable, depuis un moment. Son histoire qui lui avait fait miroiter un avenir bienheureux : elle avait été loin, loin d'imaginer que des cauchemars pouvaient l'attendre au tournant. Mains tremblantes, Stella arriva jusque dans sa cuisine, balançant la carte et les fleurs dans sa poubelle : hors de sa vue, elle pourrait les oublier maintenant, hein ? Oublier tout ce qui allait avec. Effacer, ouais. Le sentiment âpre de nausée, lui, ne disparut pas – pas tout d'suite, pas comme ça, collant à sa langue jusqu'à ce qu'elle aille à une de ses fenêtres. Personne. Personne de suspicieux en tout cas. Personne non plus aux autres. C'était comme une ombre, qu'elle se disait si souvent, quand elle regardait par-dessus son épaule. Cette présence insaisissable, elle n'faisait que la faire se sentir plus seule que jamais. Déjà, sa tête allait loin, ses inquiétudes comme un essaim d'insectes bourdonnant contre ses oreilles, jusque dans son crâne. Elle allait perdre la boule- perdre la boule, ouais. Mais personne n's'en préoccupait, de ça. Il n'y avait qu'elle, et rien qu'elle.