behind the curtains { miles

Une cigarette à la main, jambes croisées à l’arrière d’un Uber. Kerri regarde défiler les buildings, pensive. Morphée l’a délaissé, une fois de plus. Il s’amuse de torturer ses nuits, lui faisant revivre des jours qu’elle cherche à oublier. L’humeur est sombre et contrariée, comme trop souvent. Alors pour ne pas tomber folle entre les quatre murs de sa chambre, Kerri fuit. Il n’y a qu’une adresse où ses pas la portent. Un bar en particulier, un havre de paix sitôt les portes closes. De sa vie d’avant, quand faste et mondanité n’étaient que des chimères qu’elle caressait doucement, il ne reste que ça. Nostalgique par la force des choses. Là, l’existence qu’elle s’était tissée n’avait rien d’idéale. Pourtant tout était vrai. Les gens, la peine et les éclats de rire. A présent, tout n’est qu’une illusion qui s’étiole peu à peu. Kerri a besoin de ça, de cet ancrage dans la réalité, de ce retour au source qui ne dit pas son nom. Alors d’une main, à l’instinct, elle fouille dans son sac jusqu’à en ressortir un trousseau de clés à la forme familière. Un porte-clé ridicule qu’elle passe entre ses doigts, l’esprit ailleurs. C’est seulement quand le véhicule s’arrête qu’elle reconnaît les rues qui passaient sous ses yeux. Elle attend qu’on vienne lui ouvrir, et son talon se pose sur le trottoir humide. Une enseigne brille dans la rue déserte, comme un halo lumineux au milieu de la nuit. Kerri s’exécute, appelée par une voix sourde dans les tréfonds du bâtiment éteint. Son coeur se serre de se savoir ici. Un sourire se dessine quand elle rentre la clé dans la serrure. La porte s’ouvre sur un silence de mort. Il n’y a plus personne depuis des heures, mais l’odeur traînante de cigarette froide vient se mêler à la cancerette que Kerri tient toujours entre ses doigts. Bientôt, la clope est écrasée auprès des autres mégots, et Kerri referme derrière elle la porte qui mène sur la rue. Par précaution, elle verrouille. La seule lumière qui éclaire la pièce est celle qui provient du néon au dehors. C’est bien assez pour l’irlandaise, qui connaît de cet endroit la moindre table et le moindre grain de poussière. Elle slalome à l’instinct, portée entre les chaises et les tables de billard, pour aller jusqu’en arrière boutique. Un panneau lui en interdit l’accès, mais ici, Kerri fait comme chez elle. Ca n’est pas un hasard si elle possède toujours les clés, près de vingt ans après. Elle pousse la porte d’un bureau au fond du couloir et allume pour toute lumière la lampe qui trône sur un coin du meuble. Un soupir de soulagement s’échappe d’entre ses lippes quand elle s’installe sur le siège au cuir élimé. Son antre lui manquait. D’un tiroir, elle sort une liasse de papiers. Une part d’elle se veut amuser, Miles n’a pas changé. Le foutoir est intact, le travail toujours aussi approximatif. L’autre se veut désolée, curieuse de savoir comment le navire reste à flot devant tant de négligences. Un haussement d’épaules pour toute réponse, et déjà, elle met son nez dans la paperasse avec la concentration la plus stricte. Elle n’entend pas le bruit qui résonne à côté, signe qu’elle n’est plus seule.