☞ another lover's leave ⋅⋅⋅ siam&leona

I think this winter left you colder than the breeze
I think you suffer from another lover's leave
>>   8PM by Sad Eyes

Il est dix-huit heures vingt-trois, j'ai les yeux défoncés et le crâne dans le mal, mais, ce n'est pas gênant. Devant moi est posé mon cours de philosophie de l'art, et je doute de pouvoir penser un jour sainement après avoir lu tout ce que G. W. F. Hegel avait à nous apprendre sur ce sujet. Je suis dessus depuis près de trois heures, et je suis loin d'en être arrivée à bout. Pourtant, il faudra bien que je rende mon essai à la fin du mois… En attendant, je dois me concentrer encore un peu, parce que je dois tirer le maximum du temps que j’ai seule. Et puis, il faut bien dire que l’appel de ma mère pour me raconter le déjeuner avec mes demi-frères et demi-soeurs s'est éternisé comme toujours, puisque ma mère tente de jouer la belle-mère cool en s'intéressant à leurs vies, et eux, s'en foutent. Mon père, lui essaye de ne pas péter les plombs quand son petit-fils tue sous ses yeux le journal du matin qu'il n'a pas encore eu le temps de lire. Ils me manquent, c’est une vérité absolue. Mais, je ne regrette pas d’être ici, avec Dino. Non, jamais. Alors, plutôt que de le lui dire, que de commencer un débat, je lui dis que je l’appellerai bientôt, que je dois travailler.

Je lève les yeux pour voir ce qui se passe dehors, et les new-yorkais sont déjà tous à marcher dans les rues pour retourner autre part, certainement chez eux. Il fait noir, et à voir la buée qui se forme sur le carreau, il fait froid aussi.  Rien de nouveau, sauf une notification sur mon iPhone. Il va être l’heure que je me prépare pour aller travailler. Mettre mon costume de serveuse, sourire aux clients dans l’espoir de passer un shift pas trop pourri, remplir ma poche de pourboires. Peut-être un peu plus que d’habitude. Il faut dire que Noël approche à grand pas. Et puis, cette année, j’ai bien envie de gâter Dino plus que d’habitude. Le reste de ma famille aussi. Mais, Dino avant tout. C’est lui, ma famille, maintenant.

Un coup de baume sur les lèvres, j’ajuste mon écharpe autour de mon cou alors que je ferme ma doudoune pour aller affronter le froid extérieur. De l’appartement au métro, du Queens vers Manhattan. J’arrive au restaurant en avance, comme d’habitude. Parce que j’aime ce petit moment à moi, ou je peux prendre le temps de m’asseoir cinq minutes dans les vestiaires avant le rush. Ce petit moment pour envoyer un texto un Dino après avoir envoyé mon uniforme. Espérer une réponse rapide. Une touche de parfum sur les cheveux, nouvelle couche de baume à lèvres, et je gagne enfin la salle, sourire sur les lèvres. Mon manager vient me demander exceptionnellement de faire le service au bar, parce qu’encore une fois, ma collègue Emily a décidé de ne pas venir bosser… Je ne sais pas si je suis surprise ou non. Je ne suis pas en colère non plus, ni lassée. Je me demande seulement si elle va bien, quelles sont les raisons de ses absences répétées en espérant sincèrement que c’est autre chose que de la flemme.

Je passe derrière le bar, saluant le barman. Je me contenterai de servir les boissons les plus simples parce que je ne suis pas qualifiée pour faire les cocktails. Il le sait, mais, notre tandem marche bien. Les clients sont toujours servis et satisfaits avec nous deux. Je salue d’ailleurs les clients qui sont déjà là, n’hésitant pas à me présenter et à leur indiquer que je suis là pour eux si ils ont besoin. Et j’ai le temps de prendre doucement mes marques. Et quand je me retourne, une nouvelle cliente est assise là. Elle est jolie, mais son regard semble bien vide. Comme une poupée posée dans une vitrine. Présente par dépit, sans vie. C’est ridicule, probablement, mais c’est le sentiment que j’ai à la voir avec ses mèches brunes qui frôlent ses clavicules. Ses lèvres formant une moue. « Bonsoir, je vous sers quelque chose? » Les mots ont un ton doux, un sourire sincère. Je me doute bien dans le fond, qu’elle est ici pour être servie et pas pour restée là plantée à attendre que le temps passe… Et mon petit doigt me dit qu’elle sera là jusqu’aux petites heures de la nuit.