(sybil) hear the screaming of the lamb.

traits de caractère /
Carriériste par orgueil, versatile sans s’en rendre compte. Sybil, c’est l’impériosité dans toute sa cruauté, la figure hautaine et intransigeante que l’on se plaît à détester avant d’en exiger les soupirs. Elle est perfectionniste. Elle est acharnée. Un acharnement qui frise la névrose, une folie nébuleuse qui se tapie sous ses nerfs et son tempérament acariâtre. Proche de la caricature lorsqu’elle s’habille de froideur et d’élégance, elle est le fruit d’une éducation rigoureuse. Civilisée lorsqu’il le faut, presque mondaine. Habile lorsqu’il s’agit de revêtir un rôle. Paraître, sembler, c’est ce qu’on lui a appris à faire, depuis les tendresses de l’enfance. Dans son travail elle est excellente. Elle l’était du moins. Elle aurait pu, si elle n’avait pas été si téméraire. Si inconsciente. L’arrogance ravalée, elle s’est étranglée avec et la porte toujours en étendard sanglant, autour de sa jolie nuque albâtre. Loyale lorsqu’il le faut, passionnée si nécessaire, elle est la victime, elle est le bourreau. Le tourment qui affole, qui rassure, qui cajole et profère des injures. Elle est le fiel, elle est le sang. Survivante que la mort n’a pas totalement délaissée, la coupant d’un monde dont elle aurait dû faire partie, un jour.

Il y avait quelque chose d'étrange dans la sensation de mourir. Une sorte de plénitude absolue, salutaire, illusoire bien sûr, mais si paisible. C'était comme flotter au-dessus de sa propre existence, distinguer son reflet dans le miroir d'une vie qui ne vous appartient déjà plus. A dériver ainsi le long du courant de l'inconscience, Sybil se rappelait avec une précision méticuleuse des saveurs de son enfance. L'humidité de l'air, la chaleur parfois glacée des rayons du soleil à travers les nuages trop lourds, opaques. La vivacité de la brise écossaise aussi, qui fouettait parfois comme une gifle pour vous rappeler la fragilité de la chair quand elle cherche à lutter contre les éléments naturels. Son épiderme n'était plus, envolé, consumé dans une douleur si intense qu'elle n'avait plus aucune prise sur sa conscience du réel. Ou était-ce la drogue peut-être ? Celle dont il avait brûlé sa chair en y noyant des épines odieuses. En y enfonçant encore et encore l'aiguille à la fois salutaire, et destructrice. Et elle entendait sa voix grave, aux intonations rocailleuses, lui murmurer encore, se modeler pour devenir celle d'un autre. Celle de son père. Sybil aimait son père, plus que tout. Il lui avait appris à comprendre les regrets des hommes. Il lui avait montré comment créer toujours, à partir de rien. Il lui avait enseigné ce qu'il faut craindre, les espoirs qu'il est vain de nourrir, la saveur d'une impression retrouvée. Il lui avait tout dit, lui aurait parlé encore si elle ne s'était pas lâchement abandonnée aux affres de la torture, et si seulement elle avait su lui pardonner ses silences quand sa mère leur avait été enlevée à tous, il y a si longtemps déjà. La torturait-on toujours ? Peut-être. Sans doute. Rien n'avait de sens. Elle en riait presque, de cette ironie qui l'avait frappée, couperet terrible auquel elle n'avait su échapper. Qui était-elle déjà, avant cela ? Ah oui, agent Farquharson, jeune prodige, promise à une carrière brillante. Fierté démesurée. Inconscience versatile. Caractère dégoulinant d'illusions et d'inexpérience. Au début tout dans son esprit avait toujours tracé une ligne invisible,marque tatouée au fer rouge dans sa conscience qu'il lui faudrait suivre jusqu'à la fin. Mais à force de le regarder lui sourire,oui, lui. A force de l'entendre la questionner jusqu'à fouiller jusqu'aux tréfonds de sa mémoire, afin de mettre en exergue la moindre de ses hontes, ou de ses peurs, tous les concepts de sa nature s'étaient peu à peu fissuré, jusqu'à n'être plus qu'un puzzle à reconstruire.


