Monologue

01/ Une fraiche brise annonçant le début de la soirée valsa par la fenêtre. Le rideau blanc, presque transparent, dansa sous le guide réchauffé par les derniers rayons du soleil doré d'une journée d'été. Dans la petite pièce, il était assit en tailleur sur la sécheuse, ses yeux concentrés sur les mots de Diane Solway qui racontait la vie du danseur Rudolf Nureyev. Le vent souffla sur son visage et glissa dans ses cheveux blonds, mais il ne bougea pas d'un poil, pas même alors qu'une porte s'ouvrait et se fermait au loin. Absorbé par sa lecture, Jae prit conscience de la présence de son partenaire uniquement quelques minutes après que ce dernier ne soit entré dans la pièce. Sentant son regard sur lui, le coréen sourit sans détourné son regard des pages et leva son index signe qu'il serait disponible sous peu. Il termina enfin le paragraphe et plia le coin du papier avant de poser le livre sur la laveuse à sa gauche. Un profond soupire quitta sa poitrine, essoufflé de sa lecture mouvante. "That good ? Do I need to be jalous of a dead ballet dancer ?" taquina Marcus alors qu'il s'approchait de sa moitié pour embrasser sa joue. Le coréen sourit à nouveau alors que ses yeux s'illuminaient de passion. "Did you know that he was friend with Freddie Mercurie ? And Mick Jagger ? AND Andy Warhol ?" Le grand brun leva les yeux au ciel, mais avec le sourire étant toujours contaminé par la joie de Jae. "And he started at 17 which is soooo late for a ballet dancer ! And he still became such a legend !" Le blond tira la langue sachant qu'il parlait peut-être trop souvent de son sujet préféré, mais il ne fut pas froissé de la réplique. Même si Marcus n'était pas danseur de ballet, il ne se plaignait jamais de l'entendre. Jae aimait penser que son partenaire de cinq ans devait trouver charmant qu'il soit aussi passionné de danse.
Il ouvrit ses jambes pour accueillir son homme tout près de lui et leur front se toucha avec douceur alors qu'ils se disaient bonjour officiellement. Tout en sourire, tout en bonheur, tout en tendresse, ils vivaient leur quotidien ensemble depuis cette fameuse journée de leur vingt et un ans où ils s'étaient retrouvés dans le même bar. À quel point devait-on être chanceux pour tomber sur l'âme-sœur du premier coup ?
02/ Être enfant unique apportait son poids en espoir, en attentes. À ses quinze ans, il sentait très bien le regard vif d'espoir et d'attente sur son dos. Champion et championne de micro-agressions passives vouant une haine envers le drapeau américain en réaction à la haine qu'ils subissaient dans les rues, maman et papa avaient fait de leur mieux. Pourtant, une chose bien importante manquait chez les Nahm: la communication. On devait lire dans les regards, dans les actions et dans les soupires trop bruyants. Des bulletins scolaires aux notes moyennes déposés en évidence sur le lit, un déjeuner équilibré chaque matin sur la table au levé, des cahiers d'exercices avancés laissés au salon, un ballon de basket-ball dans l'entrée, des souliers de ballet dans la poubelle. Même en ce qui concernait ses fréquentations, on le jugeait. You sure spend a lot of time with this boy. Why don't you ask Emily Tran for prom ? You say you're going to the park ? Let me drive you. Rien ne pouvait être fait en secret. Le seul moment dans sa vie où il reçu une réaction directe fut lorsqu'il revint de chez la coiffeuse et que ses cheveux noirs naturels n'étaient plus. Espoir et attente cette fois l'engueulèrent dans un coréen sec et brutal. C'est pourquoi à ses dix-huit ans, il parti pour ne plus revenir et pourquoi c'est ici que repose ses seuls souvenirs.
