Breathless. (Warston)

♛ Come running headlong into my arms.

C’est le monde à l’envers. C’est lui qui fait une erreur. C’est lui qui ose fouiller dans ses affaires alors qu’elle ne l’y a certainement pas autorisé. Et c’est elle qui doit se justifier. Elle qui doit expliquer pourquoi elle prend des médicaments qu’elle est parfaitement en droit de prendre. Elle peut les récupérer quand elle veut, dans n’importe quelle pharmacie, sans même avoir besoin d’une son ordonnance. Ils n’ont rien de dangereux. Elle ne comprend même pas pourquoi Nikolaï aborde un tel sujet. Mais il ne veut pas le lâcher, certainement pas. Il insiste encore et encore. Il en profite pour lui balancer sa manière de penser. Et elle ne s’y attendait pas. Elle ne se doutait pas un seul instant qu’il se disait de telles choses à sujet. Car elle est du genre à fuir les conversations maintenant, Isa ? Elle, vraiment ?   – Je n’ai jamais fui aucune conversation. J’ai toujours répondu à chaque fois que tu as abordé le sujet, je le fais encore maintenant. Je me justifie comme si j’étais coupable de quelque chose alors que c’est toi qui ose fouiller dans mon sac. Tu ne peux pas dire que je fuis. expose-t-elle, expliquant ce qu’elle, elle pense par a+b. Mais toute sa logique et sa répartie ne sont rien à côté de la détermination de Nikolaï. Détermination qu’elle prend comme une attaque, bien plus que de l’inquiétude. C’est pire encore lorsqu’il affirme qu’elle est accro. Qu’elle a besoin de prendre sa dose.  Qu’elle n’arrive plus à s’en passer. Il la prend pour une toxicomane. Il croit vraiment qu’elle est droguée. Ses lèvres s’entrouvrent de surprise. Le choc, la stupéfaction. Elle tombe de haut, Isa. Pour une femme qui contrôle toujours tout, il est clairement impensable d’imaginer qu’elle puisse être dépendante d’une quelconque substance. Elle ne fume pas, elle boit avec modération. Elle mange sainement. Elle vit sainement. Ce n’est pas pour entendre quelqu’un la traiter de droguée. Et sûrement pas son petit-ami. – Tu ne me parles pas comme ça, Nikolaï. dit-elle, d’un ton calme mais sèche, le regard beaucoup plus assombri. Personne ne s’est jamais adressé à elle comme il est en train de le faire. Même Luke, il ne se serait pas permis de le faire. – Je n’ai jamais « filé en douce » pour en prendre, je n’ai jamais cherché à me cacher de toi. Je fais encore ce dont j’ai envie sans avoir besoin de me cacher. Et ça, c’est certain. La preuve étant, elle n’a jamais caché ces maudits médicaments. Ces médicaments qu’il tient encore entre ses doigts comme pour appuyer un peu plus ses propos. Ses reproches. – Je ne suis pas dépendante. Je connais suffisamment les effets engendrés pour t’affirmer que je ne le suis pas. Et je ne devrais même pas avoir à te rendre des comptes. Elle commence à perdre patience. À perdre l’envie de rester ici, près de lui, alors qu’il est en train de lui dire droit dans les yeux qu’elle n’est qu’une camée.

♛ Come running headlong into my arms.

