mirage, baz.

la nuit, est noire. les étoiles se sont envolées. ce soir, dafne n’a d’autre compagnie que la lune, assombrie par les nuages. les pas virevoltent, tapissent le goudron du queens aussi légèrement que la brise. les yeux tournés vers le ciel plutôt que sur la rue qui l’entoure, dafne cherche sa bonne étoile, encore et encore. à force de lever la tête, elle se dit qu’elle finira bien par la trouver, où qu’elle soit. et si elle doit parcourir les rues, les villes, le monde pour aller à sa rencontre, soit. c’est une histoire de destin et dafne est persuadée de ne pas encore avoir rencontré le sien. l’idiote.
le queens est particulièrement calme ce soir. sans doute n’a jamais t-il été aussi apaisant. les klaxons des taxis se fondent, au loin et c’est qu’elle s’y plairait presque, dafne, à minauder dans les rues, à compter les pas entre deux bancs et à sourire aux passants.
elle rêve,
et se perd. prétendant ne pas être l’appât qu’ils viennent tous chercher, à des heures pareilles à la lueur des lampadaires. mais il n’y a personne qui semble l’attendre sur la promenade, ce soir, et dafne continue son chemin. se perd encore, au coin des rues qui l’ont pourtant tant de fois vue passer. effacée, presque invisible. ce sera comme si elle n’avait jamais été là.
les mirages changent au gré du paysage. dafne s’étonne toujours d’à quel point le monde peut changer en un seul tournant. une rue à contresens et c’est un nouveau monde qui s’offre à ses yeux curieux. peut-être s’était-elle un peu trop enfoncée dans ses rêveries. toujours la même histoire, seul le déguisement est différent. ce soir, dafne n’y échappe pas. elle imagine être la princesse en détresse, enlevée de ce monde vers des horizons plus joyeux. des horizons où elle ne croiserait pas les regards curieux, souvent lubriques, chaque soir. des horizons où elle serait leïla, betty ou dehlia. tout mais pas dafne, préposée au lampadaire, chaque soir de la semaine. et sans qu’elle ne le réalise, la voilà qui parcourt les rues, sans même les regarder. sans non plus les reconnaître. la constatation ne la frappe que bien trop tard, lorsque le bruit sourd derrière elle la fait sursauter, dans la nuit sombre. les yeux plissés, elle croirait presque distinguer une silhouette dans le noir. une silhouette qui lui paraît vaguement ressemblante à celles qui la prennent en chasse. et soudain, le coeur s’emballe, les membres s’atrophient, dépourvus de réaction. non. ce n’est pas ce soir que dafne se laissera attraper, pas ce soir qu’elles tombera aux mains des iraniens ni à celles des arméniens. pas alors qu’elle leur doit encore un tas d’argent, pas alors qu’elle a laissé lydia dormir sur le lit simple qu’elles partagent toutes les deux, dans le petit placard qu’elles peuvent s’offrir. non dafne, ce n’est pas la fin. prise de conscience soudaine, elle dévale la rue, sans même être certaine qu’on ne la suit réellement. elle s’enfonce dans la première allée qu’elle trouve, un cul-de-sac qui la fait se retourner, en quête d’une autre issue. mais alors même que l’espoir de ne pas finir coincée dans une allée sombre s’amincit, des cris derrière elle la font se retourner à nouveau. la porte arrière d’un bar s’ouvre à la volée et ce sont trois hommes qui se voient jetés dehors comme de vulgaires sacs à ordures. deux des hommes croisent le chemin de dafne qui ne pipe pas mot, lorsqu’ils fuient la scène, et elle reste un instant à observer de loin le troisième homme avant de s’en approcher, reconnaissant la silhouette tanguante au loin. elle ne s’approche que lorsque les hostilités ont eu le temps de retomber, s’approche jusqu’à une distance raisonnable. sans doute un peu trop. « tu t'es encore battu. » la voix douce coupe le silence de la nuit fraîche. elle en oublie sa propre aventure, trop concentrée sur le visage noirci de baz. il fût un temps où elle n’aurait pas été dafne et il n’aurait pas été baz, où ils auraient été jackie et dennis, ruby et clark, ou bien romy et michael. ce soir, dafne n’a pas le coeur à être qui que ce soit d’autre que la traînée perdue dans les rues noires. « ça fait mal ? » dis-moi que ça ne fait pas mal. parce que dafne porte le poids du monde sur ses épaules et qu’elle absorberait volontiers la peine de son compagnon des nuits aussi. si seulement elle était capable de le supporter.