only a shipwreck, only a ghost (irwin)

only a shipwreck, only a ghost.

Avant de partir chez ses amis pour la soirée, son oncle avait lourdement insisté sur son retour sans doute très tardif à la maison, accompagnant le sous-entendu très peu subtil d’un clin d’œil entendu. Shiloh s’était forcé à lui sourire, sans oser répondre quoi que ce soit. L’homme faisait de son mieux pour l’accueillir chez lui, on ne pouvait le lui enlever. Toujours était-il que chacune de ses tentatives pour se rapprocher de son neveu ne faisait que prouver à quel point il le connaissait mal. Shiloh Rhimes n’était pas du genre à coucher à droite et à gauche et à s’enivrer de soirées bien arrosées. Lui, il préférait de loin passer ses soirées devant des séries de science-fiction ou avec ses meilleures amies, Sasha et Thaïs, à débusquer les esprits frappeurs du coin. Mais ça, son oncle l’ignorait. Ou plutôt, il n’avait pas vraiment pris la peine de le savoir. Il avait tout de suite pris pour acquis que son neveu, récemment devenu orphelin aux suites d’un accident de voiture des plus banals survenu cet été, était comme tous les gamins de son âge. Il l’avait enfermé dans une case bien définie, convaincu que sa légère dépression finirait par partir : soit, le gosse avait perdu ses parents et soit, il était plus sensible que la normale, mais allez, il finirait bien par aller mieux. Tout le monde finissait par aller mieux, après tout. Quant aux rares qui sombraient dans la tristesse, dans la douleur? Ceux-là, l’homme préférait ne pas y songer… Et donc, ce soir-là, il avait fait comme si de rien n’était avec le petit Shiloh : il avait essayé de se la jouer cool avec son clin d’œil et son insinuation débile. Peut-être que s’il en était allé autrement entre l’oncle et le neveu, ce dernier aurait choisi de rester là où il était. Peut-être, dans un tel cas de figure, ne se serait-il pas barré de cette maison trop grande, trop vide pour lui, avec son sac à dos et sa valise, pour n’en jamais revenir. Mais les « et si », il ne fallait pas y penser, se répétait-il la gorge nouée, tandis qu’il déambulait dans les rues animées de New York à la recherche de son grand frère, qui ne voudrait peut-être même pas de lui. La tête bousillée de sombres pensées, l’adolescent erra un long moment, jusqu’à ce que son regard se pose par un heureux hasard sur la devanture d’un café à l’allure chaude et douillette. Les mains et les pieds gelés, il décida d’y entrer après avoir glissé, par mesure de précaution, la large capuche de son sweat sur sa tête. D’une voix qu’il espéra normale, il commanda un chocolat chaud et en attendant qu’on le lui prépare, il se réfugia dans la salle de bain. Son cœur battait à cent à l’heure. L’éventualité qu’on le reconnaisse, qu’on le ramène de force chez son oncle, l’effrayait au plus haut point. Adossé à la porte des toilettes, le souffle court, la bouche sèche, il enfouit son visage entre ses paumes ouvertes. Merde, qu’est-ce qu’il fichait là?