Au bout d'un moment,ses paupières ne lui renvoyaient même plus les images tant redoutées. Elles ne faisaient que prouver à sa conscience qu'elle avait tort de se laisser aller ainsi. Mais le lâcher prise était si doux. C'était comme s'envelopper dans un drap soyeux, être happé par sa douceur, s'y abandonner comme l'on se laisse transporter par la caresse délicate et gracile d'une main fébrile.Un instant encore, elle se souvint de la texture de la peau d'un homme contre la sienne. De la sensation qui l'avait étreinte lorsqu'il avait posé ses mains sur ses hanches, pouvant presque en tracer le contour. Cet homme qu'elle aurait peut-être dû épouser,finalement, afin d'embrasser le carcan illusoire auquel elle s'était toujours refusée d'appartenir. Il était parti lui aussi. Sa faute. La sienne. Peu importe. Le souffle lui manquait encore. Il lui manquait. Les images devenaient confuses. Et cette voix continuait de résonner en elle, vibrait dans chaque fibre de son corps, y sonnait le glas. Était-ce cela mourir ? Une confusion étrange, un mélange d'images qui s'entrecroisent dans une léthargie absolue ? Déjà elle commençait à oublier comment elle en était arrivée là. Quatre murs. Ceux de son esprit qui se referme et se calfeutre jusqu'à devenir introuvable.


Âme errante sur le bitume humide, ses pieds se recroquevillaient à chaque pas, agressés par la morsure du sol sur ses plantes. Chaque rayon lumineux qui traversait ses pupilles les irradiaient jusqu'à l'aveugler.Comment avait-elle réussi à délaisser le néant et l'obscurité pour une lumière si pure, et si atroce à la fois ? Sybil ne savait pas. Peut-être y avait-il consenti. Peut-être était-elle parvenue, dans un accès de folie furieuse, à échapper à ce bourreau dont elle s'était pourtant lovée dans le piège, stupide qu'elle avait été. A qui la faute déjà ? La sienne. La leur. Tragédie qui frappe les invincibles déchus. Il lui sembla distinguer une silhouette, puis deux. Jusqu'à ce qu'il y en ait une profusion qui s'agglutinait autour d'elle comme les abeilles le font autour de leur reine. Sauf qu'elle n'avait rien d'une reine, non, et la paume d'une femme hésitante, qui tenta de s'aventurer jusqu'à son épaule dénudée et ensanglantée, lui arracha un gémissement plaintif. Celui d'un animal blessé acculé.La panique la saisit toute entière, le complot de ces gens se morcelant autour d'elle dans son champ de vision, créant un bruit sourd dans son esprit tourmenté. Puis l'inconscience l'appela,enfin, les dernières de ses forces venant se donner à cet inconnu dans les bras duquel elle s'effondra en avant. Il n'y avait plus que de vagues bruits ensuite. Celui d'un ambulancier qui demandait à ce que tout le monde se pousse. Les girofars qui s'activaient,ritournelle connue pourtant par cœur, mais qu'elle redécouvrait dans l'horreur. Une seconde de tranquillité, et déjà la douleur cinglante de ses os brisés. Quelqu'un d'odieux,vêtu d'une blancheur immaculée, malmenait son corps, cherchait à refermer les chairs pourfendues, à rendre aux os leur texture d'autrefois.

« Tout est brisé... » parvint-elle à articuler dans un murmure qui, de fébrile, se modela en un rire nerveux étrange, proche du sarcasme, embrassant peu à peu la démence. Il n'y avait plus rien à faire, à part la laisser dans cette tiédeur sécurisante. L'abandonner là, oui, elle ne demandait que cela. Il n'y avait plus rien à faire pour rendre au corps ensorcelé par l'horreur sa candeur d'autrefois. Il n'y avait plus que de la chair ignoble et un cœur brutal. Il n'y avait plus qu'un monstre.