need to be saved / sora

La pluie battante à l’égal de la course folle de son palpitant, Alice assiège les rues de son escapade dangereuse et effrénée, les rollers aux pieds prête à en découdre avec quiconque se trouvera sur son chemin. Le métro est à chier, d’ailleurs elle n’a jamais vraiment porté d’amour aux transports sinon ceux qu’elles se plaît à enfiler comme une deuxième peau. Coincés dans les limbes de sa boîte crânienne, les restes de son expérience au derby la transportent dans les croisements des rues du Queens à vive allure, l’objectif fixé sur cette adresse glissée dans la poche de sa veste. Un simple gribouillage couché sur le papier. Pas de nom. Un cuistot nouveau dans le métier dont on lui a vanté les mérites à plusieurs reprises, bonne défonce pour un prix abordable. De quoi apaiser une Alice étouffée par les dettes et le manque de fric, noyée par les démons de l’addiction. ”Poussez-vous !” délie ses lèvres esquintées par le froid, par la rage. Elle n’a jamais vraiment porté beaucoup de respect à son langage, bien plus proche des chartiers que de Shakespeare malgré un attrait particulier pour son talent. Quand on grandit avec des caïds, on en garde certains travers et de nombreuses séquelles. On se forge dans la violence des mots pour peu que ça rende infréquentable. Pourtant dès lors qu’elle érige ses poèmes, on se surprend à découvrir la beauté de ses mots, à l’image de son alter-ego qui viendrait semer le doute quant à sa véritable nature de romantique.

C’est ici. Rien de très fantastique, rien de bien méchant non plus. Banal, finalement. Puis c’est pas comme si elle pouvait juger un dealer à l’aspect de l’habitat où il crèche. Elle en a déjà vu baigner dans le luxe du queens huppé comme dans la crasse des anciens logements ouvriers du quartier contemporain. Les pieds à terre, elle détache ses vieilles chaussures de skate suspendues à son sac pour y accrocher ses rollers. Inspire un bon coup avant de pousser les portes de l’immeuble, la capuche vissée sur sa crinière de lion. Ascenseur en panne. Evidemment. Quelques coups donnés sur le bois de la porte suffisent à interpeller le locataire. Porte ouverte donnant sur un visage qu’elle n’aurait pas imaginé. La gamine au sourcil froncé demeure stoïque face à l’homme qui l'accueille. ”Salut...” incertain. ”On m’a donné votre adresse, il paraît que vous cuisinez super bien.” Elle balaie sa capuche en arrière. Alice aux convenances douteuses force le passage par un sourire mielleux lorsqu’elle passe sous l’épaule de son sauveur. Intriguée de voir les trésors qui se cachent derrière le blondinet. ”Wah, cool votre appart.” Le sac balancé contre le dos du canapé, la brune se retourne vers son vendeur, la main tendue comme pour se présenter. ”J’suis Alice.” Si c’est pas le bon gars, elle se sera bien foutue la honte.

Sora regarde son plat tourner dans le micro ondes. Les frigos vides, il avait dû se rabattre sur un reste de pâtes carbos qui traînait dans le coin depuis un petit moment. À la fenêtre, la pluie tambourinait. Heureusement qu'il n'avait pas accepté l'invitation de Teha à aller boire un verre, il semblerait qu'il ait éviter le mauvais temps. Le rouquin s'impatientait déjà de pouvoir se poser devant son reportage animalier sur la reproduction. Son micro ondes sonne en même temps qu'on frappe à la porte. Sora fronce les sourcils, il n'attendait personne. Prudent, il s'empare de son couteau suisse au cas où il aurait à s'en servir avant d'ouvrir la porte à moitié. Une jeune femme se tenait devant elle. À sa tête et son air hagard, il était plutôt aisé de connaître l'objet de sa visite. Sora ne se gêne absolument pas pour l'analyser de fond en comble, il est important de savoir avec qui on traite avant de se lancer. Il paraîtrait que quelqu'un lui avait donné son adresse, ce qui semblait déjà invraisemblable vu l'extrême prudence dont il faisait part. Peut-être était-elle une indic au service de la police, dans ce cas, elle tenait extrêmement bien son rôle. C'est qui qui t'a dit ça ? Hors de question de discuter affaire sans savoir qui a été l'intermédiaire dans cette affaire. Même si elle ne l'a pas attendue, Sora lui donne son aval pour rentrer, bien qu'un peu dubitatif. Il n'a absolument pas l'habitude de faire ces transactions comme ça, mais une cliente potentielle n'est pas à négliger. Un rire étouffé se perd quand il l'entend se présenter… Il serra sa main tendue, la toisant d'un regard inquisiteur avant de lui dire, d'un ton solennel et limite paternel. Commence déjà par ne pas donner ton vrai prénom. Les dealers n'aiment pas trop traiter avec les personnes inconscientes. Les dealers, un terme assez vague qui ne permet pas de certifier qu'il en était un lui aussi. Il l'invite à s'asseoir sur son canapé, démarrant son documentaire sur la reproduction animale. Je peux te proposer un thé et un cookie ? Le cookie, Sora en est certain, sera à la convenance de cette chère Alice.

