beignet saveur tes lèvres. (ugo)

c'était presque une journée normale. presque, avant qu'elle n'se transforme en une autre fille ce soir, encore une fois. silvia est épuisée. elle double ses heures pour gagner un peu plus. elle s'laisse caresser pour se sentir vivre. pour vibrer. pour désirer. elle se sent presque différente des autres. parce qu'elle a une vision de la vie qui ne ressemble pas à la moitié d'la population. parce qu'elle ose croire qu'elle pourra un jour conquérir ce monde. ressentir ce sentiment de puissance, d'être vu par des centaines de millions de personnes. elle veut plaire. elle veut qu'on l'aime. et pourtant, ça n'fait pas d'elle une fille superficielle. bien au contraire. silvia a cette gentillesse, cette générosité. c'est une fille qui a juste un peu trop l'goût à vivre. alors qu'est-ce qu'elle fout ici ? elle termine bientôt son service. elle d'vra bientôt rentrer, bientôt s'préparer. elle pourrait arrêter ce job, elle pourrait tenter autre chose. pourtant, elle n'en a pas envie. elle adore voir le sourire des enfants, quand les parents baissent la garde et acceptent d'offrir un moment de plaisir pour les gosses. tant pis pour les dents, la sucrerie est le meilleur des délices. elle s'dit qu'ils apprennent vite, avec l'âge, la sucrerie est un tout autre domaine. y'a son collègue. qui lui parle sans qu'elle ne comprenne vraiment. elle est dans son monde, aujourd'hui. elle n'arrive pas vraiment à se concentrer. pourtant, elle sourit toujours. p't'être qu'elle a l'air un peu conne, p't'être qu'elle d'vrait rentrer, annuler pour ce soir, prétexter qu'elle est malade et dormir un peu. profiter de son frère. mais y'a qu'une seule personne qui arrive à vraiment lui remettre les pieds sur terre. quand il s'poste face à elle, silvia sent presque son coeur se serrer et son ventre gronder de quelque chose qu'elle n'a pas envie de chercher. elle est contente, ses yeux s'mettent presque à briller. et pourtant, la seule chose qu'elle trouve à dire, d'une manière peut-être pas très agréable, c'est ; qu'est-ce que tu fous ici ? un peu étonné. ugo. ugo qui n'demande qu'elle. ugo qui est le seul, au final, à la faire vibrer.

entraînement terminé. la sueur qui coule sur l'front du gamin. les jambes lourdes. les muscles tendus. épaules en miettes. ugo, il s'est fais plaquer pendant des heures. et l'reste du temps, il jetait l'ballon à l'autre bout du terrain. ugo, il souffle lourdement en entrant dans les vestiaires. la plupart des gars déjà à moitié à poils, sous les douches. ugo, il s'fait pas prier. il va s'doucher aussi. l'eau chaude qui vient détendre immédiatement ses muscles. ça fait du bien. ça détend. l'eau qui vient ruisseler sur son visage. l'gamin qui termine vite. qui s'prépare vite. putain t'es pressé aujourd'hui paxton. y'a les rires qui s'mêlent en comprenant l'idée qu'avait derrière la tête l'type qui venait d'balancer ces mots. tu dois aller voir quelle fille, là ? les rires qui se poursuivent. ugo qui sourit. qui l'observe. ta soeur. les rires s'accentuent. tous, sauf un. forcément. ugo, il s'tire en vitesse. pressé, ouais.
passage par la maison. son sac qu'il abandonne dans l'entrée. un sweat qu'il enfile simplement, pour changer de l'ensemble du club. ugo, il a un programme pour aujourd'hui. prévu depuis la veille. une envie de beignet. comme par hasard. parce que ça fait un p'tit moment qu'il n'a pas vu silvia. l'occasion en or d'la voir. autrement qu'en alignant quelques billets. il prend sa voiture, ugo. juste pour quelques minutes de trajet. pour traverser les kilomètres nécessaires pour rallier la boutique plus facilement. plus rapidement, surtout. ugo, il entre. mains dans les poches. l'regard déjà posé au niveau d'la caisse. regard qui s'pose sur silvia, forcément. on n'voit qu'elle. il n'voit qu'elle. triste réalité. y'a un collègue avec elle, pourtant. un type auquel il ne porte aucune réelle attention, tout comme silvia. silvia qui l'observe. silvia contente d'le voir, il l'sait, il l'voit dans ses yeux. mais y'a les mots. les mots bien différents. l'truc qui refroidit presque. mais il laisse rien paraître, ugo. j'viens prendre un beignet. évidement. il n'va pas dire qu'il vient, au moins en partie, pour la voir. y'a des nouveautés depuis la dernière fois ? son regard qui ne quitte pas le sien. les mains toujours dans les poches. léger sourire au coin des lèvres. léger silence. rien d'gênant. t'as l'air heureuse d'me voir en tout cas. ça l'amuse, presque. ça l'fait sourire, un peu plus d'lui faire la remarque. parce qu'il n'attend qu'la réponse. parce qu'il l'imagine déjà, surtout.