03/ La tête penchée au-dessus de l'ovale aveuglément blanc, la main au ventre, il laissait libre cours aux spasmes de son estomac. La panique ne lui prenait pas la tête, pas comme elle l'avait emballé lors des premières exceptions. Chaque fois, il se disait que ce serait la dernière, mais il était à nouveau dans la même position qu'il y avait deux semaines. Après être sorti avec Marcus qu'il commençait a fréquenter, il avait fait ce misérable calcul. Ce maudit calcul, ces horribles additions qui ne cessaient jamais de s'élever et s'élever jusqu'à devenir rouge d'alarme. Alors après avoir sourit et dit au revoir, dans la salle de bain de Juilliard, il se forçait à retourner son repas. Il se sentit un peu faible en se redressant, mais pas plus que d'habitude. Bouteille d'eau prête à sa main droite, il descendit la moitié avant de finalement sortir de la cabine. Un autre étudiant sortait des toilettes au même moment sans dire un mot. Que dire ? La boulimie n'était pas chose rare chez les danseurs. C'était un lundi matin comme un autre. Quoi qu'il refusait de se décrire ainsi. Ce mot ne faisait pas même parti de son vocabulaire puisqu'il ne se croyait pas une cause perdue. Son but différait - selon sa vision des choses - de ceux et celles qui tombaient dans le trou noir. Il ne voulait pas être aussi mince qu'une brindille se cassant au moindre coup de vent, au contraire, il lui fallait un corps fort et stable. Toutefois, pour se faire, il suivait une diète si stricte de peur de ne pas être à la hauteur que la simple pointe de pizza était de trop.
Ce n'est que quelques mois plus tard que Marcus le surpris et que Jae dû se rendre à l'évidence. Avec l'aide de son nouveau partenaire de vie, il se pris en main au travers des obstacles difficiles, des bons jours comme des mauvais. Encore aujourd'hui, l'envie de se brûler la gorge sous l'excuse qu'il n'est pas assez revient parfois le hanter sous forme d'auto-flagellation...
04/ écrire ici.
05/ On se souvient toujours de notre emplacement ou de ce que l'on faisait lors de moments importants. Les gens savent ce qu'ils mangeaient lorsque l'homme posa le pied sur la lune, ils savent avec qui ils étaient lorsque le premier président noir fut élu ou encore où ils étaient lors de leur premier baiser.
Il rentrait chez lui après un cours avec les neuf à douze ans. Le même soleil doré chaud et réconfortant illuminait avec grâce l'appartement à l'apparence vide, car quelque chose manquait. Ses sourcils se froncèrent à peine et sa mâchoire se serra alors qu'il fixait le salon. Marcus n'était pas là et malgré qu'il était déjà entré dans leur appartement sans lui, un sentiment désagréable lui prenait le ventre. Il posa son sac au sol et plongea dans sa poche pour sortir son cellulaire. Il n'eut tout juste le temps de voir qu'il n'avait aucune notification qu'un appel fit vibrer le mobile entre ses doigts. Il ne répondit pas tout de suite. Le numéro lui était inconnu. Son coeur palpitait, sa respiration se faisait plus courte et il ne voyait que ce rectangle lumineux, n'entendait que la sonnerie prendre toute la place. Pendant une seconde, il cru ne pas répondre du tout, mais son pouce glissa sur l'écran et il prit une grande inspiration avant de laisser entendre sa voix hésitante.
La voix lui demanda s'il était bien Jae Nahm...
Il ne respirait plus, ne bougeait plus, ne voyait plus. Un accident. En plein jour. La voiture avait brûlée un feu rouge. Il n'avait pas regardé. Il n'avait pas regardé. Transporté à l'hôpital d'urgence. Il avait été pris en charge aussitôt. Aussitôt.
"I'm sorry, mister Nahm, we did everything we could."
Mais ce ne fut pas assez et maintenant il se retrouvait seul au monde. Ses paupières se fermèrent sur l'appartement illuminé pourtant froid et il s'accroupit couvrant son visage de sa main libre. La voix était de plus en plus loin et à un moment la ligne fut coupée sans qu'il ne s'en rend compte. Il n'arrivait plus à respirer, il avait froid, son cœur explosait. Il mourrait à son tour.

Ses sanglots ne tombaient dans aucune oreille. Ses supplications s'effaçaient au delà des quatre murs. Sa vie de dialogue disparaissait pour une éternité de monologues.