JAX&RHIANNON ¶ Fais-moi oublier mes craintes

Je ne savais pas pourquoi j'étais là. J'étais revenue au Queens effervescent alors que je détestais ce quartier, chaque recoin, chaque ruelle, chaque nom de boutique... Ces odeurs, ces cris... Je marchais avec un pull XXL sur ma tête, capuche mise correctement, je me cachais. Je ne voulais pas qu'on me reconnaisse, je ne voulais pas parler... Mais aujourd'hui j'avais envie d'aller le voir, d'aller lui cracher au visage... J'avais encore fait un énième rêve, plutôt cauchemar, où il avait recommencé à m'abuser, à me baiser comme si j'étais la dernière des merdes, un pur objet sexuel sans âme ni coeur. Une larme coula le long de ma joue, une larme de rage. Mais elle fut rapidement suivie par plusieurs autres larmes. Me voilà en train de pleurer lamentablement dans les rues d'un quartier de NYC qui me donnaient envie de vomir.

Ma vision s'était obstruée jusqu'à que j'atterrisse près du parc du quartier. Mes yeux floutés par ma rage et mon dégoût réussirent à le remarquer. Lui. Jax il me semblait. On était dans la même salle de sport, il était souvent venu me parler mais à chaque fois je le repoussais, au début son nom ou son visage ne me rappelaient rien mais une nuit j'avais rêvé de lui. Là, juste au coin de cette boulangerie. Je n'avais pas assez d'argent pour acheter une baguette et il me l'avait payé. Je n'avais même pas réussir à lui dire "merci" à l'époque, je m'étais contentée de fuir. Comme à chaque fois qu'il venait me voir à l'époque. Je changeais de trottoir, j'évitais son regard, au collège comme dans la rue. Je ne savais pas pourquoi il venait me parler mais il revenait à chaque fois jusqu'à que je quitte le lycée et le quartier.

Secrètement, dans la salle, je le regardais se battre, dégouliner de sueur, parler à son coach ou ses coéquipiers. Là, dans mon coin. Et là, il était dehors en train de faire son sport. Je détestais mon père, tout était de sa faute. Ce garçon ne m'avait rien fait et je l'évitais comme la peste. Instinctivement je me rapprochais de lui tandis qu'il était en train de faire des barres horizontales. Je pouvais voir ses veines saillantes vu le débardeur déchiré qu'il portait, il ne devait rien entendre vu les écouteurs qu'il avait à ses oreilles. Je séchais mes larmes, je m'approchais de lui, mais derrière lui. J'étais rentrée par la "sortie" du parc ne voulant pas qu'il me voit. Au cas où si je voulais fuir à la dernière minute.

J'étais désormais à 5 mètres de lui, il ne cessait de monter et descendre sur cette barre et quand il finit par retomber au sol en enlevant ses écouteurs, j'ai compris que c'était là où il fallait que je parle.

Je ne pense pas que ces barres horizontales soient les meilleures de la ville. Celle de la salle de sport sont bien meilleures.

Je déglutissais en enlevant ma capuche pour qu'il ne prenne pas peur en me voyant de la sorte derrière lui. Il devait croire que tout n'était qu'irréel tant j'avais passé 99% de mon temps à l'éviter et voilà que je me jetais dans la gueule du grand méchant loup sans être sûre de comment j'allais être accueillie.

Rhiannon Pittsburgh, était de ces femmes belles à s’en damner l’âme mais à ne surtout pas approcher afin de ne pas y perdre ses ailes. À une époque où Jax était encore très timide et renfermé, il se serait volontairement laissé marcher dessus par cette belle brune en échange d’un seul rendez-vous. Sauf, que même lui marchait dessus elle ne voulait pas, en fait, elle ne voulait rien, sauf survivre, elle. Jax le comprit bien trop tard avec son lot de regrets.

