Ravenous
Il suffit de la voir pour comprendre à quel point elle arrive à contrer l’effet de la foule, à se faufiler comme un fantôme et à se confronter à ce vent qui tente en vain de la repousser.
Comme si il n’y avait que elle.
Vent contraire.
Une petite mallette noire, une gamine qui la tient fermement de ses mains abîmées, le visage fermé. Est-ce que quelqu’un la connaît ? Oui et non, mais elle, elle vous connaît. Le regard se croise et elle vous toise.
Féline, sur le trottoir d'en face qui marche sans prendre le temps de regarder où elle va. Elle connaît la ville comme sa poche et la ville la connaît aussi. Y'a bien son nom inscrit dans plusieurs mémoires. Et sa gueule d'ange implanté dans des souvenirs sinistres. Il y a bien des cicatrices offertes qui font que les gens ne l'oublieront jamais. Gamine qui marche, marche encore. Reese, le chat. Reese aux idées bien claires. Elle fonce, s'enfonce dans des ruelles comme si elle était lancée dans des trafics illégaux. Sa mallette noire, comme si elle allait tuer quelqu'un.
Peut-être qu’elle allait faire des victimes.
Ses mains tremblantes, et pourtant si assurées. Ses doigts fragiles qui appuie sur les touches avec une telle témérité. Cette nana de nulle part, cette nana là qu’on commençait petit à petit à connaître bien. Gamine, féline, ses yeux si souvent croisé de l’autre côté de la route se ferme si douloureusement quand il lui faut jouer du saxophone.
Le son se partageait. Pulsation sanguine. Et à des kilomètres on pouvait entendre son chant cuivré.
Depuis l’horizon, on pouvait percevoir la force grisante d’une gamine sans nom.
Ce n'est pas juste de la musique. Pas juste de l'argent.
C'est une partie d'elle qu'elle laisse visible, cette partie fragile qui se laisse hurler. Cette partie sensible qui ne s'accorde que trop peu avec le son de sa voix. Alors elle ne parle plus et souffle des notes qui la blessent sur des airs de jazz. Des cicatrices qu'elle laisse béante en se promettant de ne pas avoir mal. Reese, dans la rue. Reese, dans le métro. Reese, dans un resto. Quand le jour se lève, elle sait que les gens ne peuvent la reconnaître. Car elle se mélange, là et se montre indifférente de leurs regards. Elle sait qu'elle n'est plus elle, qu'elle est comme eux une fois que le soleil éclair sa peau claire.
C'était faux. Bien sûr.
Reese marche sur l'eau.
Sous la terre, dans le couloir d’un vieux métro à l’odeur nauséabonde de la foule entassé, de la drogue qui se transmet de main en main, et des parfums des femmes d’affaires qui se mélangent au goût bestial des hommes en manque de cul. Ici, c’était l’enfer. Ici, c’était un lieu qu’elle aurait pu craindre quelques années auparavant. Aujourd’hui, l’enfer était bien plus présent en son creux que dans un lieu aussi pourri.
Et y’a bien quelqu’un qu’à été touché par l’bout ferraille. La gâchette facile, Reese.
L'acoustique parfaite de ce lieu animé. Le bruit de la foule qui se tasse pour la laisser hurler à en perdre la sensation du temps qui se faufile. Reese est bien vivante et elle ne voit pas qu'on la regarde quand elle a les yeux fermés. Cependant, elle peut les entendre. Les respirations douces qui essayent tant bien que mal de s'accorder à sa musique. Mais elle est seule, toujours seule et ça lui plaît d'être aussi seule en fait. Se retrouver à ce petit monde qui vit encore dans son ventre, à ce cœur qui bat encore quand elle arrive à souffler dans un bout de son âme.
Mais ça va trop vite, le courant d'air du train qui part et laisse les gens sur le quais de départ. Elle finit bien vite de jouer, quelques applaudissements qui ne lui donnent pas plus de joie que ça. Elle regarde les pièces au fond de sa boîte, un billet aussi qui est passé par là. Et y'a ses mains dans son champ de vision qui s'amène, quelques pièces encore qui tombent alors qu'elle se demande ce qu'elle va s'acheter comme sandwich pour ce midi. Ou pour ce soir. Elle ne sait même pas quelle heure il est.
Reese commence à remballer son arme, mettre son salaire dans sa poche. Et son regard se balade dans la foule. Elle revoit parfois quelques visages, mais il y a surtout ce garçon, oui ce gars aux cheveux ébènes qui est passé plusieurs fois, trop de fois. Elle n’en dira rien, mais elle se méfiait. Elle se méfie de tout le monde. Le chat des rues n’aime pas qu’on le regarde. Elle se relève finalement, la mallette en main, où son instrument était au chaud. Maintenant, où allait-elle aller ?
Et si elle allait se poser à un autre endroit, est-ce que ce garçon sera toujours là ?