- - paint it black (moïse)

Ses doigts qui jouent avec les cartes comme on tirerait sur le tarot prédisant l’avenir. Sombre ou lumineux, c’est jamais elle qui choisit. Elle est louche Nine, elle a truc qui fonctionne mal mais elle continue d’avancer, continue de sourire, de faire osciller ses yeux entre les cartes qu’elle étale devant ses yeux, avec lesquelles elle fait mine de s’éventer, leurs bords cornés, usés caressant ses lèvres closes. d’autres trucs tu dis ? Le sourire rempli d’étoiles, de malice, elle lui jette un coup d’oeil, haussant un sourcil “Ouais, des tas d’trucs.” Elle garde le mystère, s’accroche encore à ses yeux, les lui arrachent pour les poser ailleurs, sur les faces plus sombres que la sienne, lumière vacillante dans un appart qui doit connaître peu de présence féminine. Ou pas les bonnes. Sûrement des meufs comme elle, qui tentent de trouver un sens à leur existence, qui tente de pas s’emmerder alors elles viennent fouiller les recoins obscurs du danger. Elle doute de sortir d’ici vivante, surtout que maintenant que la thune entre en jeu, que les billets s’amoncèlent, qu’elle les mate en fantasmant déjà tout ce qu’elle pourra se payer rien qu’avec ça. Des trucs futiles, du superficiels, de quoi rouler d’autres spliffs à paradis mais elle doute, elle plisse les yeux la gamine, déclenchant les rires et le sourire du diable juste en face d’elle. “Vous m’avez pas l’air d’être des agneaux qu’on égorge facilement non plus.” C’est à son tour de soupirer son amusement, de vite le ravaler, comme par peur que ça brise son masque de fille boudeuse, de gamine rebelle. Elle veut pas qu’on voit qu’au fond, elle a besoin de sourire et de se faire mal au ventre à force de rire, que c’est mieux d’être celle qui grogne et mord même si ça devient épuisant. Les lèvres s’entrouvrent encore sur des mots qui ne viendront pas, une plaisanterie glauque et sans suite, coupée par les vibrations de son portable. Leeroy décroche, apostrophe sa mère qui doit sûrement resté bouche-bée à l’autre bout du fil. Nine reste un instant sonnée, pas capable de dire un mot de plus, les mots de Moïse résonnant dans la pièce sans qu’elle les entende. Sa mère va sûrement appeler les flics de son côté, paniquer et s’enfoncer dans la gorge des antidépresseurs parce que sa fille, son brouillon, se tape des soirées avec des mecs à la voix rauques, le timbre infernal. c’est ta mère ? Ses yeux se relèvent vers lui, sa langue au goût d’amertume, lui donnant envie de grimacer, de se lever et de se barrer. Pourquoi tu casses tout ? Pourquoi tu tentes de casser mes murs ? Elle a la gorge enserrée dans l’étau de la colère noire et son regard doit bien parler à sa place “Non. Juste une connasse.” Moitié de vérité, le ton craque sous un froid quasi glacial, moins amusé et elle baisse les yeux “C’est quoi c’mytho ? Vu la tronche que tu tires c’est soit une ancienne pote, soit ta daronne. J’me trompe ?” La question vient d’une autre bouche, d’un de ceux qu’elle devine plus âgés et Nine grimace franchement cette fois, soupire “J’suis chez le psy ou quoi ?” La verve s’assèche, brûle du feu de la haine même pas dirigée vers lui ou vers eux. Juste contre sa famille qui ressemble plus à rien. Elena a juste foutue la merde, encore. Les cartes tombent sur la table et doucement se dessine le sourire de la victoire. Son jeu tombe, s’étale devant elle en un geste quasi théâtrale alors qu’elle tend sa main jusqu’à Moïse, débarrassée de sa rancune pour s’habiller encore de son air joueur “Alors ? Tu m’repasses mon portable et on s’oublie ?” Elle touche pas encore à la thune, elle attend, elle est patiente quand il faut. Elle pourrait le prendre d’elle-même, le chiper dans un mouvement vif et courir jusqu’à sa porte mais elle s’éternise, à croire qu’elle a le cul vissé là, les prunelles mielleuses emboutis par le regard noir posé sur elle, à toujours espérer qu’elle restera un souvenir indélébile.