I just wanna get you tonight. (soana)

01/ Née d'une union de deux immigrés, Soana n'a toutefois pas eu l'occasion de rencontrer son père. Ce dernier, ayant affronté la désillusion du rêve américain, a préféré rentrer précipitamment au Cameroun. Il a laissé la mère enceinte, seule, se déchargeant de ses responsabilités, puisque sa propre famille l'attendait là-bas. Il ne l'a pas reconnue à la naissance, n'a pas donné ni nouvelles ni argent. C'était mieux ainsi, de ce qu'il en avait dit. Il était jeune, ne représentait qu'une aventure pour la mère.
Longtemps délaissée par son mari, et en besoin fort d'affection, elle s'est laissée tenter par plusieurs nuits d'extase avant que cet amant s'en aille. Elle avait déjà eu une première fille, Ada, la demi-sœur aînée de 10 ans de Soana. Le premier époux a toutefois trouvé plus jeune et épanouissant que ces trois femmes. Soana n'a donc pas été non plus éduquée par cet homme, mais n'a pas eu le sentiment d'avoir été privée de présence masculine ou d'avoir manqué d'autorité. Au contraire, sa mère et sa grande sœur lui ont transmis la discipline, les valeurs principales : la détermination (ne jamais lâcher, toujours travailler) et la famille.

02/ Pour elles, Soana aurait pu faire n'importe quoi. Tout sauf trouver l'antidote pour vaincre le cancer qui a rongé sa mère. Elle s'est bien évidemment énervée contre les médecins impassibles, pour qu'il la soigne elle avant les autres. Ses essais pour les faire réagir n'ont pas été efficaces. Elle l'a perdue quand elle avait seulement 12 ans. Le corps contre lequel elle s'est blottie dès cette nouvelle, c'était celui de sa soeur.
C'était encore Ada qui s'est chargée d'elle du haut de ses 22 ans, qui enchaînait les études de médecine, les petits boulots, son éducation. Elle était souvent surveillée par des copines d'Ada, logée par ces âmes bienveillantes, ou se retrouvait parfois au milieu de soirées organisées, quand sa sœur était trop occupée à travailler ou réviser. Elle a été sa mère, sa meilleure amie, sa confidente. Ada et elle, c'était précieux et indéfectible. Personne ne parvenait à mieux la comprendre ou la rassurer qu'elle. Parfois elle avait des crises à l'école, et aucune professeure ne parvenait à la calmer. Seule l'arrivée de sa soeur lui insufflait cet apaisement nécessaire pour faire retomber la crise de larmes.

03/ Cela ne l'a pas trop étonnée lorsqu'elle lui a déclaré qu'elle voulait se lancer dans la médecine humanitaire plutôt que libérale. Elle a enchaîné les projets, tandis que Soana est restée à New-York pour prendre un chemin identique au sien. Elle n'a jamais espéré faire autant qu'elle, s'est plutôt lancée dans un parcours qui demandait moins d'études. Alors elle a commencé des études d'infirmière, avant d'abandonner devant les nombreuses complications : les enseignements plus durs qu'elle ne s'était imaginé. Aimant peu l'école, et le système éducatif ne correspondant pas à sa manière d'être, elle s'est retrouvée incapable de réviser la quantité importante d'informations. Elle a essayé plusieurs métiers, sans réussir à se poser, à en trouver un stable. Son CV ne comporte pas vraiment de trous, mais décrit clairement son instabilité.

Ada a de toute façon toujours été meilleure qu'elle, dans tout : plus créative, plus maligne et intelligente, plus sociable, plus drôle, plus belle... plus humaine. Si Soana a souvent été en colère contre sa mère de mettre trop en avant ses réussites, et envié sa vie, ses capacités, elle s'est assagie avec le temps. Sa sœur était devenue un modèle, posé sur piédestal, qu'il fallait copier, égaler ; plus qu'une simple source de frustration et jalousie. Elle n'y est jamais arrivée. C'est sûrement son plus grand regret.

04/ Sa sœur aurait dû avoir 36 ans.
Si seulement on ne l'avait pas appelé, un jour, pour lui annoncer qu'un accident s'était produit. Décès immédiat. Ada fut la première victime. Soana la seconde. Elle n'a pas réussi à s'en remettre réellement. Elle s'est seulement laissée consumer par la dépression, lentement, sans en prendre vraiment conscience. Perdre sa soeur c'était aussi perdre ses repères, ses habitudes. Plus personne à appeler à 3h du matin quand elle n'allait pas bien, plus personne à qui envoyer des photos instagram d'un nouveau beau gosse qu'elle aurait trouvé. La complicité qu'elle avait avec Ada était exceptionnelle, inégalable, alors comment vivre lorsque la personne qui lui procurait autant de joie, venait d'être lui arrachée ? Elle a survécu, simplement.

Soana est profondément touchée par ces épreuves passées, si bien qu'elle peine désormais à s'attacher, à trouver l'affection suffisante pour aimer les gens. L'envie a disparu avec le temps, personne ne comprend vraiment la douleur et la carapace difficile à briser. Elle a besoin de patience, mais se contente de se refermer. Soana n'a pas encore fait son deuil, elle a la sensation d'être dans un état second, comme si on lui avait privé d'un bout d'elle-même. Elle vit cette mort comme l'ablation qui l'empêche de vivre correctement.
Pour oublier, elle n'a pas trouvé mieux que de se mettre la tête à l'envers. Elle consomme des drogues, se réveille à pas d'heure. Sa vie est complètement dénuée de sens.

05/ Soana prenait le temps de s'entretenir par du yoga et jogging, s'organisant des moments sportifs le matin. Maintenant elle use du peu d'énergie qu'elle a pour son métier peu ordinaire, glander devant sa télévision et entretenir la tombe de sa mère. Elle a peu de projets en tête, elle qui pourtant jadis rêvait et se sentait capable de tout affronter.

Elle ne mange rien, grappille quelques aliments seulement pour s'apporter l'énergie suffisante de se lever. Elle a perdu cette joie de vivre qui la qualifiait autrefois. Si on la voit rire, profiter, apprécier la vie, ses amis par exemple, ce n'est que le reflet d'une gaieté d'antan. Elle s'est effondrée mais tente de la rendre encore perceptible. Soana se cache derrière une facette joviale, un tant soit peu sociable, pour mieux cacher les peurs, l'insécurité qui se se sont nourris de sa douleur. La souffrance vive qu'elle ressent au quotidien lui donne parfois l'impression d'être une coquille vide, si bien que ses gestes (dont le sexe) sont pratiqués de manière mécanique. Elle vous offre ses beaux sourires, sa sensualité, pour que jamais vous ne vous doutiez de l'envie de fuir. De partir. Rejoindre sa sœur et sa mère, par exemple...