Sinner (Toby)

La lecture était l'un des passe-temps favoris de notre jeune abbé. Lorsqu'il avait un peu de temps libre, un moment pour souffler paisiblement, il se décidait toujours à lire quelques lignes, ou une page entière. Ce midi, il n'avait pas mangé, décidant de jeûner un peu, pour pénitence. Lui qui était un grand gourmand, devait se contraindre parfois, pour le bonheur de son esprit, à suivre un certain ascétisme. Il décida donc de rester dans la fraîcheur de l'église, afin de lire un peu, tout en restant disponible à qui aurait besoin de ses services, lorsque cela s'avérerait nécessaire. Il avait rendez-vous dans une heure, ce qui lui laissait une marge importante pour feuilleter son ouvrage, s'y plongeant tête la première, dans une longue réflexion paisible. Son visage était souriant, comme d'accoutumé, ses traits marquaient une certaine joie, même lorsqu'il ne communiquait avec personne. Il avait cet air tendre et doux qui paraissait ancré à ses courbures, à ses sourcils haussés, à son teint pâle et ses lèvres charnues. Toute son attention était aspirée par le roman qu'il avait entre les mains. Pas d'ouvrage de philosophie ni de grande réflexion pour ce début d'après-midi estival, mais un livre pour s'évader, pour se distraire, un livre sans prétention. Il ne s'était pas assis sur un banc, mais à même la pierre, sur les marches menant jusqu'à l'autel, comme s'il s'était subitement arrêté dans sa marche pour ouvrir le bouquin, sans aucune cérémonie. Ses yeux clairs, pétillants d'un charme enfantin, voire angélique, suivait méticuleusement les lignes se dévoilant sous ses doigts.

Ce ne fut que bien des instants plus tard qu'il se rendit compte que quelqu'un avait pénétré dans l'église. Le son de quelque chose de métallique résonnait contre les bancs de bois, se rapprochant subitement. Le pauvre homme eut à peine le temps de lever le regard dans la direction d'où provenait le bruit que l'on fendit sur lui, tel un rapace sur sa proie, l'attrapant par derrière et le forçant à se calmer, le plaquant fortement au sol. Dans un ultime soubresaut et plus par réflexe que par désir, Toby se débattit un instant. La peur faisait son office, son coeur battait de plus en plus vite et son corps s'apprêtait à devoir fuir ou se battre. Bien heureusement, sa raison reprit le dessus sur la réaction directe entraînée par la force et il se calma, assez rapidement, avant que l'autre n'ait à lui briser les os pour le maîtriser. Un homme lui souffla dans l'oreille de l'emmener dans son bureau, d'une façon très gênante, et notre abbé se remémora qu'il était venu avec une matraque... Il avait davantage l'attention de cogner que de discuter.
Toby poussa un soupir, pour calmer les battements de son coeur, bien que la situation ne semblât désespérée. Il ne savait pas à qui il avait à faire... Peut-être un trafiquant, de ceux qui avaient proféré des menaces à son encontre, jusque-là uniquement verbales, à présent devenues plus tangibles. Toby déglutit, reprit son souffle.
"D'accord.. Mais lâchez-moi, ce n'est pas la peine de se montrer violent, on peut discuter...Je vous en prie...Je vous promets que je ne vais ni vous frapper, ni fuir..." souffla-t-il, simplement, après avoir repris ses esprits. Il n'allait pas se laisser abattre. Son livre était tombé au sol, et serait inévitablement corné, mais ce n'était point dans ses soucis actuels. Son regard passa du livre, écrasé sur la pierre, à l'homme qui le tenait fermement, mais lui avait laissé le droit de se relever. Il prit la direction de la sacristie, où il recevait les gens, en plus du petit bureau se trouvant au presbytère. Une chose était sûre : si l'autre voulait le ratatiner ou le tuer, il l'aurait déjà fait. L'église était vide et il n'aurait rien risqué de plus que dans cette pièce. "Qu'est-ce que je peux faire pour vous...?" demanda-t-il, finalement, lorsqu'ils arrivèrent sur les lieux, l'autre toujours déterminé à ne pas le lâcher. Il avait mal, là où son agresseur l'avait assailli,, là où son genou l'avait heurté au niveau du dos, mais il tentait de garder contenance malgré la douleur. Sa main lui tremblait légèrement, lui qui était un homme de paix, pas belliqueux pour un sou, mais il le dissimulait en l’enfouissant dans sa large manche noire. Il avait un souffle rapide, celui de la personne incertaine de la marche à suivre, mais maîtrisa son corps pour retrouver le sang-froid qu'on lui connaissait en bien des circonstances. Non, il ne pouvait pas répondre à la violence par la violence, ni réagir tant qu'il ne savait pas à qui il avait à faire.

