disappointed but not surprised (gaspar)

De la fumée s’échappe entre ses lippes tandis que le soleil décline, que les ombres baptisent progressivement l’asphalte et ses silhouettes empressées. Son visage se prélasse dans les dernières caresses de l’astre, appréciant sa cigarette dans l’attente – appréciant surtout, ce qui lui reste de nicotine, l’image de son paquet presque éventré oublié sur le comptoir de la cuisine. C’est la seule clope qu’elle a pu obtenir d’un adolescent en émois, celle qui se voudrait salvatrice mais qui n’est qu’un bref armistice. Les peines de ses poumons saccagés ne manqueront pas de la tourmenter quand s’estompera la complaisance, laquelle se fracasse pour l’instant contre les affres de son impatience. Une moue s’égare entre ses traits, alors qu’elle attrape son portable en tirant l’une de ses dernières lattes. Une multitude de notifications se bousculent sur l’écran, que ses opales survolent sans grande préoccupation pour trouver l’heure affichée au-dessus de la liste. Seulement une quinzaine de minutes que sa carcasse s’est échouée dans cette avenue, mais c’est la sensation d’une éternité qui pèse dans ses veines échauffées. Les soupirs s’enchaînent mais n’égrènent pas le temps plus rapidement, en atteste la minute suivante qui peine à prendre sa place. Son attention coulisse à nouveau sur les notifications, ne s’attarde que sur les appels en absence avant de supprimer l’ensemble. Un ‘ne m’attends pas ce soir xx’ envoyé rapidement à sa sœur, puis la lumière s’estompe pour retrouver le fond de sa poche. La dernière latte se consume dans le même temps et c’est dans les lamentations anticipées de son âme, qu’elle écrase le mégot sur le bitume. Jade attrape une gomme à mâcher à la menthe pour étouffer une nouvelle plainte silencieuse de son empressement, puis s’adosse contre un lampadaire pour dévisager l’objet de sa venue en ces rues si éloignées des siennes. Son regard glisse sur les fenêtres tantôt illuminées tantôt sombres de l’immeuble à quelques mètres d’elle, se demandant si sa silhouette apparaitrait derrière l’une de ces vitres. Elle n’a aucune certitude sur sa présence entre ces murs à cet instant, en revanche elle est désormais certaine que son appartement se trouve-là. C’est un Hoenikker qu’tu cherches, Jade. Les effluves de leur rencontre bousillent les miettes de sa patience, exaspérée rien qu’en repensant à la certitude qu’elle avait trouvé au fond de son regard, alors que ses mots ne valaient que dalle. Un hasard a replacé son visage au détour d’un commérage, et son instinct est parti à l’abordage. Le même foutu pressentiment qui lui assure qu’elle le trouverait-là, que son profil ne tarderait pas à apparaître sur le seuil du bâtiment. Tu l’trouveras par là-bas. L’adresse retenue facilement, elle avait filé à la fin de sa journée en s’assurant que Garnet rentrerait bientôt pour assurer le service en son absence. Elle s’est pointée à pieds, nullement loin d’elle l’envie de parcourir le Queens en patins pour venir à sa rencontre – mais pas la même que la situation se retourne à son désavantage dès le départ. Elle s’est faufilée dans le hall de l’immeuble, s’est faite présence ridicule sur des terres qui ne lui ressemblent pas – puis elle a retrouvé l’identité du menteur sur la boîte aux lettres sous la pression de regards méprisants. C’est qu’elle fait tâche sur ces marches, Jade, avec sa veste en denim élimée et son jean troué. Alors elle s’est éloignée, assez près pour qu’elle interpelle son attention, assez loin pour qu’il puisse passer son chemin sans plus d’un regard à son égard. L’achèvement du quart d’heure marque le glas de l’attente quand son visage émerge des entrailles du Queens huppé ; et quand il l’aperçoit contre le lampadaire, la bulle opaque éclatant entre ses lèvres, la môme est certaine qu’il ne passera pas son chemin. Parce qu’elle n’a rien à faire là, rien à faire si près de son territoire. Gaspar se rapproche, mais elle ne lui laisse pas le temps de la parole. Elle exhibe abruptement l’écran de son portable devant lui, sur lequel s’affiche la définition du terme taudis – puis, quelques secondes après, se succèdent d’autres captures d’écran où des synonymes défilent. Rien qui ne s’apparente à un « appartement miteux » dont les définitions de ses mots apparaissent également, et sur lesquelles l’écran s’éteint enfin. « J’crois que t’as un défaut de vocabulaire quand tu parles de l’endroit où tu crèches. » Regarde-moi dans les yeux, et dis-moi c’que t’y vois. Certainement la même mauvaise veine qu’toi.