Alice n’a pas vraiment idée des convenances habituelles lorsqu’il faut se présenter à quelqu’un. Les pieds sur l’asphalte et la tête constamment dans les étoiles, elle n’est pas celle qui se souciera de palabres futils accompagnés d’un sourire cordial comme pour faire bonne figure. Elle a pas la gueule de l’emploi, ça se lit sur ses traits esquintés par la rue. Par la drogue et par le froid. Y’a que les enfers qu’elle côtoie, que les voyous à deux neurones et demi comme unique compagnie dans la folie de ses nuits d’ivresse et la noirceur des seuls endroits où l'on veut bien d'elle. Alice demeure perturbée par l’accueil de l’inconnu à la gueule d’ange. Pas franchement convaincu par le comportement de la gamine écervelée qu’il laisse quand même pénétrer à l’intérieur de son appart. Un peu de bordel, mais bien plus propre que les endroits qu’elle fréquente.  ”On s’en fout de qui m’a donné ton adresse. L’important c’est que tu me files de quoi me défoncer pour le restant de mes jours.” Rire fracassé par son insolence puérile. Alice hausse les épaules d’un air naïf, habituée à faire des transactions simples et rapides sans demander son reste. Sans prendre le temps de savoir qui se cache derrière ceux qui lui vendent du rêve artificiel en petits sachets. Le blondinet répond à sa poignée de main, délie ses lippes d’un rire étouffé. Ca lui arrache un sourire, à Alice. Ravie de savoir qu’elle peut encore faire rire malgré son esprit abîmé, dérangé. Rictus très vite envolé dès lors que les pupilles de son hôte se décorent d’une teinte dubitative, méfiante et pas franchement agréable. Il la sermonne comme une gosse. Peut-être parce qu’au fond elle en est une. Mais elle voudra jamais grandir, coincée dans une adulescence qui la conforte dans son malheur. L’avenir est terrifiant, le changement aussi. ”Oh c’est bon.. Détends toi. J’suis clean.” les ébènes levées au ciel, comme agacée par le ton mauvais de l’homme qui l’accueille. ”J’dois t’appeler comment? Walter White?” Son corps s’éloigne pour s’échouer un peu plus loin dans le canapé. Un vrai. Propre. Si confortable. Les traits apparents de la gamine fatiguée se transforment en vague plénitude qui lui a tant manqué. Extase lorsqu’il lui propose de quoi manger. ”Fais péter tout c’que t’as, ce serait pas très poli de refuser de toute façon.” Comme si elle allait lui dire non. Affamée, son estomac lui hurle de manger depuis un moment maintenant. Elle sait même pas depuis combien de temps elle n’a pas avalé autre chose que de la drogue. Ca fait du bien un peu de répit. ”Et hum… Merci.” qu’elle soulève, la tête tournée en direction de l’inconnu. ”T’as l’air plutôt cool en fait.” Réflexion faite, y’a un seul truc qui la dérange. ”Par contre c’que tu regardes là. Ca a vraiment l’air chiant.”

On s'en fout de qui lui a donner l'adresse. C'était sorti dans une flegme légendaire qui étonnait même le chimiste qui en est pourtant un habitué. Ses iris accrochent le regard de sa possible cliente dans une incompréhension criante. Un tel niveau d'inconscience relevait bien plus du laisser aller que de la véritable suffisance. Et en y regardant  de plus près, cette chère Alice avait l'air plutôt mal famėe, pas plus lourde qu'une plume, les traits du visage creusés, les vêtements troués et même pas recoussus, repeints aux couleurs de la cambrousse. Y avait pas à dire, elle était pas belle à voir... Sora prend sur lui pour ne pas adopter un ton moralisateur, Alice, c'est sûrement pas ce qu'elle avait besoin pour remonter la pente, mais de toute évidence, elle criait à l'aide silencieusement. - C'est marrant. On a pas la même notion de ce qui est important et ce qui ne l'est pas. qu'il résume, légèrement irrité par tant d'insolence. Alice tente de calmer les doutes de Sora en prétendant être clean, ce qui ne constituait évidemment absolument pas une preuve concrète de la véracité de ses dires, mais le professeur mit son jugement en suspend, le temps de mieux la cerner. - Appele moi comme tu le sens. Walter White, le Chapelier Fou ou Son Goku, ça n'a pas trop d'importance. L'important, ce n'est pas de savoir sa véritable identité mais plutôt de connaître ses prouesses quand il s'agit de cuisiner, c'est bien pour ça qu'elle est ici après tout. Il ne répondit rien à l'aval d'Alice à l'invitation de quelques cookies avec une bonne tasse de thé. Il se dirigea vers sa cuisine, sortant de ses rangements des cookies précieusement filmés, de petites merveilles confectionnés par ses soins, parfait étalage de sa marchandise. Il mit également une bouillotte d'eau à bouillir avant de revenir à son séjour, les cookies en main. Les pupilles de Sora s'adoucirent malgré lui au demi compliment de son interlocutrice. Être cool, c'est un luxe pour un mec qui approche des trente ans avec sa vie plutôt bien rangée, cette vie même qu'il tente de combattre au jour le jour. Son regard capte un court moment le programme de télévision qu'il avait mis en pause, une légère moue sur le visage. - J'aime beaucoup les documentaires sur la reproduction animale. Il y a quelque chose de bestial qui n'a nul pareil en ce monde. Ça nous renvoie à notre instinct, à nos origines ancestrales. Il le dit le plus naturellement au monde, sans même se douter de l'aspect glauque de sa phrase. Il se sert un cookie, mordant dedans à pleine dents. Sans vouloir se vanter, son cookie était réellement d'un niveau supérieur. Sora se roula un bedo de sa main experte en la matière avant de demander à Alice comme si ça découlait naturellement de la conversation. - Est- ce que tu crois qu'il existe des mondes parallèles au notre ? C'est une idée que Sora a creusé par lui même au fil de ses séances de fumette et il pense y avoir trouvé sa réponse. Une vision bien à lui des choses.