bad daddy (nadja)

T'as jamais imaginé qu’un jour tu ferais ça, que tu aurais ce genre de quotidien. la gosse coincé dans l’assise du caddie, sa concentration sur le livre en carton épais que “Mamie” lui a donné, la bouche encore pleine de confiture, les restes de son goûter, les nattes sur son crâne tout distendu. tu t’imaginais pas il y a un mois de ça, mettre des couches, des compotes, du lait et de la purée de carottes dans ton caddie. ça te ressemble pas ça bart, t'es pas comme ça, à faire des courses, prévoir de la bouffe pour plusieurs jours comme si une putain de guerre pouvait éclater, acheter des aliments sains, des légumes, de la viande du pain, tu fais jamais ça d’habitude, t’es plus du genre à t’envoyer un burger sur le zinc d’un comptoir, ou même sauter des repas… mais tu peux plus. tu peux plus remplir ton caddie uniquement de bière et de chips, tu peux plus faire des repas à base de pizza ou de mauvaise bouffe dans le genre, t’a une gosse à élever maintenant. T’es un putain de père bart.

et dans un jeudi soir classique de ton ancienne vie, t’aurait probablement passé la soirée dehors, faisant la tournée des bars, rejoignant quelques amis, finissant la soirée au petit matin, complètement arrachée, décuvant la moitié de la journée suivante. pourtant t’es là, à genoux devant la baignoire, faisant flotter les canards en plastique tout en massant le crâne de ta gosse. elle est calme, comme la plupart du temps d’ailleurs, joue sans râler sur la mousse qui lui pique les yeux, sur tes gestes trop vifs qui lui tirent les cheveux. elle dit rien ta gosse, même quand tu dois recommencer deux fois ses nattes, même quand tu lis mal ses histoires avant qu’elle s’endorme, même quand tu rates le dîner. elle dit jamais rien quand tu’n'es pas le père que tu devrais être. Elle réclame juste sa mère, de temps à autre, comme des sursauts de lucidité, des souvenirs qui doivent fracasser son petit cœur d’enfant. Tu l’installes dans le salon, devant Disney Chanel, un dessin animé stupide avec un chat stupide courant après une souris stupide. pourtant tu restes planter un moment avec elle, avant de te décider à préparer le dîner, lui servir sur la table basse. le téléphone qui vibre, le message que tu reçois, l’invitation. À sortir. une soirée, chez une connaissance, d’une connaissance, de ce qui fut autrefois un ami. Ça te tente bien. t’a envie d’y aller. un regard sur ta gosse et tu sais plus. qu’est-ce que t’es censé en faire ?

emmitouflé dans son pyjama rose et sa couverture, tu quittes ton appart t’engouffre dans le uber que tu viens de commander. oh non t’est pas un bon père bart, oh non, un bon père serait probablement resté chez lui, avec sa gosse, l’aurait câliné, lui aurait lu une histoire avant qu’elle s’endorme. au lieu de ça tu traverses le quartier, sonne chez ta grand-mère alors qu’il fait déjà nuit. le regard réprobateur, le baiser furtif sur son crâne, et tu les quittes déjà. T'es pas un bon père bart. tu le sauras probablement jamais. La fête basse son pleine, t’attrape la bière qu’on te tend, le joint qu’on fait tourner. tu cherche du regard, une âme connue, un visage familier, te stoppe finalement sur la jolie blonde, posé à coté de la fenêtre. t’enjambe la distance qui vous sépare pour la rejoindre, lui tend le joint déjà bien cramé. “salut…”, tu la détailles du regard, un sourire déjà posé sur tes lèvres. “T’es une pote de ben ?”, tu supposes, puisque tu ne l’as jamais vu dans le coin, ni ici, ni ailleurs.

besoin d’air, besoin de te retrouver seule, le temps de quelques heures. du moins, seule au milieu de ce trop de monde. tu avais l’impression d’étouffer, d’être cernée de toute part. tu sentais le regard de plus en plus lourd d’andrás sur toi, et ça te rendait malade. plus les jours avançaient, plus tu regrettais ce que tu avais fait. et pourtant, tu gardais ce secret enfoui au fond de toi. tu n’arrivais pas à assumer, parce que tu ne trouvais pas d’explication. qu’est-ce que tu pouvais lui dire, à andrás ? que tu n’avais jamais voulu lui faire du mal ? tu n’en étais pas certaine toi-même. alors tu avais préféré quitter l’appartement, le laissant avec freya. au moins, il s’en occupait bien, lui. toi tu avais l’impression de ne plus être à ta place nulle part. ni en tant que femme, ni en tant que mère. tu savais pas exactement comment tu avais atterri dans ce club, dans cette soirée. tu t’étais laissée guider, par la musique, par les rires. tu voulais retrouver un peu de liberté, un peu de légèreté. tu ne connaissais personne, ici. tu demandais un gin double au barman, laissant quelques pièces sur le bar et tu t’éloignais un peu, dans l’arrière cour. tu te posais sur le rebord de la fenêtre et tu te contentais d’observer la vue que tu avais d’ici, buvant quelques gorgées dans ton verre. finalement, un homme terminait par te rejoindre et tu l’observais quelques instants, alors qu’il te tendait le joint. tu regardais autour de toi et tu déclinais d’un signe de la tête. t’avais rien à foutre ici, déjà. alors tu allais pas non plus te défoncer. andrás et sa famille était suivie par les paparazzis et autres vautours, à la recherche du moindre faux pas. tu avais bien vérifier que personne ne t’avait suivi, mais tu préférais ne pas prendre de risques. la situation était déjà bien assez compliquée pour que tu en rajoutes. le blond te demandait alors si tu étais une pote de ben et tu fronçais les sourcils. « ben ? je… non non je connais pas ben. » tu soufflais simplement en haussant un peu les épaules, soupirant lourdement en regardant le fond de ton verre. « je sais pas exactement ce que je fais là. je connais personne. je suis même pas du quartier. mais j’avais besoin de… enfin peu importe. » tu soufflais en te rendant compte que tu parlais déjà bien trop. tu fermais les yeux et tu soupirais un peu en observant le jeune homme. « je m’appelle nadja. t’es le premier qui vient me parler. » tu soufflais dans un petit rire, fronçant les sourcils en sentant ton portable vibrer dans la poche de ton jean. tu le prenais pour lire le texto et tu soupirais, préférant ignorer le texto de ton amant. il manquait plus que lui, ce soir. t’avais clairement pas besoin de ça. « tu viens souvent ici ? » tu demandais alors en essayant de faire un peu la conversation au jeune homme.