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irwin a les pieds fatigués, les cernes s’étirant sous ses yeux, et pourtant le même sourire accroché au visage qui illumine ses prunelles. sur son lieu de travail il se doit de faire semblant. pas grave s’il enchaine les heures. s’il doit continuer à prétendre. il a besoin d’argent. puis l’appartement est maintenant bien trop vide depuis que anita, vladimir et deborah ont décidés d’aller à los angeles chez leur tante. irwin n’avait rien pu fait pour les retenir. lui qui avait passé toute sa vie à prendre soin d’eux, à faire ce qu’il y a de mieux, il avait dû les regarder s’en aller. prendre leur envol, les voir se lancer dans le vide à déployer leurs ailes. ils n’étaient qu’à quelques heures d’avion des uns des autres, mais leur absence se faisait remarquer. il avait envie de les appeler tous les jours pour savoir si tout se passait bien, véritable papa poule qu’il était. son monde s’en était retrouvé tout ébranlé, et la solitude omniprésente. soupirant il se dirigea vers une autre table. « encore un autre café ? » qu’il demande avec douceur à madame jones, une vieille dame qui vient ici tous les jours. c’est une habituée qu’il a fini par bien connaitre. elle est pleine de sagesse et d’histoire à raconter. il l’apprécie énormément, elle et son audace. il faut dire qu’elle n’a pas sa langue dans sa poche lui disant toujours à quel point il est mal fagoté. irwin lui ça le fait rire. malgré les rides, cette dame est pleine de fraicheur.et puis contrairement aux autres vieilles biques qui aiment fait leur nie ici , elle ne lui pince jamais les fesses en disant à quel point l’ainé des burton ressemble à son ex-mari mort à la guerre. et oui à croire qu’irwin semble avoir une tête d’ancien combattant. le regard pétillant il lui ressert une nouvelle tasse. il en profite pour lui murmurer quelques mots doux « je vous ai rajouté votre petit ingrédient secret » il lui esquisse un sourire avant de lui faire un clin d’œil. du whisky voilà l’arrière-goût qu’aura son café. il n’y a que madame jones qui a le droit à ce petit traitement de faveur. comme elle lui dit bien souvent elle est à un âge où s’il faut mourir autant le faire avec classe, autrement dit avec de l’alcool dans sa boisson. c’est pas irwin qui irait la contredire. là maintenant, il ne dirait pas non à un petit remontant, mais il le sait bien il doit continuer à travailler. soupirant à nouveau, il va nettoyer quelques tables pour les prochains clients. il y a foule ici, comme bien souvent. le gamin se dépêche courant dans tous les sens. il fait des aller-retour constants entre la caisse, la cuisine et la terrasse. puis une de ses collègues vient le voir lui disant qu’il doit aller nettoyer les wcs, que certains clients sont allés faire n’importe quoi là bas. « encoooore ? je l’ai fait genre hier. et me dit pas que je dois aller en plus remettre des serviettes hygiéniques chez les filles » qu’il murmure le visage palissant. elle rigole, mais lui dit que non. elle lui promet que la prochaine fois elle s’en occupera, mais que pour le moment c’est son tour à lui. son humeur ce fait tout de suite plus bougonne, mais il va récupérer les affaires pour faire le ménage. se dirigeant vers les toilettes des hommes, il toque à la porte. «il y a quelqu'un? » qu'il demande poliment. tout en bougeant la poignée, mais quelque chose bloque derrière la porte. « service de ménage on m'a dit que quelqu'un avait vomi à l'intérieur.» qu'il souligna avec une petite grimace. si ça se trouve c'était la personne à l'intérieur qui avait vomi, et il ne souhaitait pas le mettre mal à l'aise.

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Il supposait qu’il n’était pas trop tard pour revenir sur ses pas et retourner dans son nouveau chez-soi, la maison de son oncle. Ce dernier rentrerait tard et ne saurait jamais que son cher neveu avait failli se faire la malle à son insu. L’adolescent prit une grande respiration, essayant de se calmer. Sans qu’il ne s’en rende compte, des larmes chaudes et traîtresses avaient coulé sur ses joues. Putain, il se détestait de chialer comme un sale morveux, surtout dans un lieu public. Au moins, il s’était caché dans les chiottes; ça aurait été hyper malaisant s’il s’était laissé aller pendant qu’il commandait son chocolat chaud, qui devait d’ailleurs être prêt. Il ferait mieux de sortir des toilettes et de le réclamer, sans quoi on risquait de le lui chiper par erreur. La boisson ne lui avait pas coûté bien cher, mais tout de même, deux dollars, c’était deux dollars. Shiloh se frotta les yeux du revers de la main, puis déchira du papier toilette non sans maladresse pour se nettoyer le nez. Il aurait aimé pleurer avec classe et dignité; hélas, ce traitement de faveur semblait réservé aux héros de fiction, ce qu’il était loin d’être. D’un geste désinvolte, il jeta les déchets dans la toilette et croisa sans le vouloir son propre regard dans le miroir devant lui. Sans grande surprise, ses yeux étaient rouges et ses traits, tirés. C’est vrai qu’il dormait très mal, dernièrement… S’il avait été une des putes du lycée, il aurait pu corriger ce désastre facial avec l’un des nombreux produits de cosmétique qu’elles collectionnaient et sortir de là sous son plus beau jour, mais malheureusement… ou plutôt heureusement, il n’était que Shiloh Rhimes, le gamin paumé qui rasait les murs et se réfugiait dans la bibliothèque. Et qui, ce soir-là, devrait composer avec sa tête de zombie. Avec un soupir, il se retourna et sentit quelque chose — de la morve de troll? — glisser sous ses Converse noires. Il baissa les yeux. Jura à voix basse. Un type avait vomi ses tripes sur le carrelage de la pièce exiguë. Comment se faisait-il qu’il ne l’ait pas remarqué plus tôt? Sans doute à cause des sales pensées qui malmenaient son cerveau depuis exactement trois mois. Ouais, sûrement. Toujours était-il qu’il avait marché dans du vomi dont la couleur oscillait entre le vert caca et le le jaune pissenlit. Dégueulasse. Shiloh, soudain, sursauta : comme tombé du ciel, un employé chargé de nettoyer les dégâts venait de frapper à la porte. Probablement impatient de se débarrasser de cette tâche ingrate, le gars se démenait sur la poignée. L’adolescent leva les yeux au ciel. Évidemment, il fallait que ça arrive quand c’était lui qui était aux toilettes. Tout en grommelant intérieurement contre son karma de merde, il haussa la voix pour se faire entendre à travers la cloison : « Ouais, c’est bon, j’sors. » À contrecœur, il se recula et poussa la porte, révélant ainsi la silhouette d’un jeune homme vêtu de l’uniforme du café. Il espéra que ce type ne ferait pas un commentaire empreint de sympathie condescendante, du style oh, ça va pas, petit? ou encore des problèmes de cœur, petit? : Shiloh Rhimes détestait l’hypocrisie, et encore plus l’appellation petit. Il n’était pas le plus grand de sa classe et il le savait, pas besoin de le lui rappeler, merci bien. Il renifla par réflexe et crut bon de préciser d’un ton maussade : « C’pas moi qui ai dégobillé. C’était déjà là quand j’suis entré. Et tiens, regardez-moi ça. » Il lui montra le dessous de ses baskets toutes souillées. « Bon, enfin, bref, » marmonna-t-il, conscient après coup que l’autre devait bien se foutre de ses propos. Que ce soit Tante Gertrude ou le dalaï-lama qui ait vomi sa vie sur le carrelage des toilettes, son travail revenait au même.

