diamonds aren't forever — flashback (jill)

Il avait l’impression qu’il allait crever d’un instant à l’autre. Tous ses membres engourdis, son cerveau y compris, l’adolescent observait d’un œil lugubre la parade endeuillée défiler devant lui. Les mots de sympathie pleuvaient. Bien sûr. Il fallait s’y attendre. Il suscitait tellement la pitié : lui, un pauvre gamin seul et esseulé, avec nulle part où aller sinon chez un oncle qu’il connaissait à peine, le seul membre de sa famille qui avait pu — ou qui avait accepté — de s’occuper de lui jusqu’à sa majorité. Mais avant de commencer sa nouvelle vie, il devait supporter les beaux discours. Plus tard dans la journée, ce serait l’enterrement, ses parents ayant souhaité pourrir six pieds sous terre parmi les vers et autres insectes. Immobile devant les corps embaumés de ses géniteurs, Shiloh gardait son visage impassible. Presque paisible. C’était étrange de se dire qu’après tout ce qu’une personne avait accompli au cours de sa vie, elle finissait comme toutes les autres par moisir dans un cercueil ou dans un pot. Naître pour vivre, vivre pour mourir. Le cycle éternel, comme on le chantait dans Le Roi Lion. L’un des dessins animés de son enfance, celui qu’il avait regardé au moins cent fois, bien qu’il n’ait pas grandi dans les années 90. Ses parents trouvaient qu’il exagérait et le taquinaient souvent à ce propos, surtout son père. Mais ça n’arriverait plus jamais. C’était fini. Game over.

@Jill Romero

Puis, sortie comme par enchantement de la mer de tenues noires, une tête connue, jeune et assurée s’avança vers lui. L’adolescent lui jeta un regard éteint, une ébauche de sourire sur son visage blafard. Il l’avait tout de suite reconnue, bien qu’il eut l’impression de ne pas avoir vu Jill Romero depuis une éternité. Mais ça ne faisait rien, ça ne changeait rien. Jill avait toujours fait partie de sa vie, voire de son monde. Depuis de longues années, leurs parents respectifs se connaissaient et s’appréciaient. De bons amis qui se donnaient rendez-vous pour des parties de golf interminables et plus souvent pour des dîners chics auxquels étaient bien évidemment conviés les rejetons pour leur monter la bonne conduite à adopter en société. Malgré leur légère différence d’âge — quatre ans, ce n’était rien dans une vie humaine —, ces deux-là en étaient venus à se lier d’amitié au fil du temps. On aurait même pu dire qu’ils avaient grandi ensemble. Cela dit, si la présence de la jeune Romero aux funérailles coulait de source, oui, même si elle était aussi évidente que 2 et 2 font 4, elle était néanmoins la bienvenue aux yeux de Shiloh Rhimes, qui s’empressa de lui rendre son étreinte. Après les visages tristes et austères qu’il avait vus défiler pendant la dernière heure, tous de lointains amis de ses parents s’il avait bien compris, cela lui faisait un bien immense de retrouver l’une de ses plus vieilles amies. C’était comme s’il revenait à la maison, dans un sens. Comme s’il retrouvait par magie une période de sa vie heureuse et insouciante, qu’un banal accident de la route avait pourtant suffi à effacer à jamais, un certain soir de juillet. « C’est pas de ta faute, » renifla le garçon. Ses joues rougirent lorsqu’il prit conscience qu’il pleurait devant une fille. « T’es venue seule ou avec tes parents? » lui demanda-t-il pour reprendre contenance.

@Jill Romero