Dans le parc malfamé du Queens effervescent, le métis s'entraine durement, pour lui, peut-être pour elle. Dans tous les cas pour son propre ego de mâle, qui même dix ans après se souviennent de Rhiannon et de son rejet expéditif. Maintenant les choses ont changé. C'est un homme, pas le plus beau du coin mais assez pour que quelques femmes viennent l'aborder au détour d'un bar. Une part de lui, empreint de rancoeur aimerait qu'elle regrette profondément de ne pas avoir eu un seul intérêt pour lui, une autre emprunte de mauvaise foi essayé de se convaincre qu'il en a rien à clairement rien à foutre de ses beaux yeux. Les écouteurs dans les oreilles, il oublie tout et se concentre seulement sur son sport, sur ses tractions depuis une quarantaine de minutes. Il sent ses muscles durcis par l'effort et la sueur perler sur son front puis inonder son t-shirt. Il repousse les limites de son corps, donnant tout ce qui lui reste d'énergie et finit par lâcher la barre, complètement éreinté après un ultime effort. Il souffle et enlève ses écouteurs afin de s'étirer, mais c'est à ce moment précis qu'une voix de femme l'interpelle. Il lui suffit de quelques mots pour reconnaitre qui est son interlocutrice. Rhiannon. Il hausse les sourcils, surpris. Tellement surpris qu'il a du mal à se concentrer sur ce qu'elle dit. Il a besoin de quelques secondes pour remettre tous ses mots en place. Les barres horizontales du sport sont mieux que celles d'ici. Il papillonne des cils. Oui, certes... Il ne comprend pas son intervention. Pour lui c'est assez inimaginable qu'elle veuille lui adresser la parole... Il s'essuie le front et finit tout de même par lui répondre, haletant et les bras sur les hanches.

J'aime bien m'entrainer seul, à la salle de sport y'a trop de combat de qui a la plus longue.

Enfin, ça, elle ne peut pas comprendre, elle, c'est une femme. Il omet ce petit commentaire bien conscient que certaines choses ne se disent pas. Il finit par se demander pourquoi elle est ici, alors qu'elle n'y habite plus depuis des lustres. Peut-être vient-elle rendre visite à sa famille. Enfin, à son père. Il décide de lui poser la question, pour qu'un blanc ne s'installe pas et aussi parce que la curiosité le tiraille.

T'es venu dans l'coin pour rendre visite à ta famille ?

Il attrape la bouteille d'eau à ses pieds et en boit quelque gorgé, complètement assoiffé puis enfin rassasié il en profite pour tremper sa nuque.

Il semblait surpris, trop sans doute. Je ne pouvais que le comprendre. Je ne savais même pas pourquoi je faisais ça et rien que ses yeux posaient sur moi me donnaient envie de fuir. Je me sentais jugée, ou pas assez bien... Les deux sans doute. Cette sensation de "qu'est-ce que tu fais là? d'où tu me parles?" et en même temps cet air incompris et curieux. Il essayait sans doute de rester poli... Mais je regrettais déjà mes mots.

Mon coeur s'emballait, les pupilles de mes yeux se dilataient, je m'attendais à être insultée ou être prise pour un morceau de viande mais il n'en fit rien. Il m'expliqua juste la raison de sa présence ici sauf que sa réponse me mit mal à l'aise. "Qui a la plus longue" me disait-il. Je comprenais très bien ses mots mais cette image me tiraillait. Je n'étais pas à l'aise pour parler de sexe, surtout du pénis masculin... Ca me rappelait trop de choses et en même temps ça me faisait rappeler qu'à désormais 25 ans, qu'un seul homme m'avait vu nu... Et surtout que je n'avais vu qu'un seul homme dénudé et ce n'était que cauchemar et dégoût.

- Oui bien sûr je comprends...