Elle ne connaît pas, Isabella. Elle ne connaît pas ces situations où quelqu’un s’inquiète pour elle, où quelqu’un se préoccupe d’elle. La vérité, c’est que ce n’est jamais arrivé. Elle a des personnes qui l’aiment, elle a même la chance d’être très entourée. Seulement, elle a toujours été celle qui prend soin des autres. Jamais, personne n’a pris soin d’elle. Personne avant Lui. Si bien qu’elle ne sait pas comment réagir, elle ne sait pas bien réagir. Au contraire, elle se sent étouffée, oppressée. L’impression de rendre des comptes à quelqu’un, l’impression de devoir se justifier alors qu’elle a toujours mené sa vie comme elle l’entend. Et ce, depuis qu’elle est toute petite. Enfant, déjà, c’était elle qui s’occupait de la maison alors que leur mère se tuait au travail. Suite à son décès, ce rôle a été encore plus fort pour Isa. Alors, non, elle n’a jamais connu les sermons des parents, elle n’a jamais connu les remontrances des adultes. Parce que cela a toujours été elle, l’adulte. Et, même prisonnière de Luke, elle n’a jamais eu à expliquer ses agissements. Elle n’a jamais eu à justifier la prise de ces médicaments. Et c’est avec l’homme qui lui a appris à se sentir libre, l’homme qui lui a redonné cette liberté, qu’elle doit le faire. C’est déstabilisant, bien sûr que ça l’est. Alors peut-être qu’il est simplement inquiet, peut-être qu’elle réagit de la pire des manières. Mais tout ce dont elle a envie, tout de suite, c’est effectivement de fuir loin de lui. À la place, elle continue de se justifier, parce qu’elle l’aime. Parce qu’elle l’estime. Et parce que ça la rend dingue qu’il puisse penser toutes ces choses sur elle. – Mais je n’avais rien à dire d’autre, pas plus que je n’ai quelque chose à dire maintenant. Te rends-tu au moins compte de ce que tu m’accuses ? l’interroge-t-elle, n’employant sûrement pas les bons mots. Encore ébahie, et, en colère cette fois car il refuse de l’écouter. – Je ne te prends pas pour un idiot, bon sang ! Elle prend une profonde inspiration, comme pour se calmer. Ironiquement, elle commence à sentir toute cette angoisse qui l’écrase sans ses médicaments. Les médicaments qu’il a encore entre les mains. – Mais tu as tort ! rétorque-t-elle, juste avant le coup final. Arrête d’en prendre alors. Pendant quelques secondes, elle ne dit rien. Elle n’arrêtera pas… Elle ne pourra pas. Et elle est persuadée que cela n’a rien à voir avec une dépendance physique, c’est simplement qu’elle a beaucoup trop d’idées noires pour vouloir s’en passer. Ce n’est qu’après un petit instant que, calmement, elle lui répond avec le plus grand des aplombs. – Non. Je ne vois pas pourquoi j’arrêterais uniquement pour satisfaire ton caprice. Elle se lève finalement. Peut-être qu’il a raison. Peut-être qu’elle est en train de fuir. – Je pense que je vais rentrer. Elle le fuit, lui, pour la première fois depuis leur rencontre.

♛ Come running headlong into my arms.

Il est inquiet pour elle. C’est ce qu’il dit. Elle, ce qu’elle comprend, c’est qu’il pense qu’elle est droguée. Accro. Dépendante. Des mots forts, des mots qu’elle n’imaginait pas pouvoir la qualifier un jour. Car elle a toujours eu une telle maîtrise d’elle-même, Isabella, elle a toujours su garder le contrôle. Et devenir accro à une drogue, quelle qu’elle soit, c’est perdre ce contrôle. Ce n’est pas elle. C’est ce qu’elle pense. Mais la dépendance peut toucher n’importe qui. Et elle ne fait pas exception à la règle, quoi qu’elle en dise. – Je n’ai pas besoin que l’on s’inquiète pour moi. Elle a passé trente-deux ans de sa vie à se débrouiller seule, elle s’en est sortie. Elle se demande comment il peut avoir aussi peu confiance en elle. Mais les interrogations n’ont plus réellement lieu d’être. C’est surtout la colère et la tension qui l’envahissent. L’angoisse qui la submerge à nouveau, qui la retient prisonnière, comme un étau, alors qu’elle se retrouve face au dilemme de Nikolaï. Elle refuse d’accepter un tel chantage. Elle a l’impression qu’elle doit lui prouver quelque chose, c’est même clairement ce qu’il exige. Et elle déteste cette idée. – Je n’ai rien à te prouver. lâche-t-elle froidement alors qu’il rebondit déjà, lui répétant une fois encore qu’il est simplement inquiet. Elle l’entend mais elle refuse de l’écouter. C’est comme si son cerveau n’imprégnait pas. Comme si elle ne comprenait pas, ou bien, qu’elle ne voulait pas comprendre. Cette fois, elle ne prend même pas la peine de lui répondre. Non, à la place, elle se lève déjà, affirmant qu’elle préfère s’en aller. Elle fuit. C’est vrai. Elle ne peut pas le nier, elle est en train de fuir. Elle ne prend pas la peine de se justifier, de dire quoi que ce soit. Elle en a assez qu’il rebondisse sur le moindre de ses mots pour l’attaquer. La situation t’échappe. Elle est déjà près de son sac à main quand elle l’entend. Elle relève les yeux vers lui, toujours assis sur le canapé, dans le plus grand calme. – Et quand bien même ? lui demande-t-elle soudain. Elle ne nie pas, c’est vrai, elle prend ces cachets quand elle sent la situation lui échapper. En tout cas, au début. – As-tu seulement conscience de tout ce que j’ai traversé ces derniers mois ? Je me suis retrouvée prisonnière de l’homme que j’avais épousé, j’étais totalement sous son emprise. Il m’a envoyée à l’hôpital. Et, depuis, j’ai aussi perdu mon travail, ma vie ! Je dois me reconstruire, et voilà que mon meilleur ami se trouve en prison ! Alors est-ce vraiment si terrible que je prenne des cachets pour m’aider à tenir le coup ? À ma place, beaucoup se seraient déjà effondrés !