L'étreinte sur son bras est violente, dramatiquement intense. Toby se crispe, en entendant une insulte dans son dos, l'obligeant à se taire. La première approche était un douloureux échec. Ils arrivèrent en silence vers la sacrisitie, où la porte se referma derrière eux. A peine se trouvèrent-ils à l'intérieur que son agresseur le plaqua contre lui, son front contre le sien, dans un air de défi. Toby le regarda dans les yeux : ceux-ci étaient emplis de haine et de fureur, sans qu'il ne puisse comprendre d'où pouvaient venir ses ressentiments négatifs. L'abbé, lui, arborait toujours son visage calme et doux, malgré la crainte qui lui déformait un peu les traits.
Les hurlements qui suivirent lui firent fermer les yeux, Toby était complètement dans le flou, ne comprenant nullement ce dont lui parlait son interlocuteur. Pourquoi cela? Pourquoi de telles accusations dégueulasses? Pourquoi à lui? Et maintenant?
Notre trentenaire ne vit rien venir lorsque l'autre commença à le secouer dans tous les sens, avec fureur. Sonné, il ne reprit ses esprits qu'en sentant la matraque retomber lourdement contre ses côtes à plusieurs reprises, jusqu'à ce qu'il ne se retrouve lui-même à genoux. Il posa ses mains sur ses flancs douloureux, une larme lui perlant d'un oeil, reprenant sa respiration, perdue sous l'effroi de cette violence inattendue. Il ne pleura pas, mais leva la tête vers son agresseur, tentant de comprendre qui pouvait se trouver derrière cette cagoule. Mais les deux orbes sombres qui se montraient par le trou central ne lui indiquaient pas grand chose.
"Je ne comprends pas ce que vous voulez... Pourquoi vous me dîtes ça?" demanda-t-il finalement. Il essaya de s'écarter, très délicatement, pour se mettre le plus loin possible de cette vilaine matraque. Mais avec la douleur et la stupeur, la peur, c'était une démarche complexe et lente. Si bien qu'il savait qu'il n'avait aucune chance. Finalement, il ouvrit ses bras en signe de paix, toujours à genoux, mais se redressant, non plus courbé sous les coups. Dans sa tête, il priait, avant de finalement reprendre la parole. "Si vous avez un problème de dépendance à la drogue, mon fils, on peut vous aider ici... Il suffirait d'en parler..." indiqua-t-il, presque timidement. C'était une solution, qu'il ait affaire à un drogué qui avait perdu l'esprit. En tous cas, ce n'était pas un dealer venu le massacrer... Il n'aurait pas déversé de telles obscénités, mais la rengaine habituelle. Voyant que les mots récemment prononcés ne produisaient aucun effet bénéfique, Toby finit par se relever, doucement, en poussant un petit cri de souffrance, tout en tentant de montrer un air déterminé, malgré ses mains tremblantes et son air constamment bienveillant. On ne pouvait percevoir aucun mal en lui, aucune forme d'hostilité.
"Honnêtement, je ne sais pas ce que vous voulez, pourquoi vous me balancer des obscénités à la face, ni pourquoi toute cette violence...." déclara-t-il, feignant de ne pas avoir peur, d'avoir balayé toute crainte. En réalité, l'intérieur de son corps était en ébullition. "Mais si vous revendiquez quelque chose, ce serait mieux de vous présenter, ainsi que de montrer votre visage. Car pour le moment, c'est vous qui n'êtes rien d'autre qu'un lâche qui profite des plus faibles. Alors allez-y, posez votre truc et parlez, expliquez-moi! Parce que là, j'y comprends rien!" ajouta-t-il ensuite, indiquant à l'autre qu'il était tout ce qu'il condamnait. Toby savait qu'il mettait peut-être le feu aux poudres, mais, il était hors de question de répondre à la violence par la violence, et encore moins de fuir. L'homme bloquait la sortie, il n'aurait aucune chance. Il y avait bien une sortie par derrière, mais elle était fermée à clef et jamais notre trentenaire n'aurait le temps de l'ouvrir. S'il tentait ce coup, c'était certain que l'autre le tuerait à coups de matraque. Puis, de toute façon, s'il ne résolvait pas ce problème dès à présent, l'autre allait revenir, un autre jour, sans se préoccuper que la police soit au courant ou non. Et il serait encore plus haineux qu'à présent.