Non je ne comprenais pas, déjà parce que j'étais une fille et de deux parce que je n'avais jamais perçu les hommes à un stade de compétition "ainsi" entre eux. Je restais les bras croisés sur ma poitrine, je devais commencer à rougir en me grattant la gorge, ne sachant pas où regarder mais il fallait bien que j'intercepte son regard: il me parlait, je devais le regarder par pure politesse. Alors je le fis, je regardais son visage, ses muscles dégoulinant de sueur, ses veines qui ressortaient, ses pecs qui montaient et descendaient tant il devait être épuisé par l'effort physique... Mais quand il se rapprocha pour juste prendre une bouteille d'eau, par pur aspect instinctif je me reculais. Comme si j'installais une forme de barrière transparente entre nous alors qu'il n'avait rien fait de déplacer. Je soufflais... Je me trouvais ridicule, je devais partir mais aussi étrange soit-il, sa question me poussa à rester. Pas que cette dernière m'enchantait mais il semblait essayer de créer une certaine conversation... Conversation qu'on avait jamais eu. Que je n'avais même jamais avec les hommes à part fuir ou dire "que je suis trop occupée" ou "inintéressée".

- Non... Enfin... Je ne vois plus mon père depuis que j'ai 18 ans... Mais je viens parfois ici pour voir mon ancienne voisine. C'était ma seule amie et famille dans le quartier. Mais pardon je... Je dois te déranger. Tu t'entraînes et je t'empêche de continuer. Je suis stupide.

Je me mordais ma lèvre inférieure de honte avant de décroiser mes bras pour me frotter le visage.

- Désolée, je suis pas douée pour parler aux gens.

Aux garçons surtout, puis peut-être surtout à lui... Jax. Mais de tous les hommes sur Terre il devait être celui qui m'effrayait peut-être le moins. Un peu oui... Il était si beau, si.... "Mâle", si musclé... Des femmes il a dû en avoir des milliers. Il avait si changé physiquement depuis le collège. Désormais il était un bel homme imposant mais je ne voulais pas qu'il croit que je lui adressais la parole désormais car il avait "changé. Je me trouvais si superficielle soudainement...

L'ego de mâle encore blessé de son manque de considération, se retrouve aussitôt gonflé ; Jax a l'impression de se faire reluquer, pas avec insistance mais juste assez pour suggérer l’intérêt. Ce changement radical de comportement  est probablement une bénédiction et il va dans en ce sens. Pas assez abruti pour ne pas se saisir de la perche que la belle lui tend. Elle semble elle-même s’apercevoir des signaux qu'elle envoie au métis et tente de se réfracter au dernier moment, comme si cet échange était une erreur. Comme si elle n'aurait pas dû. Pourquoi ? Il la regarde se mordre la lippe. Un petit mouvement qui le fait tiquer sur ses délicieuses lèvres. Ils n'avait pas remarqué jusqu'à ce jour à quel point elles étaient gourmandes... Il rehausse directement le regard dans ses yeux, mais ces quelques secondes de battement suffisent à le trahir. Il projette son attention ailleurs, sur la bouteille entre ses mains, alors qu'elle s'excuse de ne pas savoir parler aux gens car elle est "stupide". Il fronce les sourcils en attendant ce mot "stupide". En tant qu'éducateur, il sait à quel point les mots peuvent être représentatif de ce que l'on pense de nous-même, et à quel point ils peuvent bouffer la confiance. Il se sent obliger de venir la contredire, catégorique.

T'es pas stupide du tout.

Il ne comprend pas comment une femme aussi ravissante et intelligente peut se dénigrer, même si c'est juste lancé comme ça. ça lui passe au-dessous. Il reprend directement, plus léger et un petit sourire aux lèvres.

Si tu me dérangeais, je prendrais pas la peine de te répondre.

