j'ai sur le bout de la langue ton prénom presque effacé.

Blouson serré sur sa poitrine, Alma pointe son museau désinvolte sur le pas de la pension de famille. Nul détail ne s'est effacé de sa mémoire de gamine et rien n'a changé en cinq ans de sa terrible absence non plus. Quelque part, ça la rassure ; certaines choses sont immuables, tout son contraire. Le grand-père de Pallas l'a toujours guignée d'un œil bienveillant. Peut-être qu'elle puait la misère dont il a l'habitude et la charge au quotidien. Peut-être que la complicité évidente avec sa petite-fille lui faisait assez plaisir à voir pour qu'il oublie le rouge qu'elle avait à la bouche et le bleu à ses genoux. Pas sûr que l'accueil soit aussi bon que jadis. Après tout, elle est partie. Alma, elle avait dix-huit ans et vingt-trois dollars dans la poche de son jean quand elle a tracé pour Vegas, à quoi, des centaines de kilomètres de là ? Pallas, sur le carreau. Comme Toni. Comme son frère. Comme sa mère et sa sœur. Elle avait prévenu pourtant ; elle irait ; elle se ferait plus d'argent que ses parents ou n'importe quel crève-la-faim n'en avait jamais vu de toute sa vie. Si ça n'a pas été le pactole de sa stupidité adolescente, elle est allée au bout de son espoir et de ce foutu pays. Mais la voilà qui rentre, à présent. Alma rentre chez elle.
Et, chez elle, ça a toujours été un peu Pallas Venkman.

Après une mine quelque peu surprise mais où elle n’a découvert ni rancune et ni suspicion, il a proposé qu’elle entre. Elle a insisté pour attendre dehors. Alma a moins de courage que son bagou ne le laisse croire. Ce n’est pas parce qu’elle se plante une fin d’après-midi d’hiver sur un trottoir crasseux du Queens, avec sa vieille dégaine de gosse de rue et un de ses sourires désarmants, qu’elle n’a pas peur de retrouver Pallas. La revoir, ça lui cause la même quantité de tachycardie pour l’impatience et pour l’angoisse. Son cul s’écrase sur la bordure, les pieds dans le caniveau et sa jupe remontée à mi cuisses par ses genoux ramenés contre sa poitrine. Elle tire une cigarette qu’elle ne va pas fumer. Ses doigts s’amusent à ce que le tube roule de phalange en phalange et cavale dans la paume. Ses pupilles traînent partout, jouent au jeu des sept différences avec sa mémoire.

Quand Alma attrape la silhouette de Pallas dans la fraction extérieure de sa vision, il s’est peut-être passé cinq, quinze minutes, une heure, quatre – en tous les cas, une plombe. C’est toujours moins que cinq ans. « Attends. » Le virage serré pour faire demi-tour dès la seconde où l'américaine l'aperçoit, ça ne peut pas être un effet de son imagination. La mexicaine se ramasse sur ses semelles, sa clope fourrée dans l'une des poches de son blouson et son portable dans une autre. « Venkman, s'te plait. Attends-moi. » Alma trottine pour la rattraper, agrippe le coude.