Alors qu'il tentait de calmer son agresseur, ses paroles eurent l'effet inverse et celui-ci se montra encore plus virulent et violent. Voyant que Toby lançait un peu trop de regards en direction de la sortie, se préparant à une fuite potentielle, il s'assura de le coincer de façon à ce qu'il ne puisse ensuite trouver aucune échappatoire. Les insultes étaient intenses, mais ce n'était rien par rapport à cet objet sombre que l'autre tenait dans ses mains, cette matraque, signe de danger, signe de violence, signe que l'incident mortel pouvait très bien avoir lieu. Toby ne dit plus rien, se laissant entraîner vers le fond, alors que l'autre riait encore de ses mots. Notre abbé déglutit bruyamment. Comment faire entendre raison à ce type? C'est un détraqué! Il a l'air complètement fou et n'est prêt à rien entendre! Il serra les lèvres et fronça les sourcils en entendant les déclarations aberrantes de son interlocuteur, qui sortit un chiffon pour le lui mettre en plein devant les yeux, lui expliquant ce qu'il comptait faire.

"Je crois que vous vous trompez de personne..." déclara simplement Toby, effrayé, mais calmant les tremblements de ses membres, désireux de tenir tête. S'il craquait à présent, tout était fini. Il devait juste clarifier les choses... Oui, mais comment? L'autre ne le croirait jamais. Il avait l'air déjà dans sa folie, à le frapper, plutôt qu'à l'écouter attentivement.
"Je ne sais pas d'où vous tenez ces obscénités sur moi, mais c'est faux! Complètement faux!" s'exclama-t-il, un peu désespéré. Il connaissait les rumeurs à son sujet, mais jamais il n'aurait cru que cela puisse en venir à de telles extrémités... On avait dit des choses terribles, mais un prédateur sexuel? C'en était trop, bien trop. "Je n'ai jamais touché à personne, je peux le jurer!" Ses yeux pétillaient... On pouvait y lire de la déception, de la douleur, et de l'injustice. Comment, comment pouvait-on l'accuser de telles choses? Son monde s'effondrait autour de lui, il entrait dans une véritable détresse. Il était choqué, terriblement choqué. Il n'avait plus vraiment peur de l'autre homme à présent, mais tout son esprit était accaparé par les mots prononcés. Lui, accusé d'être un monstre. Il en avait presque envie de pleurer tant cela lui paraissait déplacé, tant cela lui meurtrissait le coeur, lui dévorait et retournait les entrailles. D'ailleurs, il sentit les larmes lui monter aux yeux, mais les retînt pour ne pas perdre définitivement la face. Il se parlait plus à lui-même qu'à son interlocuteur à présent. "Comment ils peuvent dire ça.... Je n'attends pas de remerciements, ni même de gratitude de leur part.... Mais.... Je pensais que tout le monde me connaissait mieux, que ce n'était que quelques paroles en l'air, qui seraient oubliées quelques jours plus tard..." Il tournait la tête, se perdant de nouveau dans ses pensées, dans son monologue. "Je sais qu'il y a.... des rumeurs sur moi..." déclara-t-il. "Une adorable jeune femme de la paroisse, un peu perdue, a essayé de m'embrasser. Ce n'était qu'un effleurement de lèvres, et je l'ai repoussée tout de suite gentiment, mais.... Les gens aiment décidément trop les racontars..." poursuivit-il, remontant ainsi à l'origine de l'affaire. "Je ne vais pas jeter la faute sur elle, elle n'a rien fait de mal, c'était juste un moment d'égarement... et elle..." Il s'arrêta subitement. "Oh non! Elle aussi, elle doit être victime de toutes ces bêtises! J'espère que personne ne lui fait de mal... Je préfère qu'on crache sur moi, oui c'est mieux que ce soit sur moi... Elle est si... fragile au fond, si ... délicate quelque part..." Il se parlait toujours à lui-même. Il se sentait honteux de n'avoir d'abord pensé qu'à lui-même alors que Bonnie avait elle aussi sans doute eu le droit à ses rumeurs et ses remarques désobligeantes.