Le brun n'est pas le genre d'homme à se forcer ou même à jouer un rôle. Parfois, il frôle même l'impolitesse, et heureusement pour lui, il en a rien à cirer. Il se remémore ce qu'elle a dit sur son père, qu'elle ne le voit plus. ça ne l'étonne pas, au fond. Il était flippant et pouvait se targuer d'avoir la pire réputation du quartier, entre autres à cause de la manière dont il l'élevait sa fille. Toujours l'oeil sur elle, comme si le moindre garçon était un charognard venu voler son bien. Il balaie les souvenirs déplaisants de cet homme et se re concentre sur eux, rien qu'eux. Au moins, ça leur fait un point commun ; aucun des deux ne voit leurs parents depuis leurs 18 ans. Il rajoute avec humour.

Moi non plus j'vois plus ma famille, on dirait que dans son quartier c'est monnaie courant les parents défaillants.

Il se perd dans ses prunelles, complètement captivé.

Je m'apprêtais à partir, je me sentais de trop, je voulais fuir. Je ne savais pas pourquoi j'avais décidé d'affronter mes peurs avec lui. Peut-être car je savais qu'il avait eu un petit faible pour moi dans le passé et qu'il n'allait pas me dégager violemment, je n'en savais rien en fait. A contrario, vu qu'il n'avait pas eu ce qu'il voulait à l'époque il aurait pu être furieux et énervé de me voir lui parler comme si de rien était. Puis là, il était en pleine séance, je m'attendais à quoi ? A qu'on devienne amis en deux secondes ? Je ne savais même pas comment ça marchait... L'amitié. Ou alors j'espérais que notre échange soit bref vu qu'il était occupé ? Je l'ignorais, je m'ignorais tout court. Je tremblais presque, j'avais même commencé à faire un léger demi-tour jusqu'à que Jax me "rattrape" verbalement assez sèchement et soudainement. Instinctivement, je me retournais et je le dévisageais du regard, comment pouvait-il souligner cela ? Il ne me connaissait pas. Il se mit à sourire, un sourire qui se voulait rassurant, presque convivial, pas "bizarre" ou "pervers" ou encore manipulateur. Je ne voyais pas Jax violent, non, mais est-ce que petite je voyais mon père violent à mon égard ? Non plus, et pourtant...

Je déglutissais, j'essayais de revenir en face à face avec lui, il me parlait dont je me devais d'être droite à lui et non de dos. Il affirmait ne pas me déranger, mais est-ce qu'il me disait cela par sincérité ou réalité ? J'essayais de tenir mon regard vers ses yeux clairs comme je pouvais mais il était bien trop intimidant et me voilà recroiser mes bras sur ma poitrine, pour me "cacher". Puis lorsqu'il évoqua la "malédiction" du quartier, j'eus un bref rire.

- Oui... On peut dire qu'on a pas grandi dans le meilleur des quartiers. A choisir, j'aurais préféré être à Manhattan. Mais l'idée du quartier maudit me plaît bien.

Je riais encore, juste un peu, mais une boule au ventre se forma très vite lorsque je me rappelais de ce que me faisait vivre mon père. Est-ce que Jax était au courant? Savait-il pour tout ce qu'il m'avait fait? Trop de gens étaient au courant, les policiers étaient déjà venus chez moi, des gens étaient déjà venus taper mon père pour avoir entendu des rumeurs sur un abus sexuel sur une mineure... Que savait Jax ? Et au fond je préfèrais qu'il ne sache rien. Je ne voulais pas qu'il me voit comme une pauvre victime sans défense, déjà que je devais faire assez pitié de base.

- Tu t'entraînes souvent ici? J'aime bien venir courir ici le matin, très tôt, c'est assez calme.

Parler de mon père ou de notre "famille" dans notre première vraie conversation depuis... Longtemps était trop prématuré. Je préférais parler d'une chose qu'on avait en commun : le sport. La seule chose qui me rendait heureuse aujourd'hui, l'activité qui me faisait me sentir forte, indépendante...

- Tu vis toujours dans le queens effervescent d'ailleurs ou t'as pu t'échapper comme j'ai eu la chance de faire ?