@jade holmes
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Le sifflement impatient passe entre ses lèvres, alors que le taxi ne parvient pas à se faufiler entre les deux voitures. Gaspar lâche un soupir, se méritant un regard noir de la part du chauffeur qui fait juste de son mieux. Le Hoennikker le sait, ce qui ne l’empêche pas l’hongrois salé de passer ses lèvres en marmonnement. Un coup d’oeil à la montre à son poignet, comme si seulement ça allait aider à le calmer. Ça ne fait que monter son agacement d’un cran, alors qu’il réalise que ça fait déjà vingt minutes que la voiture jaune est coincée dans un bouchon inattendu. Un accident un peu plus loin rend la circulation compliquée, et Gaspar n’est pas connu pour être patient. Surtout pas dans un taxi, ces voitures qu’il abhorre - qu’il n’a pas pris par choix, sa voiture coincée au garage pour des réparations de routine. Il aurait du prendre sa moto, mais c’est trop tard pour les regrets à présent. Le soupir à nouveau au bord des lèvres, il sort son portefeuille et tend un billet au chauffeur qui s’en empare. Sans un mot, Gaspar sort du taxi et claque la porte avant de rejoindre le trottoir. Tant pis. Il va marcher.

Le Queens pour l’accueillir. Le soleil décline lentement à l’horizon, et Gaspar foule le trottoir d’un pas rythmé. Ses longues jambes lui permettent d’avancer rapidement, et c’est à une vitesse vertigineuse qu’il rejoint son quartier. Si seulement ce n’était pas de son costume et de la valise à son bras droit, ça aurait pu être une promenade plaisante, le printemps qui se dévoile peu à peu dans les rues new-yorkaises et balaye la brise glacial de l’hiver. Gaspar en profite pour envoyer un message ou deux, répondre à un courriel, autant utiliser le temps après tout. Son immeuble en vue, le soulagement est de courte durée quand il aperçoit une silhouette pas bien loin. Elle détonne avec le reste du décor, avec l’immeuble étincellant et les marches entretenues, avec ses cheveux emmêlés et ses jeans troués. Gaspar la reconnaît sans peine, la gamine, et il ne sait pas trop s’il est amusé ou agacé de la trouver là. Sans doute un peu des deux, à la manière qu’il la jauge de haut en bas sans toutefois s’empêcher d’avancer. Le pas redirigé vers l’intrépide, le regard perçant et les lèvres pincées. Il va pour l’interpeller, mais elle lui flanque son écran de téléphone au visage. Ses traits agacés passent sur le contenu affiché sur l’écran. Taudis. Définition. « J’crois que t’as un défaut de vocabulaire quand tu parles de l’endroit où tu crèches. » Les synonymes défilent, et Gaspar peut pas retenir son sourire amusé. Il doit l’avouer. Elle a du cran. « Parle pour toi. » Qu’il lui lance, le menton légèrement relevé. L’arrogance dans la gorge, mais y’a un ton qui annonce un certain respect. Aucun mépris dans ses yeux, au Hoenikker. « J’ai déjà vu bien mieux. » Il désigne son immeuble d’un signe de tête, et hausse les épaules.

Le regard qui ne la quitte pas, elle et ses grands yeux, elle et sa résilience dans les traits. « Tu t’es reconvertie en détective privé ? Plus trop ton truc, la neuroscience ? » Qu’il lui lance du tac-au-tac, le sourire diplomate aux lèvres. Crois pas que t’es la seule à avoir compris le mensonge. Mais le jeu est bien trop amusant pour l’abandonner, après tout. Mais le regard de Gaspar se durcit, et le sourire se raffermit. Méfiant, tout de même. « Qu’est-ce que tu fais ici ? » J’veux pas de tes emmerdes, gamine.

J’ai bien autre chose à faire.