Toby fronça les sourcils en entendant le nom prononcé par son agresseur. Il connaissait Bonnie? C'était l'impression qu'il donnait en tous cas. Sa cagoule dissimulait de nombreux traits de son visage, mais elle laissait paraître ses yeux sombres, et un bout de sa peau. Et les yeux étaient le miroir de l'âme. Même si son agresseur voulait dissimuler ses sentiments par une posture stoïque, Toby crut déceler une pointe de dégoût. Une idée germa dans l'esprit du jeune prêtre, mais il n'en était pas certain encore. Son regard se posa sur celui de son interlocuteur. A présent, Toby ne tremblait plus, mais des milliers de pensées lui traversaient l'esprit, telles des flèches. Une peur pour Bonnie, une peur pour la suite... Et beaucoup de contradictions, de remises en question. C'était terrible. Il en souffrait, autant qu'à ses côtes battues.

Les propos prononcées alors par son interlocuteur vinrent planter un couteau dans son coeur. "Mais ce ne sont que des histoires..." souffla-t-il, dépité. Il ne voulait pas porter plainte, il ne voulait pas créer un histoire et des ennuis, alors que ce n'était que des racontars qu'il avait cru voir dépérir en quelques semaines. Mais, à présent, il se demandait s'il ne ferait pas mieux de porter plainte, en effet... Car cela avait atteint des sommets. On s'en était pris physiquement à lui.
L'autre lui explique qu'il a été payé par le colporteur de racontars... Mais en même temps, il connait Bonnie, son nom précis... Et puis ces yeux, cette peau. Soit c'était son frère, Jax, avec qui elle était très fusionnelle et dont elle avait beaucoup parlé au prêtre, soit c'était Jax qui avait payé ce type. Mais dans un cas comme l'autre, le message devait passer... Toby s'apprêta à prendre la parole, mais le poing de son agresseur s'abattit contre sa mâchoire, sans crier gare. Choqué, Toby se frotta la joue.... Il aurait un bel oeil au beurre noir. Très difficile à dissimuler. Cela engendrerait encore davantage de questions. Et alors qu'il se tenait la joue douloureuse d'une main, et que l'autre était en train de prendre doucement la fuite, se tournant pour partir, Toby eut le courage de parler de nouveau. Si ce n'était pas Jax, tant pis, mais il avait la sensation que c'était lui... Ou alors le payeur était Jax. Sinon, pourquoi connaitrait-il le nom de Bonnie et aurait-il était aussi énervé par les propos du trentenaire?

"Jax Weaver, je te pardonne. Je sais que tu as fait ça par crainte pour ta soeur..." déclara-t-il doucement, un peu craintif, mais plus serein, malgré la douleur. "Mais souviens-toi de ce moment et réfléchis à ce que tu as fait et ce que tu aurais pu faire à un innocent, dans la colère. La violence appelle la violence et la souffrance." ajouta-t-il ensuite, espérant que cet épisode fasse réfléchir le jeune homme davantage, avant qu'il ne fasse plus de mal autour de lui. Il espérait sincèrement que cet épisode lui serait favorable. "Et les portes de cette église te seront toujours ouvertes." C'était Toby, incapable d'en vouloir longtemps à son agresseur, comprenant que l'autre avait agi sous le coup d'une émotion intense. Ca ne justifiait pas son acte, qui était un pêché, mais cela l'expliquait. Et puis, il fallait bien lui tendre la main, ce type avait besoin d'aide. Qui d'autre que les pêcheurs, les violents, les reclus avaient besoin de lui davantage? C'est bien les malades qui ont besoin de voir un médecin....C'est aussi la brebis perdue qui nécessite un berger pour la retrouver.