le froid lui ronge la peau.
le gout du fer s’emmêle dans sa bouche.
les yeux perdus dans la noirceur scintillante.
le monde semble s’être réduit en lambeau un instant.
le mal est fait. son corps en garde les marques, les bleus paraissent fleurir sur sa peau à une vitesse impressionnante. des perles salées viennent s’épanouir au coin de ses yeux pour s’évanouir sur ses joues. la fatigue, celle de s’être donné un instant pour une cause qu’il considère comme juste. mais que c’est terriblement fatiguant de combattre la bêtise humaine. ses doigts viennent essuyer rapidement le témoignage d’un moment de faiblesse, suivit d’un reniflement bruyant. du liquide carmin s’écoule encore le long de son nez, se déversant comme un torrent même après la tempête. mais le garçon ne lutte pas, la rage s’était désintéressé de lui, lorgnant désormais sur son œuvre à présent complètement décharné. l’œil complètement vide, ses pensées tournent en rond, ressassent sans cesse les moindres détails des évènements précédents.
les mots.
répugnants.
se déversant de sa bouche.
ils les entendent encore.
se moquer de lui.
le réduire en poussière.
dans un dernier espoir, sim se redresse sur son derrière, seul endroit encore fonctionnel dans toute son anatomie. Le goût âcre emplit sa bouche, et il manque un instant de renvoyer le contenue stérile de son estomac mais se ravise en crachant sur le béton. du sang s’en échappe mêlé à de la salive. ses opales picotent de nouveau, ses lippes se déchirent dans un douleur. et la question lui taraude, hantant sa cervelle de gamin.
pourquoi ?
pourquoi fallait-il qu’ils soient différents ?
que le monde ne comprenne pas.
ne les accepte pas.
sa famille.
son seul navire face à la tempête.
ses mains cherchent péniblement dans ses poches de jean son téléphone portable. malheureusement sa prise se trouve nulle et l’espace d’un instant, une bride de souvenir lui revint en tête où l’un de ses assaillants avait -avant de se tirer- dérober son cellulaire. ses phalanges lui font un mal de chien, pourtant, un sourire finalement se dessine sur son visage. le réverbère disposé au-dessus de lui vint auréolé cet air béat où une dentition ensanglantée fait apparition. mine de rien, sa colère l’avait quitté et aussi stupide cela pouvait-être, le garçon se sentait en paix avec lui-même. parce que se battre pour les personnes qu’on aimait n’avait pas le moindre prix, et ce même si tous les os le tordaient sous la douleur.
la famille.
avant tout.
*
- « bonjour, sos écoute à l’appareil. je m’appelle sim, vous avez besoin de parler ? je suis à votre entière disposition. »
- « bonsoir sim.. »
- « dites-moi ce qui vous arrives. » répondit-il avec douceur, attrapant son gobelet pour réchauffer ses mains, le froid de novembre avait envahi new-york sans crier garde s’installant dans les immeubles et bureaux mal isolés.
- « c’est compliqué.. » sa voix, féminine et douce contrastait pourtant par une pointe d’inquiétude que le garçon arrivait à déceler avec le temps.
- « si vous m’expliquez, je pourrai sans doute comprendre. » son ton était plutôt neutre, et ses mots prononcés comme on marche sur des œufs. sim avait appris et ce dès le plus jeune âge que les mots avaient leur importance. il était si simple de prononcer les mots mais leur format irréversible était tout aussi dangereux. la parole pouvait se révéler bien plus tranchante qu’une épée, et plus destructrice que la mort.
- « vous croyez en dieu ? » sim fronce les sourcils, surpris. ses doigts se resserrent autour du plastique.
- « plus ou moins. vous y croyez vous ? » répondit-il, se remémorant sa période où il croyait naïvement que le monde avait un créateur et surtout qu’il se souciait un tant soit peu de ses sujets.
- « j’ai une question pour vous. Si dieu existe, pourquoi laisse-t-il les gens s’entretuer ? pourquoi la douleur ? » sa question avait tout l’air d’une réflexion philosophique, une matière encore qu’il n’eût pas le temps d’effleurer dans son établissement scolaire.
- « aucune réponse toute faites n’existe, vous ne trouve.. »
- « parle-moi franchement sim. » son ton familier avait eu le don de lui hérisser les poils, le garçon avait l’impression de parler à l’une de ses connaissances, allongé dans l’herbe à regarder l’horizon en discutant de la médiocrité de la vie.