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le nettoyage des wcs était devenu un jeu au café. personne ne souhaitait se retrouver à récurer de fond en comble les immondices qui pouvaient s’y trouver. alors, après s’être échangé des tours pendant plusieurs semaines, les employés avaient décidé d’y mettre un peu de piquant. tout ou rien. cela se jouait à celui qui gagnait le moins de pourboire. cette semaine c’était irwin. et dieu sait qu’il y avait mis du sien, qu’il avait joué de ses charmes. qu’il avait dragué, offrant son sourire charmeur à toutes les personnes qui étaient passé devant lui. des petits. des grands. des vieux. des jeunes. des gros. des chauves. il n’avait pas fait la fine bouche. il portait des vêtements moulants pour mettre en valeur ses abdominaux inexistants et ses fesses plates. c’était une forme de prostitution en soit. et pourtant cela n’avait pas suffi. les résultats étaient serrés, se jouant à 3$ mais c’était irwin qui avait perdu . il soupira, serrant presque trop fort la serpillère qu’il tenait dans les mains. avec les quelques billets qu’allait lui laisser madame jones, il avait peut-être une chance de survivre à la semaine suivante. mais le nettoyage des toilettes lui faisait perdre un temps précieux, surtout en pleine journée lorsque chaque centime comptait. peut-être était-ce la raison de son impatience. de sa volonté d’en finir au plus vite. si la personne dans les wcs pouvait se montrer coopérative, cela faciliterait grandement la vie de l’ainé des burton. il attendit quelques minutes tentant de dominer son agitation intérieure, mais c’était peine perdue. irwin bougea plusieurs fois la poignée comme pour faire passer le message. des mots inaudibles se firent entendre à travers la cloison, avant que la porte s’ouvre dévoilant un adolescent. irwin afficha une mine surprise, s’attendant bizarrement à voir quelqu’un d’autre.de plus âgé. mais il ne s’attarda pas plus longtemps sur la personne qui se tenait devant lui, plissant le nez en sentant l’odeur de vomi s’abattre dans ses narines. c’était une véritable puanteur. ses prunelles se transformèrent en énorme soucoupes en voyant l’étendu des dégâts. « bordel c’est pas vrai. » une pointe d’ahurissement teintait sa voix. c’était un véritable massacre. il jeta un regard soupçonneux au mioche qui se tenait là. il l’examina de la tête au pied. il n’avait pas l’air bien. comme si ce dernier avait entendu ses pensées, il s’empressa de se justifier. irwin mordilla sa lèvre inférieure, pesant la véracité de ses mots. « t’es sur parce que t’as l’air malade… » qu’il souligna en se pinçant les lèvres. les yeux rouges, les joues bouffies il faisait peine à voir. pourtant irwin ne l’accusa pas, se contentant de hausser les épaules. savoir l’auteur de ce désastre n’allait pas changer grand-chose. dans tous les cas il allait devoir faire un make over total de la pièce. « si besoin on doit avoir une trousse de secours. » qu’il ajouta avec gentillesse. il s’écarta néanmoins quelque peu pour laisser passer l’adolescent. quant à lui il prit son courage à deux mains, et s’enfourgua dans la pièce allant directement ouvrir les fenêtres. comme si l’odeur qui imprégnait maintenant les murs allait s’envoler soudainement. maintenant lui aussi en avait plein les chaussures. « ça va nous donner du style. » qu’il s’exclama optimiste. peut-être une fois séchée….mais les senteurs risquaient de ne pas être bon pour son petit business. il voyait déjà les pourboires s’éloigner à son grand désespoir. « au moins ça éloignera les boulets. » autant rester optimiste. il passa sa main dans ses cheveux, avant de lui offrir un grand sourire.