♛ Come running headlong into my arms.

Qu’espérait-il, Nikolaï ? Pensait-il sincèrement qu’elle allait l’écouter sagement lui expliquer qu’elle est une camée dépendante à ses psychotropes qui a besoin d’aide ? Pensait-il réellement qu’elle accepterait si facilement son discours ? On parle d’une femme qui n’a jamais eu de compte à rendre à personne. Une femme qui, non seulement, s’est construite toute seule alors qu’elle n’était qu’une enfant, mais qui a en plus eu l’habitude de gérer les pires situations de sa vie toute seule. C’est elle qui a mis son père dehors après les années d’abus qu’elle a subies, elle n’a pas attendu qu’on vienne la sauver. C’est elle aussi qui a tout fait pour maintenir sa vie en équilibre depuis tout ce temps, malgré toute l’instabilité qu’elle a connue. Jamais, elle n’a laissé un homme l’approcher suffisamment pour l’aider à maintenir cet équilibre. Beaucoup ont fini par partir parce que, justement, elle ne leur donnait pas assez. Pas assez de temps, pas assez d’attention, pas assez d’elle. Ses relations n’ont jamais duré plus d’un an. Et, avec Luke, si elle a pu aller jusqu’au point de l’épouser, c’est parce qu’il n’a jamais exigé d’elle tout ce que les autres voulaient. Tout ce que Nikolaï veut. Car elle le voit bien, exaspéré par son attitude, alors qu’il lève les yeux au ciel une fois de plus. Elle voit bien qu’il se sent rejeté alors qu’il veut uniquement lui apporter son aide. Elle le devine plus qu’elle ne le voit, en réalité, car ce n’est pas la première fois qu’elle se retrouve dans cette situation, Isa. Peut-être que c’est normal, dans un couple, peut-être que c’est ce qu’on est censé attendre d’un couple. Peut-être qu’il n’en demande pas trop, peut-être que c’est elle qui ne sait pas suffisamment donner. Se donner. Elle pensait pourtant qu’ils avaient dépassé ce stade. - Non, tu ne veux pas que je me repose sur toi si j’en éprouve le besoin, tu voudrais que j’en ai besoin. Je regrette, ce n’est pas le cas. Je ne suis pas ce genre de femmes. déclare-t-elle, le ton calme malgré la dureté de ses propos. Peut-être qu’il est habitué à jouer les héros, mais elle n’a pas besoin d’un héros. Elle le croit quand il affirme simplement vouloir l’aider... Mais elle n’y arrive pas. Elle n’arrive pas à admettre qu’elle a besoin de son aide. Ce serait terrible d’en prendre pleinement conscience, se raccrocher à sa présence, alors qu’il pourrait partir un jour. C’est ça, la vérité. Elle refuse de laisser à quelqu’un un tel pouvoir parce que, lorsqu’il en aura assez, comment fera-t-elle ? Comment pourra-t-elle à nouveau se débrouiller toute seule comme elle le prône si bien ? Comment pourra-t-elle surmonter les épreuves toute seule après avoir appris ce que c’était de le faire à deux ? C’est trop pour Isabella, beaucoup trop pour qu’elle puisse en entendre davantage. Elle décide de s’éloigner, elle décide même de s’en aller. Mais, à force de la provoquer, son petit-ami parvient à la faire craquer. Mais même son déballage n’a aucun effet sur lui. Il sait. C’est ce qu’il dit, il sait. Il sait mais il n’en a rien à faire. Il pense même en savoir plus qu’elle puisque, d’après lui, elle n’a pas besoin de ces cachets. - Mais tu n’en sais rien, non ! s’exclame-t-elle, un peu trop fort. Elle se tait un instant alors qu’elle le voit approcher d’elle. Car elle se rend compte qu’elle a élevé la voix, et ce n’est pas dans ses habitudes. Elle n’a jamais eu besoin de le faire pour se faire entendre. Mais il la rend dingue, Nikolaï. Elle prend une profonde inspiration pour retrouver son calme. - Comment peux-tu penser mieux savoir que moi ce dont j’ai besoin ? Ce n’est pas de ressasser tout ce qui est arrivé qui va m’aider à oublier mes idées noires. Je veux juste vivre ma vie librement, Nikolaï. Et là, elle ne parle pas de lui. Elle parle de toutes les pensées sombres dont elle n’arrive pas à se détacher, pas sans ces médicaments.