Je riais encore un peu, jusqu'à me souvenir d'un point important : sa soeur. Il parlait souvent d'elle : les "Weaver", certains disaient qu'ils étaient "bizarres" ensemble mais qu'étaient donc ces gens là? Comment pouvons nous juger une situation sans en connaître les aboutissants ? Moi qui l'avait presque oublié le Jax Weaver, voilà que des flashs revenaient peu à peu. Je me souvenais de ses yeux qui me mangeaient presque du regard à l'époque, ses yeux aussi lumineux avec un physique de jeune homme pas encore développé. L'enfance puis l'adolescence. La nature l'avait gâté Jax, mais il avait surtout dû travailler dur pour avoir les muscles qu'il avait. Revoilà mes yeux qui se fondaient sur ses bras musclés et brillant de sueur, encore mes yeux qui se perdaient jusqu'à souffler, me rendant compte de ce geste inapproprié et exagéré.

- Je suis au queens contemporain personnellement... Je m'y sens mieux. C'est différent. Je travaille au supermaché au coin de la cinquième.

Pourquoi lui disais-je tout cela? Nous n'étions pas dans un speed dating et la panique, ou mon incompétence à "savoir me faire des amis" me faisaient dire n'importe quoi. Il devait bien se ficher de ce que je faisais dans la vie, surtout il ne m'avait rien demandé. Il était juste en train de faire sa séance de musculation dans ce parc, là, avec sa musique et voilà que je gâchais tous ses plans. Je voulais m'excuser, mais il allait me trouver encore plus pathétique à m'excuser pour un rien.

Elle semble le craindre, Jax le devine car elle croise les bras et fuit son regard. Il n'est pas très observateur mais ça crève les yeux qu'elle ait mal à l'aise alors pourquoi ? Pourquoi s'efforce-t-elle à lui parler ? Il a beau réfléchir, il ne comprend pas. Elle est toujours aussi mystérieuse. Il inspire. ça lui rappelle des souvenirs, ça lui rappelle la manière dont il s’essoufflait à lui courir après pour révolver ses secrets, cette énigme qu'elle est. Il se recule, il ne veut plus être happé par son beau sourire, par ses minauderies. Il ne veut plus être charmé, car elle ne fait que blesser. C'est ce qu'il a appris. Pourtant, quand elle rit ainsi, il aimerait bien se dire qu'elle a changé, qu'elle n'ait plus la même, qu'ils peuvent être des "amis". Elle lui confie qu'elle aurait préféré plutôt habiter à Manhattan que dans le Queens, le brun la regarde, intrigué car il pensait qu'elle était plutôt du genre à préférer des endroits paisibles, calmes. Lui, ça ne l’intéresse absolument pas cet arrondissement, déjà à cause de Wall Street, centre mondial des finances et de l'économie, où des mecs à cravates déferlent par milliers dans la rue, puis à cause évidemment des attentats.

Manhattan ? Je pensais que t'étais plutôt du genre Staten Island, espaces verts, grands parcs et cours d'eau.

Pas qu'elle a une tête d'hippie mais on dirait qu'elle aspire au calme, la à la sérénité, puis comme elle est plutôt introvertie. Il s'est gouré, tant pis. Il poursuit.

Moi j'pourrais pas Manhattan trop de mecs en costumes cravates puis depuis l'attentat y'a comme une peur tacite.

Faut dire que l'environnement a été profondément bouleversé par cet évènement, tout a été réaménagé et c'est pas parcequ'on en parle plus que ça existe plus. Elle ne semble plus vouloir partir car elle relance le sujet de conversation, le brun est satisfait mais ne le montre pas et se contente de sourire niaisement. Elle l'interroge sur sa fréquence d'entrainement et lui glisse en passant, qu'elle, elle s'entraine souvent le matin très tôt. Il n'a pas envie de voir ça comme une invitation à se revoir mais c'est plus fort que lui, une petite voix lui susurre que peut-être qu'elle a envie de le croiser plus souvent pour cela qu'elle précise ces horaires ? Il fait vite taire cette voix, pour lui répondre l'air de rien.