elle est déstabilisée, parce qu'à chaque fois qu'il est proche d'elle, elle en oublie beaucoup d'choses, silvia. c'est dingue, comme il arrive à la rendre dans tous ses états alors qu'pour le moment, il n'a même pas ouvert la bouche. elle entend qu'on lui parle, c'est son collègue, mais elle secoue la tête, sûrement qu'elle secoue aussi un peu la main parce qu'il lui fout rapidement la paix. et putain, l'pire dans tout ça, c'est qu'il est beau, ugo. mais elle s'protège, malgré tout. elle est froide, alors que ses yeux brillent. son corps s'éveille, mais pourtant elle est sur ses gardes. c'est facile d'jouer un jeu, d'mettre un masque et d'être une autre personne la nuit. c'est plus simple, parce qu'elle n'a pas a supplié pour qu'il pose ses mains sur elle, parce qu'elle peut s'permettre d'effleurer ses lèvres sans qu'il lui interdise. parce qu'il l'a paye pour ça, tout simplement. les jours, c'est autre chose. elle n'est qu'une simple employée dans une boutique qui vend des beignets, c'est loin d'être le job de rêve, et peut-être qu'elle en a presque honte quand ugo est là, face à elle. c'est bien trop de questions qu'elle crève d'envie d'avoir des réponses, mais en même temps, elle a peur de merder et d'le perdre. et ça, c'est sûrement parce qu'ugo, c'est plus vraiment n'importe qui avec le temps. tu tombes bien, on en a plus. c'est bien trop froid, comme réponse. c'est un peu trop sarcastique, et la crédibilité est vraiment basse parce qu'il y a une vitrine transparente de nombreux beignets devant elle. en temps normal, elle arrive à n'pas merder, à rester professionnelle. pas aujourd'hui. pas alors qu'elle est sûrement un peu trop crevée. qu'elle veut juste rentrer, qu'elle a b'soin de se détendre, alors qu'elle n'peut tout simplement pas juste parce qu'elle a une double-vie qui ne lui permet pas cette liberté. si elle n'aimait pas autant cette tentation, ce pêché, elle aurait abandonné depuis un long moment, silvia. on a des beignets au nutella. ou des beignets interdits pour les mineurs, mais pour les avoir, faut attendre une certaine heure. elle provoque. juste parce que ça l'amuse. juste parce que c'est pas n'importe qui devant lui. j'vois assez ta gueule, tu sais. elle hausse les épaules, cligne rapidement ses yeux juste parce qu'elle trouve ça bien trop drôle, d'le provoquer. alors ? j'ai pas toute ma journée, t'sais. et malgré tout, il y a un sourire qui se dessine sur ses lèvres. parce que putain, pour lui, bien sûr qu'elle s'plie en quatre. même s'il l'a fait chier. même s'il est con.