heart to mouth / ryn.

@ryn salinger
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L’hiver s’acharne sur les âmes égarées. Agnes le sent, dans le groupe. Le voit, sur les traits fatigués. Les yeux las de ne pas trouver le sommeil, les rides plissées de réfléchir, d’essayer de se souvenir. L’amnésie plus difficile à gérer, quand on a froid jusque dans les os. L’hiver est long, l’hiver est rude. Agnes aimerait pouvoir les rassurer. Les réchauffer, les aider à se retrouver. À se trouver, tout simplement. Elle sait qu’elle ne peut pas tous les sauver, mais elle aimerait. Son coeur déchiré de les voir ainsi souffrir, semaine après semaine. Il y a des semaines où ça va mieux. Où le soleil brille dans le ciel et dans les coeurs. On va y arriver. On va tous y arriver. Mais parfois, c’est plus difficile. Parfois, c’est plus difficile de rassurer les coeurs glacés, elle ne peut pas les réchauffer à mains nues. Elle aimerait, pourtant. Mais elle sait qu’elle ne peut pas. Que ce n’est pas aussi simple que ça. Mais qu’elle peut être là, à travers son sourire. À travers ses gestes. À travers sa simple présence, dans ce cercle des âmes perdues. Des souvenirs perdus dans le brouillard, des identités rapiécées. Elle fait de son mieux. Comme nous tous.

Les voix se succèdent, pendant la rencontre. Racontent, narrent. Se brisent, se remplissent, se perdent. Agnes écoute. C’est son boulot. C’est sa nature. Écouter, et être là. C’est ce qu’elle a toujours fait, ce qu’elle sait faire de mieux. Et ces gens, qui viennent toutes les semaines aux groupes, elle les aime. D’un amour étrange, maternel et éphémère, mais elle les aime. Jean, qui a ce perpétuel nuage dans les yeux, et qui souffre de ne plus se rappeler de son fils. Andy, qui ne sait plus trop d’où viennent les cicatrices sur ses mains. Elle les regarde et elle les connaît, elle les regarde et elle veut les entourer. Les envelopper. Être là. Les minutes passent, la conversation se poursuit. Mais l’aiguille arrive au bout de son heure, et c’est le temps de dire au revoir. Alors Agnes remercie les quelques âmes rassemblées, à la semaine prochaine. Elle se redresse, et offre un sourire à Joel. Ce dernier confirme leur rendez-vous, un peu plus tard dans la soirée - et le coeur qui papillonne un peu, Agnes hoche la tête. Le regarde partir, les mains dans les poches, le sourire de gamine sur les lèvres. Et alors, ses yeux repèrent une silhouette. Qui semblait agitée, aujourd’hui. Des cheveux sombres et un regard brumeux. Ryn. Agnes s’approche, sourcils froncés. « Ryn ? » La voix douce et calme, pour ne pas la surprendre. Le sourire qui se veut rassurant, aussi. Je suis pas là pour te faire du mal. « Tu as été bien silencieuse, aujourd’hui. Tout va bien ? »