- « et bien.. parfois l’idée qu’un dieu puisse existe m’effleure l’esprit c’est vrai. nous serions tous dans une télé-réalité où du haut de sa tour il zapperait suivant les familles. je n’ai pas vraiment d’autres explications en imaginant que celle-ci en soit une. »
- « … »
le silence se fait à l’autre bout du combiné et l’espace d’un instant sim pense être allé trop loin dans ses mots -qu’il devait admettre- étaient tout bonnement déplacé. mais la jeune femme avait réclamé une réponse et c’était la sienne, fantaisiste soit-elle.
- « et bien j’espère qu’il apprécie le spectacle. » sur cette dernière parole elle raccrocha sans attendre laissant sim dans un silence avant de lui-même raccrocher. grimaçant, ses doigts pianotaient à présent sur le gobelet en ressentant la marque cuisante de l’échec. que pouvait-il répondre ?
la réponse parfaite ne lui appartenait pas. et ce soir-là, dans son lit en grillant sa cigarette avant de s’endormir, il se demandera l’histoire derrière cette question. était-elle battue ? déprimée ? jamais il ne le saurait et la frustration l’envahira avant que le sommeil vienne l’emporter.
*
« donc tu te barres comme ça ? » disait-elle les yeux défoncés par les larmes tandis que ses sourcils semblaient se battre en duel, ne sachant comment se positionner.
« t’es vraiment sérieux ? tu m’abandonnes ? » les mots crachés, traité comme un pestiféré au sein de sa propre famille. une boule se forme au creux de l’estomac du jeune homme. il le savait. ça devait arriver. longtemps le vocabulaire lui manquait, sa voix hésitante s’était finalement emmêlé pour s’éteindre. la décision n’était pas facile, mais elle avait été prise. égoïste, soit-elle, mais la sienne. et non la leurs. pour la première fois de sa vie, sim prenait sa vie en main empruntant un chemin qui lui était propre. différent d’elle. de sa sœur. sa moitié.
« arrête tes conneries. » répondit-il nerveusement en fronçant les sourcils, agacé par ses répliques piquantes. le drama avait toujours fait partie intégrante de la personnalité de sa jumelle, et si en temps normal cette caractéristique le faisait rire, en cet instant, elle l'exaspérai. toute cette comédie pour un simple papier. foutu papier. mais un futur y était représenté. en écrit. en lettre. noir sur blanc. c'était assez amusant au final de se rendre compte qu'une simple feuille, aussi insignifiante pouvait-elle être au premier abord, pouvait changer la vie des gens. certains se mariaient. d'autres obtenaient un diplôme. sim, lui, demandait son émancipation. non par haine pour sa famille. non par honte, ni par rancœur. mais le garçon était ainsi, quand une idée s'engouffrait jusque dans sa boite crânienne, il était difficile de le lui déloger. et puis ses veines le lui criaient. sa liberté, son indépendance étaient importantes même au prix des perles qui s'égouttaient le long du visage de sa soeur. renoncer serait en faire de même où une part de lui se déchirerait à petit feu. des brindilles auraient certainement survécu puis piétiner par une destinée imposée qu'il ne désirait pas. son derrière clouté sur une chaise, les pieds vissés au sol et le cerveau défoncé à coup d’idéaux conformes dans lesquelles sim ne se retrouvait pas étaient tout bonnement non négligeable.
« comprends-moi. » les mots, fébriles chantent encore à ses oreilles. mais elle ne peut. le sablier aura besoin d'écouler quelques grains de sable avant que les gorges se dénouent et que la colère se chasse. la langue coupée, sa voix se brise contrastant avec le silence de plomb qui régnait dans le salon. il avait envie de la prendre dans ses bras. de lui dire de l'accompagner. de partir. loin. de vivre. et pas seulement l'écrire, le lire ou bien encore essayer. non. vivre. sentir son sang bouillir, le sourire pendu sur le visage, la caresse du vent, les longues heures passées sur la route, se tordre le ventre sur une mésaventure, enduire son visage d'étoiles filantes salant les regards.. vivre. mais se serait égoïste. et sim en était conscient. ce lien, cette coupure inévitable le brisait tout autant qu'elle, mais assumant son choix le garçon n'avait en aucun cas le droit, de le manifester. dix-huit ans et déjà, pliant sous le poids des responsabilités.
pourtant il reste là.
à l'observer, vider l'océan déchaîné en elle.
stupidement.
pensant mentalement à la retenir près de lui.
et s'excuser d'être aussi individualiste.
l'embrasser.
la serrer dans ses bras.
mais il ne fait rien.
rien.
parce qu'il sait.
quand il franchira la porte. que se sera la dernière fois.
sa maison. son enfance.
sa jumelle.
une page se tourne.
et avec elle, l'innocence.