♛ Come running headlong into my arms.

Sa voix est dure. Ses mots le sont plus encore. Elle en prend conscience alors qu’il baisse les yeux dans le silence. Elle ne voulait pas lui dire une chose pareille, pas aussi brutalement. Elle sait qu’elle a tendance à écarter ses petits-amis de ses états d’âme, de son intimité et, quelque part, de sa vie. Elle sait qu’elle a tendance à les repousser, encore et encore, jusqu’au jour où elle y parvient pour de bon. Jusqu’au jour où ils s’en vont. Mais c’est plus fort qu’elle. Elle n’y arrive pas. Peut-être parce qu’elle est incapable de faire suffisamment confiance à un homme avec le premier qu’elle a connu, peut-être aussi parce qu’elle a trop peur de leur laisser la possibilité, à eux aussi, de la faire souffrir. Et ce serait pire encore avec Nikolaï. Lui, il a son cœur. Lui, il pourrait la détruire s’il le voulait. Alors c’est plus difficile encore d’admettre à quel point elle a besoin de lui. À quel point elle est accrochée à lui en réalité. Bien plus, tellement plus qu’il ne le croit. Probablement même trop pour que ce soit sain. Et sans aucun doute, plus qu’elle ne l’a jamais été avec personne d’autre. Mais elle ne le dit pas, ça. À la place, elle préfère insinuer que c’est de lui que vient le problème. Lui qui veut tant qu’elle ait besoin de lui. Lui qui veut avoir ce pouvoir sur sa vie. Cette emprise sur elle. Emprise qu’il a déjà, en réalité. Il arrive à la mettre dans tous ses états. Il arrive à la sortir de ses gonds, elle, toujours maîtresse d’elle-même. Toujours si posée, toujours si tempérée. Elle se laisse submerger par la colère sans même s’en rendre compte. C’est à cause de lui, c’est avec lui. C’est lui, tout bonnement, qui la rend aussi à fleur de peau. Elle se laisse envahir par ses émotions, bonnes ou mauvaises, à chaque fois.  Et quand la jeune femme se calme enfin, il est peut-être déjà trop tard. Aux paroles de Nikolaï, elle laisse échapper un faible soupir, las. – Ne déforme pas ce que je dis, s’il-te-plaît. Non, il ne l’empêche pas de vivre librement. Tout du moins, pas en temps normal mais là tout de suite, c’est ce qu’il fait. Il veut la priver de ses médicaments, médicaments qui l’aident justement à garder cette stabilité dans sa vie. Il veut la priver de ce qui l’aide à tenir le coup. Mais, jamais, elle n’a voulu dire qu’il l’empêchait de passer à autre chose. Il est sa nouvelle chance, Nikolaï. Et il ose croire le contraire. Seulement, la Latina n’a pas le temps d’ajouter quoi que ce soit, parce qu’il reprend la parole, plus sèchement cette fois. Elle acquiesce distraitement de la tête. – Je vais m’en aller avant que nous disions des choses que nous regretterions. déclare-t-elle avant d’attraper son sac à main pour prendre la direction de la porte. Peut-être qu’elle devrait revenir sur ce qu’il a dit, ce qu’il a cru. Peut-être qu’elle devrait le rassurer, ne serait-ce que sur leur couple. Mais elle est trop en colère, Isa. Trop épuisée, aussi. Elle n’a pas la force de l’affronter encore, elle ne l’a plus.