Ryn, elle a ce côté éteint, quand elle retrouve cette salle dans laquelle la réunion se tient deux fois par semaine. Étrangement, elle y vient à chaque fois. Mais, ce qui n'a rien de surprenant, c'est qu'elle ouvre à peine la bouche, se faisant toute petite une fois qu'elle est posée sur ces chaises-là. En cercle, type réunion des alcooliques anonymes. Elle n'est pas là pour ça, la brune, loin de là. Ici, c'est le groupement de ceux dont la mémoire part en vrille, pour une raison ou pour une autre. Elle, elle en devient folle d'oublier des éléments concernant son père. C'est tout ce qui lui reste de lui, après tout. Même ça, on lui permet pas de le garder. Le souvenir du seul élément de stabilité et de bonheur qu'elle ait pu avoir dans sa vie. Toute la réunion durant, elle écoute les autres, que d'une oreille. De temps en temps, Agnes fait une intervention. Parfois, Ryn lui envie la douceur qui émane d'elle, ce côté maman qu'elle a avec chacun d'entre eux. Et en même temps... Elle comprend pas, comment elle peut s'occuper des autres alors qu'elle-même est déjà assez abîmée comme ça. En tout cas, c'est une des seules personnes qui parvient à apaiser Ryn, au moins un peu. Trop de fois, elle se perd dans ses pensées, la brune. Elle en vient même à se demander si son père ressemblait vraiment à l'image physique qu'elle s'en fait... Si elle n'a pas déformé des choses toute seule. Elle en devient timbrée, tellement qu'elle a sûrement de plus en plus sa place en hôpital psychiatrique. Et puis cette violence en elle qu'elle a trop de mal à contrôler... Tellement qu'elle a frappé elle-même un type aux idées mal placées en allant prendre le métro la dernière fois. Le regard dans le vague, elle ne prête pas attention à ce qui se passe autour, se pose bien trop de questions. C'est avec douceur qu'on l'approche. La voix d'Agnes, si tendre, si douce. Rien ne lui échappe, quand Ryn n'est pas dans son assiette. Après tout, elle a rarement le sourire, sauf sur scène où cela fait partie des règles à suivre. « J'avais pas trop envie de parler, devant les autres. » souffle-t-elle. En réalité, elle n'en a jamais envie, mais parfois ça lui prend, et elle fait des efforts, essayant de se dire qu'elle ne parle qu'à Agnes. Des autres, elle essaye de ne pas s'en rapprocher, comme si elle craignait de devenir comme eux. Elle est peut-être pire, en réalité. Elle ne sait pas vraiment. « Je deviens tarée, Agnes... C'est sûrement pas ici qu'est ma place. » Et elle ne veut pas gâcher les efforts que la blonde fait pour eux, quand elle n'est même pas capable de vraiment se concentrer sur ce que les autres peuvent dire. « Je suis désolée, je sais que je fais pas d'effort. » ajoute-t-elle, lui devant au moins des excuses.

@ryn salinger
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« J’avais pas trop envie de parler, devant les autres. » Et ça la prend au coeur, Agnes. De voir Ryn ainsi en détresse, ainsi malheureuse. De sentir que y’a trop de cordes qui lui tiraillent le coeur, et qui la font saigner sur le plancher. Les fantômes dans les yeux et les démons dans la gorge, Ryn qui est à peine capable d’hausser la voix pour parler normalement. Juste des murmures pour remplir les silences, pour répondre à sa question. Mais au moins, Agnes se rassure en se disant que Ryn lui a répondu, et n’a pas juste haussé les épaules pour nier le tout. Au moins, y’a une conversation qui se crée, et juste pour ça Agnes n’est pas trop désemparée. Elle veut être là pour elle, pouvoir lui offrir un peu de réconfort - sans trop se l’expliquer, le besoin de la soutenir. « Je comprends. » Qu’elle lui souffle à la même hauteur, pour ne pas la brusquer. Le sourire qui s’étire un peu, le temps de se faire rassurant. Car c’était vrai, qu’elle comprenait - et de toute façon, elle n’était pas là pour forcer personne. Y’en avait pas mal, qui venaient sans jamais dire un mot. Mais elle est sensible aux états de Ryn, l’animatrice.

Ryn a la mine basse, le nuage noir au-dessus de la tête. Agnes aurait envie de la prendre dans ses bras, si seulement elle le pouvait. Le coeur crevé à la voir ainsi abattue. « Je deviens tarée, Agnes… C’est sûrement pas ici qu’est ma place. » Agnes secoue la tête, doucement. « Ne dis pas ça. » T’es pas tarée. Si tu l’es, on l’est tous. « Je suis désolée, je sais que je fais pas d’effort. » Agnes lui sourit un peu, secouant à nouveau la tête. « Ne t’excuse pas, s’il te plaît. Tu as le droit de ressentir ce que tu ressens, d’accord ? » Agnes y croit fermement, de toute façon, que tout le monde a son processus. Il n’y a jamais une seule manière de faire les choses - il y en autant qu’il y a de monde. « Et tu sais que tu n’es jamais obligée de parler, quand tu viens ici. » Un sourire, à nouveau, qui se veut rassurant. « Tu arrives à dormir ? » Qu’elle lui demande, l’inquiétude lui barrant le front. Maternelle, sans se l’expliquer, envers cette fille qui est pourtant plus vieille qu’elle.