En ce moment ça m'arrive de plus en plus, j'me suis rendu compte que je pouvais pas garder mon corps en foutant rien...

Eh ouais, pour garder les tablettes de chocolat faut les entretenir, triste réalité. Il reprend, en plaisantant.

Le matin j'ai déjà du mal à me lever pour aller au boulot alors pour faire du sport... T'es courageuse.
À un moment il faisait ça, quand il voulait être professionnel, quand ça allait être son métier, mais là, déjà rester dans un bureau toute la journée ça le fatigue alors s'il courait le matin il imagine même pas. La belle poursuit les questions. Soudainement, elle a envie d'en découvrir plus sur lui... C'est agréable, lui qui ne fait pas beaucoup d'efforts en matière de conversation n'a pas à s'en préoccuper vu qu'elle fait tout. Il ne peut pas retirer ce sourire idiot de son visage, heureux de l'intention qu'on lui porte. Elle lui demande à présent où elle vit. Si elle n'était pas "spéciale" il lui aurait rétorqué sèchement "t'es de la police ?" mais elle, c'est différent ils se connaissent depuis tellement longtemps. Un visage familier parmi cette foule d'étrangers qui vivent à côté de chez lui. Elle ressent dans sa manière de parler que vivre ici était un véritable fardeau. Il ne sait pas pourquoi elle n'aime pas cet endroit à ce point, lui est bien d'accord qu'ici c'est pourri, mais en même temps il y a tellement de souvenirs heureux, tellement de personnes qu'il a aimées dans cet endroit, il s'y sent profondément attaché à son quartier. Il déclare, plutôt embarrassé par leur différence de point de vue.

Non, j'habite toujours ici, par choix, j'ai mes meilleurs souvenirs ici et mes meilleurs amis...mais toi t'es allée où ?

Il a surtout envie de lui demander "et toi, pourquoi t'as jamais aimé ce quartier ?"  mais il ne le fait pas, pas l'envie de se montrer indiscret. Elle semble dans ses pensées car ses yeux se perdent sur lui. On dirait qu'elle en a bavé dans la vie. Ses yeux quittent son corps pour revenir plonger dans les siens. Elle lui réplique qu'elle est toujours dans le queens mais dans un différent quartier, qu'elle est caissière. Enfin, ça il le sait pas si elle est caissière mais il le présume vu qu'elle travaille dans un supermarché. Il se contente d’acquiescer, toujours avec un air parfaitement ravi.

Je suis content pour toi, tu es maitre de ta vie et tu sembles beaucoup plus épanouie qu'avant.

Il le pense sincèrement, elle est plus...humaine, avant elle faisait beaucoup de choses par automatismes, car elle était forcée, maintenant elle est libre. Il se rend compte que maintenant c'est à lui de prendre la relève, de se dévoiler. Il n'est pas très à l'aise mais si elle a fait cet effort, il peut bien le faire aussi. Il se masse la nuque.

Moi j'suis devenu éducateur spécialisé, après deux ans de formation. à la base j'voulais être dans la rue, mais c’était pas possible sauf dans les assos, alors j'aide les enfants à l'école, y'a rien de plus important que le savoir...

Il sait pas ce qu'il raconte, à philosopher, comment ça "y'a rien de plus important que le savoir" non mais sérieux ? Et car il peut pas s'arrêter il continue de plus belle.

J'suis pas marié, pas d'enfant.

Il se sent obligé de préciser, même si elle est pas intéressée, il préfère le dire d'entrée car il connait plein de camarades de classes avec déjà la bague au doigt, la maison tout le tintouin à seulement vingt six ans.

Et toi ?

Peut-être qu'elle est devenue lesbienne et que c'est pour ça qu'elle est soudainement gentille avec le métis ? Il secoue la tête agacé d'avoir des pensées aussi conne.