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Shiloh devait admettre que la situation ne jouait pas en sa faveur : juste au moment où l’employé souhaitait nettoyer les toilettes, c’est lui qui s’y trouvait. Il supposa que si les rôles avaient été inversés, il se serait lui-même cru coupable. Pourtant, aussi incroyable que cela puisse paraître d’un œil extérieur, il n’avait rien à voir avec le dégât dans lequel il piétinait depuis tout à l’heure — sans faire exprès, cela allait de soi. Mais essayez de faire avaler ça au type qui vous voir sortir des WC compromettantes… Un sourire nerveux passa sur ses lèvres : il n’avait pas manqué le regard soupçonneux du jeune homme sur sa personne. Mais son ton de voix, étonnamment, ne dénotait aucune accusation, aucun mécontentement; l’autre ne faisait que s’enquérir de son bien-être par simple politesse, voilà tout. Il y avait de quoi, supposa Shiloh : avec une tête pareille, il aurait pu frapper aux portes des maisons le 31 octobre et réclamer des friandises. « Ouais, j’suis sûr. C’juste une mauvaise journée, » marmonna-t-il, embarrassé. Une mauvaise journée, mais quel euphémisme! Depuis la mort de ses parents, il ne vivait que cela, des mauvaises journées. Enfin, c’était son impression. Il n’était certes pas le plus à plaindre de tous les orphelins du monde, après tout il ne se retrouvait pas dans une famille d’accueil, mais sa situation n’en était pas plus joyeuse pour autant. Comment sa vie pourrait-elle jamais reprendre son cours normal? Il ne savait plus à qui ou à quoi se rattacher. À quoi bon, de toute façon, quand les personnes et les choses que vous aimiez le plus aux mondes — vos parents, la maison de votre enfance — pouvaient vous être arrachées du jour au lendemain, et ce, sans la moindre justice? Ah, la justice… Un pur concept de conte de fée, oui. De cela, il en était plus persuadé que jamais. « Merci, mais ce sera pas nécessaire. Mais si j’vois quelqu’un dans l’café avec une tête aussi effroyable qu’la mienne, j’vous fais signe. » L’autodérision, son arme ultime qu’il avait développée à force de traîner avec des filles telles que Sasha et Thaïs, l’une comme l’autre toujours prêtes à le taquiner. Si sa voix n’était pas très assurée, la tentative d’humour était là. Une fois que Shiloh fut enfin sorti de la pièce nauséabonde, il remit avec moult grimaces son sac à dos plein à craquer sur ses épaules. Mais au lieu d’aller chercher son chocolat chaud qui devait l’attendre — après tout ce temps à pleurnicher dans les chiottes, la boisson devait être prête, franchement —, il resta là, immobile, incapable de détacher son regard du pauvre jeune homme forcé de se coltiner le nettoyage de la salle de bains. Décidément, il fallait beaucoup de courage pour un faire un job pareil… Ou un compte en banque très maigre, au choix. Pour un gamin né avec une cuillère d’argent dans la bouche comme Shiloh Rhimes, c’était une réalité plutôt difficile à concevoir. Comme la pauvreté en Afrique : ça existait, bien sûr, mais c’était loin, très loin de sa réalité à lui. La voix de l’employé le tira de ses pensées philosophiques. « Mouais, j’crois pas que mes parents approuveraient ce style… » Sa voix s’éteignit. Ses yeux se baissèrent sur le sol carrelé du café. Il sentait son cœur cogner dans sa poitrine. Trop fort, trop vite. Si bien qu’il entendit à peine la phrase que venait de prononcer son interlocuteur. Un truc par rapport aux boulets. Il ne savait pas. Il se força à rire; rire pour ne pas pleurer. Il se marra, seul. Comme un con. Enfouit sa tête dans ses mains. Comme un con. « J’ai… » Sentit des larmes, chaudes, non, brûlantes, poindre sous ses paupières crispées. « Putain. » Se précipita de nouveau dans la salle de bains. La main dirigée vers l’un des rouleaux de papier toilette. Le papier cul comme seul salut.

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